Coucou mes lapinous ! :) Et voici un nouveau texte sur Black Sails, toujours sur Charles et Eleanor, le projet continue ! :D

Ce texte reprend donc l'épisode 2 de la saison 1 ! :D Mais pour le coup, ce sera un peu particulier, car écrire sur tout cet épisode est vraiment... trop long. Ça ferait un texte énorme. Donc, pour cette fois, je coupe le OS en deux parties. Voici donc la première partie, et la deuxième est bien en court et devrait arriver très vite.

Je n'aime pas trop couper mes OS donc je ne sais pas si ça reproduira, peut-être étant donné les épisodes qui m'attende, mais je ne garantit rien. J'espère, en dehors de cela, que des textes longs ne vous dérangerait pas... dîtes le moi en review :)

Sinon j'espère que cette première parti vous plaira, et on se retrouve très vite pour la suite ! :D

Bisous, Roza-Maria.


"Don't try to explain your mind,

I know what's happening here,

One minute it's love, and suddenly it's like a battlefield.

One word turns into a war,

Why is it the smallest things that tear us down ?

My world's nothing when you gone,

I'm out here without a shield, can't go back now.

Both hands, tied behind my back for nothing,

These times when we climb so fast to fall again,

Why we gotta fall for it now ?"

("Battlefield", Jordyn Sparks)


Ile de New Providence, Nassau.

1715.

C'était si calme.

Bien trop calme, tout à coup. C'est fou comme le chaos et le feu d'une nuit peut totalement se métamorphoser une fois le soleil levé. Comme si la lumière du jour mettait les hontes à nue. Comme si elle réveillait les gens de leurs folies passagères de la veille, et leur rappelait qu'ils étaient des êtres humains, et non pas des animaux.

Il n'en était rien, cela dit. C'était juste que tous les ivrognes de Nassau étaient en train de cuver leur rhum dans les chambres des putains, dans leurs tentes où bien à même le sol dans la rue. Tout comme elle, d'ailleurs. Même si elle n'avait pas tellement bu, mine de rien. D'autres choses l'avait épuisé et enivrée. Cela faisait une bonne vingtaine de minutes qu'Eleanor était réveillée. Une bonne vingtaine de minutes qu'elle sentait les draps frais et blanc sur son corps nue, et qu'elle observait le plafond, en silence. Elle entendait les petits chants des oiseaux et le bruit des vagues derrière les murs de la pièce. Si on se contentait de rester ainsi, dans cette petite pièce vert pastel aux volets de bois délavés, on se serait cru dans un véritable paradis. Avec la délicieuse odeur salée, et le soleil. Personne ne se serait douté que c'était une île de pirates. Une île où quasiment tout était permis.

Mais pour combien de temps, encore ?

Le premier réflexe qu'elle avait eu en se réveillant était d'effleurer le bas de sa joue, là où Charles l'avait frappé la veille. Elle avait senti un élancement douloureux, mais déjà moins qu'hier. La marque devait être joli et surtout bien voyante. Et l'histoire avait du se murmurer partout dans Nassau. Eleanor Guthrie avait voulu dominer Charles Vane en public, et il lui avait montré qui était le véritable chef. Elle leva les yeux au ciel rien qu'à l'idée des bavardages qui devait se faire à ce sujet. Tout le monde devait se réjouir que la tyrannique reine Eleanor ait été un peu remise à sa place par le capitaine Vane. Qu'ils aillent tous se faire foutre. Et Vane le premier. Qu'avait-il bien pu faire, celui-là, après qu'elle ait quitté la chambre ? Sûrement rejoindre une putain quelconque et tirer son coup. Lydia peut-être. Elle les imagina pendant une seconde au lit, et elle ne put s'empêcher de grimacer de dégoût. Cela ne valait pas la peine d'y penser.

Eleanor jeta un rapide coup d'œil à Max, endormie à ses côtés, tout aussi nue qu'elle. Puis elle finit par se lever doucement, essayant de ne pas la réveiller, même si il était tard. Scott devait être en train de l'attendre en bas, exaspéré où bien il ne tarderait pas. Elle sentit tout son corps protester quand elle se releva mais elle n'en tient pas compte. Max l'avait épuisée hier soir, c'était le cas de le dire. Elle avait réussie, le temps de quelques instants, à lui faire oublier son inquiétude, ses doutes quand à ce qui s'était passé le veille et le chaos que cela entraînerait certainement pour elle. Elle avait fait en sorte qu'elle ne puisse penser à plus rien à part son corps chaud contre le sien, à part ses doux seins contre les siens, à part ses mains en elle, sa langue sur elle. Jusqu'à ce que Eleanor tombe d'épuisement et s'endorme purement et simplement, la tête sur le ventre de Max qui lui caressait négligemment les cheveux, toute deux essoufflées. Durant la nuit, cependant, Eleanor s'était séparée d'elle dans son sommeil, et elle s'était retrouvée de son côté, seule. Et tout de suite envahi de ses peurs et des doutes dès qu'elle avait ouvert les yeux sur le plafond vert et délavé.

C'était fou aussi, comme la mer délavait chaque mur de cette ville, jusqu'à ceux les plus éloignés. Le sel venait jusque dans le plus profond de chaque pièce et en grignotait les murs. Aucune bâtisse ne pouvait lui échapper ni lui résister. Peut-être que c'était cela, le destin de Nassau, après tout. Pas de finir sous le règne des pirates, pas d'être reprise par les anglais, mais juste avalée par l'océan, manger à petit feu par la mer. Les pirates aimaient à croire qu'elle était la seule chose qu'on devait réellement craindre, et aimer à la fois. Peut-être n'avait-ils pas tort sur ce sujet.

Eleanor réussit à se mettre debout et la fraîcheur du matin fit frissonner son corps entièrement nu, mais elle sentait déjà le soleil quotidien chauffer les lieux. Elle se déplaça jusqu'à la coiffeuse de la chambre, dans le fond de la pièce, où traînait une robe de chambre beige, à demi transparente, mais qui ferait l'affaire. Elle l'enfila, le tissu effleurant doucement sa peau et elle se servit un verre d'eau, le buvant tout en allant ouvrir la fenêtre, malgré le fait qu'elle savait que le bruit du battant réveillerait inévitablement Max.

A peine la fenêtre fut-elle ouverte qu'elle sentit la bouffée de chaleur mêlé au vent agréablement frais de la mer sur son visage, de même que les bruits des marchands qui était déjà en pleine activité. Le bordel était, à l'instar de la taverne, en hauteur par rapport au reste de la ville, mais légèrement plus rapproché de la plage. Elle avait une vue directe sur certains campements, ainsi que sur les bateaux au loin. Elle observa silencieusement la baie pendant quelques minutes, entendant Max se réveiller derrière elle, les draps bougeant. Le lieu était paisible. Aussi paisible que cela pouvait l'être quand on vivait sur une île habitée principalement par des pirates. Elle pouvait voir de nombreux marchands qu'elle connaissait bien. Le tailleur de pierre. Le boulanger. La couturière. Le boucher. Tous marchait, certains se saluant en souriant. Elle pouvait voir aussi des capitaines pirates se réveiller négligemment de leurs cuites de la veille, marchand comme ils pouvaient, côtoyant ces mêmes marchands, faisant tranquillement affaires avec eux.

Autrefois, tout cela aurait été impossible. Les pirates se laissaient totalement dicté par leur instinct animal. Ils ne payaient pas, ils tuaient. Ils ne faisaient pas affaire, ils faisaient des exemples. Elle ne comptait plus les atroces récits de massacre qu'elle entendait quand elle était enfant, dans son ancienne maison qui lui paraissait si lointaine, aujourd'hui. Elle se rappelait du moment, il y a environ dix ans, quand le soi disant gouverneur de l'île, bien qu'il ne l'était plus depuis très longtemps déjà, à été éjecté de son manoir après que sa femme et son petit garçon avait été sauvagement assassiné. Les pirates ne l'avait épargné que pour qu'il témoigne de ce qui s'était passé, et de ce qu'ils pensait de la présence d'un gouverneur. Le chaos avait suivi à Nassau durant cette période, et son père avait profité de ce chaos pour augmenter la puissance de son empire de pirates, encore mal vu par les pirates eux-mêmes.

Il s'enrichissait sur eux, mais n'en avait rien à foutre de ce qui arrivait à Nassau. A ses yeux, ce n'était qu'un tas de sable qui rapportait de l'argent à leur famille, ni plus, ni moins. Il ne s'était jamais soucié de l'état de cette île ni de ce que les pirates en faisaient dès qu'il rentrait à son manoir, dans les terres. Tant qu'il gagnait son argent et que les pirates restait à Nassau, loin des regards anglais scrutateurs posés sur son père, Richard Guthrie se moquait complètement de ce qu'ils pouvait faire sur cette île.

Ce qui avait laissé des bêtes comme Edward Teach, Samuel Bellamy ou Henry Avery créer leur tyrannie et leurs règles barbares. Cela avait duré pendant des années. Elle avait changée cela. Elle avait changée cette île. Elle avait montré à ces sauvages qu'ils pouvaient se comporter de manière plus civilisée, sans cesser de prendre leur plaisir ni de rester libre. Eleanor avait parfaitement conscience qu'elle ne pourrait jamais totalement les dominer. Elle savait que les règles qu'elle faisait déjà peser sur Nassau leur semblaient lourdes, et qu'elles n'était acceptées que parce que même si ils les méprisaient, ces règles leur facilitaient la vie. Ils ne l'avoueraient jamais, mais tous profitaient bien de son règne. Il y aura toujours des meurtres, des vols, mais Nassau ressemblait à quelque chose depuis qu'elle était aux commandes. Les hommes la détestaient, mais tous étaient heureux des bénéfices bien plus hauts qu'elle leur faisait gagner comparée à son père. Sur cela, elle avait tenu la promesse qu'elle leur avait faite, il y a près de cinq ans. Même si elle avait des doutes qu'ils s'en rappellent encore, de cette promesse.

Eleanor était en train de visualiser des choses qu'elle n'aimait pas. Elle savait que tôt où tard, cela risquait d'arriver, elle y avait toujours pensé sans jamais s'en soucier réellement. Cela semblait si loin, comparée aux problèmes qu'elle avait à affronter au quotidien. Mais, aujourd'hui, elle avait un mauvais pressentiment. Elle entendit derrière elle Max se relever doucement dans son lit, et elle ne put s'empêcher alors de continuer à penser tout haut :

- Quand mon père vivait encore ici, cet endroit était un vrai bordel. Les hommes baisait dans les tentes, chiait n'importe où…

Certes, ils baisaient toujours dans les tentes – elle et Charles avait été les premiers à le faire de nombreuses fois…- et même entre les tentes, à même le sable à la vu de tous, mais au moins ils le faisait la nuit, plus discrètement. Ils avaient appris un peu d'éthique, autant que cela était possible pour des pirates. Et c'était grâce à elle et à ce qu'elle avait instaurée qu'ils l'avaient appris. Elle se retourna pour regarder Max tout en poursuivant :

- J'ignore si ils voyaient qu'ils vivaient tous comme des animaux où s'ils s'en foutaient.

Peut-être était-ce juste dans leurs gênes. Quand on laissait un homme sans lois pendant trop longtemps, une sorte d'instinct primal revenait en lui, et finissait par prendre totalement possession de lui. Teach était l'exemple même de ce genre de type et il avait bien failli faire de Charles Vane un second lui. Et encore aujourd'hui, à la vu de ce que Charles faisait, il restait le plus atteint de l'époque de Teach. Comme tout les autres de cette île, il avait profité de son règne et s'était adapté. Il lui semblait même qu'il avait apprécié le nouveau régime. Néanmoins, il avait toujours cette part animal, bien plus présente que chez tous les pirates de Nassau, qui revenait en lui et qui le poussait à faire ce genre d'actes immondes comme la veille au soir. Cet instinct qui lui disait de dire aux règles qu'elle avait installé d'aller se faire foutre et de faire ce que bon lui semblait. Elle ne pouvait rien faire directement contre ça, parce qu'elle n'avait malheureusement pas ce pouvoir, et Charles le savait bien. Il en profitait. Il lui avait porté un sacré coup, hier soir. Un coup dont elle allait devoir se relever comme elle pouvait, mais elle l'attendait au tournant. Bon sang, ce qu'elle détestait ce qu'il avait réussie, malgré sa colère, à faire naître en elle. Les nuits entre les bras de Max étaient la plupart du temps magnifiques. Mais il lui arrivait bien trop souvent de rêver que ces mains douces soient celles durs d'un homme. Et si hier soir elle lui avait cédée, et que Max s'était tellement donnée de mal qu'Eleanor avait vraiment réussie à s'évader, quand elle l'avait suivit dans sa chambre, elle ne désirait pas le moins du monde que ce soit elle qui l'a touche. Avoir été si près de lui avait donné envie d'une tout autre forme de caresse. Une forme qu'elle n'avait pas eu depuis très longtemps et qui lui manquait plus qu'elle ne l'admettrait.

Et bon sang, ce qu'elle détestait ça. Les choses seraient plus simples si elle pouvait juste le haïr, et ne pas avoir ce sentiment qui revenait inlassablement en elle. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas cela qui aujourd'hui lui ferait perdre de vues ses objectifs ni ce qu'elle devait faire quand elle recroiserait sa route, car cela ne manquerait pas d'arriver. Elle devait impérativement être prudente, mais aussi se montrer bien clair quand à la suite a donnée. Mais il y avait tant à régler et à se préoccuper à côté aussi…

- Pourquoi tu parles de ton père d'un seul coup ? Demanda Max, toujours trop perspicace, désormais assise en tailleur sur le lit.

- Un navire de guerre à été repérée hier, expliqua Eleanor en se dirigeant vers la chaise de la coiffeuse. De la Royal Navy.

La source principale de son mauvais pressentiment, et ce qui faisait qu'en ce matin, elle ne parvenait plus à tellement s'inquiéter de ce que Charles préparait. Elle connaissait Charles et saurait comment le contrer. Elle allait perdre en crédibilité à cause de lui, perdre une grosse somme d'argent et perdre un allié précieux. Cela lui porterait un coup, mais elle savait qu'elle arriverait à se relever, même si la veille elle n'en était absolument pas convaincue. La nuit portait conseil. Son père ne pourrait pas se permettre de la déloger pour cela. En revanche… il pourrait le faire tout autrement, et c'était ça qui l'inquiétait.

Eleanor s'assit et s'appuya contre la chaise postée de travers, en face de l'immense miroir de la chambre. Elle imaginait le pire. Tout ce que cela pouvait signifier. Et plus elle y songeait, plus elle sentait le désespoir l'envahir, mais surtout la révolte. Elle ne supporterait pas de tout perdre au profit de son père, au profit de l'Angleterre. C'est quelque chose qu'elle ne pourrait tout simplement pas accepter. Pas après tout le mal qu'elle s'était donné pour faire de Nassau ce qu'elle était aujourd'hui. Mais que pourrait-elle y faire ? Quelle résistance pourrait-elle opposer à cela ? Elle n'en avait aucune à portée de main, et elle le savait.

- Et si ce jour était arrivé ? Murmura-t-elle. Si Scott était en ce moment même en bas à attendre de m'annoncer la nouvelle ? « Les Anglais reviennent. Fichez le camp de Nassau. »

Non. Non, elle n'accepterait jamais qu'on vienne ainsi la chasser de chez elle et détruire son travail. Elle ne pourrait pas le supporter. Elle n'aurait plus de vie, après cela. Où pourrait-elle se reconstruire ? Où pourrait-elle trouver la place qu'elle avait ici ? Nulle part car nulle part ailleurs dans le monde on aurait laissée une femme avoir tellement de pouvoir et d'importance. Si elle devait quitter Nassau, elle serait reléguée au rang que sa naissance lui avait imposé et qu'elle avait défié. Le rang d'épouse, de mère. Où de religieuse. Où de putain. Dans la société actuelle, que ce soit dans les colonies Américaines, en Angleterre où n'importe où ailleurs dans le monde, les femmes n'avait le choix qu'entre ces trois destins. Et aucun ne lui semblait tolérable. Il n'y avait qu'ici, à Nassau, dans cette île coupée du monde qu'on pouvait être tout ce qu'on désirait, qu'on soit pauvre où riche, qu'on soit homme où femme. Ce genre d'endroits ne serait pas éternellement toléré par les empires. Mais c'est le genre d'endroits rares et magnifique qui devait absolument rester hors de porté de ces gens. Et Nassau ne l'était absolument pas… hors de leur portée.

