Episode 1: O'Brother II

Le Roi Ban : Heureusement qu'on est canés ! Je vous raconte pas la honte, sinon !

Uther Pendragon : C'est la faute de leurs éducations, aussi ! Si on nous les avait refilés, nos mioches, on n'en serait pas là ! Et vas-y que je te câline, et vas-y que je te console… Non ! Les enfants, il faut les détester.

Le Roi Ban : C'est de vous ?

Uther Pendragon : Bah, bien sûr !

Le Roi Ban : C'est pas de Goustan le cruel ?

Uther Pendragon : Pourquoi vous me posez la question, alors ?

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Arthur marchait dans la neige, entravé dans sa marche par la neige qu'il devait soulever à chaque pas. Il n'avait pas vraiment prémédité ce qu'il venait de faire. Sinon, il ne serait pas venu jusque-là ! Et si la Dame du Lac ne s'était pas pointée à ce moment-là en hurlant, il aurait sûrement finit par refermer les mains sur la poignée d'Excalibur.

A l'heure actuelle, il serait encore Roi.

Mais, primo, il n'avait pas d'ordre à recevoir d'une clodo qui se permettait de disparaître pendant des mois sans laisser de traces, et deuxio, c'était un bel exemple de ce dont il voulait se débarrasser : Il en avait assez qu'on attende toujours tout de lui. Tout allait mal, tout le monde se le disait, tout le monde restait à ne rien faire, tout le monde comptait sur lui pour tout redresser. Oui, hé bien, qu'ils se débrouillent. Non, il ne reprendrait pas Excalibur parce qu'on lui demandait, parce qu'on considérait que c'était évident, parce que c'est ce qu'ils attendaient de lui.

Et puis, non, il ne le regrettait pas.

Il se sentait même plus léger qu'à l'aller. Un pécore, quand il a bien travaillé, il a le droit à une petite retraite. Voilà. Il était à la retraite. Tout cela ne le concernait plus.

« Sire, que fait-on, maintenant ? »

Bohort avait une voix encore plus petite que d'habitude. Arthur ne se retourna pas et continua sa progression. Il savait que Léodagan et Bohort le suivaient en silence. Silence qu'il laissa retomber le temps de graver en lui cette sensation de liberté et d'insouciance totale. Et puis, il du bien reprendre ses responsabilités.

« On rentre à Kaamelott. Il faut bien les prévenir. Après, vous, vous faîtes bien ce que vous voulez, qu'est-ce que je m'en tape ?! Moi, je me tire. Ciao la compagnie et bon courage ! »

« Mais Sire… »

« C'est votre jour de chance, beau-père, continua Arthur, les yeux toujours fixés devant lui, vous tirez la tronche, mais vous avez l'air d'oublier que c'est votre fille, qui détient le pouvoir, maintenant ! »

« Et qu'est-ce qu'elle va en faire ? Elle sait déjà pas diriger ses bonniches… » grommela le Roi de Carmélide.

« Ca, après, mon coco, c'est pas problème ! Dans un sens, je vous offre le trône dans un joli paquet cadeau ! »

« Vous parlez d'un cadeau… »

Le silence reprit le dessus sur la plaine enneigée. Ils arrivaient à la lisière de la forêt quand un appel se fit entendre.

« Holà ! Holà ! Braves gens ! »

Ils se retournèrent tous les trois en même temps, et Bohort eut un hoquet de stupéfaction :

« Lionel ! »

« Qui ? » demanda Léodagan.

« Lionel, mon frère ! Vous m'avez demandé de le faire venir ! »

« Ah oui, c'est vrai, il y a ça, en plus ! » lâcha Arthur dans un soupir.

Bohort était déjà parti d'un pas sautillant vers la silhouette qui arrivait vers eux et qui avait toutes les caractéristiques d'un énorme tas de fourrure mouvant.

« A pied tout seul dans la neige ? » se demanda Arthur à mi-voix.

« Elle est belle, la noblesse du pays de Gaunes ! » fit remarquer son beau-père.

Ils plissèrent tous les deux les yeux et observèrent un moment les effusions de joie que les retrouvailles des frères provoquaient.

« Ils sont ridicules, même des gonzesses feraient pas ça ! » grogna le Roi de Carmélide quand les deux chevaliers du pays de Gaunes, dans les bras l'un de l'autre, commencèrent à se balancer d'un pied sur l'autre en se frottant le dos.

« Ah bah, c'est sur, ça vous change, vous êtes pas habitués à ça, chez vous ! »

Et pourtant, quand Lionel et Bohort se dirigèrent vers eux, bras dessus, bras dessous, ils constatèrent qu'ils n'étaient pas loin de pleurer.

« Quoi encore ? » s'agaça Arthur.

« C'est l'émotion, Sire… que d'évènements dans la journée ! » hoqueta Bohort.

« Sire ? C'est… c'est le Roi Arthur ? »

Le dénommé Lionel tendit le doigt vers Arthur en tamponnant ses yeux de son autre gant.

« Ouais, si on veut ! » marmonna Léodagan que toutes ces mièvreries horripilaient.

« Roi, non, je ne suis pas Roi. Mais Arthur, c'est moi, oui ! »

« Moi, c'est Léodagan de Carmélide, si jamais vous vous posez la question… »

« Vous avez fait bon voyage ? » reprit Arthur sur un ton enjoué.

« Je faillis bien y laisser la vie, mais Dieu soit loué, me voilà enfin aux côtés de mon frère. Mais … alors, vous être un autre Arthur que celui qui est Roi ? »

« Laissez… on vous racontera. Comment ça, vous avez failli y laisser la vie ? » esquiva Arthur.

Bohort était proprement décoloré et fixait son frère avec une inquiétude presque palpable. Lionel posa la main sur son cœur et reprit son souffle.

