Allongé sur le dos, dans son lit, Rick fixait obstinément le plafond en espérant que ce moment gênant se dissiperait au plus vite. Il sut que Kate, allongée à côté de lui, venait de faire un infime mouvement lorsqu'il sentit le drap frémir sur sa peau nue. Puis elle ouvrit la bouche.
« Tu sais... ça arrive parfois ».
« Non. Non ce genre de... de chose » lâcha-t-il du bout des lèvres, ne sachant absolument pas comment qualifier cet horrible manquement de sa part. « Ça n'arrive pas quand on a Kate Beckett dans son lit ».
« Qu'est-ce que c'est sensé vouloir dire ? »
« Tu... tu es désirable, d'accord ? N'importe quel homme normalement constitué aurait envie de toi, ne serait-ce... qu'en regardant la façon dont tes cheveux tombent ».
« Quoi ? » l'interrompit Kate en se redressant sur les coudes. « Qu'est-ce que mes cheveux ont à voir là-dedans ? »
« Ce n'est pas la question ! » rétorqua Castle, sentant qu'il s'embrouillait dans ce qu'il voulait dire. « Que les choses soient bien claires, j'ai très envie de toi, ma... défaillance physique actuelle n'a rien à voir avec ça ! »
Le corps nue de Kate vint s'allonger contre lui, sous les draps, et elle amena son visage tout près du sien, un léger sourire aux lèvres.
« Ce n'est pas drôle ».
« Bien sûr que si. Tu en fais toute une histoire, mais ce sont des choses qui arrivent passer un certain... »
Kate vit l'expression de Rick changer, et elle ravala rapidement la fin de sa phrase, scellant ses lèvres, comme pour empêcher le dernier mot de sortir.
« Qu'est-ce que tu étais sur le point de dire ? »
« Moi ? Rien » répondit-elle d'un air qu'elle essaya de rendre innocent.
« Tu allais dire « age », n'est-ce pas ? »
« Non. Non pas du tout » essaya vaillamment de nier Kate. « Oh, le téléphone, tu n'entends pas ? » s'exclama la jeune femme, sautant intérieurement de joie en entendant son téléphone sonner, dans l'autre pièce.
Avant qu'il n'ait le temps de répondre quoique ce fut, elle s'arracha du lit en emportant avec elle les draps et elle se précipita dans la pièce d'à côté. Son seul réflexe fut de se recroqueviller en boule sur le lit sous l'effet soudain du froid.
« Que les choses soient claires... je te déteste ! » grommela Castle assez fort pour qu'elle l'entende.
[***]
Fort de ses quatre années d'expérience, Castle réussit à s'extraire de son taxi, un gobelet de café dans chaque main, en ouvrant la portière avec son coude. Il se contorsionna tant bien que mal pour sortir, puis il referma la portière d'un coup de hanche. Il jeta un bref coup d'œil, puis il traversa la rue pour rejoindre l'attroupement de policiers.
Alors qu'il atteignait les rubans jaunes, devant lequel se tenait une policière en faction, kate le rejoignit, et le salua, comme si de rien n'était.
« Hey, Castle. Comment ça va ? »
« Pas trop mal pour un homme de mon age » répliqua-t-il en se baissant pour franchir le ruban qu'on venait de lever pour lui. « Et malgré mon age avancé, je n'ai pas oublié ton café cette fois » ajouta-t-il en lui donnant sans douceur son gobelet de café.
« Rick, je suis désolée, je ne voulais pas dire que... »
« Que j'étais vieux? » grommela Rick en avançant vers Lanie, penchée sur un cadavre.
« Je me suis mal exprimée... est-ce que nous pourrions en reparler calmement en privé, et pas sur une scène de crime ? »
Il se dispensa d'une réponse en arrivant près de la médecin légiste. Kate pouvait presque sentir la vexation de Castle, à côté d'elle, mais elle s'efforça de faire abstraction. Agir normalement se répétait-elle en boucle dans son esprit, comme à chaque fois qu'elle se retrouvait à côté de lui au boulot. Agir parfaitement normalement.
« Qu'est-ce qu'on a ? »
« Femme, entre vingt-cinq et trente ans, pas de papier sur elle » répondit Lanie en soulevant délicatement le drap qui recouvrait le corps. « Je dirais qu'elle est là depuis six, sept heures maximum ».
Rick cligna légèrement des yeux en voyant le corps étendue sur le sol, et les lèvres de Kate se plissèrent imperceptiblement sous l'effet du dégoût. On pouvait croire qu'après tant d'années à enquêter sur des meurtres, elle avait tout vu ou presque. Mais elle n'avait encore jamais vu un corps dans cet état. Les os étaient disloqués, le crâne broyé, le sang étalé sur le goudron.
« Cause de la mort ? »
« La gravité ».
