Nous avons passé de merveilleux moments ensemble, je dirais même les plus beaux moments de ma vie. Blotties l'une contre l'autre, nous étions souvent restées immobiles pendant un moment, seulement à admirer la profondeur de notre compréhension mutuelle pourtant muette. Ce que je ressentais pour elle était une amitié plus simple que toutes les autres que j'avais vécues avant de la connaître mais aussi plus pure. Cette pureté incroyable était due au fait que notre relation n'était pas souillée par ce qu'on dit être la politesse, ou plutôt l'hypocrisie. Jamais un mot imprécis ou involontaire, prononcé sur un coup de tête, ne venait assombrir nos vies.

Malheureusement, sa vie n'était pas aussi longue que celle qui m'avait été donnée en tant qu'Elfe. Elle finit par paraître vieille et fatiguée, mais se yeux gardaient toujours le même éclat surprenant. Vint un temps où elle deveint plus capricieuse et susceptible. Il m'était de plus en plus difficile de lui faire exprimer le bonheur qu'elle ressentait encore, je le savais, par les moyens auxquels je m'étais habituée. Je persistais pourtant à lui montrer autant de douceur et d'amour, car je savais qu'elle m'aimait toujours autant qu'avant.

Un après-midi, après l'avoir cherchée pendant quelques jours, je la trouvai se promenant au soleil dans un coin peu fréquenté de la forêt. Je la contemplai un moment; elle était sale et toute décoiffée. Je saisis une brosse et m'approchai tout doucement d'elle. Comme elle avait désormais coutume de le faire, elle s'éloigna vivement en criant. À plusieurs reprises, je tentai de la toucher, jusqu'à ce qu'elle s'avoue vaincue par ma douceur et qu'elle se laisse coiffer. Elle finit cependant par se tanner et se déroba à mon étreinte en hurlant. Je la laissai partir et allai déposer la brosse près de mon talan.

Quand je revins à ses côtés, elle se prélassait dans un des derniers rayons chauds de la journée. Je m'assis derrière elle. J'attendis un moment, immobile, puis je m'étendis discrètement à son côté. Centimètre par centimètre, je levai ma main pour la déposer sur son épaule dans un geste d'amitié. Je m'attendais à des cris, à une morsure même, mais sa seule réaction fut un soupir de bonheur.

C'est là que je compris, alors que nous étions rapprochées à un point d'amour réciproque que j'avais depuis longtemps renoncé à atteindre à nouveau, que ses derniers moments étaient arrivés. Sa respiration se fit plus lente, moins nette...

On nous a retouvées ainsi, à l'aube, mes bras passés autour de son corps. Ses yeux étaient glacés à jamais par le froid de la mort, mes joues étaient sillonnées de larmes. Je savais que je ne retrouverais jamais une amie comme elle.

Beruthiel était ma chatte favorite, celle que je caressais toujours avant toutes les autres, qui me réchauffait le soir et qui me réveillait le matin, qui grattait sa tête sur mes orteils dès qu'elle pouvait les atteindre. Je l'avais nommée ainsi quand elle était toute jeune par pure ironie, mais ce nom de reine était devenu avec ses plus belles années tout à fait approprié. La fourrure de ma mignonne avait trois couleurs et ses yeux étaient deux émeraudes posées sur sa fine tête. Son poil était si doux que j'adorais y enfouir mon visage.