- Et alors quoi ? Rétorqua Max, l'air de ne pas entièrement comprendre sa détresse.

Cela ne surprit pas Eleanor. Max n'avait jamais vraiment compris son attachement pour Nassau. Max ne parlait que de partir dans un endroit au loin, loin de cette île. Elle ne pouvait pas le lui reprocher, vu la vie qu'elle menait et la place qu'elle avait. Mais en ce qui la concernait, elle, vivre ailleurs qu'à Nassau était inimaginable.

- Ils vont faire le blocus de l'île, poursuivit Eleanor, visualisant le cauchemar sous ses yeux. Empêcher tout commerce. Quelques équipages vont résister, mais combien de temps pourront-ils survivre sans le soutien de mon père ?

Car ce salopard serait bien évidemment dans leurs rangs. A leur tête, même, probablement. Cela faisait tellement d'années qu'il léchait le cul des hauts membres du Parlement, qu'il arrosait les plus hauts noms de pots de vin pour se faire lui-même un nom au-delà du marché noir. Cela n'étonnerait pas Eleanor qu'un jour où l'autre il arrive à ses fins, et qu'il revienne à Nassau, mais cette fois-ci en tant que gouverneur de l'île. Il lui en avait vaguement parlé dans ses lettres, que c'était quelque chose d'envisageable. Et elle avait prié de toutes ses forces pour que ce projet ne voit jamais le jour, car elle perdrait aussitôt tout pouvoir ici. Sauf que c'était peut-être arrivé. La présence du Scarborough, navire qui se réapprovisionnait souvent chez son père, si près de Nassau et prenant en chasse des pirates, était peut-être la preuve qu'elle risquait de tout perdre très prochainement.

- Petit à petit, leurs forces vont décroître, le fort sera abandonné. Les soldats prendront d'assaut la plage.

Tout en disant cela, elle regarda cette même plage et l'imagina envahit de soldats dans leurs tuniques rouges armées de leurs longs mousquets, tous en rang bien droit dans leur formation répétées mille fois. Dans un ordre impeccable, une discipline infaillible. Tellement à l'opposé de tout ce que représentait Nassau. Elle ne les voyait pas sur cette plage. Cela n'avait juste pas de sens. Elle en aurait presque rit, tellement cela lui paraissait inconcevable, ses anglais bien droit et bien propres parmi des centaines de pirates tanguant et sales. Sauf que la menace était bien réelle et que cela n'avait rien de drôle.

- A peine le temps que les fumées se dissipent, mon père sera arrivé, soupira Eleanor en se relevant afin de revenir près du lit. Il remettra les pieds ici pour la première fois depuis cinq ans, en agitant avec arrogance le mandat royal qu'il aura obtenu en arrosant tout le monde de pots-de-vin.

Elle mima son père en train d'agiter ce papier, puis s'assit sur le lit en face de Max en applaudissant et en disant bien fort, d'un ton railleur et moqueur, théâtrale :

- Un tonnerre d'applaudissements pour le nouveau gouverneur !

Max eut un vague sourire amusée face à la petite prestation d'Eleanor mais elle aussi comprenait que dans le fonds, tout cela n'avait rien d'une plaisanterie.

- Quelque part à Londres, une espèce de salopard apprendra cette nouvelle, allumera sa pipe et dira : « Enfin… l'ordre règne à nouveau à Nassau », conclut Eleanor en levant les yeux vers Max, d'un ton plus morose cette fois.

Et cette ordre serait la fin de tout ce qu'elle avait bâti ici, la fin de la vie qu'ils menait tous. La fin de tout. Seigneur. Toutes ces idées noires avait le don de lui plomber le moral alors même que la journée n'avait pas réellement commencée.

- Tu en parles comme si c'était une certitude, sourit Max, sa joie et son petit côté malin naturel pétillant dans son regard.

Eleanor se tourna vers elle, et devait reconnaître qu'elle avait raison. Mais peut-être parce que c'était l'impression qu'elle avait. Que cela devrait forcément arrivée, un jour où l'autre. C'est qu'elle ne voyait aucun moyen d'y échapper. Aucune possibilité. Peut-être était-elle pessimiste, mais elle avait de lourdes responsabilités qui la contraignaient à l'être. Max ne les avait pas, ces responsabilités et pouvait se permettre d'être plus détendue et moins inquiète à ce sujet. Et c'était une bonne chose pour elle. Eleanor n'aurait pas aimée voir ce poids gâcher sa bonne humeur naturelle qu'elle avait toujours. Mais elle, elle devait se soucier de tout cela. Elle y était obligée.

- Peut-être que tu pourrais acheter cet endroit, suggéra alors Max d'une voix enthousiaste, le regard amusée mais sincère. Nassau va avoir besoin d'un hôtel. Max pourrait s'associer avec toi, non ? Il n'existe pas de meilleure hôtesse au monde…

Max rit doucement à cette dernière phrase en se laissant aller sur le lit, souriante et joyeuse, considérant sérieusement ce plan. Eleanor s'amusa de la voir ainsi. Elle était belle quand elle souriait et riait. Et cette petite manie qu'elle avait toujours eu de parler d'elle à la troisième personne l'avait toujours attendri. Eleanor pensa vaguement à ce qu'elle disait. Acheter le bordel ? Mh, pourquoi pas, ce serait toujours des revenues supplémentaires. Seulement, ce n'était pas si simple, elle ne pouvait pas juste exiger d'acheter un lieu pour que le propriétaire de ce lieu accepte de lui vendre le fruit de son travail et elle connaissait bien le tenancier de ce bordel, cette belle ordure de Noonan. Ce rapace tenait bien trop à l'argent qu'il gagnait quotidiennement avec ses putains pour y renoncer. Il préférerait mourir.

- Et que dira Mr Noonan quand il entendra parler de ce plan ? Déclara alors Eleanor, amusée mais ne pouvant s'empêcher de rester réaliste.

- Je sais déjà que ce que Mr Noonan peut dire ne m'intéresse absolument pas, rétorqua Max lentement, d'une voix plus sèche, bien que ce n'était pas contre elle, avant de lever ses yeux noisettes vers elle, se mordillant doucement la lèvre.

Eleanor plissa les yeux, n'étant pas certaine de comprendre. Que voulait-elle dire par là ? Elle ne pouvait pas tout simplement se moquer de ce que pourrait dire… on frappa alors à la porte, et Eleanor fut coupée dans le fil de ses pensées, se retournant pour fixer l'endroit d'où venait les coups.

- Qui est-ce ? Demanda Max.

- C'est Scott. Pouvez-vous dire à mademoiselle Guthrie qu'elle est attendue ?

Eleanor ferma longuement les yeux à sa voix. Aïe. Il savait pertinemment qu'elle était là et qu'elle entendrait chacun de ses mots. Il devait certainement être fâché qu'elle l'ait laissé en plan sur la plage, l'évitant afin de s'en prendre à Charles. Elle l'avait fait parce qu'elle savait qu'il aurait cherché à l'empêcher de le faire, et il le savait aussi. Il ne pourrait pas non plus s'empêcher sans doute de lui la morale sur l'argent qu'elle avait prêté à Flint, désormais dans le vent, puisque qu'elle ne le récupérait jamais. Il l'avait mise en garde contre cela. Et il avait le don de la faire sentir comme une enfant qu'on gronde, un sentiment qu'elle détestait par-dessus tout. Cela dit, il ne méritait pas qu'elle le fasse encore attendre.

- Je descends dans une minute, répondit-elle donc elle-même à voix haute avant de se lever, cherchant ses vêtements du regard.

- Je me dis que ça risque d'être un tout petit peu plus long que ça…, murmura Max avec un bruit de draps derrière elle.

Eleanor se retourna et la découvrit entièrement nue, sur le côté, tel une douce sirène aux cheveux sombres et au regard velouté. Ses yeux étaient taquins et tentant, et Eleanor envisagea l'espace d'une seconde quelques minutes de plus de détente. Non. Ce ne serait pas raisonnable, pas alors qu'il y avait tant à faire, et que Scott l'attendait en bas…

- Viens ici, sourit Max en lui faisant signe de s'avancer.

Oh, et puis merde. Elle avait le temps de faire face aux problèmes. Juste quelques minutes à ne penser à rien. Elle avait réussie, malgré la difficulté la veille, à oublier avec Max. Elle se sentait toujours quelque peu à vif, frustré d'un sentiment qu'elle ne trouverait jamais dans cette chambre ni dans ces bras, mais il y avait tout de même une sorte d'insouciance qui lui plaisait immensément. Qui faisait un bien fou. Alors Eleanor sourit et revint vers Max, saisissant elle-même son visage entre ses doigts, goûtant à ses lèvres douces et délicates. Max l'attira alors à elle en se laissant tomber sur le lit, et elle ne put s'empêcher de rire. Dieu, qu'elle aimerait pouvoir être toujours aussi détendue que Max l'était.

Juste quelques minutes de plus. Elle avait bien le droit à ça.


- Vous comptez rester là toute la journée ?

Charles baissa sa longue vue à contrecoeur afin de lever les yeux vers Anne qui venait de lui parler. Ils étaient sur la plage, à quelques mètres à peine de l'eau. Charles était assis à même le sable, ses bottes à demi enfoncé sous les grains, et Anne se tenait debout devant lui, une pierre à polir les armes dans la main, son poignard dans l'autre. C'était quelque chose qu'elle aimait souvent faire. Préparer ses armes, en silence, pendant que Jack et lui parlaient. Où que Jack parlait pour deux, le plus souvent.

Il ne lui répondit pas tout de suite, la dévisageant pendant quelques instants. On l'avait traité de fou, quand il avait accepté Anne Bonny dans son équipage. Une femme… ça ne s'était jamais vu, dans les Caraïbes, et tous les autres équipages de l'île pensaient qu'il avait perdu la tête. Il n'aurait même pas voulu imaginer ce que Teach aurait pensé de cela. Cela dit, Teach l'aurait cru fou ne serait-ce que pour Jack. Et il aurait eu tort sur les deux. Charles avait longuement hésité avant d'accepter Jack et Anne dans son équipage. Il se rappelait parfaitement comment ces deux là avait débarqués dans sa vie. Arrivant à Nassau quasiment en même temps que Teach et lui, sauf que Jack n'était rien qu'un jeune homme tout maigrichon et fragile, qui parlait trop et que personne n'écoutait réellement, avec toujours cette ombre silencieuse qui lui servait de femme, femme toujours habillée en homme et qui semblait parfois plus son garde du corps que sa compagne.

Il n'avait rien pensé de particulier de ces deux-là, au début. Juste deux étrangers qui voulait tenter leur chance à Nassau, comme beaucoup. Jusqu'à ce jour où Charles s'était retrouvé face à un homme dans la taverne Guthrie, tard le soir, qui l'avait défié aux cartes. Il n'avait jamais été un grand amateur des jeux de cartes. Il n'y voyait pas de réel intérêt, et il n'y entendait pas grand-chose. Mais il ne refusait jamais un défi, quel qu'il soit. Une petite somme d'argent avait été pariée. Cela dit, il avait vite compris qu'il allait perdre. Les règles du jeu le fatiguaient, le jeu en lui-même l'ennuyait, et il fixait ses cartes en se demandant presque ce qu'il foutait avec un truc pareil dans les mains. Il était plus à l'aise avec une épée. C'était son tour, et il ne savait pas du tout quoi poser comme carte. Il comptait en prendre une au hasard, se moquant quelque peu de la débouché de cette partie, après tout, quand Jack Rackham était apparut à leur table en déclarant à l'intention de Charles :

- Si j'étais vous, je ne choisirais pas celle-là.

Charles avait levé les yeux vers Jack, et avait reconnut ce drôle de personnage avec ses vêtements parfois étranges qu'il entendait souvent parler dans le vide, car on ne l'écoutait jamais. Son adversaire avait froncé les sourcils et s'était exclamé vis-à-vis de Jack :

- Dégage de là, pauvre merde !

- Pourquoi donc, Samson ? Tu à peur que je ne dévoile au capitaine Vane que tu es en train de tricher ?

Samson avait légèrement blanchi et Charles avait tourné son regard vers son adversaire dont il n'avait même pas retenu le nom, jusque là. Il le fixa silencieusement quelques minutes tandis qu'il le vit déglutir en jetant un coup d'œil nerveux à Charles, s'apprêtant de toute évidence à rétorquer contre Jack mais celui-ci continua en s'asseyant à un tabouret à leur table :

- Je dois admettre que c'est une tactique intelligente, parier quelques modiques sommes par ci par là avec des hommes dont tu sais pertinemment que tu va battre. Cela doit te faire un joli butin, le jour levé, n'est-ce pas ?

- Tu racontes que de la merde, alors tire toi de là ! S'exclama Samson, le visage tout à coup déformé par la fureur.

Jack jeta un coup d'œil rapide à Charles, ainsi que Samson, et les deux semblaient se demander comment il allait réagir face à cela. La question pouvait se poser. D'un côté, il n'appréciait absolument pas d'être roulé, même pour une petite somme. Toutes les personnes qui l'avaient fait n'étaient plus de ce monde pour en témoigner. Et si il y a bien une chose qu'il détestait, c'était le genre de manigances fourbes dans ce genre là. Si un homme voulait voler de l'argent, qu'il essaie de le faire directement. Ça, il l'accepterait.

D'un autre côté, Charles n'appréciait pas non plus le moins du monde de se faire classer dans la catégorie d'hommes qui serait inévitablement battu par ce morveux, comme venait de le faire Rackham. Ce dernier fixait Charles dans l'attente de ce qu'il allait faire tandis que Samson se mit alors à parler :

- Charles, mon ami, tu ne va pas croire ce qu'il…

Il ne termina pas sa phrase. Charles avait tiré son pistolet et lui avait tiré un coup entre les deux yeux, coup qui résonna dans toute la salle et alerta chaque client. Si quelque uns marquèrent des cris d'horreurs devant le cadavre du pirate avec un trou sanguinolent dans le crâne, aucun ne bougea et quelques hommes sifflèrent de contentement, il y eu mêmes des félicitations et des rires. Charles eut un vague sourire complice à leur intention et rangea son arme, avant d'attraper son verre de rhum et d'en boire une gorgée et de fixer Jack, qui regardait le cadavre de Samson en avalant difficilement sa salive, mais il finit par se tourner vers Charles avec un petit rire nerveux.

Il avait eu de la chance, oui. C'était le « mon ami » sorti de la bouche de Samson qui l'avait condamné. L'appeler ainsi alors qu'il était en train de le plumer… C'était le genre d'hypocrisie qui le dégoûtait. Mais habituellement, il aurait refait le portrait à Rackham pour ce qu'il avait insinué. Il avait pris un risque, celui-là. Cela dit, Charles voyait la bonne intention. Même si il se doutait qu'il y avait sûrement autre chose derrière. Néanmoins, il put récupérer ses 300 dollars qu'il glissa dans sa bourse en marmonnant à l'intention de Jack :

- Merci.

- C'est pas vrai, bon sang ! Vane !

Ce cri féminin venait de derrière eux et Charles n'avait pas pu s'empêcher de sourire en l'entendant. Il tourna la tête et vit Eleanor Guthrie, du haut de ses 15 ans, debout dans la salle, le regard furieux fixé droit sur lui. Mr Scott était derrière elle et essayait de la pousser à quitter la taverne, fixant avec horreur le cadavre en face de Charles, mais Eleanor dégagea son bras et se dirigea vers leur table et le sourire de Charles s'élargit à sa vue.