« Tu veux dire... qu'elle s'est jetée du haut d'un immeuble ? »
Castle semblait avoir momentanément oublié qu'il en voulait à Kate, et il leva le nez pour essayer de deviner de quel gratte-ciel ce corps avait bien pu tomber. Mais il comprit bien vite qu'il y avait un problème. Tout comme Kate, qui avait eu le même réflexe que lui.
« Il n'y a pas d'immeuble dans le coin, d'où est-ce qu'elle a pu sauter ? »
« Peut-être qu'il y a eu un coup de vent au même moment » proposa Castle.
« L'immeuble le plus proche est à une bonne cinquantaine de mètres, il aurait fallu une sacré rafale » objecta Kate. « Il aurait fallu qu'elle tombe de quelle hauteur pour être dans cet état ? »
« Je ne sais pas encore. Peut-être 200 mètres. Au moins... Mais à en juger par la position du corps... je dirais qu'on l'a un peu aidé à tomber. Il y a des marques défensives sur les poignets ».
« Alors... comment est-elle arrivée là ? »
« Peut-être qu'elle s'est magiquement téléportée à deux cents mètres du sol ».
Le regard de Lanie se leva vers Castle au moment où Kate se tourna vers lui.
« Quoi ? Peut-être qu'elle ne maîtrisait pas bien la téléportation. Un avion n'aurait pas pu voler aussi bas ».
Kate reporta son attention sur le cadavre en même temps que son amie, mais elles échangèrent un court regard qui signifiait « on en a eu des absurdes, mais celle-là est dans le top 10 ».
« Tu as des signes distinctifs ? Quelque chose avec la robe peut-être ? »
« A première vu, pas d'étiquette sur la robe... » commença Lanie, soulevant son cadavre pour en dégager le dos et examiner le col du vêtement.
Avec un air de connaisseur, Rick s'accroupit près du corps. C'était une robe blanche enfin... si on pouvait appeler ça une robe. Ça n'avait l'air que d'un amas de voilage blanc, semi-transparent, qui n'aurait pas couvert grand chose sans l'espace de tunique blanche que la jeune femme portait en attrapa la couche supérieur de la robe entre ses doigts, et fit rouler pensivement le tissu entre ses doigts.
« Organza » lâcha-t-il, catégorique.
« Euh... tu en est sûr ? »voulut savoir Kate.
« Certain. L'ex-femme numéro 2 m'a tanné pendant des heures pour avoir une robe avec un voile en organza sur mesure et... »
Ce fut au tour de Castle de s'interrompre brusquement. Certes, il était fâché contre Kate parce qu'elle avait insinué qu'il commençait à vieillir. Même si, il devait l'admettre, il n'était en vérité pas vraiment fâché. Mais il était néanmoins certain que le sujet des ex n'étaient pas à aborder avec son partenaire actuel. Ou devant ledit partenaire.
« Bref » acheva-t-il maladroitement.
Soupçonneuse, Lanie leva un sourcil, regarda tour à tour Beckett, puis Castle, avant de reporter son attention sur Beckett.
« Quoi ? »
« Tu as toujours ce... rayonnement autour de toi » commenta la médecin légiste avec un vague geste de la main. « Qui est le gars ? »
« Tu ne le connais pas » éluda Kate.
« Toi et moi, ce soir. On a à parler ma grande » grommela Lanie.
« Yo ! »
Kate pivota raidement, espérant que Lanie n'avait pas eu le temps de remarquer le rouge qui lui était monté aux joues. Elle était une amie horrible. Elle ne lui avait même pas dit, pour elle et Rick. Evidemment, ils avaient au départ convenu de garder cela secret. Mais à partir du moment où Alexis, puis son père et enfin Ryan et Esposito avaient été mis au courant, elle aurait dû naturellement pensé à le dire à Lanie.
« On a été faire le tour du voisinage » annonça Kevin, repassant rapidement en revue les notes qu'il avait prises sur son petit carnet. « Personne n'a rien vu, rien entendu ».
« En revanche, le square est équipé de caméra à plusieurs endroits. Comme par hasard, deux d'entre elles sont en panne, mais j'ai déjà demandé qu'on nous envoie les images des caméras deux, trois et cinq » poursuivit Esposito.
« Très bien, tu as autre chose à nous dire ? Qui pourrait nous permettre de l'identifier ? » voulut savoir Kate.
« Elle a un tatouage ».
« Quel genre de tatouage ? » s'enquit Kate.
« … Ailes d'ange ».
« Tu plaisantes ? » s'exclama Rick en se relevant d'un bond.
Il s'efforça de cacher son expression presque réjouit et lâcha aussitôt :
« Ok, je rectifie ma théorie. Elle ne s'est pas téléportée ».
« Oh, vraiment ? » soupira Kate.
