Il avait insisté pour que ce moment ne se déroule pas chez lui, pour ne pas déranger le repos de son animal de compagnie. Plus précisément, ne pas choquer son cochon d'Inde avec des visions peu adaptées à son innocence et sa santé mentale.

Voilà bien les uniques paroles chargées de vérité que Craig avait servies à son ami le plus proche. Celui-ci avait d'ailleurs dû se confirmer mentalement que les rumeurs pouvaient parfois avoir un fond de vérité. Ce gamin toujours autant renfermé sur lui-même se montrait très peu regardant du sort de ses parents ou de sa petite sœur, il accordait uniquement de l'importance à son rongeur.

Et également à quelques-uns de ses proches amis, dont Clyde Donovan. Sinon, Craig n'aurait jamais accepté de partager ce genre de moment important (Important à sa manière...) avec le gars qui voulait passer comme le plus cool de l'école. Aussi le plus pleurnichard et le plus immature. Tout comme Clyde pouvait se montrer particulièrement attendrissant lorsqu'il était fortement enthousiaste. Par exemple, quand il avait précisément confié ce secret de la plus haute importance à son cher ami Craig.

Tout fier, armé d'un sourire de conspirateur rusé sur le point de préparer un plan secret et diabolique avec son complice préféré, Clyde lui avait agité l'arme du délit sous le nez. Dans l'espoir de s'attirer un peu d'admiration, ou d'au moins faire frissonner d'excitation ce garçon si impassible.

C'était bien essayé, mais aussi bien mal connaître le personnage...

Sans s'émouvoir, et ne prenant même pas la peine de hausser les sourcils pour illustrer sa surprise, Craig avait observé d'un air blasé la cassette vidéo que son compère ne se lassait déjà pas d'exhiber. Le gamin devinait sans mal que la vidéo devait être de nature érotique, et donc interdite en présence de leurs yeux soi-disant innocents, pour mettre son ami dans un état pareil.

Si on mettait de côté les sujets dits pour adultes et les tacos, celui qui pouvait être vu comme le meilleur ami de Clyde ne voyait pas d'autres centres d'intérêt qui le survoltaient à ce point.

Certes, mais il n'était pas question d'un simple film pornographique juste bon pour quelques minutes de plaisir délicieusement coupable.

Il s'agissait en fait d'une véritable perle, presque un objet de collection. Et un bien inestimable que l'éternel soupirant de Bebe Stevens avait été le premier à détenir. Bien avant tous les autres intéressés (et surtout anonymes) sur la longue liste d'attente.

Par rapport à tous ceux qui allaient devoir s'armer de patience, Clyde détenait la chance d'avoir la sympathie toute particulière du fournisseur officiel d'objets licencieux. Des magazines pour adultes, des photos explicites avec des sujets purement féminins, les dvds et les cassettes pornographiques de tout poil,...

Un petit commerce secret qu'avait monté Kenny, en toute bonne foi, s'il était possible de dire les choses ainsi. Avec la propre notion de légalité pas toujours très morale de ce dernier. Mais le tout était fait avec un professionnalisme et une sympathie profonde à lui avoir fidélisé ses meilleurs clients.

Des clients bien peu regardants de la provenance de chaque extrait de sexualité fantasmée. Subtilisés, volés, échangés, empruntés... Ce genre de chose ne se disait pas, c'était des détails. Une broutille à côté de l'impression de richesse ressentie en tenant dans ses mains un numéro de play-boy.

Et, pour le plus chanceux de ce charmant petit business, quelques spécimens rares directement issus de la collection personnelle de Kenny McCormick. Par exemple, de la lingerie féminine volée en toute discrétion et impunité (Cela se révélait bien pratique de porter un anorak dans ce genre de situation), pour la mise en œuvre de quelques expériences purement physique et solitaire. Et pour peut-être également les faire essayer à Butters...

Ou des cassettes vidéos devenues introuvables, témoins d'une époque et des talents érotiques des actrices passées.

