Pour l'honneur et surtout, pour l'amour…

Résumé : Lors d'un bal, la rumeur court que le célèbre Mouron Rouge vient d'être capturé. Sir Percy, piqué dans sa curiosité et poussé par son envie d'aventures -au désespoir de sa femme adorée Marguerite-, répond à l'appel. Note : Les citations en début de chapitre sont extraites des chansons des diverses comédies musicales "The Scarlet Pimpernel".

Chapitre I - D'amour, d'amour !

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There are rules we obey in society
You prefer to live calmly and quietly
but your heart wants to play
(Vivez)

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Angleterre, 1794.

Loin de l'horreur qui se déroulait sans relâche sur le beau territoire de France, soudain assoiffé du sang de sa propre noblesse, dans le tranquille royaume de Sa Majesté le Prince de Galles, chacun vaquait à ses occupations.

Si de ce côté de la Manche l'agitation était de rigueur, c'était surtout parce que l'on se trouvait à la veille de l'époque des bals et autres événements mondains accompagnant l'arrivée de la belle saison. Et pour la jeunesse dorée d'Angleterre, il y avait fort à faire. Il fallait planifier les agendas des sorties afin de ne manquer aucune représentation où il fallait être vu, rafraîchir et apprêter les demeures afin de pouvoir, dans la limite de la décence, recevoir les invités lors des bals. Mais aussi, il fallait faire tailler de nouvelles tenues, acheter de nouveaux équipages, dépoussiérer les lustres, astiquer l'argenterie et cirer les parquets.

Cela, bien que tout le monde sache déjà à Londres et dans les environs que cette saison comme les précédentes, les meilleures soirées se dérouleraient au Manoir Blakeney, que le gentleman le mieux habillé serait inévitablement Sir Percy et que la tendance de la mode féminine serait assurément lancée par son épouse, Lady Blakeney.

On était bien loin de percevoir les hurlements de la foule, qui s'élevaient à chaque fois que Madame La Guillotine tranchait net le cours d'une existence.

Lord Anthony Dewhurst, en parfait gentilhomme anglais et accompli, dans le jardin de son splendide manoir, s'entraînait à l'art de l'escrime avec son ami et camarade d'aventure Lord Hastings. Avec de grands éclats de rire, les deux jeunes gens se remémoraient les bottes inventées aux dépends de leurs ennemis français, lors d'une de leurs missions effectuées sous le fleuron du Mouron Rouge.

Tous deux se demandaient quand Sir Percy, leur chef -qu'ils respectaient autant qu'ils l'adulaient- les appellerait pour une nouvelle aventure ?

Sir Andrew Ffoulkes, le second en commandement et dévoué au Mouron Rouge, en propriétaire terrien consciencieux, administrait avec ses maîtres d'œuvre les différents travaux à réaliser sur l'ensemble du domaine Ffoulkes. Ouvert et respecté, le jeune homme entretenait les meilleures relations avec ses employés. C'était non sans dire, sous l'œil affectueux et transi d'amour de sa femme chérie, Suzanne de Tournay de Basserive. La jeune épouse de Sir Andrew prenait le thé avec ses parents, en visite chez leur fille et leur gendre.

La Comtesse voulait savoir si sa fille songeait bientôt à donner un héritier à son mari et un petit-fils à ses parents ?

Armand St Just, le frère de Marguerite Blakeney, était lui confortablement assis au fond d'un des fauteuils moelleux d'un des théâtres du centre de Londres. Jeanne Lange, sa fiancée (et il espérait bientôt Madame Armand St Just), répétait un rôle. Une tragédie grecque qu'Armand se souvenait avoir vu jouée par sa sœur, à Paris. Les yeux écarquillés d'amour, le jeune français s'émerveillait devant le talent et la beauté de la jeune femme. En silence, il remerciait les anges d'avoir mit Jeanne sur sa route, sans jamais oublier un instant les heures sombres où il avait cru la perdre pour toujours. Heureusement Dieu, dans son immense bonté et son omniscience lui avait aussi donné un beau-frère tel que Blakeney.

Mais le mérite-je seulement ? Songeait-il.

Sa Majesté le prince de Galles, présidant comme à son habitude à la table de réunion dans son palais londonien recevait, depuis de longues heures ses différents ministres venus de part et d'autre du royaume. Les nouvelles étaient bonnes et pourtant, toute Altesse Royale qu'il était, cette partie de sa fonction l'ennuyait prodigieusement. A un moment, il étouffa un bâillement et laissant échapper un soupir d'ennui, il souhaita intérieurement que son ami Sir Percy soit là pour le divertir avec son humour et ses manières dégantées si caractéristiques.

Une fois ses devoirs de souverain accomplis, peut-être se rendrait-il chez son ami ?

Ainsi au Manoir Blakeney comme partout ailleurs en Angleterre, le calme et la tranquillité dominaient. Marguerite et Percy, amoureux comme aux premiers temps de leur union (si ce n'est plus), déambulaient main dans la main dans le somptueux jardin de leur propriété de Richmond, profitant des douceurs d'un après-midi d'été qui s'écoulait paresseusement. L'air était doux, des senteurs délicates de fleurs parfumées flottaient dans l'air ; les paroles étaient inutiles. Qu'il était loin alors le temps de l'aventure, des sauvetages périlleux et les interminables heures d'attente chargées d'angoisse ! A un moment de leur promenade, Lady Blakeney s'arrêtait près d'un banc de pierre ombragé par les branches protectrices d'un arbre centenaire. Sir Percy, tel un amant torturé par la déesse de la beauté ayant prise sur son cœur et sur son âme, prenait place à ses pieds, posant sa tête blonde sur les genoux de celle qu'il adorait bien plus que sa vie. Parfois Marguerite déclamait des vers, tantôt dans sa langue natale, tantôt en anglais. Dans ses poèmes, on y parlait de saisons renouvelées, de soleil, de fleurs et de bonheur. Mais aussi de jeunesse et surtout d'amour. Et s'ils gardaient le silence, les yeux plongés dans l'âme de l'autre, les mains jointes, mari et femme se laissaient envoûter par le chant mélodieux des oiseaux du printemps. Distraitement, Marguerite enroulait les mèches blondes de la chevelure de Sir Percy autour de ses doigts… Qu'il était bon d'être amoureux et de se savoir totalement, complètement aimé en retour ! Et quand leurs lèvres se joignaient, c'était dans un baiser qui révélait plus que leur amour mutuel mais toute la passion émanant de leur être.

Peut-on seulement imaginer être plus heureux qu'en ce moment ?

A ce même moment, en cet instant de bonheur parfait qui semblait rejaillir sur tous les habitants d'Angleterre, dans un jardin anglais, Justine, une douce et belle jeune fille, s'apprêtait à donner une réponse à Matthew, son prétendant de longue haleine. De cette réponse dépendrait leur sort commun et les scellerait peut-être devant Dieu pour l'éternité.

La vie de Justine avait pourtant commencé sous le joug de la tristesse. D'abord le décès de sa mère, morte en couche et l'année suivante, son père, ne supportant toujours pas la perte de son épouse, avait trouvé un moyen d'en finir avec sa douleur et avait mis fin à ses jours par un beau matin, avec sa propre arme de chasse. Orpheline très tôt, Justine avait été recueillie et élevée par sa tante, Lady Eléonore de Roche, une femme autoritaire, au passé aussi mystérieux que semble-t-il, douloureux.

C'était seulement depuis peu que Justine avait atteint cet âge où les jeunes gens de bonne famille commencent à folâtrer autour des jeunes filles. Jouissant d'un rang et d'une fortune des plus considérables, la grande beauté de Justine faisait qu'elle s'était très vite retrouvée avec, à ses pieds, une foule de prétendants issus pour la plupart de familles très en vue dans la bonne société anglaise.

C'est aussi pour cette raison qu'en ce jour, Matthew, l'unique fils de Lord Matthew, se tenait respectueusement devant son aimée, les yeux débordants d'amour et d'espérance. Il n'osait approcher trop de la jeune fille, de peur briser le rêve qui avait commencé un soir de bal, lorsque son regard s'était posé, pour la première fois, sur Justine.

Autour des deux jeunes gens, dans le jardin, les oiseaux chantaient des hymnes à la Nature. Et la légère brise de printemps donnait à l'atmosphère une odeur enivrante de paradis. Rien ne pouvait diminuer le côté parfait de cette journée, rien si ce n'est…

'Matthew, j'ai bien réfléchi.'

'Vous avez décidé d'une réponse ?'

'En effet.' Justine prit une longue inspiration, comme pour se donner un peu de ce courage qui fait si souvent défaut aux femmes. 'Ma réponse est non. Je ne vous épouserai pas.' Soudain la voix de Justine, d'une douceur comparable à celle des libellules était franche et dénuée d'hésitation, ce qui ne laissait place à aucune alternative.

'Mais… pourquoi ?' Le jeune homme luttait avec ses émotions pour faire des phrases de sens. 'Je croyais… je… enfin pourtant… j'ai cru entrevoir que dans votre cœur, vous nourrissiez les mêmes sentiments que moi.' La bouche de Matthew lui semblait sèche, les mots râpant douloureusement sa gorge.

Oubliant les manières, Justine saisit la main de Matthew, entremêlant ses petits doigts fins et tièdes avec les siens et de cela, augmentant d'autant plus la douleur du jeune homme.