Si il venait dans la taverne Guthrie, c'était essentiellement pour cette petite créature aux cheveux blonds qu'il observait depuis maintenant deux ans. Elle commençait à devenir une femme. Ses rondeurs de l'enfance traînaient encore sur son visage, mais ses formes féminines commençaient à apparaître, laissant le corps de petite fille disparaître doucement. Elle devenait belle. Elle l'était déjà, mais sa beauté devenait adulte. Tout comme elle. Si il était honnête avec lui-même, il attendait cela avec impatience. Il voulait voir la femme que cette petite tornade de cheveux blonds allait devenir. Il se demandait si leurs petits jeux allaient changer, au fil des années. Il le voulait. Il ne comptait plus le temps qu'il perdait à la fixer, du haut du balcon intérieur de la taverne, attendant qu'elle baisse les yeux la première, ce qu'elle s'obstinait à ne jamais faire. Elle avait un regard fascinant. Des yeux vert chat, avec l'expression mutine et hautaine d'un chat, d'ailleurs. Tout était fascinant, chez elle.

Elle ne semblait pas le moins du monde perturbée par le cadavre en lui-même, juste furieuse qu'il y ait un cadavre dans sa taverne et elle le lui fit savoir de manière salée. Elle lui ordonna de quitter la taverne, ce à quoi il lui sourit avec amusement, presque indulgence, ce qui eut le don de lui faire plisser les yeux et elle allait ouvrir la bouche quand Mr Scott apparût et la contraint à sortir de la taverne malgré ses protestations. Charles observa la scène, se retenant difficilement de rire. Il se demandait combien de temps encore mettrait ce Mr Scott à comprendre qu'il ne pourrait plus la contrôler très longtemps.

La scène le mit d'une bien meilleure humeur et il se tourna à nouveau vers Rackham, qui avait haussé les sourcils en secouant la tête devant la scène d'Eleanor et il marmonna :

- Que le diable nous emporte si un jour elle vient à contrôler cette taverne. Où pire, cette île.

Charles ricana légèrement mais ne répondit pas, sortant du tabac de sa poche afin de se rouler un cigare, tout en observant Rackham, se demandant ce qu'il voulait vraiment, étant donné qu'il ne semblait pas le moins du monde décidé à quitter sa table. Il le fixa pendant quelques minutes, ses doigts roulant le tabac avant de passer la langue sur le papier, et il vit que Jack avala sa salive et se pencher pour lui parler de manière basse :

- J'ai appris que vous venez de conquérir un navire, et que vous avez réussi à devenir votre propre capitaine. Toutes mes félicitations. Cela ne doit pas être facile de se détacher de Barbe Noire, n'est-ce pas ? J'ai entendu dire qu'il avait énormément de mal à laisser partir ses hommes. Sauf lorsqu'il s'agit de leur faire quitter ce monde, bien sur.

Charles ne répondit pas, tandis que Jack lui continuait de parler sans que Charles ne l'écoute. Il parlait beaucoup, celui-là. Beaucoup trop. Mais il n'avait pas eu tort sur Teach. Lorsqu'ils avaient fait main basse sur cette flottille de Boston comportant de la soie, des bijoux et autres pierres précieuses destinées à être livré en France et en Angleterre, ils avaient massacré la quasi-totalité des navires. Seul restait un brick solide qui leur avait donné du mal à mettre hors d'état de nuire, et qui malgré leurs nombreux coups de canons, restait encore intact et bien ancrée en mer. Après qu'ils l'avaient pris, Charles avait marché sur le pont, évitant les cadavres des marins anglais, observant le bateau. Il n'en revenait pas qu'il tienne encore sur l'eau. Les brick n'était pas les navires les plus imposant, mais ils était tout de même impressionnant et avait l'avantage d'être particulièrement rapide et maniable. Et celui-ci était fait dans un bois plus proche du métal, de toute évidence.

Il n'avait pas eu besoin de réfléchir beaucoup. Cela faisait un long moment qu'il pensait à se détacher de Teach et à devenir son propre capitaine. Il voulait avoir ses hommes à lui et ne tenait plus à être dépendant de Teach, quand bien même il avait aussi du mal à l'idée de travailler seul tant il était habitué à se battre avec celui qui était son mentor depuis déjà tellement d'années. Depuis ce jour où il l'avait trouvé, enfant, en fuite sur cette île maudite. Charles inspira profondément la fumée de son cigare et chassa les images qui passèrent dans son esprit. Il détestait penser à cela. Il détestait le frisson de peur qui continuait de le parcourir, comme si les hommes qui avaient fait de lui un esclave pouvaient encore se trouver derrière son dos, prêt à lui remettre les chaînes.

Teach n'avait pas bien accueilli son annonce de garder le navire. Il savait très bien que quand un homme voulait garder un bateau, c'était pour en devenir le capitaine. Il savait très bien que si Charles tenait à prendre ce navire, c'était que l'heure était venu où il voulait prendre les commandes de son propre équipage. Teach avait marmonné que cela n'était qu'une épave et qu'il pourrait trouver mieux, une frégate au moins, comme le Queen's Anne Revenge, si il se montrait un peu plus patient. Mais Charles n'avait rien voulut entendre. Il ne voulait pas de plus gros bateau. Il voulait ce bateau. Il ne savait pas trop pourquoi exactement, mais il le voulait. Peut-être parce que, malgré son apparence plutôt petite comparé à certains navires, il avait résisté à tout les chocs alors que plus gros que lui avait coulé. Un peu comme Charles.

Teach avait soupiré lourdement, mais il avait compris que cette fois, il ne gagnerait pas. Il avait donc lâché un « Très bien, prends donc ton brick de malheur ! » avant de retourner à la conquête de la cargaison. Par la suite, Teach s'était quelque peu calmé, et n'avait pas été surpris bien sur quand Charles lui avait annoncé, le soir même autour du feu de camp de leur campement à Nassau, qu'il allait commencer à recruter des hommes pour faire son propre équipage. Et qu'il avait choisi un nom pour son navire. Le Ranger. Court, imposant. Cela lui avait été suggéré par le cuisinier de l'équipage de Teach, et cela lui avait plu. Manquait plus que les hommes, et le pavillon.

-… et donc comme j'ai entendu dire que vous recrutiez des hommes pour s'enrôler, je me suis dit que je devrais venir vous voir et vous dire que je peux vous être très utile, si vous acceptez de me prendre, mon associée et moi, dans votre équipage. Et vous verrez qu'elle vous serait très utile également.

Charles souffla la fumée du cigare. Bien sur, il aurait du s'en douter. De ce qu'il savait de Jack Rackham, ce dernier cherchait à tout prix à gagner un équipage depuis son arrivée à Nassau, et si certain ne l'avait pas immédiatement jeté, ces derniers finissait toujours par lui rire au nez quand il disait qu'il ne s'embarquerait pas sans son associée. Associée qui était une femme. Une ombre dont le visage était presque entièrement cachée sous un grand chapeau, dont on apercevait de temps en temps un visage plutôt agréable à regarder et de longs cheveux roux. Elle se prénommait Anne Bonny, et pour les rares fois où Charles l'avait aperçu, il avait été surpris de voir que cette femme se déplaçait bien plus comme un pirate que ce Rackham. Elle avait toujours une main pas très loin de son épée, et fixait avec méfiance tout les gens autour d'eux. Contrairement à Rackham, elle semblait totalement silencieuse. Tout le monde voyait ce couple comme deux bizarreries ambulante, et personne ne voulait d'eux dans leur rang. Une femme dans un équipage de pirate ? On aura tout vu, disait les équipages en riant.

Charles n'en pensait pas grand-chose, jusqu'à cet instant. Il regardait ce couple de bizarrerie avec un certain amusement, mais ne s'en préoccupait pas. Ce n'était pas ses affaires. Mais ça risquait de le devenir, apparemment.

- Et en quoi ta femme et toi vous me seriez utile, dis moi ? Rétorqua Charles, à la fois sincèrement intrigué de sa réponse mais surtout amusé.

Jack plissa légèrement les yeux, comme si il venait de flairer une piste intéressante et qu'il ne devait la lâcher à aucun prix. C'était sans doute le cas pour lui. On l'avait tellement rejeté que ne pas recevoir un non définitif devait être encourageant à ses yeux.

- Les hommes de Nassau pensent qu'avoir une femme dans leur équipage les affaiblirait. C'est peut-être le cas dans la majorité, mais pas pour Anne. Elle est plus forte que la plupart des abrutis sur cette île. Elle sait tuer, elle sait combattre. Et elle sait garder le silence. Le fait qu'elle soit sous-estimée a toujours été un énorme avantage. Elle est un atout considérable pour n'importe quel équipage si on se donne la peine de le voir. Quand à moi, je sais que je n'en ai pas l'air comme ça, mais je sais jauger les hommes. Je sais voir quand ils sont malhonnêtes où pas. Je sais quel plan adopter pour les contrer.

Jack se pencha un peu plus comme et sa voix se baissa, fixant Charles avec intensité :

- Si vous nous prenez dans votre équipage, je peux vous assurer que vous n'aurez pas à le regretter. Vous constaterez très vite par vous-même que nous vous serons plus qu'utile. Et si ce n'est pas le cas, vous n'aurez qu'à nous jeter aux requins, pas vrai ?

Il rit nerveusement à cette phrase mais tacha de garder son sérieux, attendant de toute évidence la réponse de Charles. Ce dernier devait admettre ne pas trop savoir quoi pensez de cet individu. Il était étrange, en effet. Il ne ressemblait pas vraiment à un pirate, mais pas non plus à un bon petit anglais bien droit. Il était un mélange bizarre des deux, avec quelque chose qu'il ne définissait pas. Il n'était pas sûr que prendre un tel homme parmi les siens serait prudent et encore moins utile. Il ne le connaissait pas, et il ne pouvait pas se fier à ce que Rackham disait sur lui-même et sur la femme qui l'accompagnait. Jack ne prit pas le silence de Charles comme bon signe, de toute évidence, car il ajouta avec un geste de la main.

- Je sais ce que vous devez pensez. Ce que pensent tout les hommes sur cette île. Que prendre une femme parmi vos hommes est rabaissant, ridicule…

- Je ne suis pas tout les hommes de cette île, rétorqua Charles en lui jetant un rapide coup d'œil tandis qu'il se resservait un verre de rhum.

Rackham s'arrêta et le fixa, haussant les sourcils de surprise mais l'espoir revint dans ses yeux et il sourit d'un air réjoui en déclarant :

- Bien entendu. Je l'ai tout de suite vu. C'est pour ça que je me suis permis de vous parler.

Bordel. Il se sentait emmerdé. Il ne connaissait pas suffisamment cet homme pour le laisser entrer dans son équipage. Il voulait des hommes de confiance, des hommes sur lequel il pourrait toujours compter et il s'assurerait en échange qu'eux aussi pourraient toujours compter sur lui. Il donnerait une chance à chaque homme qui le méritait. La question était, est-ce que ce Rackham le méritait ? Il n'en savait absolument rien. Il ne savait rien de cet homme. Rien de bon, rien de mauvais, à part qu'il était étrange, nouveau et peu apprécié. Qu'il était maigrichon et qu'il parlait trop, aussi. Ce qui n'était pas de vraies informations sur l'homme, pour lui.

Et il y avait la femme, bien sur. Charles y pensa quelques secondes. Imagina cette femme parmi la quarantaine d'hommes de son équipage. Imagina les réactions des gens lorsqu'ils apprendraient que Charles Vane avait pris une femme dans son équipage. Tous le penseraient fou. Teach le premier. Mais contrairement à bien des hommes, personne n'oserait se moquer de lui, que ce soit en face où dans le dos. Tout le monde savait ce qui leur en coûterait. Charles visualisa cette image et elle ne lui semblait pas si contre nature que cela. Si cette femme était vraiment ce que Rackham prétendait qu'elle soit… Mais elle non plus, il ne la connaissait pas. Il avait cependant compris que l'un n'allait pas sans l'autre, c'était évident.

Charles soupira et but son verre de rhum d'un coup sec. Il ne lui dirait pas d'aller se faire foutre, même si quelque part, ça l'arrangerait. Mais il ne dirait pas oui non plus. Pas tout de suite. Il devait connaître l'homme, d'abord.

- On en reparlera plus tard, se contenta de répondre Charles en se désintéressant de lui, espérant que cela le satisferait et qu'il quitterait la table.

Deux hommes apparurent et se glissèrent derrière Charles et Jack afin de prendre le cadavre qui ornait toujours la table, le sang gouttant de son front, et l'un d'entre eux jeta un regard inquiet à Charles, et ils se dépêchèrent d'accomplir leur tache, Charles les suivant du regard tout du long avant de finalement revenir à Jack qui hocha la tête, visiblement satisfait de sa réponse et il désigna d'un geste de la main le tas de cartes sur la table :

- Voulez-vous que je vous apprenne à y jouer ? Afin d'éviter que ce genre d'incidents avec cette sous-merde de Samson ne se reproduise…

De toute évidence, Rackham ne semblait pas du tout pressé de partir. Charles reprit son cigare et le fit rouler entre ses doigts tout en aspirant la fumée. Il parlait trop, et il collait trop aussi, ce Rackham. Il devait pourtant avoir compris. Il n'avait pas l'air stupide. Peut-être juste entêté. Où stupide, cela restait à voir.

- Je n'aime pas ce jeu, alors quel intérêt de l'apprendre ? Si je retombe sur une sous-merde qui essaie de me rouler comme Samson, il finira comme Samson.

- Bien sur, mais ça peut vous être utile d'autres manières, rétorqua Jack avec un rire amusé avant de prendre les cartes et de les abattre sur la table. Par exemple, j'ai vu l'autre jour à l'étage cette jeune miss Guthrie en train de jouer aux cartes avec Mr Scott en attendant quelqu'un.

Charles leva les yeux vers lui, et Jack haussa les sourcils d'un air amusé, presque complice. Son intérêt pour cette gamine était peut-être trop voyant si Rackham l'avait perçu. A moins qu'il ne disait simplement la vérité à son propre sujet : il était doué pour juger les hommes. Cela dit, il réfléchit à ce qu'il venait de dire. Les cartes étaient un jeu de bataille comme un autre, après tout. Un jeu dans lequel elle devait sûrement se croire imbattable. Il devait avouer qu'il aimait bien l'idée d'un jour la plumer à son propre jeu. Où même de seulement l'affronter de cette façon, face à face à une table. Cette idée lui plaisait énormément.

Alors, il prit un verre vide posé sur la table et le remplit de rhum avant de le pousser vers Rackham et de désigner d'un geste de la main les cartes dans sa main. Jack eut un petit rire, et distribua alors les cartes en commençant à expliquer les meilleurs façons pour ne pas se faire avoir. Finalement, ils avait joués et but un bonne partie de la nuit et plus les heures était passés, plus Charles se détendait et se surprenait à plaisanter avec ce drôle de personnage dont il avait pris l'épaule avec amusement sur le chemin du retour vers la plage alors qu'ils était tout les deux bien éméchés et tanguant et que le soleil commençait à se lever à Nassau. Et, des années après, il avait en effet jouer contre Eleanor, dans sa tente. Pas souvent, mais elle était douée, et elle avait gagné à plusieurs reprises malgré ce que Jack lui avait appris, mais Charles s'en moquait, en fin de compte. Il adorait le petit sourire triomphant et satisfait qu'elle avait quand elle gagnait contre lui.

C'était sa première véritable rencontre avec Rackham, et si il avait mis plusieurs années à le prendre parmi les siens, c'est que son équipage n'avait ressemblé à quelque chose que lorsque Teach était parti. Au fond de lui, Jack faisait parti des siens bien avant cela, et puisqu'il avait accepté Jack, il avait accepté Anne. Ça avait en effet jasé quand elle avait embarqué sous son pavillon. Il n'a pas pu connaître l'opinion de Teach à ce sujet, ce dernier étant loin, mais les autres l'ont tous cru fou. Pour ce qu'il en avait à foutre. Jack ne lui avait pas menti. Ils étaient, l'un comme l'autre, de précieux atouts.