Telle que cette fameuse Brenda Love. Une actrice notable, d'après le plus connaisseur des deux gamins. Une jeune femme au physique sûrement très avantageux et aux prouesses bien ciblées, à défaut de détenir un réel talent de comédienne, pour être devenue si célèbre auprès de la génération passée et des jeunes gens de l'époque actuelle.

Craig Tucker se sentait presque cruellement isolé en se rendant compte qu'il ignorait qui était cette femme. Qu'il était incapable de coller un visage et un corps plantureux sur le nom plutôt évocateur de cette dame sûrement respectable dans la vie réelle. Jusqu'à tout simplement se dire que c'était le cadet de ses soucis. Et retrouver ses esprits en se confirmant qu'il n'en avait finalement rien à foutre de cette Brenda Love. Mais, pour donner le change ou sauver les apparences, Craig entrait tout de même dans le jeu de son ami.

En lui offrant un léger sourire malgré tout complice, puisque le grand admirateur de cochons d'Inde se sentait tout de même flatté que Clyde lui fasse part de cet atypique moment de joie, le gamin devinait tout haut que son compère allait regarder ladite vidéo dès la fin des cours. Une fois rentré chez lui, et confortablement enfermé dans sa chambre, avec le stock de mouchoirs nécessaire...

Il connaissait très bien celui qui était rapidement devenu son ami, ou alors cet ami en question était misérablement prévisible. Cela en devenait presque trop facile.

Jusqu'à ce que Clyde dévoile une carte gardée exprès dans sa manche, ou qui venait d'apparaître comme par magie. Et fasse presque perdre ses moyens à son imperturbable interlocuteur.

Il faut dire que Craig ne s'attendait pas vraiment à ce que le chanceux et momentané possesseur de cette cassette le convie à ce moment très select. Pour venir lui tenir compagnie pendant sa découverte en détail du film qu'ils étaient trop jeunes pour regarder. Une invitation à la fois surréaliste et totalement normale pour deux jeunes garçons de quatorze ans qui découvraient la sexualité.

Néanmoins, sans chercher à savoir ses sentiments précis face à cette demande, le gamin au bonnet péruvien avait préféré masquer son trouble. Et feindre d'être en colère en croyant que ce gars trop vantard se moquait de lui.

Mais cette façon de faire se classait très loin des principes de Clyde Donovan lorsqu'il était question d'affaires aussi sérieuses, selon lui. Clyde avait aussi l'habitude du caractère buté et insolent de son ami, il ne le prenait donc pas contre lui si Craig l'insultait et lui faisait un doigt d'honneur. Toujours radieux, rien ne pouvait craqueler la joie apportée par son récent trésor, le gars supposé être le plus cool de l'école confirmait de la sincérité de son invitation.

Et, d'un sourire beaucoup moins innocent, ses mots appuyaient sur la chance qu'ils allaient avoir d'être les premiers de l'école à se tripoter devant cette vidéo spéciale de la belle Brenda Love.

Une sacrée chance en effet.

Et un mystère à rester entier pour savoir l'argument décisif à avoir fait céder l'esprit insondable de Craig.

L'offre alléchante de plaisir grandement interdit, et donc délectable, devant un film de cul d'une qualité peut-être un peu au-dessus de la moyenne, ou le fait d'avoir eu son ami si proche de lui. Clyde lui avait carrément étreint l'épaule avec son bras leste et décidé. En plus d'approcher tout à fait volontairement son visage de l'oreille de son compère, pour lui souffler leurs futurs vilains projets.

De toute façon, le seul à savoir la véritable raison préférait la garder pour lui. Comme d'habitude quand il était question de ses émotions, Craig ne se montrait pas vraiment expansif.

Alors que son ami, à lui avoir généreusement offert une place de choix pour partager son bien actuel le plus précieux, restait toujours aussi émotif. Presque trop transparent. Particulièrement en cas de joie aussi extrême. À presque se rendre complètement ridicule et pitoyable, voir gênant. Cela pourrait expliquer pourquoi personne n'osait s'approcher des casiers où se trouvait le duo d'amis.