'Pourquoi me demandez-vous, il y a bien une raison derrière cela. Car je ne saurais laisser le mensonge prendre part dans notre relation, je la respecte et la chérie trop pour cela. Oh mon cher Matthew, il faut bien que je vous dise tout. Que je vous livre les secrets de mon cœur, êtes-vous seulement prêts à les entendre, même si je sais que cela peut vous peiner ?'

'Oui !' Affirma-t-il.

En croisant le regard implorant de Matthew, Justine tourna la tête, regrettant soudain d'avoir posé sa question. En faisant mine d'observer le jardin, dans la beauté incomparable des fleurs, elle essaya de trouver un peu de ce courage qui fait que depuis que le monde est monde, le printemps revient toujours après l'hiver, encore plus beau, encore plus flamboyant dans la renaissance de toutes choses, animales et végétales.

'Mon cher ami, que je vous aime d'une profonde amitié depuis notre rencontre, ça j'en suis persuadée… vous l'êtes aussi, n'est-ce pas ?' Matthew acquiesça d'un hochement de tête. 'Mais pour ce qui est de l'amour, le vrai, je me sens encore trop enfant et pas assez femme pour en discerner les véritables affirmations…'

Matthew restait silencieux, tel un auditeur attentif, se contentant de presser tendrement la petite main de Justine dans la sienne. Il savait que non loin, Lady de Roche, la tante de Justine les observait d'un œil aussi bienveillant qu'autoritaire.

Ce que peut de personnes savait (ou se souvenait) à propos de Lady de Roche c'est qu'en son temps, elle avait été -elle aussi- l'une des plus charmantes créatures féminines dont le royaume d'Angleterre ait pu se parer. C'était donc normal que la plus charmante des jeunes filles soit courtisée par le plus charmant des gentilshommes de la cours du Royaume. Certes le beau prétendant provenait d'une famille de moyen rang mais son charme, sa beauté mêlée à son arrogance splendide ainsi qu'à son côté aventureux, avait fait que toute la population des jeunes filles prêtes à marier étaient passionnément éprises de lui. Evidemment, Lady de Roche avait été sous le charme. Comment seulement lutter face à celui qui représentait un amour passionnel, déchaîné et fou ? Mais pourquoi l'aimait-t-il, elle ? Il y avait d'autres jeunes filles plus riches qu'elle et bien plus belle ! Lady de Roche n'arrivait pas à comprendre, si ce n'était pas cela l'amour, le vrai. Poussée par sa famille et celle du prétendant, Lady de Roche avait donc relégué au fond d'elle ce sentiment d'incertitude. Rapidement après la première proposition de fiançailles, le mariage prochain avait été proclamé.

On en était seulement à quelques jours du mariage, alors que les invités avaient déjà fait le voyage depuis de lointaines destinations que Lady de Roche apprenait que son prétendant était subitement parti à l'étranger. Le bel amoureux avait pris la poudre d'escampette.

Plus tard on avait entendu que, soudain prit d'amour fou, il avait épousé une princesse de haut rang d'un de ces pays dont on ne parle que dans les romans d'aventures. D'autres rumeurs disaient qu'il s'était rendu compte de son erreur et avait attenté à ses jours, avec succès. Cette expérience, outre la honte et le chagrin qui avait submergé la jeune fille, avait aigri Lady de Roche, la rendant hermétique et dure avec toutes les choses concernant l'amour.

Et c'est dans cet esprit, que la délicate Justine avait été élevée.

'Vous savez que j'ai perdu mes parents alors que j'étais encore un bébé et c'est ma tante qui m'a élevée depuis' dit-elle, plongeant ses beaux yeux innocents dans le regard du jeune homme. 'En femme de raison et que j'admire et écoute plus que personne, elle m'a toujours dit que je devais décider définitivement mon cœur que s'il bat pour le vrai amour, celui de la confiance et de l'honneur et de ne pas me laisser aller à quelques élans de mon cœur.'

'Mais seul le temps peut prouver ce genre d'amour' remarqua Matthew, trouvant là peut-être un moyen de faire revenir la jeune fille sur sa décision.

'Vous le pensez réellement ?'

Et ce fût son cœur qui répondit cette fois. 'Oui !'

'Mais la passion ? L'amour, celui qui bouleverse et transporte ? Ne serait-il pas bon de le vivre, même une fois ?'

'Croyez-vous réellement qu'un tel amour, comme vous le décrivez, puisse exister ?'

La jeune fille laissa échapper un soupir empreint d'espoir. 'Oh oui je sais qu'il existe ! Tout le monde parle de lui et de ses nombreux exploits et à part son surnom, personne ne connaît son véritable nom !'

'Qui est-ce ?'

'C'est le Mouron Rouge !'

Matthew laissa échapper un rire comme si soudain la tension de ces dernières heures s'était envolée. 'Mais voyons Justine, personne n'est vraiment sûr de son existence... J'ai même entendu dire qu'un seul homme tel que lui n'existerait pas, mais que ce serait un groupe d'hommes, plusieurs dizaines, qui agiraient en son nom.'

'Mais si, il est réel Matthew ! Louise de Croissy, tout juste arrivée de France avec son petit garçon, m'a affirmé l'avoir rencontré. Il est si courageux, tous ces dangers qu'il court en permanence pour sauver ces pauvres gens. Quand je pense à tous ceux qui sont en danger à Paris et moi que fais-je, je pense à des choses aussi frivoles que l'amour…'

'Mais que pourrait-on bien faire, nous autres Anglais, contre un pays qui assassine son peuple au nom de l'égalité ?'

'Mais alors que nous sommes en train de parler, le Mouron Rouge lui agit !'

La passion était telle dans les paroles de la jeune fille que Matthew se sentit à son tour emporté. 'Justine, que voulez-vous de moi ? Dites-moi, n'importe quel soit votre vœu, j'obéirai.'

Dans les yeux d'amoureux malheureux de Matthew, Justine lu que si elle souhaitait qu'il parte, il obéirait effectivement.

'Promettez de retirer cet amour de votre cœur.'

'Mais comment Justine ? Ce serait plus simple d'enlever le soleil d'une journée d'été, de retirer les plumes aux oiseaux ou le vent aux voiles des bateaux que d'enlever mon amour pour vous de mon cœur !'

La jeune fille sourit. Et dans son sourire il y avait toutes les promesses d'espoir qu'un prétendant peut espérer. 'Mon amitié ne vous suffirait-elle pas ?'

'Oh Justine, ma douce et tendre, je sais que ces mots peuvent choquer votre oreille, mais je vous si je vous veux comme amie, je vous désire autant comme femme, comme mon épouse et la mère de mes enfants. Ne pensez-vous pas que votre cœur pourrait, si nous laissons du temps au temps, changer d'inclination ?'

Si Justine ne fût choquée plus que cela à cette révélation franche, ce furent les yeux de Matthew qui la transperçaient –la brûlant d'amour et de passion- qui lui firent détourner les yeux. 'Peut-être pouvez-vous vivre dans l'espoir Matthew, je suis humaine et ne puis prédire l'avenir.'

'Oh Justine si vous saviez comme vos paroles me sont chères !' Respectueusement, il embrassa le bout des doits de la jeune fille.

'Mais comment en être seulement sûre ?' Demanda-t-elle dans un soupir.

'Laissez-vous le temps de vous amadouer à cette pensée.'

'J'essayerais !'

Et ce fût sur ces mots que la jeune fille s'en était allée, quittant le jardin et laissant derrière elle son soupirant, peut-être pas aussi satisfait qu'il croyait devenir en venant, mais rempli d'espoir. Il était prêt à chanter sa joie.

Rien n'était perdu !

En s'éloignant de la demeure, Matthew se remit soudain à repenser au dernier bal, alors qu'en dansant un menuet avec Justine, il entrevoyait déjà un futur commun. L'aimer, vieillir à ses côtés, élever leurs enfants… Il se souvint même d'un moment du bal (c'était juste après l'arrivée tardive mais remarquée de Sir Percy et Lady Blakeney), dans l'un des salons, on avait raconté une histoire ou plutôt un récit fabuleux, sur le Mouron Rouge ce héros national, qui faisait tourner la tête des femmes et jalouser les hommes sous cape. Sir Percy, le dandy au rire aussi nigaud que le plus populaire d'Angleterre, avait immédiatement maugréé sur la popularité envahissante du Mouron Rouge, enfin, jusqu'à ce que les dames lui interdisent de reprendre la parole si c'était pour critiquer leur héros. Un ordre auquel il avait obéit, bien évidemment.

A son côté, Lady Blakeney, sa superbe et intelligente épouse, avait gardé le silence, affichant (et cela, à la grande incompréhension de tous depuis des mois) un regard brillant d'amour et de passion. A ce souvenir, le cœur de Matthew se serra et il soupira d'envie. Si seulement il pouvait lire autant d'amour et de passion dans les yeux de Justine !

Si seulement !

Et c'est soudain, à ce moment là, que l'espoir lui revint. Il savait ce qu'il devait faire !

C'était peut-être dangereux mais il devait en passer par-là s'il voulait que Justine l'aime et c'était le seul moyen qui puisse le mener au cœur de son aimée. Et elle l'aimerait, oh oui Matthew en était certain ! Et cette fois-ci, son cœur ne pourrait plus se dérober à son amour ! Il effacerait les fantasmes des pensées de la jeune fille pour ne les remplir que par un seul amour, un amour pour lui uniquement.

Comment n'y avait-il pas pensé auparavant ? Comment était-ce même possible que Justine aima un homme aussi banal que lui, qui lui promettait simplement un amour éternel ? Il avait été bien aveugle et maladroit au jeu de l'amour décidément !

