Disclaimer : à Disney, Ted Elliott, Terry Rossio & Gore Verbinski
Note : Drabble écrit d'abord pour Ezilda pendant les troisièmes nuits drabbles sur mon lj, poursuivi et allongé un peu après avoir vu Pirates des Caraïbes III, parce que, non, ce n'est pas ainsi que James Norrington aurait dû finir et qu'il fallait quand même que je lui rende un dernier hommage avant de poursuivre ma fic "Tremblement sur Port Royal" sans tenir aucun compte de cette triste destinée...
&&&
Ma bonne fortune, je la crois me frapper à vingt ans, quand le Lord Protecteur Cromwell m'envoie, avec d'autres plus gradés, étendre notre Commonwealth nouveau-né jusqu'en terra incognita, l'exubérante Jamaïque.
Je pars lieutenant de vaisseau, rogue, fier, freluquet gourmé qui s'imagine que d'être fils de Norrington, frère de Norrington, rejeton en droite ligne de tous les Norrington bien avenus, m'offre l'illusion que mes draps, où que j'aille, ne seront jamais de toile, que mon ordinaire de boire et de manger ne se comportera que de l'extraordinaire.
Très vite, je me vois déchanter. La première avanie a raison de nos vivres, gâtés pour le meilleur, grouillant de vers pour le pire – qu'il m'en faut croquer, des biscuits de soldats, dur comme la pierre, goûtant pareil.
Le premier coup d'éclat contre les Espagnols me privera de mes draps de coton, réquisitionnés par notre médecin ; ma bonne fortune alors s'insinue dans les plaies de mes second et premier maîtres, donne au James lieutenant des grades abandonnés pour que, en vue des côtes exotiques, je devienne Amiral.
Un autre voyage, un accrochage castillan, un autre mort, et me voilà Capitaine de vaisseau. Un protecteur à terre, un souverain reconnu, et je suis Commodore. A trente ans, monté si haut, je n'aspire à rien d'autre que la pérennité… Sot, fat, et tout autre adjectif qu'on voudra m'imputer, je l'accepte.
…Evidemment, je ne ferai plus que de dégringoler.
Ma bonne fortune, pourtant, me reconnaîtra, sous les haillons, la crasse, le rhum, les baisers sales des filles de Tortuga ; il plaît à certains de lui donner le nom de Sparrow, moi je l'appelle renaissance.
Ma bonne fortune, ensuite, je la tiens cachée dans un tissu, elle cogne un puis deux, un puis deux, un puis deux sans interruption, me garde les yeux éveillés, m'aide à poser le pied devant, me lave de ma vermine ; j'avais coulé au fond de l'eau, je remonte, et au diable – j'en suis revenu – si l'accord avec Beckett donne au sceau du Roi Charles les reliefs de la trahison.
Celle-ci me rend arme, navire, titre, rang, distinction, et un peu de cette impression qu'un homme en habit n'a qu'à se poudrer abondamment la perruque de blanc pour valoir mieux, mille fois, que les gredins des îles, les pirates maudits.
J'ignore un temps que ma bonne fortune s'est réduite à une peau de chagrin dès l'instant où, à tous mes biens récupérés, s'ajoute en plus une laisse…
Je la porte, serviteur obtus, sans vouloir m'avouer qu'elle me serre le col : j'ai eu tant de fois l'assurance qu'un autre nœud coulant viendrait un jour me garnir le cou que cette astreinte invisible à l'œil nu est peu de choses, vraiment.
Je suis heureux d'être sur les flots, James doux aux lèvres d'Elizabeth, aux larmes d'Elizabeth, lorsque ma bonne fortune, fatiguée d'avoir trop navigué à mes côtés, sans doute, rompt à jamais les amarres avec moi, feu Commodore, fils de Norrington, frère de Norrington, Norrington moi-même.
Que je repose en paix.