« Elle a volé jusqu'ici. C'est un ange, avec des ailes rétractables »
« Castle... »
« Et quand elles rangent ses ailes... elles forment un tatouage sur son dos ».
« Je crois que je préférerais presque l'histoire de la téléportation. Envoie nous des photos de son tatouage dès que tu pourras. Merci »
[***]
Kate fixait le tableau d'un air pensif. Lanie lui avait déjà fait parvenir une photo du visage de sa victime, ainsi que celle de son tatouage. Elle avait tracé une ligne temporelle plaçant l'heure de la mort, mais sans l'identité de la victime, il était difficile de déterminer un mobile et donc, un suspect. Il n'y avait rien dans les bases de données des personnes récemment disparues. Et la mâchoire de la victime était abîmée, Lanie allait avoir besoin de temps pour faire une comparaison avec un dossier dentaire, qui impliquait de toute façon d'avoir des candidates potentielles pour faire la comparaison.
« Du nouveau ? »
« Pas encore » répondit la jeune femme en tapotant machinalement son feutre contre ses doigts.
Elle releva la tête vers Castle, essayant de sonder son humeur dans son regard.
« Toujours fâché après moi ? »
« Je n'ai jamais été vraiment fâché » marmonna Castle en s'asseyant à sa place, à côté du bureau de Kate.
La détective s'assit à son bureau et avança un peu sa chaise vers Rick.
« Alors... qu'est-ce qu'il y a ? »
« Rien ».
« Rick, je suis flic. Je vois bien qu'il y a quelque chose ».
Elle pencha un peu la tête pour essayer de croiser son regard, mais il s'obstinait à ne pas vouloir la regarder dans les yeux. Elle hésita une seconde, puis elle osa demander :
« C'est à cause... d'Adria ? »
Rick tourna enfin la tête vers Kate, mais ne parvint pas à soutenir son regard. Oui. Oui c'était sûrement Adria. En partie.
« Elle... elle était mon amie. Je veux dire... j'admets que je ne la connaissais pas. Mais elle m'a sauvé. Et plus important, elle t'a sauvée toi, et elle a sauvé Alexis. Ce... ce n'est pas juste qu'elle ait fini comme ça ».
« Je sais. Je suis... je suis désolée ».
« Maddox est mort, mais ce n'est pas une consolation. Je ne considère pas ça comme une réussite. Il ne pourra pas être jugé pour tous les crimes qu'il a commis, et... et il aurait pu nous donner une info, quelque chose sur l'affaire de ta mère ! »
Presque aussitôt, Rick regretta d'avoir dit ça. Surtout que c'était stupide. Maddox n'aurait jamais lâché la moindre parcelle d'information. Les maigres révélations d'Adria n'avaient pas suffi.
« Je sais que tu t'en veux pour... pour cette histoire de code... »
« Tu aurais pu tout savoir. Etre en paix avec toi même et attraper ceux qui ont mis tout ça en place ».
« Mais ce n'est pas ta faute, d'accord ? »
Elle avança encore un peu sa chaise, et tendit le bras pour poser sa main sur celle de Castle, au milieu des dossiers.
« Cette affaire, c'est la mienne. Et même si... je te suis infiniment reconnaissante de t'impliquer autant... Cela reste mon affaire. Mon démon. C'est à moi de le combattre ».
« Et pourquoi devrais-tu être seule à le combattre ? »
« … Parce que toi, tu dois te réconcilier avec ta mère ».
« Quoi ? » se défendit Castle, la voix un peu plus aiguë qu'à l'ordinaire, signe qu'il allait être de mauvaise foi. « Je ne vois absolument pas de quoi tu parles ».
« Alexis m'a dit que vous ne vous parliez plus ».
Castle cessa aussitôt de nier pour marmonner quelque chose qui ressemblait à « sale cafteuse » entre ses dents.
« Qu'est-ce qui se passe ? »
« Rien d'important ».
« Rien d'important ? Rick, elle pourrait t'emprunter toutes tes cartes de crédit, et tu ne verrais pas ça comme quelque chose de grave. Là, tu as arrêté de lui parler. Qu'est-ce qui s'est passé ? » répéta Kate.
Rick regarda sa main, en sentant les doigts de Kate se resserrer doucement dessus.
« Elle... elle m'a menti ».
« A propos de quoi ? »
De mon père. Je sais qui c'est, enfin plus ou moins, et il veut me voir. Et ma mère a prétendu que c'était une histoire d'une nuit, alors que ce n'était pas le cas. Elle l'aimait, et elle m'a menti. Et pire que tout, mon père est impliqué dans la mort de ta mère, et je ne sais pas comment te le dire. J'ai peur que tu me détestes si je te le dis, j'ai peur que tu me détestes si je ne te le dis pas. Et je ne sais absolument pas quelle réponse convaincante je dois te donner songea Castle.