Tout comme aujourd'hui. Anne ne lui parlait jamais beaucoup, donc il ne put s'empêcher d'être surpris par sa question. Mais si elle tenait tant que cela à savoir…

- Je veux être le premier que Flint verra quand ce sera fait.

Anne le fixa quelques secondes, puis jeta un coup d'œil vers la baie où le Walrus était ancré et où Flint devait avoir perdu son poste de capitaine, à l'heure qu'il est. Elle reposa son regard sur Charles et finit par hocher la tête, et tourna les talons. Il l'observa aller s'asseoir sous une des tentes ouvertes qui servait d'armurerie de fortune où elle continua à polir son poignard sans plus lui prêter la moindre intention. Charles en fit alors autant et reprit sa longue vue afin d'observer la baie, encore.

Le Walrus semblait calme, vu d'ici, pourtant rien ne devait l'être à bord. C'était toujours le chaos quand un nouveau capitaine était nommé. Flint ne devrait pas tarder à revenir à bord d'une chaloupe, totalement dépossédé de son titre et sans le moindre allié. Ruiné et seul. Charles sentit une immense satisfaction l'envahir à ce sujet, mais il ne parvenait pas à se réjouir entièrement. Pas tant qu'il n'avait pas vu Flint de ses propres yeux. Et que lui, le voit. Il devait savoir désormais qui était en cause de l'agitation de ses hommes depuis la mort du vieillard et de son acolyte qui devait voter pour Flint. Charles avait appris que le vieillard s'appelait Mossia. Un vieux pirate très respecté, ancien esclave. Tout le monde devait savoir désormais, il avait fait en sorte que cela se sache, au contraire de ce que Jack voulait.

Tout allait bien. Normalement. Putain. Il aimerait bien être aussi confiant que Jack quand à toute cette histoire, quand à ce plan. Il ne voyait pas ce qui pourrait mal tourné. Au contraire, tout se jouait contre Flint et il n'y avait aucune raison pour que leur plan n'ait pas fonctionné. Pourtant, quelque chose n'arrêtait pas de l'emmerder intérieurement à ce sujet. Il ne savait pas quoi exactement, mais bordel ce que c'était chiant. Il y avait beaucoup de choses agaçantes, en réalité.

D'habitude, après une nuit a baisé, il se sentait mieux que ça. Plus détendu. Mais pas la nuit dernière. Pas alors qu'il l'avait touchée, à nouveau. Durant tout le temps qu'il avait passé entre les cuisses de cette pute au bordel, il n'avait pas cesser de s'imaginer que les cheveux sombres qu'il tirait était des mèches blondes, plus douces, plus ondulés. Il n'avait pas pu s'empêcher d'imaginer que le regard marron pourtant charmant de la prostituée était deux prunelles vertes avec une lueur sauvage et provocatrice dans le regard. Il avait envie d'entendre sa voix à elle murmurer son nom. Et durant toute la nuit, ça avait été une torture atroce.

Ce matin, il avait donné quelques pièces supplémentaires à la putain – Laura ? Lydia ? Il n'était plus sûr –, la faisant sourire grandement. Il ne savait pas trop pourquoi il avait fait ça. Elle était sorti du lit et était venu se coller à lui, lui susurrant de revenir quand il le désirait. Il lui avait vaguement sourit, mais n'avait rien ajouté. Peut-être qu'il retournerait la voir. Elle était agréable. Ce n'était pas de sa faute si elle ne s'appelait pas Eleanor Guthrie.

Putain. Il l'a voulait. A en crever. Il repensait plus que jamais à toutes les nuits qu'ils avaient eu ensemble, autrefois. A sa fougue, à la sensation qu'il ressentait à chaque fois qu'il était en elle. Cela le mettait hors de lui de penser que cette putain à la peau caramel pouvait profiter de sa peau, de son goût, tout ces plaisirs qui lui était désormais inaccessible. Il l'avait menacé d'oublier qu'il l'avait aimé. Connerie. Il s'en rappelait plus que jamais, au contraire. Ça brûlait, là, à l'intérieur. Un sentiment dix fois plus intense maintenant qu'il s'était retrouvé à nouveau à proximité d'elle.

Il n'y à pas que le sexe qui lui manquait. Tout lui manquait. Sa voix. Ce qu'elle lui disait. Le simple fait de la regarder faire ses affaires où envoyer au diable les hommes avec lequel elle travaillait. Sa fougue. Et plus que tout, ce petit sourire avec lequel elle l'avait séduit, il y a maintenant neuf ans.

Au bout d'une longue demi heure, il leva à nouveau sa longue vue, observant le Walrus, toujours immobile, toujours calme en apparence. L'attente était longue. C'était quelque chose qu'il avait toujours détesté. Attendre… Mais dans ce cas précis, plus les minutes s'écoulaient, plus il avait l'impression que quelque chose n'allait pas. Et il n'aimait pas cela. Absolument pas. Il avait trop fait dans cette merde de plan pour qu'il échoue au moment propice. Il observa les détails du Walrus. C'était un sacré navire. Une impressionnante frégate, semblable au Queen's Anne Revenge de Teach, avec encore plus d'élégance. Un navire de la Royal Navy, à n'en pas douter. Ce navire lui reviendrait probablement aussi lorsque l'équipage du Walrus comprendrait à quel point leur nouveau capitaine en la personne de Singleton était encore pire que Flint et qu'ils rejoignent les rangs du Ranger. Il n'en voulait pas tellement, de ce bateau. Mais il ne serait pas contre l'idée de commencer à former une petite flottille.

Que ferait Eleanor, une fois qu'il aura pris autant de pouvoir ? Il était évident qu'elle avait choisi de voir en Flint un allié précieux, et cela faisait longtemps que c'était le cas. Et aujourd'hui comme hier, Charles ressentait toujours ce goût amer dans la bouche à cette idée. Il n'avait jamais cessé de se demander ce qu'elle voyait en lui pour lui accorder autant de confiance, pour lui prêter des sommes d'argent exorbitantes au point de se mettre elle-même en péril. Flint, à son goût, n'avait rien à faire à Nassau et ne méritait en rien qu'on l'appelle « pirate ». Tout en lui transpirait les vieilles traditions anglaises. Ses discours, son calme apparent, ses « projets » qu'il clamait avoir pour Nassau… projets qui plongerait cette île dans un ennui qui rendrait la vie plus semblable à la mort. Mais projets qui semblait avoir séduit Eleanor, suffisamment pour qu'elle s'investisse totalement en lui. Son coup de poing de la veille en avait été la preuve flagrante.

Pour être honnête, il ne voulait pas causer de sérieux torts à Eleanor. La remettre à sa place lui faisait toujours immensément plaisir, il aimait lui rappeler qu'elle n'avait pas le dessus sur tout les hommes de cette île, contrairement à ce qu'elle croyait. C'était sans doute l'une des nombreuses raisons pour laquelle elle lui en voulait. Mais la mettre dans une situation dangereuse n'avait jamais été son but, ni sa motivation. Le seul problème étant qu'elle s'était alliée au mauvais cheval, et qu'aujourd'hui elle en payait les conséquences. Cela dit, il savait qu'il était responsable de ses conséquences, responsable de sa colère contre lui plus furieuse que jamais. Et cela ne lui faisait pas plaisir. Pas le moins du monde.

Ce qu'il aurait vraiment aimé, à son sujet, c'est de reprendre les choses comme avant. Qu'elle voit à nouveau en lui l'allié infaillible qu'elle voyait autrefois, avant qu'elle ne comprenne que tout son pouvoir ne reposait que sur la relation qu'ils entretenaient tout les deux. Il aurait aimé que les choses reprennent à zéro, cette fois-ci en étant parfaitement égaux, sans le moindre mensonge. Autrefois, ils régnaient presque à deux, sur Nassau. Et durant ces derniers temps, c'était avec Flint qu'elle avait régné. En brisant le statut de Flint, il l'a mettait dans une sale position et il le savait. Cela ne lui faisait pas plaisir. Et il n'aurait rien demandé de mieux que de prendre sa place et d'assurer à Eleanor que rien ne change pour elle.

Le seul problème, c'est qu'elle ne l'entendait pas du tout de cette oreille, à l'heure actuelle. Foutu bonne femme trop têtue.

Charles ferma sa longue vue d'un geste sec et se releva. Il en avait assez. Rester à attendre assis ainsi, ce n'était pas son truc. Il y avait toujours mieux à faire ailleurs, et cela ne ferait pas accélérer les choses. D'ailleurs, où diable était Jack ? Il tourna la tête et promena son regard sur le campement de son équipage, mais ne l'aperçut nulle part, pas même près d'Anne qui était toujours assis sous la tente ouverte à polir ses armes. Il plissa les yeux. A chaque fois que Jack disparaissait trop longtemps, c'est qu'il mijotait quelque chose. Et connaissant Jack, il valait mieux savoir de quoi il en était. Charles remonta alors la plage et se dirigea vers Anne, qui leva les yeux à son arrivé et le fixa sans cesser de polir son poignard.

- Où il est ? Demanda-t-il, sachant qu'elle aurait la réponse. Elle avait toujours la réponse.

Elle eut un petit demi sourire, comme si la question l'amusait, ce qui le surprit quelque peu. Voir Anne Bonny sourire, c'était aussi rare que de voir Eleanor Guthrie gentille. A croire qu'on lui avait déjà posé cette question aujourd'hui. Cela dit, il n'eut pas le temps de s'interroger plus sur ce sourire rarissime qu'elle lui répondit :

- La tente du maître d'équipage.

Le maître d'équipage ? Caleb ? Que diable foutait Jack avec le maître d'équipage ? Ces deux là, malgré leurs statuts les plus hauts en communs au sein du Ranger après le titre de capitaine, ne s'appréciait guère et la plupart du temps, ils s'évitait. Sauf quand il s'agissait de questions importantes, comme la comptabilité, le paiement des hommes… ce qui faisait que le savoir là-bas était tout sauf une nouvelle rassurante. Il fronça les sourcils et marmonna à l'intention d'Anne :

- Qu'est-ce qu'il fout là-bas ?

Elle ne répondit pas, baissant ses yeux verts vers le sable, ce qu'elle faisait généralement quand elle ne voulait pas dire quelque chose à Charles. Il soupira mais ne dit rien. Il savait que malgré le fait qu'il lui ait permis d'entrer dans son équipage, ce que aucun autre capitaine sur cette île n'aurait fait, la loyauté d'Anne Bonny allait d'abord à Jack, bien avant d'aller à son capitaine où à son équipage. Un autre capitaine l'aurait viré de l'équipage pour ça. C'est sans doute ce qu'il devrait faire. Mais c'est ce qu'il ne ferait pas de sitôt.

Il se retourna et entreprit alors de se diriger vers la tente de Caleb, et il n'eut pas besoin de se retourner pour sentir que Anne lui emboîtait le pas. Il avança tranquillement à travers les tentes de ses hommes, et se retrouva rapidement devant celle de Caleb, qui était davantage en vérité une sorte de petite maison faite de bois posé à même sur le sable et composé d'une seule pièce assez petite. Il n'empêche que le maître d'équipage s'était donné du mal pour que sa vieille bicoque ressemble à quelque chose. La plupart des hommes, lui y compris, se contentait de planter des piques sur des tissus empilés les uns sur les autres, mettant vaguement du bois de temps en temps.

Charles grimpa lentement les marches de la bicoque, et il entendit les voix de Jack et Caleb à l'intérieur, et lorsqu'il entra à l'intérieur, il vit Caleb sur le point de donner une bourse à Jack, mais ce dernier vit Charles entrer et baissa la main en disant tranquillement :

- Bonjour, capitaine.

Caleb sursauta comme si il était pris la main dans le sac et il se retourna d'un coup vers Charles, l'air légèrement paniqué et laissa tomber la bourse sur la table en bois en face de lui en même temps. Aptitude qui rendit Charles encore plus soupçonneux qu'il ne l'était déjà, et il jeta un rapide coup d'œil à Caleb avant de se tourner vers Jack en demandant :

- Tu fais quoi, Jack ?

- Il y a eu un rebondissement, commença-t-il à expliquer. Il semblerait que le capitaine Flint ait passé des semaines à courir après un certain document qui permettrait à son possesseur de connaître tout les déplacement du fameux galion espagnol, l'Urca de Lima.

Pendant que Jack parlait, Charles avait pris la bourse sur la table et avait déversé son contenu dans sa paume, y découvrant de grosses perles violettes qu'il reconnut immédiatement comme leur dernier butin pris sur ce navire marchand aux larges des côtes du Mexique. 5000 pesos en perles, voilà la valeur de cette bourse et c'était un peu près tout ce qu'il leur restait. Le paiement des hommes n'avait pas encore été différé, Charles et Jack préférant attendre que leurs marchandises soit revendu par le négoce Guthrie afin de savoir exactement combien ils pourraient distribuer aux hommes. Il fit tourner les quelques perles dans sa main en écoutant ce qu'il disait avant de les glisser à nouveau dans la bourse, sans la lâcher pour autant. Il leva les yeux vers Jack et le fixa pendant quelques instants. Il semblait extasié. Expression que Charles connaissait bien, c'était celle qu'il avait à chaque fois qu'il était certain d'être sur le point de faire une prise vigoureuse où d'avoir une idée de génie.

Bien sur, il avait entendu parler de ce galion espagnol. Qui ne le connaissait pas ? Le plus gros navire transporteur de trésors de l'Espagne. Il amenait des masses d'or des Amériques au roi Philippe, masse d'or destinée à chaque fois à s'ajouter à l'imposant trésor royal. Flint cherchait un document pour connaître ses emplacements. Et alors ? Il ne voyait pas l'intérêt que Jack portait à cela. On ne traquait pas les navires espagnols, c'était bien connu même si personne ne le reconnaissait à voix haute, pour la simple et bonne raison que la dernière fois que des pirates s'en était pris aux Espagnols, le roi avait envoyé le galion Rosario sur l'île afin de tout ravagé. Il n'avait pas été là, à cette époque. Teach n'avait pas encore rejoint Sam Bellamy, Henry Avery et Benjamin Hornigold. Il ne le fit que trois ans plus tard, à la mort de Avery, même si Teach les connaissait de longue date et avait navigué autrefois avec eux et même si il était resté loin, il avait activement participé à la fondation de Nassau et à son indépendance. Il ne s'était installé que lorsqu'il avait appris la disparition de son vieil ami, très vite suivit de Bellamy, laissant Hornigold seul sur l'île avec ce vautour de Richard Guthrie qui entendait prendre le contrôle du commerce à Nassau. Donc ni lui ni Teach n'avait vu le massacre. Mais Dieu sait à quel point ils en avaient entendu parler. Charles ne comptait plus le nombre de pirates qui semblait terrifier par les espagnols. Et si il y a une chose qu'il savait, c'est que Eleanor Guthrie craignait peu de choses. Mais elle avait peur de l'Espagne. Il savait qu'elle avait perdu sa mère dans l'attaque, et qu'elle-même avait failli y mourir alors qu'elle était encore gamine. Elle le lui avait raconté lors d'un de ses soirs perdus où elle se laissait suffisamment aller pour se confier, coucher sur lui dans la tente, le regard perdu dans ses souvenirs sombres. Cette femme n'avait pas eu peur de faire face à Barbe-Noire, alors que quasiment tout les hommes de cette île se serait pisser dessus à l'idée de lui tenir tête. Mais pas elle, quand bien même elle savait à l'époque qu'elle y risquait gros. Qu'elle serait morte si il ne s'était pas interposé entre Teach et elle. Mais elle avait peur de l'Espagne. Ce qui lui montrait bien qu'il ne fallait pas plaisanter avec cela.

Charles jeta un nouveau coup d'œil à Caleb avant de regarder à nouveau Jack prudemment, triturant la bourse de perles entre ses mains et de dire :

- Et comment tu le sais ?