Cette tranquillité permettait au moins à ces turbulents garnements, prêts à enfreindre une loi que tout le monde bafouait, de confirmer les derniers préparatifs de ce futur moment mémorable.

Clyde était on ne peut plus impatient, mais gardait un sérieux très méthodique : Dès la fin des cours ils allaient aller chez l'un des deux complices pour visionner la fameuse cassette. Cette cassette aussi précieuse qu'un vase de prix, que son propriétaire de passage rangeait précautionneusement dans son casier.

Tout en hochant simplement la tête en entendant Craig stipuler que ce moment privé devait avoir lieu dans la maison des Donovan (Pour une raison déjà connue et évidente). Et se montrer au final bien soulagé, en se disant qu'il n'allait pas avoir le petit regard curieux de Stripe fixé sur lui pendant cet instant de plaisir en compagnie d'une si belle actrice de films X. Et accessoirement, de son ami à ne jamais quitter son bonnet péruvien.

Bien sûr, le grand fan de Brenda Love gardait pour lui cette observation très personnelle concernant un certain petit rongeur, il ne tenait pas à perdre des dents. Ni à ce que Craig lui fasse faux bond, alors qu'il avait accepté cette proposition sans rechigner. C'était presque trop beau pour être vrai, ou la chair se montrait si facilement faible...

Sans se douter que Craig Tucker commençait à légèrement regretter cette promesse. Mais c'était trop tard. Après l'avoir gratifié d'un clin d'œil complice, Clyde avait filé saluer Token. Ou plutôt, agacer Token en monopolisant une bonne partie de la conversation. Sans pour autant lui parler de cette fabuleuse cassette en sa possession, puisqu'il avait affirmé à son ami le plus proche que cela resterait leur petit secret.

Pathétique.

Même si Craig sentait tout de même une pointe de satisfaction le gagner en se rendant compte que ce gars l'appréciait vraiment. Pas juste comme un pote qui faisait partie de sa bande, mais un véritable ami avec lequel on pouvait partager tous ses secrets. Presque tous...

Le fan de cochons d'Inde ne faisait pas dans l'idéalisme trempé de naïveté dégoulinante. Il savait très bien que Clyde et lui n'arriveraient jamais au niveau de Kyle et Stan, qui se donnaient le surnom ridicule de 'Super best friends'. Que certains petits plaisantins reformulaient ingénieusement en 'Super boyfriends'.

Craig avait déjà l'impression d'être la baby-sitter de son ami Clyde, quand ce dernier venait pleurnicher sur son épaule à cause de problèmes bien futiles. Pas question de ressembler à un vieux couple marié comme ces deux amis d'enfance mièvres et fatigants.

Pour s'ancrer bien profondément cette évidence dans la tête, il avait fait exprès de bousculer Stan Marsh, qui se trouvait justement sur son chemin. Mais que le gamin supposé être le plus turbulent de l'école avait volontairement télescopé.

C'était bien trop drôle de voir ce loser de Stan tomber misérablement à terre, ricaner intérieurement en voyant Kyle l'aider à se relever et répondre aux insultes de ce petit rouquin trop agressif en lui pointant sa réponse habituelle.

Rien de grave à déclarer. Pendant quelques jours Craig allait juste être en guerre froide avec le gang de Stan. Puis tout allait revenir à la normale une fois que les choses seraient tassées. Le fait que les deux groupes soient moins en confrontation que durant leurs années à l'école élémentaire aidait à plus facilement passer à autre chose suite à ce genre de petit accrochage.

En plus, le gamin n'était pas vraiment en colère contre Stan. Ni même contre Clyde.

S'il acceptait de mettre sa fierté de côté, Craig pourrait peut-être admettre que sa petite personne se révélait la seule coupable dans cette histoire.

Coupable d'avoir de suite cédé et accepté l'invitation dangereuse de son ami.

Peut-être que pour une fois, l'ennui intersidéral que lui apportait les cours allait lui faire momentanément oublier ce problème.

Jusqu'à la fin de journée au moins. En se forçant un peu à être naïf.