Ivre de joie, cette pensée lui dessina un sourire sur les lèvres tout le long de son retour chez lui. Une fois de retour, il fit appeler pour qu'on prépare sa valise ainsi qu'un cheval. Mais si l'interrogation se lisait nettement dans les yeux des serviteurs, personne ne demanda la soudaine envie de voyage du jeune maître de maison. Matthew avertit seulement le valet personnel de son père qu'il se rendait chez un ami, en France, pour une durée indéterminée.

C'est mot pour mot ce que le serviteur répéterait à la domestique que Mademoiselle Justine aurait fait envoyer pour demander des nouvelles du jeune Sir Matthew. C'est ainsi que, quelques affaires rassemblées plus tard, le jeune homme quittait la propriété au grand galop.

Quand il arriva à la côte, il céda son cheval pour bien moins de la moitié de son prix à un relais puis il se rendit au port. Il se faisait tard, Matthew s'arrêta pour manger dans une auberge nommée 'The Fisherman's Rest'. L'endroit était austère mais le feu de la grande salle commune rendait le rendait quelque peu plus chaleureux. C'est là qu'il rencontra le marchand qui l'emmènerait en France. Le jeune homme l'avait entendu conter les dernières nouvelles de France, au retour d'un de ses nombreux aller-retours entre l'Angleterre et la France. Le marchand accepta de prendre Matthew, qui haussa simplement les épaules, lorsqu'il lui indiqua le danger pour un noble anglais de se trouver en France en ce moment.

'Il ne fait pas bon à être un angliche par les temps qui courent. C'est qu'il y a là-bas un homme qui sauve les aristos de la guillotine Sir, on dit que c'est un Anglais, issu de la noblesse. Le Mouron Rouge que ces mangeurs de grenouilles l'appellent.'

'Qu'importe' avait répondu Matthew, ayant presque supprimé le tremblement de sa voix, 'j'irais avec vous ou un autre.'

'J'disais ça que pour la causette moi mon bon milord. N'allez pas dépenser votre or autre part que chez moi, si vous pouvez voyager avec les cargaisons, vous avez votre affaire.'

L'affaire avait été conclue. Sur le port, avant d'embarquer, Matthew eu le temps d'apercevoir un superbe yacht aux voiles blanches aussi légères que les ailes d'une colombe. On aurait presque pu le prendre pour un bateau fantôme, une illusion de fumée dans le brouillard. Chassant la vision du bateau de sa tête, il alla embarquer rapidement sur le bateau qui le conduirait en France.

Et surtout, le conduirait au cœur de Justine.

Chapitre II - La rumeur venue de France

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Lud love me, but I'm tired of the subject dragging on.
Here, here! The fella's just a man like you or me!
(The Scarlet Pimpernel)

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Le sourire sur la figure joviale de Lady Portarles s'agrandit quand elle observa la foule de ses invités d'un air magnifiquement travaillé pour passer pour une sorte de détachement total. A cet instant de la soirée, dans sa somptueuse demeure londonienne, la fête atteignait son paroxysme. Ici et là, on s'amusait, jouait aux jeux de hasard, discutait des dernières tendances et derniers potins mondains, dansait, buvait, flirtait.

Lady Portarles pouvait se réjouir. Son bal était un franc succès.

Et en fait de succès, cela était beaucoup à la présence à la fois de Sir Percy et de Lady Blakeney. Pourtant, les rumeurs avaient colporté que le couple était au loin pour un motif qui échappait à bon nombre et qu'ils seraient selon toute probabilité probablement absents pour le bal de la Comtesse. C'est donc à l'immense joie et surprise de l'hôtesse comme de ses convives que sur les coups de minuit, un carrosse était entré dans la propriété puis que quelques minutes après, on annonçait l'arrivée de ces invités si prisés.

Alors que Sir Percy et Lady Blakeney gravissaient à peine les marches de la demeure, leurs tenues, avaient été commentées. Comment Lady Blakeney, tout de blanc et argent vêtue, avait noué son châle de mousseline avec un simple camée et qui, en retombant avec élégance sur ses épaules menues telle une traîne, lui donnait l'air majestueux des personnes de sang royal. De même avait été sérieusement discouru l'habit de Sir Percy. Le dandy avait opté pour un ensemble d'un blanc si pur, qu'à force d'observations, on distinguait nettement différents dégradés dans la blancheur quasi virginale. L'immaculée pâleur du vêtement donnait des éclats d'or à sa chevelure et soulignait l'azur étincelant de son regard.

Si Lady Blakeney ressemblait à une reine, il était certain que Sir Percy était roi.

Aussi, un détail qui n'avait échappé à personne (si ce n'est qu'il ne fut présent au bal ce soir-là), c'était l'accord parfait flagrant de leurs tenues. Sans parler de leur regard du même bleu magnétique, Sir Percy était en blanc, Marguerite en blanc et argent, les motifs du gilet et de la veste de Sir Percy se répétaient sur le châle de Marguerite ainsi que sur la dentelle de son décolletée et sur les pans de sa robe. Outre marque de leur bon goût et malgré les dires, il était évident qu'il y avait là un désir volontaire et maîtrisé de la part de Sir Percy et Lady Blakeney d'afficher la force de leurs liens.

Enfin, une attitude qui aurait choqué si les auteurs n'étaient les deux points centraux de la bonne société de Londres, le couple était arrivé –oh…vous n'imaginerez jamais l'audace !—rien moins que main dans la main. Lady Blakeney conservait son bras tendrement enlacé autour de celui de son mari, sa petite main glissée dans sa paume telle une plume. Certains avaient souri, se moquant à peine sous cape de l'affection incompréhensible d'une jeune femme aussi intelligente et belle que Marguerite Blakeney pour son dadais de mari.

Et ce pauvre Sir Percy, qui devait supporter cette adoration excessive comme l'une des obligations qu'incombe l'union matrimoniale !

Mais peu étaient ceux -moins d'une vingtaine- qui reconnaissaient devant eux les signes d'un amour passionnel et qu'ils savaient réciproque.

L'agitation provoquée par l'arrivée du couple le plus en vue de Londres c'était, avec les heures, apaisée retrouvant peu à peu son rythme habituel avec ses danses, ses chants et ses discussions dans les salons. Si dès son arrivée, Sir Percy avait été presque immédiatement alpagué par le prince, pour une partie de cartes, un punch ou une discussion murmurée à mi-voix, Marguerite elle, avait retrouvé avec une joie non dissimulée la compagnie de Suzanne Ffoulkes.

Plus que d'être camarades d'enfance, les deux jeunes femmes, d'une beauté presque équivalente (il manquait certainement à Lady Ffoulkes la maturité pour arriver à égaler celle de Lady Blakeney), elles partageaient les mêmes angoisses et la même peur dans l'attente, quand leurs maris se trouvaient à risquer leur vie en France. Alors, assises l'une contre l'autre sur un divan de l'un des salons de la demeure, elles discutaient comme si le temps n'avaient jamais passé depuis l'école. Leur conversation fut bientôt interrompue quand le sujet favori de tous fut abordé : l'enrageante identité secrète du Mouron Rouge.

'Qu'en pensez-vous mes chères, cet irritant héros, de quelle classe appartient-il vraiment ? On dit qu'il est issu de la noblesse, mais personne ne le connaît, alors peut-être est-ce seulement un valet qui se ferait passer pour un aristocrate pour encore mieux tromper ceux qui veulent l'attraper ?' C'était la Comtesse de Portarles qui avait parlé.

Une Lady, ayant nouvellement obtenu des quartiers de noblesse d'une union avec un vieux mari de duc, se trouva à objecter de sa voix perçante. 'Vous nous imaginez, Comtesse, depuis tout ce temps, nous pâmer grâce aux exploits d'un vulgaire domestique ?'

Les exclamations choquées de nombreuses dames répliquèrent aussitôt à cette question.

'Et je ne vois pas le mal en cela' répondit Marguerite, sa voix posée et suave s'élevant soudain comme un baume sur la fièvre que générait presque toujours ce genre de discussion --et de sujet. 'Ses exploits n'auraient pourtant pas moins de poids.'

'Comment pouvez-vous dire cela Lady Blakeney ?'

'Souvenez-vous que je viens de France, Duchesse. Là-bas je n'étais qu'une simple bourgeoise et je n'oublie pas que mon titre me provient uniquement de mon union avec mon cher mari, Sir Percy.'

C'était une de ces choses qui choquait la bonne société anglaise, comme le mariage de Sir Percy Blakeney et Marguerite St Just, une femme aussi accomplie que, non du moindre « la plus intelligente femme d'Europe » ? Comment avait-elle pu s'abaisser à épouser un dadais tel que Sir Percy alors qu'il était connu que la jeune femme n'avait que faire d'un titre de noblesse ou de richesse, même aussi démesurée soit celle de Sir Percy ?

'Mais peut-être ma chère' reprit Marguerite, 'que cet aventurier qui nous tourmente tant est-il tout simplement un homme comme les autres, avec un foyer, des amis et une épouse ?'

'Ce serait bien trop commun pour un être aussi extraordinaire que le Mouron Rouge !' Répondit la Duchesse.

'Mais ne serait-ce pas le bonheur ?'

'Impossible !' S'exclama à son tour Lady Portarles, essayant de recentrer la discussion sur elle. 'Moi qui m'y connais fort bien concernant le Mouron Rouge, je puis vous affirmer qu'un esprit si vaillant ne pourrait, pas un instant, trouver le bonheur en étant attaché par les encombrant liens du mariage.'