- Je le sais parce que celui qui l'a dérobé a offert de me le vendre, dit Jack tout bas, comme une confidence sacré, tenant mal sa satisfaction et son excitation.

- Tu l'as rencontré ? Demanda Charles.

- Non, son intermédiaire. Ce voleur est trop malin pour se montrer. Il demande 5000 pesos qui pourront rapporter 5 millions.

Ah. Charles comprit mieux ce qui était en train de se passer. Il comprit mieux et il ne put s'empêcher de baisser la tête et d'en rire doucement, secouant la bourse de perles dans sa main. Jack, Jack, Jack… Malin Jack, mais pas autant qu'il voulait parfois le croire.

- Pourrais-je savoir ce qui te fait rire ? Réagit Jack, légèrement piqué au vif.

- Tu vide nos réserves, et tout ça pour quoi ? Un bout de papier dont on t'a dit qu'il avait de la valeur ? Rétorqua Charles, sarcastique.

- Il n'avait aucune raison de me mentir !

- Il avait 5000 bonnes raisons de te mentir. Dois-je développer où est-ce suffisamment clair ?

Jack avait détourné les yeux en soupirant, agacé mais il retourna son visage vers son capitaine à ses mots, et Charles le fixa durement. Donnez 5000 pesos en échange d'un morceau de papier dont on ne savait rien d'un voleur dont on ne connaissait pas le visage et dont on ne savait rien non plus… Par l'enfer, Jack… N'importe quel abruti de cette île verrait le bon coup que cela représentait. Son quartier maître resta silencieux et figé quelques secondes, le regard agacé et il finit par déclarer quelque peu froidement en désignant d'un geste de la main Caleb :

- Eh bien je doute que l'équipage partage tes sentiments avec une telle somme en jeu.

Charles se tourna vers Caleb et si ce dernier n'osa pas totalement approuver Jack devant leur capitaine, Charles n'eut pas besoin qu'il parle pour voir qu'il était d'accord avec cette idée. Bordel. Si même Caleb, qui ne tenait pas Jack en haute estime, adhérait à cette idée, cela voulait dire que tout le reste de l'équipage suivrait, en effet.

- A moins bien sur que tu n'as un plan à nous présenter ? Où allons-nous rester assis patiemment à attendre qu'Eleanor Guthrie arrive… pour nous proposer quelque chose ?

Jack avait vaguement levé la voix à ces derniers mots en tournant dans la petite pièce, avant de se retourner vers Charles, se penchant vers lui pour la suite, tantôt regardant Caleb, tantôt le regardant lui :

- Rappelle-moi combien d'affaires les Guthrie nous ont apportés depuis que vous êtes en froid, tout les deux ?

Va te faire foutre, Jack. Il ne le dit pas à voix haute car Charles savait qu'il ne pouvait pas se le permettre et que Jack avait raison, mais il n'en pensait pas moins. Il faisait exprès de le mettre devant l'évidence d'un échec devant Caleb afin de se mettre en position de force face à lui. Charles n'aimait pas cela. Absolument pas. Il commençait à se demander si il n'allait pas devoir garder un œil sur Jack, et lui rappeler où était sa place dans l'équipage. Peut-être que son arrogance commençait à bien trop lui monter à la tête.

- Dois-je développer où est-ce suffisamment clair ? Finit durement Jack, reprenant avec sarcasme ses propres mots.

Charles aurait bien développé autrement. En lui donnant une raclée dont il se souviendrait longtemps. Mais il avait raison. Malheureusement, il avait raison. Ce n'était pas la première fois qu'il y pensait, et ce n'était pas la première fois que cela posait problème. Voilà des mois qu'Eleanor ne lui fournissait plus la moindre information sur d'éventuels butins, contrairement à ce qu'elle faisait autrefois. Après leur dispute, cela avait continué au début, par l'intermédiaire de Scott, mais cela s'était rapidement espacé pour ne plus se produire du tout. Depuis, ils devaient trouver leurs prises tout seuls. Et clairement, ni Jack ni lui ni personne dans son équipage n'était doué pour la récolte d'infos. Ils se contentait seulement de naviguer sur des routes commerciales souvent fréquentés par des navires marchands en espérant tomber sur un quelconque bateau à attaquer. Cela fonctionnait. Mais beaucoup moins bien que si ils avaient l'information entre les mains et les butins n'étaient jamais garanti.

Il ne pouvait pas contredire Jack parce qu'il avait raison. Ce qui lui valait le dessus à cet instant précis, et il le savait. Il n'avait rien à répondre à cela. Il n'avait pas de plan à leur proposer et Eleanor ne lui avait rien donné. Face à son équipage, il avait tort. Très bien. Très bien. Charles jeta négligemment la bourse sur la table en fixant Jack droit dans les yeux. C'était leur argent, après tout. Qu'ils le perdent de la manière dont ils le voulaient. Qu'ils courent après des mensonges et des chimères si cela les amusait. Aucun d'entre eux ne pourra dire qu'ils n'avaient pas été prévenus des risques, et le seul qui devra répondre de la situation, ce sera Jack. Cela lui servira de leçon.

Il n'ajouta pas un mot, jetant un regard à Caleb avant de tourner les talons et de se diriger vers la porte de sortie où Anne était resté accoudé, et il s'arrêta près d'elle au passage pour lui murmurer :

- Viens me retrouver quand Singleton sera de retour.

Anne ne répondit pas mais elle n'en avait pas besoin. Charles savait qu'elle le ferait. Il préférait s'en tenir à ce plan, un plan qui lui paraissait bien plus solide et fiable que de courir après une page et un voleur et quelques ragots de taverne. Il jeta un dernier coup d'œil significatif à Jack au fond de la pièce, puis quitta la bicoque, les laissant à leurs petites manigances. Il avait un autre problème plus important à régler dans l'immédiat.

Jack se comportait comme un con, mais il n'avait pas tort quand à Eleanor et à la situation dans lequel ils étaient. Il se doutait bien pourquoi elle avait cessé de lui donner des informations. Cela ne l'avait pas surpris le moins du monde quand c'était finalement arrivé. Il le pressentait. C'était les conséquences de sa colère contre lui. Elle le lui faisait payer comme elle le pouvait. Il le comprenait, mais il n'allait pas pouvoir laisser les choses continuer ainsi. Elle oubliait un peu trop vite l'argent qu'il lui avait fait gagné par le passé et l'argent qu'il pourrait encore lui apporter si elle le laissait faire. Il était l'un des meilleurs alliés qu'elle avait sur cette île, mais elle laissait sa colère l'aveugler à ce sujet.

Il était grand temps qu'il lui rappel ce qu'ils faisait ensemble, autrefois. Et ce qu'ils pourraient faire à nouveau si elle le voulait bien.


Eleanor faisait encore sa natte quand elle ferma la porte de Max, une bonne heure après que Scott l'a fait appelée. Elle avait eu du mal à s'arracher à ses bras, cette dernière pas le moins du monde décidée à la laisser s'en aller, mais Eleanor savait bien qu'elle avait à faire et, bon sang, Scott devait être furieux contre elle pour l'avoir fait attendre aussi longtemps. Ce pauvre homme ne méritait pas tout ce qu'elle lui infligeait, elle en avait conscience. Il fallait qu'elle se dépêche. Elle se sentait bien, cela dit, détendue et moins préoccupée par ce qui allait se passer maintenant que Flint était fini. Cela lui faisait de la peine. Elle avait un immense respect pour cet homme, voir même de l'affection dirait-elle par moments. Sa situation ne lui faisait absolument pas plaisir, mais elle allait devoir s'en détacher si elle voulait survivre et continuer à faire en sorte que le commerce tourne à Nassau sans qu'elle ne perde le contrôle de la situation. Elle espérait juste que Flint arriverait à s'en sortir après ça.

Elle descendit rapidement les escaliers du balcon menant à la cour intérieure, sentant le soleil de cette matinée chauffé l'air qu'ils respiraient, terminant sa natte et aperçut Scott en bas qui la regardait descendre, secouant la tête d'exaspération et de désapprobation. Elle eut un petit regard contrit et déclara :

- Je sais, il est tard.

Elle accéléra le pas, et vit Juliette, une prostituée du bordel, passée à côté d'elle, les seins à l'air libre, ce qui était tout ce qu'il y a de plus naturel ici. Elle sortit de sa peau quelques pièces d'or et trouva rapidement Mapleton dans la cour, penché sur une autre femme, l'examinant et essuyant quelque chose sur son visage à l'aide d'un coton avec des gestes qui n'avait rien de doux. Eleanor s'approcha d'elle et tendit les pièces en déclarant :

- Pour Max.

Mapleton ne se fit pas prier pour prendre l'argent, comme à chaque fois, et Eleanor tourna la tête vers la femme qu'elle reconnut immédiatement. Evy, une bonne amie de Max, et l'une des rares prostituées dans ce bordel qu'elle appréciait. Et elle fut sous le choc de découvrir l'état de son visage. Son œil était rouge, tellement boursouflé et gonflé qu'elle en était aveuglée, et elle avait des bleus conséquents sur le reste de la clavicule, et du sang séchait encore au niveau de sa lèvre inférieur, fendue. Eleanor se pencha pour saisir avec douceur le menton d'Evy afin de mieux examiner les blessures et demanda, abasourdie :

- Qu'est-ce qui t'est arrivée ?

- Elle à travaillée tard avec l'équipage du Ranger, répondit Mapleton à sa place en tournant les talons afin d'aller ranger quelque chose derrière elles.

Le Ranger. Bien sur. Il n'y avait que les sales brutes de Charles pour faire ça, sur cette île. Prendre plaisir à battre une femme. Elle sentit un élan d'écoeurement et de révolte montée en elle à ce constat. Pourtant, cela ne la surprenait même pas. Charles se comportait comme une bête enragée, à quoi bon s'étonner que les salopards qui le suivaient fasse de même ? Mais cela ne pouvait pas être toléré davantage. Aucune femme ne méritait un tel traitement, qu'elle soit putain où quoi que ce soit d'autre.

- Est-ce que Noonan est au courant ? Il ne peut pas laisser passer ça, demanda vivement Eleanor en se retournant pour suivre Mapleton, qui revint avec une bassine d'eau et du coton supplémentaire pour Evy en lui rétorquant d'un ton amusé :

- Les 50 pièces qu'ils ont payées valent bien quelques bosses sur la coque, vous ne croyez pas ?

Elle se désintéressa alors d'Eleanor pour continuer son travail et Eleanor ne sut plus ce qui l'écoeurait le plus, les hommes de Charles où ce vicelard de Noonan et cette vieille garce de Mapleton. Elle ne pouvait pas faire grand-chose, malheureusement. Ce n'était pas son établissement, ni ses règles. Si les choses avaient été à elle, cela se serait passé très différemment. Elle aurait interdit aux hommes du Ranger l'accès du bordel. Ah. On aurait bien vu combien de temps ils auraient tenu, sans pouvoir baiser à leur guise. Elle aurait exigé également un dédommagement de celui qui avait battu à ce point une de ses filles. Mais elle n'avait pas ce pouvoir, malheureusement. Peut-être se penchera-t-elle un peu plus sur l'idée de Max de racheter le bordel, quitte à mettre le couteau sous la gorge de Noonan. Elle put difficilement caché son écoeurement mais la voix de Scott déclara alors derrière elle :

- J'ai des nouvelles.

Elle se tourna vers lui. Il se tenait debout, sur les petites marches du petit hall d'entrée de la cour intérieur, l'air toujours exaspéré mais calme, malgré tout. Est-ce qu'un jour Scott perdrait son calme à cause d'elle ? Elle finirait par croire que non. Son calme résistait à toute épreuve et elle ne lui en serait jamais assez reconnaissante. Ce calme dont il témoignait la rassurait toujours.

- Je t'en prie, dis-moi qu'elles sont bonnes, le supplia-t-elle d'un ton seulement à moitié amusé en se dirigeant vers lui, montant les quelques marches pour se retrouver face à lui.

- Un petit équipage vient d'arriver de Caroline. Le capitaine nous attends aux entrepôts.

Eleanor sentit une petite joie l'envahir à cette annonce. Un nouvel équipage. Une nouvelle cargaison, de nouveaux bénéfices en vu qui n'était pas prévu au programme. Ah. Ça, c'était une délicieuse nouvelle pour commencer le matin. Elle eut un petit sourire joueur et demanda d'un ton enthousiaste :

- Qu'est-ce qu'il amené avec lui ?

Scott céda visiblement à son plaisir l'espace de quelques instants et un immense sourire vint sur ses lèvres quand il lui annonça avec plaisir :

- Cinquante barils de tabac, et de la soie d'excellente qualité.

Du tabac et de la soie. Magnifique ! Le tabac étant interdit par l'Espagne sur de nombreux navires, c'était l'une des marchandises les plus rares qui se vendait le mieux. Et cinquante barils ! Ils allaient en tirer une fortune. Tout à coup, tout lui parut bien plus détendue et clair qu'avant, et l'amertume qu'elle avait senti montée en elle à la vue d'Evy et du Ranger disparut. Elle n'avait plus qu'une envie : allez voir ce beau butin de ses propres yeux.

- Allons le saluer, déclara-t-elle joyeusement, partageant le grand sourire de Scott, en prenant immédiatement le chemin de la sortie du bordel.

- Je… j'avais espéré que nous pourrions parler d'abord. Avant de commencer le travail, l'arrêta Scott, son sourire atténué même si l'exaspération avait quitté son regard, remplacé par cette éternelle inquiétude qu'il avait dans les yeux quand il l'a regardait.

Bien sur. Elle avait espéré y échapper, mais elle se doutait bien que ce ne serait pas le cas. Qu'il n'aurait pas laisser passer ça aussi facilement. Il devait en avoir, des choses à lui dire. Elle s'avança donc vers lui, soupirant quelque peu, baissant d'instinct la tête avant de se rappeler qu'elle n'avait plus dix ans et qu'elle n'avait plus à faire preuve d'une telle humilité envers lui. Elle n'était pas en tort, et n'avait pas à se faire disputer. Bon sang, c'est cela qu'elle détestait dans les « conversations » que Scott demandait parfois. Cela lui rappelait bien trop les sermons qu'il lui faisait quand elle était enfant.

Ca lui faisait se sentir à nouveau enfant, et elle avait horreur de cela. Mais elle avait conscience que tout ce qu'il avait pu dire où faire, il l'avait fait dans son intérêt, comme il le faisait encore aujourd'hui. Et c'était bien pourquoi il était le seul auquel elle n'avait jamais manqué de respect. En aucune circonstance.

Une fois face à lui, elle le fixa, l'interrogeant du regard même si elle savait très bien ce qu'il allait dire et, en effet, après quelques instants de silence à la dévisager d'un air réprobateur et, toujours, inquiet, il déclara :

- Vous m'avez tenu à l'écart hier soir. Et agit de façon totalement inconsciente avec un homme que vous ne pouvez plus vous permettre de provoquer.

Elle se doutait qu'il mettrait Charles sur le tapis en premier. Il n'y avait plus grand-chose à dire en ce qui concernait le prêt qu'elle avait fait à Flint. En revanche, ce qu'il venait de dire à propos de Charles ne lui plaisait pas le moins du monde, même si elle savait quelque part qu'il n'avait pas tort. Etant parvenu à destitué Flint, Charles venait de prendre à nouveau une place de pouvoir considérable à Nassau, une place qui pouvait se révéler dangereuse pour elle si elle jouait trop avec lui. Mais pourquoi lui accorderait-elle cela ? Pourquoi lui permettrait-elle de se considérer comme supérieur à elle, à nouveau ? Cette piqûre de rappel fit apparaître un goût amer dans la bouche. Non. Quoi que puisse faire Charles Vane, il était totalement hors de question qu'elle commence à le considérer comme au-dessus d'elle, comme une menace qu'elle devrait craindre.

- Il attaquait Flint, je n'ai fait que répondre, rétorqua-t-elle donc immédiatement, n'aimant pas à avoir se justifier mais le faisant quand même. Parce que c'était Scott.

