Auteur : Matyaa

Sujet : Harry Potter

Genre : - Post tome 7 (ATTENTION SPOILER)
- Une petite histoire d'amour…
- Personnage principal fictif.
- Où l'on voie que j'ai trop de lu de Sophie Kinsella pendant les vacances.

Persos principaux : Perso fictif alias Marianne Dohring, Draco Malfoy, Harry Potter et sa clique

Avertissement : PG-13 à cause du langage qui dérape parfois… (mais bon, de vous à moi… J)

Disclaimer Harry Potter et son monde ne m'appartiennent pas (vous vous en doutiez, non ?). Je ne touche aucun argent (même si j'en aurais bien besoin tiens… rejoint Lupin dans le club des fauchés), ni même de Contrex, Cosmo ou Google (voir suite du chapitre.)

Synopsis : Marianne Dohring, moldue de son état, s'ennuie ferme. Accro au boulot, fille unique, elle ne tient que grâce au souvenir d'un amour de jeunesse particulièrement magique. Un jour pourtant, elle reçoit une lettre étrange : sa mère disparue, Marlene McKinnon, lui aurait légué un cottage historique sur Mould-on-the-wold…

Chapitre 1

« Par la voie usuelle… »

Parfois, je me dis que changer de département et par conséquent de machine à café pourrait constituer une motivation suffisante à mon ascension de la hiérarchie. Quoi, c'est vrai non ? C'est inhumain de nous confier des tâches interminables, qui rendent la consommation de caféine gargantuesque autant qu'indispensable, sans nous fournir de machine à café digne de ce nom – c'est-à-dire dont le café n'empoisonne qu'un employé tous les, disons, six mois. Or, notre moyenne est d'une trentaine de victimes par jour. Moi incluse. J'ai déjà mal au ventre, pourtant il est à peine neuf heures. J'en suis à ma troisième tasse. Saleté. Mes yeux se décrochent un instant de l'écran de mon ordinateur et se posent sur la fumée odorante qui se détache de mon mug rouge vif. Mes sourcils se froncent et je grimace, stupide réflexe. Comment, mais comment je réussis à avaler un truc pareil ? Qui plus est à une telle quantité et à une telle vitesse ? Et sachant que je n'aime même pas le café à la base ? …

… Le fait est que le café est un surprenant coupe-faim. A raison d'un dizaine de tasses par jour, on se passe aisément de déjeuner : or, prendre mon repas nécessite une bonne demi-heure (attendre l'ascenseur, faire la queue, chercher une table, revenir au bureau, mâcher, en sachant qu'avoir au moins une main prise me ralentit dans mon activité, bref, que des inconvénients) tandis que ma tasse de café se remplit toute seule. Puisqu'on trouve toujours une bonne âme pour délaisser son travail et aller potiner un bon quart d'heure. Au début, ça m'agaçait de voir le nombre d'incompétents et de paresseux qui occupaient le même étage que moi, et puis j'y ai trouvé mon compte.

Bref. Tout cela n'a absolument aucun intérêt, me dis-je en secouant vivement mon crâne déjà douloureux, alors alors, que me dit ma boîte mail ? Ma boîte mail me dit que ce Edward veut me rencontrer demain. Edward… Edward… Y'a pas idée d'avoir un nom aussi commun, comment font ses collègues pour s'y retrouver ? "Fenrey Corporation", voilà qui est mieux. Aaaaaah, ce Edward là… Ils semblent intéressés par notre proposition de partenariat pour les prochains JO… Et c'est moi qu'il contacte, pas le service communication ?! Très bon pour moi, ça, très très bon. Puis mon attention est capturée par une silhouette passant à toute vitesse devant mon bureau. Je me décale sur mon siège et hèle Janet qui s'arrête aussi sec.

« Photocopies ! »dis-je, en lui déposant une petite montagne de paperasse dans les bras, avant de me retourner vers mon écran.

« Toutes ? » gémit la jeune fille en pliant sous le poids du paquet.

« Non, juste le premier feuillet… BIEN SÛR, TOUTES LES FEUILLES ! »

Tandis que Janet s'éloigne la tête basse, Neil me lance un regard éloquent, bras derrière la tête et se balançant sur sa chaise à roulettes. Cette attitude nonchalante, doublée de son regard accusateur… me contrarient profondément.

« Quoi ? » dis-je sèchement en tapant une réponse éclair à Edward de Fenrey Corporation.

« Franchement, Marianne… Ce n'est pas vraiment sympa de ta part de lui aboyer dessus comme ça. »

Hein ? Mais je ne lui ai pas aboyé dessus ! D'ailleurs, je n'aboie sur personne. J'ai juste eu une réaction un peu vive, voilà tout.

« Ca n'a rien de personnel » je réplique. « C'est juste que… je suis très occupée, tu vois. »

Mais Neil n'écoute déjà plus. Je me penche légèrement : ah ben bravo, consulter Youtube au boulot, c'est du propre. Donc. Fenrey Corporation.