Si à ce moment Marguerite affichait un sourire complaisant, intérieurement, elle hurlait. Comment ces têtes vides pouvaient-elles seulement prétendre comprendre le schéma alambiqué qui se déroulait dans la tête de Percy ? Marguerite, sa propre épouse elle-même parfois se demandait si elle cernait complètement la personnalité de son mari ou seulement ce qu'il lui laissait voir, dans le but de la protéger et protéger leur amour. Ou peut-être se sentait-elle attaquée car la Baronne voyait juste… Peut-être que Percy ne trouvait son bonheur que quand il mettait sa vie en jeu pour secourir les nobles de France victimes de la folie sanguinaire des républicains ?

Non, elle ne voulait pas le croire.

A cet instant Marguerite aurait aimé pouvoir plonger son regard dans celui de son mari et se rassurer en y lisant tout l'amour qui y brillait. Instinctivement, elle tendit discrètement l'oreille, essayant de capter au-delà de la musique et des bruits, le son de la voix de son mari. Un rire, une estouffade, un vers bien rythmé, mais en vain.

'Lady Blakeney, votre avis ?' La voix de Lady Portarles la ramena au centre de la discussion.

'Pour vous répondre franchement, je ne pense pas que le mariage entrave des personnes qui s'aiment, bien au contraire. Mais peut-être que ce héros trouve-t-il une sorte de complément entre ses folles aventures, qui le font vivre lui et ses compagnons constamment sur le vif et chez lui, où il aurait la stabilité d'un foyer ? Telle est mon opinion.'

Tel est mon vœu.

Marguerite plongea son regard dans celui de Suzanne, restée silencieuse à son côté, sa petite main glissée dans la sienne. D'une complicité ignorée de tous, elles se sourient.

'Enfin s'il est vrai que le Mouron Rouge est marié, son épouse a au moins la décence de lui laisser sa liberté sans rester désespérément accrochée à son bras.'

A l'entente de la pique presque pas déguisée envers Marguerite, un tumulte se créa. Comment la Duchesse osait-elle s'en prendre à Lady Blakeney, la femme « la plus intelligente d'Europe », la femme de Sir Percy Blakeney ? Mais déjà on éloignait la Duchesse avec empressement.

Alors que les esprits se tournaient ailleurs, Marguerite se tourna vers Suzanne, ne voulant affronter les regards de fausse sympathie. Elle trouva le visage juvénile de son amie ombré de contrariété. 'Je n'aime pas cette femme' dit Suzanne. 'Elle n'est que pure méchanceté. Si Sir Percy l'apprenait…'

Marguerite laissa échapper un léger rire, tout en tapotant gentiment la main de son amie. 'Et bien si Sir Percy l'apprenait, il n'en prendrait point offense et en plaisanterait, comme à son habitude. Vous savez qu'il n'y a rien qu'il ne puisse prendre au sérieux et qui ressortirait d'un bal.'

C'est en pensant à ce qu'avait rétorqué Sir Percy au prince lorsqu'un jour, il lui avait demandé s'il conservait son épouse à son bras parce qu'il avait peur de la perdre ! 'C'est que votre Altesse Royale' avait répondu Sir Percy dans une révérence, 'ce qu'il y a de plus beau chez moi ce sont encore les bijoux dont je me pars et Lady Blakeney, en est le plus beau.'

Mais déjà dans le salon des dames, une agitation inhabituelle agitait l'assistance.

'Je viens tout juste de l'apprendre et vous assure que j'en suis grandement étonnée moi-même' indiqua la Comtesse Portarles en malmenant son éventail pour diminuer la chaleur pourpre de ses joues.

'Qu'est-ce donc cette nouvelle ?' Demanda une des dames.

'Ma chère, il paraît que notre ami, l'insaisissable Mouron Rouge a enfin été capturé par un de ces agents barbares du gouvernement français !'

Cette révélation fût suivie d'un silence ébahit bientôt mué en murmures puis en prises d'opinion franche et haute.

'Ils le retiennent en prison, sans nourriture et sans qu'il voie la lumière !'

'Ils le tortureront pour qu'il livre le nom de ses complices !'

'A ce qu'on dit ses jours jusqu'à sa rencontre avec la guillotine seraient comptés !'

'Mais c'est impossible !'

La voix de Marguerite s'était élevée.

Observant l'assistance, les dames paraissant soudain pendue à ses lèvres, elle regretta aussitôt ses paroles. Elle avait laissé son cœur parler plus rapidement que sa tête et maintenant, elle allait devoir s'expliquer sans trahir l'identité de celui, qui en plus d'être l'homme qu'elle aimait le plus au monde, était à elle aussi son chef à qui elle devait une loyauté inconditionnelle. Marguerite déglutit difficilement.

Et, car l'opinion de Lady Blakeney, plus que l'importance qu'elle avait en elle-même, valait au moins l'opinion d'une dizaine de personnes, la Comtesse insista. 'Avez-vous quelques nouvelles secrètes ? Pouvez-vous nous affirmer le contraire Lady Blakeney ?'

'Mais comment pouvez-vous demander cela à Lady Blakeney ?' S'exclama Suzanne, venant promptement au secours de son amie. 'Voyons, mais personne ne le peut !'

'C'est pourtant facile' répondit Marguerite. 'On dit de cet homme que c'est un fantôme et un fantôme ne s'attrape pas tout bonnement. Il est aussi malléable que l'air alors je me doute que ce soit humainement possible de le mettre derrière des barreaux.'

'Pourtant nombre de ceux qui reviennent de France affirment l'avoir entendu. Il paraîtrait même que ces agents qui travaillent pour le gouvernement de votre patrie d'origine ont fait disperser des crieurs dans toute la ville pour annoncer la nouvelle.'

Ce qui représenta un effort surhumain pour Marguerite, ce fût encore d'attendre une longue demi-heure avant que les dames ne s'éloignent vers la salle de danse, attirées, tel un insecte à la lumière, par le rythme enjoué d'un début de menuet ou de gavotte.

Alors, hors de portée d'oreilles et d'yeux, Marguerite laissa ses émotions l'envahir. Son visage perdit de sa couleur rosie devenant pâle comme la mort et ses yeux prirent l'éclat matte de la frayeur. Pourtant c'était impossible ! Elle, plus que toutes, pouvait le savoir ! Sentant son amie sur le point de se trouver mal, Suzanne lui prit tendrement la main et la serra contre son cœur.

'Marguerite, ma chérie, vous savez tout comme moi que c'est impossible. Cela doit sûrement être une erreur. Il y a moins d'une heure que nous avons quitté le salon des jeux, et il y était encore.'

'Il est certain que je dois m'affoler pour un rien mais je dois le voir… immédiatement, vous me comprenez Suzanne ?'

'Mais bien sûr !'

Discrètement, les deux jeunes femmes se faufilèrent de salon en salle de discussion se rendirent dans le salon où ces messieurs étaient rassemblés autour des différentes tables de jeux. Marguerite chercha du regard la table où se trouvait le plus de gentlemen, tant il était plus que probable que ce soit celle de Sa Majesté et que Sir Percy s'y trouva. Elle ne mit pas longtemps à situer une table située dans le fond de la pièce qui attira son attention et celle de Suzanne, toujours à ses côtés. Marguerite ne pouvait voir les joueurs qui s'y trouvaient mais elle était intimement persuadée que si les gens debout se retiraient, elle découvrirait au milieu de cette foule, la carrure singulière de l'homme qu'elle savait aimer plus que tout et même plus que la vie elle-même. Et quand l'écho d'un rire bien connu, si ce n'est inepte retentit, Marguerite réalisa qu'elle avait retenu sa respiration jusque là.

A l'approche de Lady Blakeney, de son pas souple et léger comme ceux des oiseaux sur la neige, les gentlemen s'écartèrent, se baissant pour la saluer révérencieusement. Sir Percy se trouvait face au prince et de dos par rapport à sa Marguerite ; de ce fait ce fût Sa Majesté qui l'aperçut et s'adressa à elle en premier.

'Ah, mais que vois-je, une déesse nous fait gréer de sa présence ?'

Notant la présence de son épouse, Sir Percy tourna la tête, croisant le regard de Marguerite. Pendant une seconde, plus rapide même que le battement d'aile d'un papillon, un flot d'amour et de passion se transmit entre eux.

'Lady Blakeney, dites-moi que vous êtes venue empêcher votre diable de mari de finir de me dépouiller ! Je crois que cette capricieuse dame Fortune est encore de son côté et va ce soir, me laisser sur le carreau !'

'Même si j'avais le pouvoir d'empêcher Sir Percy de faire quoique ce soit Votre Altesse, ce que je n'ai certainement pas, ne serait-ce pas mon devoir d'épouse que de soutenir mon mari et de l'encourager à continuer comme bon lui semblera ?'

Si la portée de la réponse de Marguerite fût perdue pour la majorité, Sir Percy (et sans nul doute le prince) le relevèrent sans sourciller. De même que la jeune femme s'était avancée jusqu'à se trouver derrière Percy. Un geste qui aurait choqué si Lady Blakeney n'en avait été l'instigatrice, Marguerite posa une de ses mains délicates sur l'épaule de son mari… et l'y conserva ! Si près de Percy, Marguerite ressentie l'effluve de sa présence ; la chaleur de son corps qui transperçait le tissu de son manteau sous sa main, l'odeur de ses cheveux, son parfum et cette odeur qui n'appartenait qu'à lui et l'envoûtait complètement.