« Ah Seigneur, j'en suis encore tout saisi de frissons d'effrois quand ma mésaventure me revient en mémoire. Hier à peine, j'allais l'âme en paix quand je me trouvai soudainement accosté par un individu qui me jeta à terre comme toute forme de salut. A en juger par ses oripeaux et son aspect négligé, j'en conclus de suite que le diable avait mis sur ma route quelque malfaiteur, bandit de grand chemin à l'âme d'ors et déjà damnée, un de ces manants à l'affût du premier innocent à détrousser, afin d'acquérir quelque maigre butin. »

« Oui, bon, allez au but ! » s'exclama Léodagan.

Le ton brusque du Roi de Carmélide sembla quelque peu intimider Lionel qui resta un instant les yeux écarquillés, la bouche ouverte, avant que Bohort ne lui pressa doucement le bras.

« Oui, donc, je tentai de gagner la pitié de mon agresseur en lui promettant de l'argent. Mais il ne semblait pas m'agresser pour l'argent, ni même pour quelque honneur ou pour honorer un défi. Non, il avait décidé de me tuer pour me tuer. »

« Quelle horreur ! » s'écria Bohort.

« Je ne dû mon salut qu'à une chance fort peu commune et dont le Seigneur-tout-Puissant ne sera jamais assez loué : Mon agresseur me révéla son nom. Il n'était personne d'autre que notre cousin, Lancelot du Lac … »

Léodagan et Bohort poussèrent le même cri dans un ensemble parfait.

« Lancelot ? »

« Mais il est pas desséché, lui ? » continua Léodagan.

« Que nenni, mon Seigneur ! Et bien vif comme un gardon, encore ! »

« Non, il n'est pas mort. déclara tranquillement Arthur.

« Vous le saviez ? » s'étrangla Bohort.

« Oui, c'est … pfff, oui je le savais, c'est tout. Dites-moi, Lionel, était-il seul ? »

« Aussi seul que moi ! Nous n'étions que deux dans toute l'immensité de la plaine. Et encore fallut-il qu'il m'agresse, et puis qu'il se révélât mon cousin ! C'est pour cela qu'il m'a épargné, de fait. »

« Et sinon, il vous aurait… »

« Sans aucun doute. Et sans faillir, encore. »

Arthur détourna la tête, les sourcils froncés, les lèvres pincés.

« Lancelot… tuer par plaisir… »

Ca ne ressemblait pas à Lancelot. C'était même une attitude absolument opposée à celle que le chevalier du Lac avait pu prôner toute sa vie, même après sa trahison. Bohort et Léodagan eurent le bon sens de ne pas faire de commentaire. Mais après un moment de silence, Lionel reprit.

« Mais Lancelot, vous m'aviez écrit qu'il était chevalier à la Table Ronde du Roi Arthur ? C'est à dire que… je ne serais pas fort à mon aise si je devais le rencontrer une autre fois… »

« Vous ne le reverrez pas à Kaamelott, rassurez-vous ! » grinça Arthur.

« C'est si loin, le pays de Gaunes ? » railla Léodagan.

« Notre compagnon Lancelot a décidé l'année dernière de quitter Kaamelott afin de monter un camp indépendant et en opposition à la couronne de notre bon Arthur. L'unité et la paix du royaume en sont depuis complètement bouleversés. Fit Bohort d'une voix tremblotante. Je vous raconterai tout en détail quand nous serons au chaud devant un feu, avec une bonne tisane ! »

« Et Arthur… je veux dire, le Roi Arthur, quand vais-je le voir ? Je dois avouer que je suis un peu impressionné… »

« Bon, écoutez, Lionel, le Roi Arthur, c'est moi ! Sauf que je ne suis plus Roi depuis dix minutes ! Félicitations, vous arrivez juste pour assister à des changements en profondeur du pouvoir. »

Le malheureux ouvrit et ferma la bouche plusieurs fois de suite comme s'il allait dire quelque chose, aussi pale de la neige dans laquelle il avait les deux pieds plantés.

« Bon, allez, à Kaamelott ! » déclara Arthur d'une voix morne.

Il leur tourna délibérément le dos et entra dans la forêt, sans se retourner pour regarder leurs têtes et vérifier qu'ils le suivaient. Le crissement de la neige qu'on foule lui suffisait. Ils avaient fait quelques centaines de mètres quand un raffut éclata derrière lui. Il s'arrêta et pivota du buste.

Il eut juste le temps de voir Lionel se baisser à la hâte dans un glapissement d'excitation qu'il se prit en pleine poitrine une boule de neige qui éclata sur son plastron. Il resta ahuri, la bouche ouverte, complètement immobile.

« Oh pardon, Sire! C'est qu'il n'a pas perdu ses réflexes, le grand frère ! » s'écria Bohort, la main encore levée.

Léodagan rejoignit Arthur, pencha la tête vers lui d'un air entendu, et murmura :

« Le voyage du retour paraît toujours plus long. Mais là, je crois que ça va être terrible ! »

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Uther Pendragon : On a pas à se plaindre en fait… Regardez-moi ces deux-là, Ban…

Le Roi Ban : C'est qui ? Les fils du Roi Bohort de Gaunes ?

Uther Pendragon : Eux-même. C'est sûr, il les a filé à des bonnes femmes aussi… et il a calanché tout de suite après. On les a jamais retirés des jupes de leurs nourrices, les deux mômes : résultats, deux geignards de plus sur terre.

Le Roi Ban : On pourra dire ce qu'on voudra, sur terre, mais, le mien, il l'aurait tué, ça n'aurait pas été un grand drame.

Uther Pendragon : Pour qu'on se le coltine ici ? Merci bien !