- Et qu'est-ce que vous y avez gagné ? Contra Scott.

Rien. Mais elle n'avait rien perdu non plus. Et bordel, ce que ça avait été agréable, de lui coller un poing en pleine tête, quand bien même il le lui avait bien rendu. Voilà des années qu'elle avait rêvé de faire ça. Et c'était très satisfaisant. On ne peut plus satisfaisant. Et elle ne put s'empêcher de laisser cette satisfaction apparaître sur son visage, de manière quelque peu insouciante avec un demi sourire en répondant honnêtement :

- Ça m'a fait me sentir mieux.

- Eleanor, continua Scott d'un ton grave, visiblement exaspéré mais toujours aussi soucieux. Vous ne devez pas oubliez qui ils sont. Ce ne sont pas nos amis. Et ce ne sont pas nos sujets. Ils veulent la place de votre père, c'est la seule raison pour laquelle nous n'avons pas encore leurs couteaux sous la gorge. Dîtes-moi que vous avez compris.

Et voilà. On n'y revenait toujours. Sa trop grande proximité avec les pirates. Scott lui tenait ce même discours depuis des années, changeant les mots et le ton, mais le message était toujours le même. Il avait commencé à la mettre en garde ainsi lorsqu'elle avait commencé à coucher avec Charles. Il n'avait jamais compris pourquoi elle ne maintenait pas la même distance que son père entre les pirates et elle. Pourquoi elle se mêlait parfois à eux, sans même s'en rendre compte, pourquoi elle s'alliait à certains d'entre eux, comme avec Flint, pourquoi elle se donnait à certains d'entre eux, comme avec Charles. Il avait toujours considéré les pirates comme une menace utile, mais une menace quand même, des personnes avec lequel il valait mieux garder une distance de sécurité. Et ne pas s'y mêler trop personnellement. Ce qu'elle faisait à cœur joie depuis bien longtemps.

Toujours la même rengaine, qu'elle trouvait de plus en plus fatigante. Il aurait du comprendre qu'il était déjà trop tard depuis longtemps, pour cela. Elle comprenait ses inquiétudes. Et elle savait qu'il n'avait pas forcément tort. Elle connaissait la haine que les pirates entretenaient pour son père, pour elle, pour leur négoce, alors même qu'ils en vivaient. Ce qui montrait bien l'intelligence plutôt limitée de la plupart des pirates. Pourquoi haïr ce qui vous permettait de vivre de façon convenable ? Enfin. Ce qu'elle savait, c'est qu'elle en avait un peu marre d'écouter toujours ce même discours, discours qu'il lui rappelait encore une fois la manière dont il lui parlait quand elle était enfant. Quelques fois, elle avait l'impression que Scott oubliait qu'elle était une femme, désormais, et plus la petite fille à qui il avait appris tout ce qu'il savait.

Mais c'était Scott. Tout ce qu'il disait, c'était pour la protéger, et elle le savait. Il était soucieux et tenait à la préserver et il le faisait de la seule manière qu'il connaissait. Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour cela. Bien au contraire. Cela la touchait à chaque fois. C'est bien pour cela que malgré son exaspération, elle hocha rapidement la tête avec un petit sourire, voulant surtout changer de conversation sans lui manquer de respect, et elle prit alors sa natte qu'elle poussa afin de lui montrer la marque que Charles avait laissé sur le bas de sa joue et de demander à moitié amusé et à moitié sérieuse :

- Franchement. C'est pas trop laid ?

Cela eut l'effet escompté et Scott rit doucement, l'air amusé. Il devait sûrement penser qu'avoir été frappé par l'un d'entre eux avait eu l'effet escompté sur elle. Tant mieux. Il ne remettrait sûrement pas le sujet sur le tapis avant un moment. Il entreprit alors de prendre le chemin de la sortie de la taverne, et elle lui emboîta le pas, remettant sa natte en place sur le côté avant de sortir sous le soleil brûlant de Nassau qui l'aveugla quelques instants mais cela ne les arrêta pas pour autant et ils entreprit de prendre le chemin des entrepôts et du point d'échange qui servait de dépôt provisoire, la plupart du temps. Pendant qu'ils marchaient, elle demanda plus d'informations quand au nouvel équipage. Leur capitaine se nommait James Bridge, leur navire le Demeter, un brick respectable. Elle n'avait jamais entendu ce nom, que ce soit celui du capitaine où du navire, et Scott non plus. Soit c'était des pirates éloignés, soit ils débutaient, mais selon Scott, la première option était la plus probable.

Pendant qu'ils rejoignait le lieux où le capitaine et ses hommes les attendait, elle repensa vaguement à ce que venait de dire Scott. Ce n'était pas la première fois qu'il lui tenait des discours semblables. Elle savait qu'elle avait tort de passer si vite là-dessus. Elle savait que, quelque part, il avait raison. Pas nos amis. Pas nos sujets. Peut-être qu'elle les considérait trop comme l'un où comme l'autre, des fois. Les pirates. Elle savait qu'elle devrait davantage réfléchir à ça. Mais jusque ici, sa manière de faire avait plutôt bien fonctionné. Son père avait tenu cette distance avec les pirates et elle ne pouvait pas s'empêcher de se dire que c'était ça, la raison pour laquelle il n'avait jamais réussi aussi bien qu'elle. Scott avait été pendant des années le serviteur personnel de son père. Il était donc logique qu'il partage certaines de ses pensées, notamment au sujet des pirates. Non. Il avait tort sur sa manière de faire. Ils avait torts tout les deux.

Rapidement, ils arrivèrent au point d'échange où elle découvrit avec un immense sourire les barils de tabac entreposé par Sam qui était en train de les marquer au tampon « Guthrie ~ Sugar & Merchant, Dunmore Town, Harbour Island. » avant de les mettre de côté pour les transporter dans les entrepôts. Elle remarqua immédiatement le capitaine, debout devant la table du point d'échange, un homme d'une quarantaine d'années quelque peu grassouillet, aux cheveux châtains tâchés d'un peu de gris, le visage rougeaud, avec cependant de charmants yeux bleus gris et visiblement de mauvaise humeur. Mr Scott alla examiner la marchandise et régler des détails tandis que le vieux Sam escorta Eleanor jusqu'à derrière le comptoir en lui marmonnant tout bas « Vous allez pas l'aimer, celui-là, m'dame » et elle lui jeta un regard significatif en soupirant. Très bien, elle voyait tout de suite à quel genre d'homme Sam faisait référence. Le capitaine Bridge dévisagea alors Eleanor de la tête aux pieds d'un œil sceptique, puis moqueur et demanda en regardant le vieux Sam :

- Elle ?

Sam hocha la tête, et il jeta alors un coup d'œil à Eleanor qui n'avait pas du tout appréciée qu'on parle d'elle comme si elle n'était pas là alors qu'elle se trouvait en face du capitaine. Sam le vit bien et un ricanement moqueur à l'intention de Bridge lui échappa, et il rejoignit l'emplacement que quittait Scott en ce moment même pour la rejoindre tandis que Bridge posa ses mains sur le comptoir afin de fixer Eleanor dans les yeux et de déclarer :

- On m'a dit que Richard Guthrie était le recéleur de Nassau, qu'il ramenait ses navires de Boston, et qu'il cachait son butin dans des barils de sucre. Mais à moins qu'il ne se soit laissé pousser les seins, vous n'êtes pas lui.

Il se tourna vers ses hommes derrière lui et tous ria grassement à sa blague de mauvais goût. Elle nota d'ailleurs qu'il les avait bien regardés, ses seins, avant de parler. Un élan de mépris la parcourut, comme à chaque fois qu'elle se trouvait face à ce genre d'hommes, mais Sam l'avait prévenu et voilà longtemps qu'elle avait appris à prendre sur elle face à ce type de sous-merdes. Une sous-merde qui valait de l'or, pour le coup, donc elle allait devoir faire l'indifférente.

- Je suis sa fille, Eleanor, rétorqua-t-elle donc d'un ton claire et froid en prenant soin de le regarder dans les yeux avec un sourire poli. C'est moi qui gère les affaires en compagnie de mon serviteur, Mr Scott.

- Une petite fille, conclut donc Bridge avant de jeter un regard méprisant vers Scott, et un singe savant.

Scott et elle échangèrent un regard exaspéré et elle sut qu'ils se disait la même chose au sujet de cet homme. Et aussi au sujet qu'il ne valait mieux rien dire, et rester indifférent et professionnelle. Eleanor eut un petit soupir à peine perceptible et continua alors du même ton neutre et ferme :

- Nous payons comptant où nous vous ouvrons un crédit dès lors que vos marchandises entre dans mon entrepôt, et pendant que nous les vendrons à un taux que vous n'espériez pas obtenir, vous et vos hommes profiterait des nombreux plaisirs que Nassau a à offrir.

- Et combien ça va nous coûter, au juste ? Demanda-t-il, toujours aussi sceptique de toute évidence.

- Environ quatre réaux pour un dollar, rétorqua-t-elle un peu plus froidement, malgré ses efforts.

Bridge eut un léger rire incrédule et constata, visiblement ahuri :

- Vous me volez la moitié de ma cargaison.

- Au début, sourit Eleanor, satisfaite qu'il commence à prendre les choses aux sérieux. Mais plus vous avez de bien, meilleurs sont les termes du contrat.

C'était la partie des négociations qu'elle préférait. Quand elle devait montrer aux hommes en face d'elle que le négoce Guthrie était le plus rentable de tous les négoces de marché noir des Caraïbes. Et si ils faisait fortune depuis tellement d'années, c'est que cela avait été prouvé et si les sommes qu'ils prélevait sur les cargaisons était conséquentes, il n'empêche que aucun pirate n'aurait trouvé de meilleurs affaires nulle part dans les Antilles et elle n'aimait rien de mieux que de le faire comprendre aux abrutis qui venait se présenter à elle.

- Ohh, murmura Bridge d'une voix plus basse, faussement impressionné, vous adorez fixer les règles, si je comprends bien.

- Depuis que je me suis laissée pousser les seins, répondit-elle tout bas à son tour avec un petit sourire, rentrant volontiers dans son jeu en se penchant sur le comptoir.

Elle sentit Scott rire à côté d'elle et elle-même ne put s'empêcher de laisser l'amusement l'envahir quelques secondes. Ce ne fut pas au goût de Bridge, cela dit, qui sourit d'un air glacial et s'apprêta visiblement à parler comme un homme qui voulait se montrer dur en affaires. Eleanor n'irait reprocher ça à personne. Manque de chance pour tout ceux qui voulait jouer à ça avec elle, elle était la meilleure dans ce domaine.

- Bien, Port-Royal n'est pas si loin, finalement, dit-il donc. Je crois que je vais garder ma cargaison et mes bénéfices. N'en prenez pas ombrage, ajouta-t-il plus bas, faussement inquiet.

Eleanor se retint difficilement de rire, et elle n'y parvint pas entièrement. Pauvre petit amateur, cela se voyait bien qu'il venait d'arriver à Nassau et qu'il ne connaissait pas les règles. N'importe quel pirate à Nassau savait que lorsqu'il avait un butin qu'il ne voulait pas donner aux Guthrie, il valait mieux qu'il n'en parle à personne et file le plus vite possible. Mais comme aucun secret n'était possible dans cette ville, elle était toujours au courant. De toute façon, personne à Nassau n'était assez con pour aller vendre sa cargaison à Port-Royal où ils perdaient deux fois plus d'argent qu'avec elle. N'importe quel pirate sur cette île, si ils apprenaient que ce petit nouveau de Bridge avait un butin qu'il comptait vendre ailleurs, se ferait un plaisir de le massacrer et de récupérer la marchandise afin de les lui ramener d'en tirer l'argent que cet abruti avait refusé. Elle récupérait toujours ses butins, d'une manière où d'une autre. C'est donc avec un sincère amusement qu'elle lui rétorqua très poliment :

- Y a pas de mal. En revanche, vous devriez éviter d'en parler autour de vous.

- Et pourquoi ça ? Demanda-t-il avec un léger sourire, ne la prenant pas le moins du monde au sérieux.

Elle s'apprêta à lui expliquer ce qu'il en était quand une voix forte répondit à sa place juste derrière eux :

- Parce qu'on à plus jamais entendu parler du dernier imbécile qui lui à tourner le dos.

Bridge se retourna pour regarder d'où venait la voix tandis qu'elle dévisageait Vane, interdite. Il était appuyé à un des piliers de bois qui tenait le toit du point d'échange, les yeux levés vers eux, tournant une pomme dans sa main. Depuis combien de temps était-il là ? Elle n'avait pas remarqué sa présence. Elle inspira profondément à sa vue. Toute la colère et la frustration qu'elle avait ressentit contre lui à et cause de lui la veille remonta d'un coup, mais elle se tempéra, et le fixa, attendant de voir ce qu'il comptait dire encore.

- On peut pas en dire autant de son butin, continua-t-il maintenant qu'il avait l'intention de Bridge. Un marchand l'a rapporté à maîtresse Guthrie le jour qui à suivie.

Charles croqua dans sa pomme, fixant avec amusement Bridge tandis qu'elle se rappela nettement de ce à quoi il faisait référence. Le capitaine Warrens. Cela faisait déjà quatre ans que cela s'était déroulé, mais elle s'en rappelait comme si c'était hier. Il l'avait insulté devant tout le monde, partant avec sa cargaison, la traitant de putain et de voleuse. A cette époque, elle n'aurait certainement pas pu se montrer aussi sûre d'elle qu'aujourd'hui et elle avait senti l'humiliation passée. Le lendemain, il avait disparu sans prévenir personne, avant de revenir avec la bague de Warrens comme cadeau, ainsi que son butin. Elle savait qu'elle avait encore cette foutu bague, quelque part dans un tiroir de son bureau. C'était aussi le fameux jour où il l'avait emmené le soir à ce galion de guerre échoué dans les épaves, dans la nuit. Ils avait fait l'amour pendant des heures devant ce foutu galion. Et ils n'avaient jamais eu l'occasion d'y retourner. Elle s'en rappelait à merveille, et elle se mordit l'intérieur de la joue à ce souvenir, fixant Charles qui lui portait toute son attention à Bridge et à sa pomme.

- Et vous êtes ce marchand, sans doute ? Demanda Bridge, pas l'air impressionné, ce qui fit ricaner intérieurement Eleanor.

Imbécile. Elle dévisageait Bridge et Charles et eut l'impression de voir l'espace d'un instant deux coqs prêts à se piquer méchamment. Elle avait souvent cette impression avec les hommes. Néanmoins, Bridge était un abruti ignorant si il pensait faire le poids. Certes, il n'avait pas l'air de connaître Charles, même de tête, vu sa question. Il aurait cependant du voir à l'œil nu qu'il ne ferait pas le poids. Trop vieux, trop gras, et donc trop lent et trop faible. La fierté masculine poussait aux stupidités les plus extrêmes. Elle espérait juste qu'elle n'aurait pas un cadavre dans son point d'échange, et que donc Bridge s'arrête tant qu'il le pouvait encore.

Mais visiblement, ce n'était pas du tout son intention. Charles haussa rapidement les sourcils en signe d'acquiescement, mangeant sa pomme d'un air parfaitement détendu tandis que Bridge se mit à s'avancer vers lui en disant d'un ton emplit de fierté et de provocation :

- Eh bien peut-être que je vous opposerais plus de résistance que l'autre espèce de trouillard. James Bridge, capitaine du Demeter.

Eleanor se retint de justesse d'éclater de rire. Mais la scène était comique. Plus que comique. La manière dont Bridge s'était présenté, se plantant devant Charles lourdement, la tête fièrement levée, était à mourir de rire. Elle aurait pu intervenir, mais sincèrement, elle avait envie de voir jusqu'où ça irait. En vérité, elle ne savait pas ce qui était le plus drôle, l'allure de Bridge où le regard de Charles ironique sur lui. Même si elle voyait en lui qu'il était parfaitement prêt à lui prouver qu'il ne serait pas capable de lui opposer la moindre résistance. Charles le fixa quelques secondes avant de dire simplement :

- Charles Vane, capitaine du Ranger.