Soudain Marguerite se sentie envahie par un sentiment de bonheur.

Elle savait intérieurement qu'elle voulait se confirmer à elle-même ce qu'elle savait déjà. Sir Percy Blakeney, Bart., l'homme qu'elle aimait, son mari était bien portant, en bonne compagnie et surtout… libre comme l'air. Pourquoi s'était-elle donc attachée à cette rumeur, elle qui pourtant avait depuis longtemps appris à ne pas y apporter plus d'attention qu'un sujet éphémère de divertissement ? Pourquoi tremblait-elle toujours ? Et pourquoi diable avait-elle ce pressentiment que ce n'était que le début de souffrances et de malheurs ?

'Ah me voilà donc cerné par mes propres amis !' Rugit le prince, un sourire évident barrant son visage. 'J'espère mon cher Sir Percy, que vous mesurez toute la chance d'avoir pu dénicher en France ce qui se fait de mieux en matière de bel esprit !'

'Tous les jours que Dieu fait Votre Altesse. Mais sincèrement, venant de moi, vous n'auriez pu vous attendre à autre chose, n'est-ce pas ?'

Alors que le prince et la foule semblaient soudain occupés par autre chose, Percy saisit délicatement la main de Marguerite pour la porter à ses lèvres. Marguerite baissa la tête et croisa son regard. Comme ignoré du monde les entourant, ils restèrent ainsi, liés par l'esprit et le corps, dans un cocon qu'ils étaient les seuls à partager. Les lèvres de Percy étaient chaudes et humides, Marguerite retint l'envie de les porter à ses propres lèvres.

Seulement un tout petit instant plus tard, Lady Blakeney se serait jetée à ses pieds, entourant ses épaules de ses bras et nichant sa tête contre son torse, au niveau de son cœur ou elle aurait saisi la tête chérie entre ses mains et l'aurait baisé, ses joues, ses yeux, ses lèvres. Comme si Percy l'avait senti, il ferma les yeux l'espace d'une seconde, chassant de son esprit l'envie de prendre sa femme dans ses bras et la serrer contre son cœur.

Ce fût la voix du prince qui les sortit de leur état amoureux semi-comateux. Immédiatement Blakeney reprit son expression habituelle de parfait idiot et personne n'aurait pu jurer que, un instant auparavant, c'était un amoureux éperdu, subjugué d'amour pour son épouse.

'Blakeney, avez-vous entendu la dernière rumeur ? Celle à propos du Mouron Rouge ?'

A cet instant Marguerite remarqua la présence à côté du prince de la Comtesse de Portarles.

'Oh mon Dieu, pas encore ce chenapan !' Répondit Sir Percy. 'Ce gredin veut décidément me rendre la vie impossible en s'infiltrant dans toutes les conversations où les endroits où je me trouve !'

'Voyons Percy, arrêtez donc de faire le jaloux un instant et écoutez.'

'Si c'est ce que Sa Majesté désire alors je me plierais à sa volonté.'

'Oui, tel est mon bon plaisir que vous écoutiez attentivement de vos deux oreilles.' Le prince se tourna vers la Comtesse de Portales. 'Allez-y Comtesse, répétez-nous ce que vous venez de dire, vous avez notre entière attention et celle de notre cher Baron Blakeney cette fois.'

'Il paraît qu'il a été attrapé alors qu'il essayait de s'infiltrer dans une de ses horribles prisons françaises !' S'exclama la Comtesse.

Marguerite, toujours derrière Sir Percy, agrippa ses doigts à l'épaule de son mari. Et soudain Sir Percy comprit pourquoi Marguerite s'était déplacée jusqu'à l'endroit où il se trouvait. Elle était inquiète pour lui ! Et elle avait voulu s'assurer avec tout son être que le Mouron Rouge, son mari était toujours près d'elle, sur ce bon sol d'Angleterre ! Cette preuve d'amour le toucha si profondément qu'il ne put réprimer le sourire qui lui vint aux lèvres.

'Riez donc Sir Percy' le sermonna gentiment la Comtesse, 'mais avec le Mouron Rouge arrêté, de quoi parlerons-nous alors lors de nos rencontres ?'

Le sourire de Sir Percy s'agrandit encore. 'Mais de cravates bien sûr !'

Les rires fusèrent généreusement, chacun donnant sa propre version de l'histoire, d'autres mettant les curieux tardifs au courant ou bien répétant les réflexions de l'un ou de l'autre des participants à la discussion. Mais, dans toute cette agitation personne, sauf un homme, ne remarqua une jolie jeune fille à la beauté d'une libellule blêmir avant de s'enfuir en courant vers la terrasse.

Et murmurer 'C'est de ma faute ! Oh mon Dieu, c'est de ma faute !'

L'air de la capitale française était vif et violaçait les joues des parisiens. Armand Chauvelin releva le col de son manteau pour se couvrir son visage. A moins que ce soit pour masquer le sourire vengeur qui courbait ses lèvres et faisait briller ses pupilles noires d'une lueur presque… machiavélique ?

Il faut dire que rares étaient les occasions où Chauvelin ressortait d'une des prisons de Paris avec un sentiment que, enfin après tant d'années, le destin allait jouer en sa faveur.

Lorsqu'il avait franchi les portes de la prison une heure plutôt, il songeait en son fort intérieur que, encore une fois ce mois-ci, on l'avait fait déranger pour rien. Mais très vite, une fois les bredouillements des gardiens passés, il s'était intéressé à ce qu'on lui racontait. Comment ? L'insaisissable, le volatile, horripilant Mouron Rouge venait d'être capturé ?

'Il essayait à nouveau de subtiliser des prisonniers lorsqu'on l'a prit sur le fait' Lui avait rapporté l'officier de police, dépêché à son bureau. 'C'est un anglais pour sûr et qui se débat comme un diable, il n'y a pas de doute sur son identité !'

Alors 'Il' se trouvait enfin à sa portée, songea Armand Chauvelin, enfermés entre les murs d'une prison ? Sir Percy Blakeney avait donc quitté le sol d'Angleterre et les bras exquis de son épouse -qui lui vouait un culte quasi incompréhensible-, en se lançant dans une nouvelle aventure ? Et c'est un autre que lui qui venait de lui mettre la main dessus !

La colère de Chauvelin ne dura pas, se dissipant en un sentiment de victoire mêlé à une sorte de soulagement. Il ne serait au repos que lorsque la tête de Blakeney se trouvera dans un panier en bas de l'échafaudage de la guillotine !

Et enfin il avait posé les yeux sur le prisonnier.

Outre l'accent, l'aristocratie anglaise était certes de naissance chez l'homme… de même que les petites coupures sur son torse et son visage indiquaient son tempérament à rendre les coups (et surtout à les recevoir), mais ce n'était pas Sir Percy.

Et bizarrement, Chauvelin en fût… soulagé.

Cela lui laissait l'occasion de l'attraper lui-même.

Une fois sa colère de rigueur passée sur les gardiens, à grands renfort de cris et de menaces et de punitions qui –n'en doutez pas triple idiots !- tomberaient, l'entrevue avec le prisonnier s'était plutôt bien déroulée.

Le gamin -il n'avait pas encore atteint l'âge d'un jeune homme- devait en être à sa première tentative d'héroïsme inconsidéré et l'atmosphère de la prison répugnait visiblement ses manières raffinées de gentleman anglais. Courageux, certes il l'était, mais il ne tiendrait pas longtemps. Oh non et Chauvelin comptait là-dessus pour que son plan réussisse.

L'esprit plus machiavélique que jamais, Chauvelin avait ébauché lentement son plan dans sa tête. A la fin de l'entrevue, il savait -non- il était sûr que cette fois, cela fonctionnerait. Il avait juste devant lui le moyen parfait pour mettre la main sur son ennemi de jamais en la personne du mari de la merveilleuse Marguerite St Just.

Le gamin ravala ses larmes pour se lancer dans une tentative désespérée d'explication.

'Puisque je vous jure que je ne suis pas celui que vous prétendez avoir capturé !' Glapit le jeune anglais. 'Je ne sais même pas qui il est encore moins à quoi il ressemble !'

'Mais ça, je le sais déjà' avait répondu Chauvelin d'une voix de chat qui se délecte devant une souris prise au piège. 'Vous vous demandez peut-être alors pourquoi nous vous gardons ici et ce qu'il va avenir de vous ?' Le garçon hocha la tête. 'Et bien rassurez-vous déjà, nous vous garderons en vie et nourri jusqu'à ce que le véritable Mouron Rouge vienne pour vous délivrer !'

'Mais c'est un être noble et valeureux, je ne veux pas être l'instrument de sa perte !'

'Très bien, vous pouvez le protéger ou le respecter ou faire comme bon vous semblera, mais alors vous perdrez votre vie. C'est lui ou vous, à vous de choisir, quoique je ne pense pas que ce soit un choix qui mérite amples réflexions.'

'Mais comment savez-vous qu'il viendra me délivrer… qu'il ne devinera pas le piège ?'

'Oh mais il le devinera ! J'y compte bien !'

Chauvelin tint pour lui que la réussite de son plan tenait en majeure partie sur ce fait. Il reprit, plus euphorique que depuis longtemps.