« Écoute... tu n'es pas obligé de tout me dire mais... vous devriez parler. Si elle t'a menti, c'est qu'elle devait avoir une bonne raison ».
« Et si elle n'en avait pas ? »
« Alors parle-lui quand même. Je suis sûre que les choses s'arrangeraient ».
« Mais... »
« Castle » coupa un peu sèchement Beckett. « Parle à ta mère. Et si tu veux une bonne raison de le faire, sache que je donnerais tout pour parler quelques minutes avec la mienne ».
« C'est plutôt une bonne raison » reconnut Rick après quelques secondes de réflexion.
« Oui, plutôt. Maintenant revenons sur ce cas, si ça ne t'ennuie pas » éluda Kate en détournant le regard.
[***]
Rick referma la porte de chez lui, les cheveux ébouriffés par le vent qui soufflait en rafale dans les rues.
« Mère ? Alexis ? » appela-t-il.
L'appartement était plongé dans la pénombre. Elles étaient visiblement sorties. en s'approchant du bar, Rick vit un morceau de papier portant l'écriture de sa fille « Sortie au cinéma, reviens vers minuit ».
Il reposa le mot sur le bar et s'approcha du frigo pour se sortir une bière. C'était l'un de ces soirs où il n'avait pas envie d'être seul. Et étrangement, tout son entourage semblait être occupé. Kate avec Lanie. Esposito avec une fille. Ryan avec sa femme. Alexis et sa mère. Il s'approcha du répondeur en voyant la lumière des messages clignoter, et il pressa le bouton de lecture des messages en même temps qu'il décapsulait sa bière.
« Rick ? C'est Gina. Tu sais, ton ex-femme, et accessoirement ton éditrice. La maison d'édition est furieuse, tu as déjà un mois de retard sur les délais, et tu ne nous as pas donné un seul chapitre à nous mettre sur la dent. J'ai réussi à t'obtenir un nouveau délai de six mois, à condition que tu nous donnes un chapitre d'ici la fin de la semaine. Et je te demande ça en tant que ton éditrice suceuse de sang qui va perdre son job si tu ne te bouges pas et devenir un peu plus ton ex-femme suceuse de sang, je me suis bien fait comprendre ? »
Sur le point de porter sa bière à ses lèvres, Rick retint son geste. Son ex-femme lui avait coupé tout envie de se détendre. Encore une chose à ajouter à la liste de ses soucis. Il avait été incapable d'écrire la moindre ligne depuis des mois. Enfin disons plutôt, la moindre ligne potable.
La sonnerie d'un téléphone le tira de sa rêverie, et il fouilla aussitôt dans les poches de son pantalon pour décrocher. Mais ce n'était pas son portable qui sonnait. Sourcils froncés, il eut besoin d'une sonnerie supplémentaire pour réaliser. Le portable d'Adria, qu'il conservait soigneusement sous scellé, s'assurant chaque soir que la batterie était toujours chargée et qu'il n'y avait pas d'appel en absence. Il se précipita vers son bureau et tripota les molettes chiffrés du tiroir cadenassé contenant le téléphone. Après quelques minutes de luttes, il parvint à ouvrir le tiroir et à décrocher.
« Euh... bonjour ? »
« Richard ? C'est moi ».
« Vous euh... tu... tu as mis beaucoup de temps à me recontacter. Enfin je veux dire... je croyais qu'il... qu'il était arrivé quelque chose et que euh... »
« J'ai eu beaucoup à régler, depuis la mort de... enfin... il y a eu quelques soucis ».
« Ah euh... bien. Très bien, d'accord ».
« J'aurais besoin de récupérer le portable d'Adria. La situation semble être suffisamment sous contrôle pour nous permettre de nous rencontrer ».
La bouche entrouverte, Castle ne sut pas vraiment quoi répondre. Rencontrer son père ? Il ne savait pas s'il était prêt à ça. Pourtant, il avait conscience que ce moment finirait fatalement par arriver, mais il s'était efforcé de ne pas y penser.
« Richard ? » insista son père au bout de plusieurs secondes de silence.
« Euh... Rick » corrigea-t-il machinalement. « Où... veux-tu... voulez vous... enfin je veux dire.. » s'embrouilla-t-il, ne sachant pas trop s'il devait tutoyer ou vouvoyer son interlocuteur. « Enfin je veux dire... où la rencontre doit-elle avoir lieu ? » biaisa Rick maladroitement.
« Demain matin, 9h chez Harry's pour le petit déjeuner ? »
« Euh... oui. Oui ça paraît... ça paraît... parfait. Alors euh... à... à demain ! » s'exclama Castle avec un enthousiasme un poil forcé.
« Oui, à demain ».
Rick lâcha un immense soupir en entendant la tonalité. Puis il réalisa. Il allait rencontrer son père. Il fallait qu'il le dise à Kate.