Un silence s'abattit sur le point d'échange et le regard de Charles ne bougea pas d'un centimètre de Bridge. Elle ne put s'empêcher de sourire. Bridge s'était entièrement raidi à ce nom, et le silence se prolongeait. Finalement, il n'était pas si ignorant au point de ne pas connaître le nom de Charles Vane, de toute évidence. Ni sa réputation. Elle pouvait presque voir les pensées qui cogitaient dans la tête de ce lourdaud. Il était de toute évidence en train de chercher le meilleur moyen de se tirer de là. Si il tenait à vivre.

Les yeux d'Eleanor quittèrent Bridge pour revenir sur Charles. Le regard qu'il fixait sur lui était intimidant, mais Eleanor le connaissait suffisamment bien pour voir que dans le fond, il s'amusait de la situation, tout comme elle. Tout en se tenant prêt à relever n'importe quel défi. Elle était certaine que rien ne lui aurait fait plus plaisir que voir Bridge insister et continuer à le provoquer. Il aurait pris un malin plaisir à l'humilier en public. Voir à le tuer. Elle espérait pour cet imbécile qu'il se décide vite, avant que Charles ne décide pour lui.

Finalement, Bridge commença à remuer avant de se tourner d'un coup vers Eleanor et Scott, déclarant d'un ton tout à coup bien poli :

- Ce monsieur… nègre va prendre en charge notre marchandise.

Eleanor lui sourit d'un air satisfait et hocha une fois la tête en signe d'acquiescement et elle ne put s'empêcher de sentir un élan de plaisir la parcourir, à la fois à l'idée que la marchandise en question allait finalement lui appartenir, ayant failli lui passer sous le nez, et à la fois que cet idiot de Bridge avait eu une bonne frousse. Même si quelque part, elle aurait préféré que ce ne soit pas Charles qui la lui fasse ressentir, cette peur.

Bridge quitta immédiatement les lieux, disant à ses hommes en les poussant « Allez, on s'en va, allez », passant à côté de Charles tout en prenant grand soin de l'ignorer. Ce dernier continuait de mâcher sa pomme en fixant Bridge et ses hommes quitter le point d'échange, puis son regard se tourna vers Eleanor, et elle vit l'amusement envahir son regard. Elle aurait voulu pouvoir lui jeter un regard furieux, lui dire où il pouvait se la mettre, son humour… mais elle en fut incapable. Elle se retenait encore de rire. Elle se contenta donc de poser une main sur sa hanche, de pencher la tête et de lui jeter un regard exaspéré où elle était certaine qu'il y voyait l'amusement.

Il s'approcha alors d'un pas tranquille, faisant sauter sa pomme dans sa main, venant poser ses mains sur la table juste en face d'elle, la regardant avec un petit sourire et elle lui dit d'un ton calme, sans colère ni amusement, - ce qu'elle ressentait de manière un peu trop chaotique à cet instant – :

- Ça n'était pas nécessaire.

- Mais assez drôle, néanmoins, rétorqua Charles, la fixant d'un air qu'elle eut du mal à identifier l'espace d'une seconde, puis son petit sourire à peine perceptible réapparut et il jeta un regard noir à Scott, ce qui eut le don de l'amuser, elle seule, cette fois.

Scott n'avait jamais apprécié Charles, Charles n'avait jamais apprécié Scott et pourtant tout deux avait suffisamment de respect l'un pour l'autre pour se tenir à une distance respectueuse l'un de l'autre. Scott n'avait jamais approuvé la relation qu'elle avait jadis avec lui, Charles trouvait que Scott était moralisateur et ennuyeux et qu'il cherchait trop à contrôler Eleanor. Un des rares points sur lequel elle tombait d'accord avec lui, d'ailleurs.

Le regard de Charles revint sur elle et il exigea alors :

- J'aimerais te parler en privé. On à des affaires à régler, tout les deux.

Quelles affaires, Charles ? Eut-elle envie de rétorquer, lui jetant un regard ironique et légèrement suspicieux. Voulait-il parler du fait qu'il venait de lui faire perdre une somme considérable ? Un allié considérable ? Qu'il l'avait mise dans une position de merde dont elle allait devoir se débrouiller pour s'en relever ? Tout cela dans une petite quête de pouvoir personnel, de fierté par rapport à Flint ? Etait-ce de ses affaires qu'il voulait parler ? Si c'était le cas, elle avait bien envie de lui dire qu'il pouvait aller se faire foutre sur le champ. C'est ce qu'elle avait envie de faire, oh oui.

Mais ce n'était pas qu'elle devait faire, et le regard que Scott lui jeta le lui rappela bien même si elle n'en aurait pas eu besoin. Scott n'avait pas tort sur le fait que attaquer Charles la veille n'avait fait que lui rapporter un magnifique bleu sur le visage, bleu qui se voyait magnifiquement bien, maintenant. Enfin, elle avait tiré du plaisir de le frapper, mais rien qui ne lui serait utile, au contraire. Et puis, ça lui ferait trop plaisir, qu'il parvienne encore à susciter tellement de colère. Elle était déterminée à lui montrer qu'il avait gagné une fois, mais qu'il ne gagnerait pas deux. La fierté était la meilleure carte à jouer. Surtout avec Charles Vane.

Elle se contenta donc de lui jeter un regard agacé et de déclarer avec ironie :

- Merveilleux.

Elle tourna les talons et entreprit alors de quitter le point d'échange. Il voulait lui parler en privé, très bien, elle allait lui donner ce qu'il voulait. Elle devait admettre qu'elle était quelque part bien curieuse de ce qu'il pourrait trouver à lui dire. Elle passa à côté de lui et elle entendit les pas lourds de Charles descendre sur le bois du point avant de gagner le sable tout comme elle. Elle prit soin de se tenir quelque pas devant lui, ne voulant pas marcher à ses côtés. Cela lui rappellerait un peu trop de souvenirs. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait marché avec lui sur cette même allé menant de la plage à sa taverne, où l'inverse.

Cela dit, il ne lui laissa pas ce loisir et la rattrapa aisément, marchant à ses côtés en continuant à manger négligemment sa pomme sans la regarder. Elle, en revanche, lui jeta un coup d'œil. Il avait changé. Un peu. Tout en restant parfaitement le même, exactement celui qu'elle avait connu avant de le quitter. Mais il lui paraissait légèrement plus baraqué. Elle savait qu'il avait passé bien plus de temps en mer après leur séparation. Elle n'avait jamais trop voulu y penser, mais elle savait bien qu'elle y était pour quelque chose. Sa carrure était plus sec, plus solide. La vie en mer rendait les hommes dangereux. Aussi bien physiquement que mentalement.

Son regard, en revanche, était exactement le même. Toujours avec ce calme apparent, où elle pouvait distinguer cette éternelle rage qui bouillonnait en lui et qui pouvait exploser n'importe quand, n'importe où. Ce contrôle assez fragile qu'il avait de lui-même, finalement. Il l'avait prouvé pas plus tard que la veille. Cela dit, à cet instant précis, tandis qu'ils arrivèrent à la taverne sans échanger un mot, elle remarqua une légère lueur de doute passer dans son regard et ne put s'empêcher d'en sentir un petit sentiment de satisfaction autant que de curiosité. Quoi que présageait ce qu'elle venait de voir dans ses yeux, cela ne présageait rien de bon pour lui. Comptait-il lui demander quelque chose ? Cette simple idée la mettait en joie. Elle se ferait un plaisir de lui dire de quelle manière il pourrait aller se faire mettre.

Rapidement, ils traversèrent la taverne bondée, et Eleanor attrapa la tête d'un ivrogne qui vomissait sur son plancher – déjà ivre dès le matin, bon sang – et lui ordonna d'aller dehors avant de faire signe à Virgil de le foutre à la porte, ayant constaté qu'il ne serait pas capable de s'y rendre lui-même. Le temps qu'elle règle vite ce problème, Charles était déjà devant la porte du bureau, la regardant de cet air indéchiffrable qu'elle n'avait que trop souvent vu de sa part, et qu'elle n'avait jamais été certaine d'apprécié, encore moins aujourd'hui. Elle lui jeta un rapide coup d'œil agacée et elle fut sur le point de lui dire de l'attendre dans son bureau le temps qu'elle s'assure qu'il n'y ait pas de problème avec l'ivrogne que Charles y entrait déjà, à croire qu'il avait lu dans ses pensées. Une fois que ce fut fait, elle rejoignit finalement son bureau et découvrit Charles assis en face, penché, fixant ses mains. Il ne tourna pas la tête en l'entendant entrée, mais elle sentit un léger trouble la prendre à le voir ainsi assis face à son bureau.

Combien de fois avait-ils couché, sur ce bureau ? Elle ne les comptait même plus. Et la dernière fois qu'il avait mis les pieds ici, seul avec elle, remontait à des mois, presque une année entière. Autrefois, une telle rencontre se serait fini avec pas mal de bordel dans la pièce. Aujourd'hui, quoi qu'il soit venu lui dire, elle avait la ferme intention de lui montrer que ce qu'il avait fait la veille, ce qu'il lui avait fait, n'allait en rien l'empêcher de continuer à faire marcher les choses mais qu'il risquait lui aussi d'en payer les conséquences. Elle n'oublierait pas de sitôt les emmerdes qu'il lui avait causées, et elle était prête à le lui faire comprendre.

Elle oublia alors son trouble, le chassant de son esprit et s'avança vers son bureau, lissant sa jupe sous elle et le regarda alors. Il ne la fixait pas. Il jouait avec quelque chose dans sa main. C'était bien la première fois qu'elle le regardait fixement et lui non. Au bout de quelques secondes, il leva les yeux vers elle, avec ce même regard troublé et douteux, et il soupira imperceptiblement en rebaissant les yeux. Cette aptitude l'agaca quelque peu. Depuis quand n'osait-il pas lui dire ce qu'il avait dire en face ?

- Je n'ai pas de temps à perdre, lança-t-elle sombrement, donc si tu à quelque chose à me dire…

- Je veux qu'on parle de nos affaires, la coupa-t-il, se reprenant visiblement, levant les yeux vers elle où le doute persistait toujours.

Affaires. Encore ce mot. Elle haussa les sourcils, lui indiquant de continuer. Elle était vraiment curieuse de voir de quels affaires il voulait tellement parler après ce qui s'était passé la veille. Mais vu son trouble, quelque chose lui disait que cela n'avait peut-être rien à voir avec les évènements d'hier soir, en vérité. Quoi qu'il en soit, elle ne voyait pas ce qu'il pouvait espérer d'elle avec ce qu'il avait fait. Et clairement, pour être aussi empli de doutes, il espérait quelque chose d'elle.

Il rebaissa les yeux sur ce qu'il avait entre les mains, et Eleanor s'aperçut qu'il s'agissait d'une pièce de 8. Il la tournait entre ses doigts, comme si il était nerveux. Nerveux ? Etait-ce à ce point ? Elle n'avait jamais vu Charles Vane nerveux. C'était bien une première, doux Jésus. Elle fixa la pièce quelques secondes et se dit vaguement qu'elle ne se rappelait pas non plus l'avoir vu un jour les mains vides. Il avait toujours quelque chose entre les doigts. Une bouteille de rhum. Un cigare. Une brindille, un morceau de corde, un caillou, du sable, un verre. Une pièce… toujours quelque chose à tripoter. Comme si il avait toujours ce quelque chose qui était prêt à exploser en lui et qu'il se calmait comme il pouvait.

- Dernièrement, j'ai remarqué que mon équipage ne recevait pas le même genre… d'information de ta part, continua alors Charles, toujours étrangement calme, presque gêné, les sourcils légèrement froncés, même si il la fixait droit dans les yeux cette fois. A propos d'éventuels butins. Comme c'est déjà arrivé. Alors… que d'autres sont au courant.

Ahhh… c'était donc cela. C'est drôle, mais elle n'y avait pas pensé depuis un petit moment. Cela dit, elle se doutait bien que tôt où tard, il remarquerait ce point. Elle fut heureuse qu'il aborde le sujet. Cela allait lui donner la possibilité de clarifier deux où trois choses à ce propos. C'était donc cela qui le faisait douter à ce point… Eleanor sentit une immense satisfaction l'envahir. Elle l'a tenait, sa revanche pour la destitution de Flint, pour ce qu'il lui avait fait perdre, la veille. Elle n'avait pas cessé de lui donner des informations par malice où mesquinerie, et cela n'avait jamais été son but de s'en servir contre lui, même si elle avait espéré que cela le pousserait à mieux gérer ses hommes, mais il avait aussi changé la donne, hier soir. Aujourd'hui, elle n'hésiterait à prendre ce qu'elle avait sous la main pour le remettre à sa place et lui rendre son coup. Et elle savait qu'à cet instant, elle avait toutes les cartes en main. Lui aussi le savait. Il ne devait pas aimer cela. Elle n'aimerait pas cela non plus, à sa place. Mais elle comptait bien en profiter. C'est donc un avec un petit sourire satisfait qu'elle murmura :

- Tu à remarqué ça, n'est-ce pas ?

- Je crois que c'est personnel, indiqua-t-il, le ton un peu plus sur, ses deux yeux bleus droit sur elle. Et j'aimerais que ça s'arrête.

Elle ne répondit pas. Elle regardait ses yeux, et réfléchissait. Il avait les yeux de la même couleur que la baie de Nassau. Elle y avait souvent songé, autrefois. Cela la déconcentrait toujours. Comme à cet instant, ce qui l'exaspéra. Elle continua de le regarder en songeant à ce qu'il venait de dire. Personnel ? Elle aurait voulu pouvoir ricaner, lui rire au nez, lui dire qu'il se donnait trop d'importance et que cela n'avait rien de personnel. Mais ce serait mentir. Elle n'avait pas fait cela pour l'emmerder, mais pour diverses raisons, la principal étant son équipage, mais leur passé était l'une d'entre elles aussi. Cette petite punition qu'elle lui infligeait pour ce sentiment qu'il lui avait fait éprouvé, il y a de cela des mois, avait quelque chose de très doux. Et de très amer, aussi.

- Les choses se passait mieux où plutôt se passe mieux, pour nous deux, quand toi et moi… sommes du même coté de la barrière. Je voudrais qu'on réessaie.

Ressayer quoi, Vane ? L'époque où il la dominait sans même qu'elle ne s'en rende compte ? Plutôt crever que de revenir à ça. Il avait un petit sourire à ces derniers mots, et elle vit clairement de l'espoir dans son regard. Il n'avait jamais été doué pour mentir où jouer la comédie. Ce n'était pas un de ses talents. Mais elle dut se retenir de rire à ces derniers mots. Les choses se passait mieux quand ils était du même coté de la barrière ? Assurément, et il semblait avoir bien oublié ce fait, la veille. Se moquait-il d'elle ? Il lui mettait des bâtons dans les roues un soir et venait lui demander de refaire alliance le lendemain ? Avait-il seulement conscience des conséquences de ses actes, au moins ? Elle commençait à sérieusement en douter. C'était l'un des nombreux problèmes, avec lui. Il obéissait à son instinct, agissait et ne voyait pas toujours en quoi cela pouvait affecter l'avenir. Même si elle doutait qu'elle lui aurait répondu favorablement non plus quand bien même il ne se serait rien passé. Peut-être. Si il faisait des compromis. Si il était prêt à rappeler un peu ses hommes à l'ordre, à les calmer pour qu'ils cessent de se comporter comme des brutes épaisses qui détruisaient tout sur leur passage, qui tabassait des femmes, quand bien même elles étaient des putains.

L'image du visage boursouflé et violet d'Evy lui revint en mémoire et elle sentit la colère revenir au galop. Elle pencha alors la tête et répondit d'un ton acerbe :

- Tu à une façon très étrange de le montrer.

- Tu peux répéter ? Rétorqua-t-il, l'air à la fois sombre, mais ne semblant vraiment pas comprendre ce qu'il disait.