'C'est parce que cela va piquer sa curiosité qu'il viendra, je le connais bien ! Mais attention, si seulement j'apprends que vous avez essayé de le prévenir alors mon marché ne tient plus et à Madame Guillotine, je l'amènerai lui et vous.'

Le jeune anglais pâli d'un coup comme si la Mort en personne venait d'entrer dans la pièce, faisant grincer la lame de sa faux sur ses pas.

Le sourire sur le visage sec et anguleux de Chauvelin, passait plus pour une grimace qu'une expression de joie. D'une façon ou de l'autre, il savait qu'il se trouvait dans le camp des vainqueurs car derrière les barreaux de la prison, se trouvait déjà le Mouron Rouge.

Chauvelin était aujourd'hui l'un des seuls à connaître la véritable identité de l'énigmatique Scarlet Pimpernel. Si Blakeney ne se montrait pas, il pourrait tout à fait guillotiner le jeune aristocrate à son aise et profiter de la gloire que lui confèrerait cette sentence. En apprenant cela, Blakeney se couvrirait de honte, laisser un innocent mourir à sa place, bah, même que Marguerite l'abandonnerait ? Qui voudrait partager la vie d'un homme qui laisse les autres marcher à la guillotine à sa place ? Et si tout de même Sir Percy perdurait dans sa fâcheuse manie de soudoyer des prisonniers à la barbe du gouvernement français, il ferait passer cela pour un imitateur.

Les pupilles mattes s'illuminèrent au milieu du visage grisâtre de Chauvelin. Savoir que cette fois, rien ne pourrait aller de travers et qu'il était maître de sa réussite, lui conféra soudain un sentiment de plaisir paroxysmique. Oh oui, Chauvelin lui aussi savait planifier. Et comme voulait l'expression française, il ferait d'une pierre deux coups. Plus de Mouron et la gloire assurée.

Ou plutôt avec deux fleurs, sa victoire.

Au bal de la Baronne Portarles, la rumeur s'était bizarrement tarie assez vite. A dire vrai, Sir Percy avec ses manières légères bien à lui, avait su rapidement détourner l'attention sur un de ses sujets aussi favoris que peu intellectuels tel que la nouvelle tendance en matière de laçage de cravate.

'Je me sens effroyablement embrouillé, aujourd'hui la mode nous impose un seul tour autour du cou avec une rosace longue, le lendemain deux et la rosace haute et courte, le jour d'après un seul… Rien que d'y songer j'ai des migraines atroces !'

'Voyons Sir Percy' avait commenté le Prince. 'Ne pourriez donc vous pas être un peu sérieux ?'

'Si, mais Son Altesse s'ennuierait bien vite de ma conversation et rien que le fait de penser que je pourrais nuire à la joie de Son Altesse me pousse à éviter les sujets sérieux comme... la police française pardi !'

Dans l'assistance, les rires avaient fusé. Sir Percy en avait profité, d'un seul regard -moins qu'un éclair ou qu'une lueur furtive mais autoritaire et sans appel- pour rassurer Marguerite, ainsi qu'ordonner l'inaction aux membres de la ligue venus eux aussi confirmer à leurs yeux que leur chef était sain et sauf sur le sol anglais.

Tout de suite après le bal, après que Marguerite et Percy ont regagné leur demeure de Richmond, Marguerite avait rejoint son mari dans ses appartements. Heureusement Percy était seul, Frank, son serviteur personnel ne s'y trouvant pas. Percy avait retiré ses vêtements de bal et Marguerite, en entrant, le trouva en train de lacer sa robe de chambre, tenue qu'il affriolait particulièrement lorsqu'il se trouvait chez lui. Le vêtement, composé d'un seul morceau de velours sombre verdâtre, accentuait l'impression de longueur de la (déjà) haute taille de Sir Percy. De même qu'il épousait si parfaitement les formes de son corps, ses épaules, sa taille, sa chute de reins, qu'à chaque fois que Sir Percy faisait un geste, ses mouvements paraissaient encore plus amples et majestueux.

En quelques pas Marguerite était dans les bras de son mari, sa figure nichée au creux de son épaule et ses petites mains liées autour de son cou. Percy, le visage enfoui dans la masse parfumée et soyeuse des cheveux de sa femme, avait instinctivement refermé ses bras autour de Marguerite, la maintenant étroitement serrée contre lui.

'Mon chéri, vous n'allez rien tenter de fou, n'est-ce pas ?' Dit-elle, ses larmes perlant au bord de ses yeux. Percy n'avait pas bougé, mais son corps s'était raidi légèrement, signe qu'il écoutait attentivement chaque parole de Marguerite.

'Percy' continua Marguerite. 'J'ai si peur pour vous.'

A ce moment Percy s'écarta légèrement, plongeant son regard dans celui de sa femme. Elle était vraiment inquiète et de grosses larmes perlaient au bord de ses yeux. Marguerite ferma les yeux un instant et les larmes coulèrent. 'Là ma belle, séchez donc vos larmes' dit-il d'un ton cajoleur, tout en caressant le visage de Marguerite de ses doigts fins, pour essuyer. 'C'est une chose que je ne puis supporter sur votre adorable visage.'

Puis avec une infinie douceur, il la pressa contre son cœur.

'Mon amour, vous savez qu'à chaque fois que je traverse la mer, je fais attention de minimiser le danger pour nos innocents et moi-même et revenir auprès de vous aussi vite que possible, car je sais que vous m'attendez, n'est-ce pas ?'

Marguerite secoua la tête, acquiesçant. 'Mais Percy' reprit-elle, décidée à essayer de faire entendre raison à l'homme qui représentait ce qu'elle aimait le plus au monde, 'vous avez entendu tout comme moi cette histoire d'un autre Mouron Rouge qui aurait été capturé.'

'Bien sûr' dit-il, un rire s'échappant de ses lèvres. 'N'était-ce pas amusant ?'

'Amusant ?' Répéta-t-elle, l'expression de son visage affirmait le contraire.

'Oui, il y a quelques mystères là-dessous que je compte bien élucider.'

'Oh Percy, je suis persuadée que c'est Chauvelin qui est derrière cela ! Qu'il n'attend sûrement qu'une seule chose, que vous veniez à la rescousse de son prisonnier. Oh Percy vous ne pouvez y aller, le danger est trop grand cette fois !'

Percy serra Marguerite un peu plus étroitement contre lui. Puis, de ses doigts, il écarta une mèche bouclée rebelle de son front. 'Quoi' dit-il, le sourire aux lèvres. 'Vous douteriez de moi ma chère ?'

'Bien sûr que non ! Mais Chauvelin se nourrit de vengeance et de haine contre vous depuis ces fameux jours où il vous a eu sous son emprise… Oh Percy, vous qui savez être l'unique amour de ma vie, je ne pourrais supporter vous voir à nouveau torturer...'

Les larmes perlèrent à nouveau sur les joues de Marguerite, mais s'en était trop pour Sir Percy. Déjà il avait rendu Marguerite au silence par un long baiser. Et la jeune femme sentie que sur ses lèvres Percy lui disait bien plus qu'il n'aurait pu lui formuler.

'Ma chérie' murmura-t-il plus tard, 'quoique cet autre imprudent Mouron Rouge ait voulu accomplir, je ne peux permettre que l'on meure à cause de moi. Et surtout si je peux faire quelque chose pour l'éviter !'

'Mais pourquoi ?'

'Pourquoi ?' Répéta-t-il, la question et l'évidence de sa réponse se lisant dans son regard et dans son sourire à la courbe légèrement ironique.

'Oui !' S'exclama Marguerite, son cœur et tout son amour pour son mari en avant. 'C'est probablement une personne qui aura voulu dérober votre nom pour jouir de la popularité du Mouron Rouge et résultat, car je ne sais s'il existe un seul homme qui ait votre degré d'ingénuité, il s'est fait prendre.'

'Et je dois laisser ce malheureux ternir ma réputation, que le Mouron Rouge dans sa tentative de sauvetage a failli ?' Dit Percy, sa voix cajoleuse tirant des larmes au pauvre cœur de Marguerite. 'Allez, de plus si je m'occupe de ce second Mouron Rouge, ma curiosité sera satisfaite.'

Marguerite détourna les yeux, voulant dans une vaine tentative, échapper un instant à la dureté de la réalité. Nichant sa tête contre l'épaule de Percy, intérieurement Marguerite savait déjà que cela ne servait et ne servirait à rien de déblatérer plus longtemps. Percy avait décidé de partir et rien ni personne ne pourrait l'empêcher de revenir sur sa décision. Alors comment lui avouer seulement qu'elle se sentait rassurée, totalement, que lorsque ses bras se trouvaient autour d'elle, quand l'odeur de sa peau, un mélange entre une fragrance masculine et une légère odeur de cuir équin, envahissait son nez et que le son de sa voix emplissait ses oreilles ?

Marguerite aurait voulu que ce moment n'ait jamais de fin ; mais on frappait à la porte de la chambre de Percy.

Malgré eux, mari et femme reprirent leurs distances, Percy en profitant pour finir de lasser la ceinture de sa robe de chambre. C'était Frank le valet personnel de Sir Percy. Comme si l'homme savait qu'il venait d'interrompre une discussion, il attendit d'être invité à parler. Mais Percy restait silencieux, son regard fixé sur sa femme tel une statue de marbre. Ce fût Marguerite qui s'adressa donc au domestique.

'Nous avions fini Frank' répondit-elle, un léger soupir ponctuant sa phrase.

'Sir Andrew Ffoulkes est au manoir et demande à voir Sir Percy.'

