TOC

Tous les résidents du Paradis savaient que Raphaël était maniaque au dernier degré.

A côté des trois autres Archanges, tous plus bordéliques les uns que les autres, il faisait un peu tache. Raphaël était toujours tiré à quatre épingles, son bureau était toujours bien rangé, tout avait une place bien déterminée.

Mais pourquoi tu es aussi maniaque ?

Raphaël ne répondait jamais quand on lui posait cette question. Parce que la réponse lui paraissait tellement bête.

C'était vrai, comment il pouvait dire qu'il était aussi obsédé par le rangement parce que c'était sa façon d'éviter de se bourrer d'antidépresseurs ?

Il était médecin. Avec un métier pareil, il voyait des trucs moches, forcément. Moches et pire que moches. De quoi rentrer chez soi avec l'envie de s'ouvrir les veines dans la baignoire. Sauf que lui ne pouvait pas s'ouvrir les veines, il récupérait automatiquement. Il le savait d'expérience.

Il ne pouvait pas non plus se soûler, son métabolisme synthétisait trop vite. C'était pratique pour défier les autres à un concours de beuverie – toujours marrant de voir rouler les gens sous la table – et la gueule de bois, il ne savait pas ce que c'était. Mais pour ce qui était d'oublier temporairement ses emmerdes… ouais, ça craignait. Et grave.

Alors il rangeait.

Comment pouvait-il expliquer que si son appartement était aussi propre, c'était parce que le monde extérieur n'avait aucun sens ?

La vie était moche. Il arrivait des catastrophes sans raison, à des gens qui n'avaient rien demandé, et s'il y avait un sens à tout cela, Dieu ne l'avait certainement pas dit au troisième de ses fils aînés.

Mais dans son appartement, tout était rangé. Tout avait un sens. Tout faisait sens. Son appartement, c'était son sanctuaire. Rien n'y arrivait sans une raison. S'il faisait la vaisselle, c'était pour laver les assiettes. Si tel livre était sur la table de chevet et pas dans la bibliothèque, c'était parce qu'il voulait lire un peu avant de se coucher. Tout avait une raison.

Le monde était moche, et pour supporter ça, il fallait trouver un moyen de se protéger. Pour Raphaël, c'était de ranger.