Eh bien, je vais te le faire comprendre, Charles. Elle se pencha sur son bureau et commença alors d'un ton lourd :

- J'ai des responsabilités ici. Un commerce à surveiller, des profits à maintenir. L'idée que je puisse te cacher des pistes intéressantes pour des raisons personnelles est totalement absurde.

- Ah oui, vraiment ? Rétorqua-t-il en se penchant en arrière, l'air à la fois agacé et sceptique.

- J'ai arrêtez de te fournir des renseignements parce que je n'aime pas ta façon de commander tes hommes. Ils sont indisciplinés, bagarreurs. Pour chaque pièce qu'ils dépensent, ils nous en coûtent deux en dégâts divers. Ils se comportent comme des animaux et tu les encourages. Ça fait de toi un piètre investissement.

Eleanor savoura chacun des mots qu'elle lui lançait au visage, en particulier ces derniers car elle vit alors la colère envahir les yeux de Charles quand il entendit ça. Ca fait mal, hein ? Tant mieux. C'est exactement ce qu'elle avait ressenti la veille quand il lui avait tenu son petit discours, lui rappelant avec tellement de gentillesse que son père n'en avait rien à foutre d'elle. Lui faisant à nouveau ressentir ce sentiment de n'être qu'une gamine. Et le plus comique dans tout cela, où le plus dramatique, elle ne savait pas, c'est qu'elle disait entièrement la vérité. La principale raison pour laquelle avait cessé de lui fournir ses informations dont il semblait manquer à cet instant était bien sa manière merdique de commander ses hommes. Une manière qui rappelait beaucoup trop celle d'Edward Teach. Une manière brutale, animale, qui se foutait bien des dégâts où des blessures qu'elle causait derrière elle.

Elle n'avait pas fait tout ce qu'elle avait pu pour chasser Teach de cette île, chasser sa violence pour la voir renaître en Charles Vane. Elle savait qu'il était capable d'être plus calme que Teach. Seulement, il ne s'en donnait pas la peine, il prenait plaisir de toute évidence à laisser ses hommes se comporter comme des sauvages, à se comporter comme des sauvages avec eux. Comment pouvait-il espérer qu'elle accepte encore de faire affaire avec lui aujourd'hui alors qu'il reproduisait les mêmes actes que son cher mentor ? Cela ne la surprenait pas, cela dit. Ce qui l'étonnait, c'est qu'elle n'avait pas vu cela, autrefois. Il était resté trop d'années avec Teach. Peut-être s'aveuglait-elle volontairement à bien des sujets le concernant autrefois. Parce qu'elle ressentait des choses qu'elle aurait du ne plus ressentir aujourd'hui. Ce dont elle ne pouvait jurer, malheureusement.

Cette piqûre de rappelle lui serra violemment le cœur, l'espace d'une seconde et cela n'eut que le don d'augmenter sa colère. Pourquoi diable ressentait-elle encore ces choses-là pour lui alors qu'il représentait tout ce qu'elle cherché à évincer ? Elle ne se comprenait pas elle-même des fois. Au même moment, Charles rétorqua, la voix basse, lente, comme elle l'était à chaque fois quand il essayait de contenir sa colère, mais celle-ci se lisait à livre ouvert sur son visage crispé et dans ses yeux :

- Tu espères me faire croire qu'il ne s'agit que de ça ?

- Que tu me crois où non, j'en ai rien à foutre, rétorqua-t-elle vivement, sentant la colère gronder en elle.

Parce qu'il n'avait pas entièrement tort non plus, et pour ce qu'il avait fait. Elle se pencha davantage sur le bureau, voyant qu'il la quittait des yeux de temps à autre, et si il ne revenait pas vers elle à chaque fois, elle lui aurait hurlé de la regarder. Elle continua, martelant ses mots, sentant son cœur s'emballer légèrement :

- Je sais que cette nuit, cette nuit, tu as tué un homme qui avait de la valeur pour moi ! Pour faire en sorte de destituer un capitaine qui à également de la valeur à mes yeux.

Charles se leva alors brusquement, se passant la main sur le visage vu son geste, marchant vers la maquette de l'église de Nassau qu'elle avait reçu en échange de l'argent qu'elle avait investi pour sa construction, il y a deux ans. Elle ne savait même pas pourquoi elle avait aidée à la construction de l'église. Elle n'était même pas sûre de croire en Dieu, et le pasteur Lambrick la méprisait autant qu'elle le méprisait. Mais elle avait eu envie de voir ce petit quelque chose de civilisé à Nassau. Et nombre des habitants lui en avait été reconnaissant, même certains pirates. D'où la présence de cette imposante maquette de bois et de fer. Eleanor fixa Charles et eut un petit rire incrédule en repensant à ce qu'il venait de lui demander, tellement incohérent avec ces actes. N'importe qui aurait commencé à surveiller ces mots vu la tension qu'elle voyait d'ici dans les épaules contractés de Charles. La fureur montait en lui, elle le voyait aussi nettement que si elle le ressentait elle-même. Elle le ressentait, à vrai dire.

- Et non seulement tu t'attends à ce que je te pardonne, mais tu voudrais en plus être récompensé ? Ricana-t-elle, incrédule.

Charles frappa alors la maquette, pas suffisamment fort pour la faire tomber mais assez pour que le coup résonne dans la pièce, et il se retourna brusquement vers elle en haussant la voix :

- Cette lavette à besoin de ta protection et c'est moi le piètre investissement ?

Eleanor se contenta de sourire à son petit coup de colère. Cherchait-il à l'effrayer en montant le ton ? Non. Non, elle pouvait voir la fureur le parcourir de part en part. Elle pouvait le voir dans ses bras tendus, dans ses mains crispés qui serraient la chaise en face du bureau si fort qu'elle craignait presque qu'il ne brise le bois entre ses doigts. Elle le voyait tout simplement à son visage, où la fureur s'étalait sans qu'il ne cherche à la cacher. Et même si il avait cherché à l'effrayer, il aurait échoué. Elle n'avait jamais eu peur de lui.

Le voir dans cet état lui apportait une satisfaction immense. Elle s'était sentie dans le même état la veille. Furieuse, se sachant dans l'incapacité de riposter, ne pouvant que le laisser faire. Il avait gagné, hier soir. Aujourd'hui, c'était elle qui l'emportait. Elle estimait cela parfaitement équilibrée. Elle savait très bien pourquoi il était venu ainsi la trouver, maintenant qu'elle connaissait son intention. Dans sa tête, ce n'était pas possible qu'elle refuse. C'est vrai, comment aurait-elle pu ? Après tout, elle avait perdu Flint. Il devait être venu à la conclusion que Flint hors du jeu, elle ne pourrait rien faire d'autre que de se rabattre sur lui et reformer leur vieil alliance, ayant perdu le meilleur capitaine de cette île. Où bien la voyait-il encore comme la petite fille aveugle pour lequel il l'a prenait autrefois.

Scott le lui aurait certainement conseillé d'accepter de retravailler étroitement avec Vane, tout en évitant de baiser à nouveau avec lui. C'était un choix prudent, en effet. Mais cela serai se rabaisser bien trop bas, après ce qu'il avait fait. Après ce qu'il pensait, de toute évidence. Il était tout simplement hors de question qu'elle lui donne ce qu'il veut, surtout quand il était si facile de refuser. Si facile de lui montrer qu'il faisait erreur à son sujet et qu'à l'avenir, il ferait mieux d'éviter de la sous-estimer. Elle ne serait plus jamais faible face à lui. Sans se départir de son petit sourire, elle déclara alors, savourant son expression furieuse plus que jamais :

- Pour moi le fait que tu viennes ici peut signifier deux choses : soit tu t'imagine qu'une fois Flint disparu, je n'aurais pas d'autres choix que de te donner ce que tu veux… soit tu pense que parce que nous avons couché à une époque, tu peux me marcher dessus sans que ça prête à conséquence.

Il détourna les yeux à ses mots, fixant le sol et elle sut qu'elle avait, mine de rien, visé dans le mille. Et il était en train de réaliser qu'il l'avait sous-estimé. Encore une fois. Et bien, les voilà, les conséquences. Il lui avait fait perdre 8000 dollars, perdre un allié, perdre du poids à Nassau. Il pouvait aller se faire foutre et raquer le sable pour qu'elle lui donne la moindre petite information quand à un éventuel butin à venir. Il pouvait aller au diable si il pensait qu'elle allait le laisser reprendre la place qu'il avait autrefois. Comme elle venait de le lui dire, il ne lui marcherait plus jamais dessus sans en payer le prix.

Des applaudissements et des cris se firent entendre derrière la porte de son bureau, et Eleanor leva la tête, écoutant le temps de quelques secondes. Qu'est-ce que c'était ? Il y avait quelque chose à fêter qu'elle avait oublié ? Ses yeux revinrent sur Charles, qui la fixait d'un air sombre, frustré, toujours aussi furieux. Il était coincé, et il le savait. Comme elle fut coincée face à lui la veille au soir. Chacun son tour, Charles. Et elle se dit qu'il était temps, de toute façon, de mettre fin à cette entrevue. Mieux valait voir ce qui se faisait entendre dehors.

- Je ne sais pas laquelle des deux est la plus stupide, conclut-elle durement en le fixant une dernière fois dans les yeux.

Eleanor se leva alors de son bureau, satisfaite d'avoir mis les points sur les i et d'avoir eu sa revanche, et elle entreprit de rejoindre la porte tandis que Charles ne bougea pas, les mains serrant toujours la chaise, et ses yeux la fixant et quand elle passa devant lui, il dit d'une voix menaçante :

- Fais attention, Eleanor.

- Va te faire foutre, Charles, rétorqua-t-elle, pas le moins du monde impressionnée par sa menace.

Elle aurait du l'être, elle le savait. Charles Vane ne menaçait pas en vain. Mais allez savoir pourquoi, elle ne ressentait pas la moindre inquiétude. Elle ne parvenait pas à avoir peur de lui. C'était peut-être de l'inconscience, mais c'était ainsi et elle était parfaitement satisfaite de cela. Il était simplement frustré de ne pas avoir eu ce qu'il voulait, et n'avait plus rien d'autre à lui jeter à la figure. Pauvre Charles. Ce n'était pas du tout amusant, comme sentiment. Elle le savait, il le lui avait bien fait ressentir hier soir.

Elle le dépassa, sentant toujours cette vague chaleur la parcourir quand elle passa trop près de lui, ce qui l'exaspéra mais sa satisfaction était trop grande pour que cela ne gâche quoi que ce soit et elle ouvrit la porte de son bureau, tenant à savoir ce qui provoquait tellement de joie dans la foule de ses clients. Elle vit plusieurs hommes entrés brusquement dans la taverne, en saluant d'autres avec fracas et joie et elle en reconnut plusieurs comme étant les membres de l'équipage du Walrus. Intriguée, elle laissa ses yeux se promener parmi eux quand elle le vit parmi ses hommes, marchant tranquillement comme si il n'y avait aucun problème. Le cœur d'Eleanor sursauta dans sa poitrine de surprise et elle sentit la joie à son tour l'envahir. Nom de Dieu. Un sourire immense apparût sur ses lèvres et elle se retint de rire avec la foule, descendant les marches de l'escalier en déclarant :

- Espèce de salopard ! Tu as réussi ?

Flint se tourna vers elle à ses mots, et elle put voir qu'il avait quelques blessures superficielles sur le visage, mais en dehors de cela, rien du tout. Bordel, elle aurait aimée pouvoir dire qu'elle était surprise, mais elle ne l'était même pas. Juste folle de joie et de satisfaction. Tout cela avait échoué, au final. En fait non, elle mentait, elle était surprise. La surprise était tellement énorme qu'elle avait encore du mal à l'avaler. Tout le plan de Charles avait donc échoué. Quoi qu'il se soit passé sur le navire, Flint était resté capitaine et Charles avait perdu.

A cette pensée, elle eut envie d'éclater de rire. Il allait faire une crise de nerfs quand il allait voir Flint vivant. Elle devrait peut-être le faire surveiller quelques temps, afin de s'assurer qu'il ne fasse pas quelque chose qu'elle serait obligée de le lui faire regretter. Mais dans l'immédiat, elle mourrait d'envie de savoir ce qui s'était passé sur le Walrus. Elle voulait savourer le soulagement qui l'envahissait de seconde en seconde. Elle n'avait donc rien perdu. Ni argent, ni alliance. Tout s'était déroulé comme elle l'avait prévu. Il y avait peut-être un bon Dieu, finalement.

Flint s'approcha d'elle, ses yeux verts se teintant d'amusement bien qu'il restait plutôt calme par rapport à ses hommes, mais elle devinait l'ombre d'un sourire sur son visage tandis qu'il lui répondit :

- Eh oui.

- Je croyais que Singleton avait plus de voix.

- Il est apparu que Mr. Singleton n'était pas fait pour commander.

Elle lui sourit à ses mots, mais il fixa quelque chose derrière lui, où plutôt quelqu'un et elle savait très bien qui. Charles avait du sortir du bureau. Elle n'aimait pas trop l'idée que les conflits entre ces deux là allait nettement s'amplifier dans les mois à venir, elle n'en doutait pas. La menace d'une petite guerre entre deux pirates estimant tout deux que Nassau était trop petite pour eux deux ne serait jamais aussi présente que maintenant, et elle devrait gérer cela comme elle le pourrait à l'avenir, mais pour le moment, elle ne voulait pas y penser. Elle voulait juste savourer la victoire de Flint, sa victoire, victoire sur Charles, prouvant à Scott qu'elle avait eu raison de miser sur Flint au final.

- Nous avons des problèmes plus pressent à régler, commenta Flint avant de faire un signe de tête vers Vane derrière elle et d'ajouter : Dois-je attendre ?

Elle se retourna, découvrant Charles planté devant la porte, le visage crispé et les poings si serrés qu'il devait s'en faire mal, dévisageant Flint d'un air meurtrier et visiblement sous le choc. Ce qui fit ressentir un grand amusement à Eleanor. Son plan avait totalement échoué. Elle ignorait encore comment Flint avait réussi, mais voir Charles aussi furieux était extrêmement savoureux. Elle lui adressa un sourire ironique tout en lançant à Flint derrière elle :

- Le capitaine Vane allait justement s'en aller.

Elle entreprit de regagner son bureau, ne prêtant plus la moindre intention à Charles mais sentant son regard lourd sur elle la fixer jusqu'à ce qu'elle entre dans la pièce, et elle se crispa légèrement lorsqu'elle vit Flint faire un arrêt face à Vane devant sa porte, et les deux se regardèrent le temps de quelques secondes tels deux loups prêt à en découdre, ne demandant rien de plus. Mais finalement, Charles descendit les marches et s'engouffra dans la foule, et elle ressentit un certain soulagement l'envahir. Quand bien même elle se réjouissait de l'échec de Charles, cette guerre qui ne manquerait pas de se poursuivre entre Flint et lui ne l'enchantait pas le moins du monde, car c'est inévitablement elle qui allait ramasser les pots cassés.

Mais ce n'est pas comme si elle avait le choix, en l'occurrence. Elle préférait, dans l'immédiat, se réjouir du succès de Flint et en apprendre davantage. Elle jeta un coup d'œil à Scott au balcon en haut, et elle vit à son air sombre que la réapparition de Flint ne l'enchantait pas autant qu'elle. Et elle savait, quand elle referma la porte, qu'il ne manquerait pas de les rejoindre pour entendre ce que Flint avait à dire.

Elle se tourna vers ce dernier, qui avait pris place dans son sofa, avec un air qu'elle trouva tout à coup bien sombre pour quelqu'un qui venait d'échapper à la ruine, voir à la mort. En le regardant ainsi quelques minutes, ses yeux verts fixés devant lui, l'air perdu dans ses pensées, elle commença alors à avoir un mauvais pressentiment quand à ce qu'il allait lui dire et elle fut tout à coup bien moins joyeuse qu'elle ne l'était il y a quelques minutes.

Que diable s'était-il passé, sur le Walrus ?


Suite dans la partie 2 ! Elle vient vite :)