Marguerite plongea son regard dans celui de son mari. Dans ses yeux Percy pu lire qu'elle avait compris que Sir Andrew allait sûrement lui parler d'un nouveau sauvetage, car Percy et Andrew s'étaient vus et parlé plusieurs fois lors du bal et, chose qui pour Marguerite venait confirmer ses soupçons, il ne se serait sûrement pas déplacé si le motif n'avait pas été grave.

'Faite-le entrer dans la bibliothèque et dites-lui que j'arrive tout de suite.'

'Bien Sir Percy.' Le domestique se retira aussi discrètement qu'il était venu.

Percy plongea son regard dans celui de Marguerite. 'Pardonnez-moi mon cœur.'

'Percy…'

Il se leva. 'Oui ma chérie ?'

Marguerite leva ses yeux mouillés de larmes mais ne put arriver à formuler une phrase tant les sentiments contradictoires se succédaient en elle. Soudain elle se sentit lasse et ferma les yeux. Avec douceur, Percy saisit sa main et la porta à ses lèvres. Puis il s'excusa encore et sortit de la chambre.

Chapitre III - L'appel de l'aventure

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There will always be a valley
Always mountains one must scale
There will always be perilous waters
Which someone must sail
(Into the fire)

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Sir Andrew faisait les cent pas dans le salon quand Sir Percy le rejoint. Il portait encore son habit de bal et ses joues rougies trahissaient son état d'énervement. Mais quand son regard se posa sur Percy, une sorte de baume sembla soudainement passer sur tout son être et ses épaules s'affaissèrent comme délivrées de tension.

'Percy, je suis désolé de briser votre soirée et de me présenter en des heures si nocturnes, Dieu m'en est témoin, Lady Blakeney doit me haïr pour cette intrusion…'

Posant sa main aux doigts fins sur l'épaule de son ami, Sir Percy partit d'un rire franc. 'Bah ! Je ne pense pas que Lady Blakeney puisse faire preuve de tel sentiment pour qui que ce soit. Même pour l'indécrottable Monsieur Chambertin, malgré tout ce qu'il a pu lui faire subir…' A travers les yeux grisâtres de Sir Percy, son esprit sembla s'éloigner un instant. 'Allez !' S'exclama-t-il en reprenant son ton jovial. 'Pas de ça entre-nous mon cher ami, de plus vous êtes le mari de sa meilleure amie ainsi que le meilleur ami et second de son mari. Mon épouse a doublement de chance de vous aimer plutôt ! Va, Lady Blakeney ne vous hait point mon cher Andrew, au contraire.'

Sur ce, Sir Percy versa du Brandy dans deux verres et en tendit un à son ami. Presque machinalement les deux hommes prirent place près du feu, leurs fauteuils, peu larges, n'étant séparés que d'une petite distance. Il n'y avait pas à craindre d'indiscrétion au Manoir Blakeney, Frank, le valet de Percy connaissait les agissements secrets de son maître et Louise, la bonne de Marguerite était une gentille fille qui, malgré sa position, abhorrait plus que tout le commérage. C'était donc plus l'habitude qu'une mesure de sécurité qui les poussait à parler à voix basse.

'Alors que me vaut l'honneur de votre visite mon cher Andrew ?'

'A vrai dire, ce que je m'apprête à dire s'adresse à plutôt à mon chef.' En face, Percy ne répondit rien, attendant que Sir Andrew continue. 'Lorsque la nouvelle de votre capture, enfin celle du Mouron Rouge a éclaté, j'étais d'abord comme tout le monde, ébahit pendant quelques secondes. Puis j'ai vu une jeune fille s'écarter prestement de la foule. Elle avait le visage blanc d'angoisse et je veux dire, d'habitude je ne l'aurais pas suivie, respectant son besoin de solitude mais là, enfin, elle avait l'air si… affolé.'

'Comme si elle savait quelque chose, plutôt, qu'elle réalisait.'

Sir Andrew acquiesça, avant de se lancer dans le récit se son entrevue avec l'inconnue de la soirée.

'Mademoiselle, je suis désolée de troubler ainsi votre solitude, mais vous sentez-vous parfaitement bien ?'

'Non…' Murmura-t-elle. 'Oh monsieur, vous qui paraissez être un gentleman, si vous saviez à qui vous vous adressez, vous fuiriez ! Je l'ai mis en danger et c'est entièrement de ma faute. Mais je ne savais pas et c'est par amour pour moi que c'est arrivé !'

'Bien des choses, aussi néfastes que bonnes, arrivent souvent par amour. Expliquez-moi mademoiselle, peut-être puis-je vous être de secours.' Andrew se rapprocha de la jeune fille, tentant de rendre la conversation plus intime.

Alors, ravalant une larme, elle s'expliqua. 'Quand Matthew a voulu m'épouser, j'ai refusé. Je lui ai dit que je voulais plus dans la vie qu'un homme qui soit à mes pieds. Je lui ai dit qu'un homme aussi vaillant que le Mouron Rouge lui devait être un idéal pour une femme. Et puis je l'ai laissé. Plus tard j'ai appris par ses domestiques qu'il était parti pour la France. Et c'est ce soir que j'ai su que c'était dans l'unique but d'essayer d'imiter les actes de ce fameux Mouron Rouge dont tout le monde parle !'

'Comment pouvez-vous être sûre que c'est lui ?'

'Il a essayé de délivrer de pauvres innocents ! Quand il a voulu les sauver, il a été capturé et emprisonné, ce ne peut être que lui ! Le Mouron Rouge lui, arrive toujours à s'en sortir ! Et il est maintenant le seul qui puisse m'aider à le sortir de là. Oh mon Dieu, je l'aime il est toute ma vie, je ne m'en rend compte que maintenant. Je donnerais tout pour le revoir, même un seul instant.'

'Sans que je puisse prédire les faits et gestes de ce Mouron Rouge, je doute que ses oreilles ne soient pas très bientôt mises au fait des problèmes de votre ami et de ceux aussi de ceux qu'il avait voulu délivrer.'

La jeune fille se leva. 'Mais comment seulement savoir ? Et comment lui faire part de ma gratitude ?'

'Comme tous ceux qu'il a aidés et ceux qu'il aidera dans le futur, que Dame Fortune le protège, vivez et ayez confiance en lui, pour le Mouron Rouge, c'est déjà une assez grande preuve.'

Comme à son habitude, Percy avait écouté son ami sans faire de commentaire. Mais Sir Andrew, en tant qu'ami et fidèle second, savait que derrière cette attitude calme et réservée, déjà, des plans s'échafaudaient dans la tête de Percy. Devant lui ne se dressait plus le superficiel dandy de salon mais l'aventurier intrépide.

'Il nous faut agir vite' dit enfin Blakeney en sortant de son silence presque monastique. 'Andrew, pouvez-vous prévenir Tony et Hastings et leur dire de se rendre sur-le-champ à Douvres ?'

Fier d'être nommé pour une tâche, même simpliste, ordonnée par son leader, ce fût avec un sourire aux lèvres que Sir Andrew répondit. 'Considérez que c'est déjà fait Percy.'

Après le départ de Sir Andrew, quelques minutes plus tard, Percy resta encore un instant dans la bibliothèque. La partie de la mission la plus dure de sa mission, celle du Mouron Rouge se trouvait devant lui. Mais ce n'était pas le fait de se rendre en France, non, mais d'annoncer à Marguerite qu'il partait.

Dans l'heure.

Si Marguerite avait un pressentiment depuis qu'elle avait été mise au fait de la rumeur sur la capture du célèbre ennemi de l'Etat français, il se confirma quand elle plongea son regard dans les iris bleus de son mari. Il avait fallut qu'elle croise un seul instant le regard de Percy pour rompre ses dernières illusions.

'Alors vous allez devoir repartir' dit-elle dans un soupir.

En quelques pas Percy avait traversé la chambre de Marguerite et s'était agenouillé devant le fauteuil où elle était assise, devant sa console. 'Il le faut trésor.'

Dans son ton, Marguerite sentit qu'il n'y avait pas de place pour une alternative. Et pourtant, malgré elle, mais causé par son amour sans borne pour son mari, elle demanda

'Vraiment Percy ? La situation est-elle si mauvaise que vous deviez vous emmêler ? Vous venez à peine d'arriver de France et il n'y a pas quelques jours que vous ayez passé chez vous avec tous les bals…'

Sir Percy, l'excitation de sa prochaine aventure rendant son regard éclatant, saisit les mains de Marguerite dans les siennes et les porta à ses lèvres pour les embrasser.

'Si j'arrive à effectuer ma mission, je vais pouvoir permettre à deux jeunes amoureux de se retrouver. Marguerite, vous qui êtes la lumière de ma vie, nous savons malheureusement tous les deux ce que c'est d'aimer et d'être séparé ainsi que de souffrir à cause de ce sentiment…'

Soudain les souvenirs amers de l'année qui avait immédiatement suivit leur mariage lui revinrent en tête, tant de temps ils avaient gâché ! Marguerite essaya de dissimuler tant bien que mal les larmes qui lui vinrent aux yeux, mais le regard affûté de Percy le vit. Dans ses mains, qui paraissaient soudain immense, il engloba le petit visage aux traits fins et si tendrement encore enfantins de sa femme.

'Marguerite ma chérie…' commença Percy avec une voix grave qui provenait du fond de son âme. '…si seulement je pouvais, en restant en accord avec mon honneur, je laisserai tout tomber, rien que pour me perdre dans l'unique bonheur d'être avec vous.'

Marguerite posa ses mains sur les siennes, comme si par un futile moyen, elle essayait de le retenir un peu plus longtemps près d'elle.

'Mais vous le pouvez justement !'

'Et laisser mourir de pauvres innocents alors que je suis peut-être leur dernier recours ?'

Sur un ton de petite fille capricieuse, elle répondit 'C'est injuste !'

Percy rit. Ce seul rire réservé à leur intimité, juste pour elle. L'écho joyeux de sa voix résonnait en elle si profondément qu'à chaque fois son cœur se serrait dans sa poitrine.

'Je vous aime tant… Mais l'amour ne mérite-t-il pas que l'on se démène pour lui ? Vous savez que j'ai raison, n'est-ce pas ?'

Ayant peur d'ouvrir la bouche et de ne pouvoir être capable de retenir ses pleurs, Marguerite hocha juste la tête. Quand elle rouvrit les yeux, Percy avait posé sa tête sur les genoux de Marguerite, enserrant de ses bras sa taille à la courbe si féminine. Son visage disparaissait presque complètement dans la chevelure blonde, enserrée par un ruban de soie sombre. Marguerite caressa la tête chérie et posa un baiser dans les cheveux de son mari.

A ce moment, en Angleterre et très certainement sur terre, il n'y avait pas d'homme plus dévoué à la femme qu'il aime et de femme plus amoureuse de son mari.

Après quelques minutes, Marguerite sentie que sa voix lui revenait et qu'elle pourrait s'adresser à Percy sans éclater en sanglots. Même si cela lui faisait mal elle devait savoir.

'Vous partez maintenant ?'

Percy, sortant lentement de son coma amoureux, releva la tête pour acquiescer. Marguerite en profita pour prendre le visage aimé dans ses mains. Si elle fût surprise par sa douceur, contrariant avec la virilité qui se dégageait du visage de Sir Percy, cela ne l'empêcha pas de continuer.

'Percy, je sais que cette fois vous ne souhaiterez pas ma présence à vos côtés, je reconnais que je représente plus un danger qu'une aide réelle—' Percy voulu argumenter mais elle l'en empêcha, caressant ses lèvres avec l'intérieur de son pouce. 'Mon chéri, je suis, comme vous me l'avez indiqué un jour un membre de votre ligue et c'est un rôle, en plus de remplir avec joie, que je connais. Mais Percy, mon amour… laissez-moi au moins vous accompagner jusqu'à Douvres. Je ne sais pas si cette fois je supporterais de vous voir--'

A son tour, Percy posa un doigt sur les lèvres de sa femme, la coupant dans son imploration. 'Je ne voyais pas d'autre moyen pour vous dire au revoir.'

Et dans sa voix, Marguerite perçut que Sir Percy retenait ses émotions.

Si, parce qu'il lui avait promis, Percy avait laissé Marguerite l'accompagner jusqu'à Douvres, son esprit lui disait que l'heure de la séparation sonnerait tôt ou tard et que ce ne serait pas facile.

C'était près d'une heure après leur discussion dans leur belle demeure de Richmond, qu'ils chevauchaient en silence sur les routes défoncées qui menaient vers le port.

Ils voyageaient, pressés l'un contre l'autre, mais depuis longtemps Marguerite était persuadée que si Percy la maintenait étroitement serrée contre lui, c'était moins pour la retenir de glisser que pour la sentir près de lui. Marguerite se doutait que ce silence permettait à Percy d'essayer de se faire pardonner d'abandonner à nouveau sa femme. Conscience du fait qu'il partirait très tôt le lendemain matin, elle voulait profiter de chaque dernière heure –minute- avec son mari.

Arrivé aux environs de la ville portuaire, Percy avait déposé Marguerite au petit cottage qu'ils possédaient à une lieue et demi des quais. Il devait rencontrer Tony, Andrew et Hastings qui devaient être arrivés pour leur transmettre ses ordres pour la nuit, puis il reviendrait. En attendant, Marguerite avait pris une collation seule dans la salle à manger, le couple de gardiens ayant gagné leur quartier pour la nuit.

Plus tard, assise près de la fenêtre, Marguerite avait veillé, emmitouflée dans un châle de laine emporté à la hâte pour le voyage, jusqu'au retour de Percy, même si les coups de minuit avaient depuis longtemps résonné. Elle ne voulait pas rejoindre son lit –leur lit- avant qu'il soit revenu. Alors, à la lueur blafarde diffusée par l'auberge, lorsque la haute stature de son mari lui était apparue à la fenêtre, son cœur avait bondi dans sa poitrine.

Et le long baiser passionné qu'il lui avait donné en arrivant dans la chambre avait donné à Marguerite le futile espoir que Percy ne pouvait pas partir, non. Il y avait bien trop d'amour dans ses mots murmurés par un amoureux timide, dans ses yeux, sur ses lèvres, dans les caresses de ses mains... Mais rien n'avait pu faire au fait que Percy partirait avec les premières lueurs de l'aube.

Une illusion de plus pour un cœur douloureux d'amour.

Seule une oreille indiscrète aurait pu deviner ce qui s'était passé dans cette chambre entre une femme et un mari, éperdument amoureux l'un de l'autre. Peut-être la bougie sur la table de chevet, l'unique source lumineuse de la chambre, aurait-elle pu parler de la lumière dans les boucles dorées ou les cheveux couleur rubis, de l'éclat de deux regards clairs et de corps nus ondulant en parfaite harmonie comme si à deux ils arrivaient enfin à ne faire qu'un. Ou sinon, de larges épaules viriles, de longs bras musclés terminés par des mains aux doigts fins et agiles ; de la petite poitrine ronde si délicate, de la taille fine, de ce corps si beau et si tendrement féminin qu'il semblait fondre dans l'embrasse de la passion. Et leur regard, lorsqu'ils avaient su qu'ils ne pouvaient pas être plus heureux qu'en cet instant, cette seconde divine, et que nulle aventure ne puisse égaler.

Marguerite laissa échapper un soupir, lourd de tristesse et d'amour même si pourtant, à cet instant précis, elle ressentait un bonheur complet. Percy avait posé sa tête sur l'épaule de Marguerite, les yeux clos, la respiration régulière, il dormait.

Depuis le début de la nuit, elle avait lutté avec son endormissement pour profiter du moindre instant avec Percy et le simple fait de le regarder dormir, le visage pour une fois totalement décontracté, la comblait de joie.

Allongé sur le dos, son torse large et développé se soulevait au rythme aussi régulier que rassurant de son cœur. Ses cheveux blonds, libres de toute enclave, s'étalaient sur l'oreiller comme des vagues dorées, donnant à son visage un air angélique et presque enfantin. Et derrière ses paupières closes, Marguerite imaginait ses pupilles bleues qui savaient souvent lui dire plus que lui ne voulait lui avouer, de peur de la blesser. Elles étaient ses meilleures alliées, lui permettant de lire l'âme de son mari.

La cicatrice rosée en forme de M, souvenir d'un de ses périples, était nettement visible sur son avant bras. A chaque fois que les doigts de Marguerite passaient dessus, son cœur se serait en pensant que peut-être la prochaine fois, il ne reviendrait pas avec une cicatrice, mais il ne reviendrait pas, tombé sous la folie sanglante des révolutionnaires français, Chauvelin à leur tête.

'Oh Percy, mon amour…' Murmura-t-elle, écartant une mèche bouclée de son front. 'Ne suis-je donc pas assez importante à vos yeux pour que vous recherchiez tant le danger dans l'aventure ?'

Comme si Percy l'avait entendue, dans son sommeil il tourna la tête vers Marguerite, murmurant son prénom. Un sourire aux lèvres, elle se pencha sur son visage et effleura ses lèvres des siennes. Elle serait restée ainsi, toute la nuit, le veillant jusqu'à ce qu'il parte mais le sommeil la gagnait peu à peu. Elle s'était glissée dans le creux entre le bras de son mari endormi et son épaule. Instinctivement peut-être dans son sommeil, Percy l'avait attirée à lui et c'est avec les larmes au bord des yeux qu'elle s'était endormie.

Alors le lendemain quand Marguerite s'était réveillée, seule, elle n'avait pas pleuré. Et quelque part, elle savait que le rêve qu'on murmurait son nom puis qu'on l'embrassait, ses lèvres, ses paupières, ses joues avait plus l'étoffe d'un souvenir. De même, elle avait trouvé une lettre sur l'oreiller qui avait accueilli la tête chérie l'espace de quelques heures volées à l'aventurier. Percy lui disait combien il l'adorait, combien cela lui arrachait le cœur de la savoir loin de lui à s'inquiéter corps et âme pour un esprit aussi fou que celui de son mari. Et il lui disait encore combien il l'adorait, elle, lumière de ses jours, astre de ses nuits, plus que tout…

Tout. Excepté son appétit à sauver le monde, avait pensé Marguerite.

Elle avait fait rapidement sa toilette et déjeuné avant de repartir pour Richmond pour y passer de nombreuses heures à attendre. Mais peut-être irait-elle voir Suzanne, la pauvre Lady Ffoulkes devait être dans le même état que Marguerite à l'heure actuelle. Comme à chaque fois, elles s'entraideraient pendant ces longues heures d'attente.

Quand les dernières maisons de Douvres disparurent peu à peu à travers la vitre arrière du carrosse qui la ramenait vers Londres, Marguerite prit son visage entre ses mains et laissa son chagrin se déverser entre ses doigts...