… Je ne lui ai pas « aboyée » dessus. J'aime beaucoup Janet. C'est une stagiaire très serviable. Une très gentille fille. Et vive le plus souvent. Parfois même faisant preuve d'initiatives. Mais il faut me comprendre : je travaille dix-huit heures par jour, je n'ai pas le temps pour des questions stupides comme « toutes les feuilles ? » C'est comme Neil, d'habitude il est plutôt sympathique, mais aujourd'hui, on est en plein rush (même si je la seule à le réaliser) , et je me passerais bien de toute remarque ne concernant pas directement le travail que je dois tuer. Je passe les trois quarts de ma journée ici, je somnole sur ma chaise de bureau, ça fait quasiment cinq jours que je ne suis pas rentrée chez moi : est-ce que j'ai l'air d'avoir du temps ? Je ne suis pas particulièrement cruelle, ce n'est pas comme si je prenais du plaisir à faire preuve d'autorité ou quoi que ce soit, mais est-ce que j'ai le choix ?

Non, vraiment, je ne crois pas être une mauvaise personne. Les paroles de Neil me reviennent en tête alors que je m'asperge le visage d'eau, au-dessus du lavabo des toilettes des dames. Ruisselante, je me tamponne les joues avec une petite serviette-éponge et m'examine un instant dans la glace. Mon père vantait toujours la couleur pourpre de mes joues, quand j'étais encore petite. Il les pinçait, je grognais et ça le faisait rire. Maintenant, ce n'est plus vraiment possible. Pas seulement parce que je ne vois que très peu mon père, mais aussi parce que je suis… heu… bon, d'accord, pâle comme la mort. Avec mes cheveux châtains, pas vraiment coiffés (j'ai déjà un sac assez chargé pour que j'y rajoute une brosse et un peigne), coupés il y a un certain temps (… j'avoue, longtemps.), mon reflet m'évoque un peu Sadako, mais quelle utilité y-a-t-il à bien présenter quand tout le monde ici se doit d'être une bête de travail ? (laissez-moi changer de service !)

Mon père disait aussi que j'étais… gentille. AH. Très gentille, même trop gentille parfois. Ca date du temps où j'avais encore une vie sociale. Avant mon entrée au lycée. A cette époque, penser que je quitterais mon lieu de travail à vingt-deux heures passées m'aurait semblé être du pure délire. Et me voilà, Marianne Dohring, boutonnant sa veste gris souris, lissant sa jupe assortie, se disant que quand même, s'acheter un peigne ce serait pas du luxe, que même si elle a une tête de mort-vivante, elle est pas si mal en-dessous, et s'apprêtant à rentrer dans son appartement miteux, banlieue de Londre, pour s'affaler face contre l'oreiller et s'assoupir comme une brute.

Mais il ne faut pas croire, ma vie a des côtés très réjouissants. Déjà, ma promotion arrive à grands pas. Comme un ami me faisant des signes à l'autre bout d'un chemin bordé de fleurs, elle court à moi, je la vois s'approcher sous un rayon de soleil… Deuxièmement parce que je pourrais bientôt, enfin, remercier mon père de m'avoir élevée seule. Justement grâce à cette promotion. Je ne peux pas m'empêcher de relier cet avancement à l'idée de rayer définitivement ma mère de nos vies. Comme si son ombre avait plané jusqu'à ce que je triomphe du vide et la misère dans lesquels elle nous a laissés. Je n'ai pourtant aucun souvenir d'elle – j'étais trop jeune. Troisièmement, que ceux qui ont pu penser que je n'avais aucun ami se détrompent – je crois que mes collègues préparent une fête pour mes vingt-cinq ans. Et enfin…

« Marianne ! Attends une seconde ! »

Les portes automatiques de la compagnie se sont ouvertes grandes pour moi et je suis déjà en direction de la gare mais sur ma droite, a surgi un homme plutôt grand, arborant un imper beige passe-partout, les mêmes cernes que moi et un porte-document à rayures écossaises.

Et enfin, il y a Jeffrey.

Je lui dédie le plus beau sourire dont je suis capable – avec soulagement, je me rappelle que Jeffrey ne pourra jamais me reprocher mes cheveux en bataille et mon teint nuance fantomatique, puisqu'il a les mêmes. Au moins deux bonnes semaines qu'on ne s'est pas vus, non… ? Il était encore envoyé à Beijing, je crois : parler chinois ces temps-ci, c'est carrément un bon plan. Jeffrey est représentant commercial, on s'est rencontrés il y a sept mois. Pour la première fois, aucune récrimination quant aux retards et aux rendez-vous annulés : il subit le même sort que moi. Evidemment, on ne se voit jamais très longtemps : notre record est, je crois, un dîner de cinquante minutes, soudainement abrégé après qu'il ait reçu un appel « absolument capital » sur son mobile. Aucune plainte – je comprends parfaitement. Notre situation implique évidemment des conversations tendues et du sexe rapide mais j'ai du mal à concevoir comment deux personnes aussi occupées que nous le sommes pourraient entretenir un autre type de relation, avec qui que ce soit, d'ailleurs.

Quoiqu'il en soit, il est là, devant l'allée de taxis, et ça me réchauffe de revoir son visage après une énième exténuante journée.

« Tu t'en allais ? » me demande-t-il, un peu essoufflé, en passant sa main dans ses cheveux châtains-roux-couleur-indéfinissable.

« Oui, je rentre chez moi… tu passes prendre un verre ? » j'ajoute aussitôt, sans oublier d'accompagner ma proposition d'un mouvement de ma main vers son bras…

Sauf que je n'avais pas prévu qu'il retire son bras aussi sèchement et recule d'un demi-mètre. Je prends alors conscience de la ride d'inquiétude profondément tracée de son nez à la commissure gauche de sa lèvre, et de son regard fuyant.

« Oh, non, Marianne… je devais justement te parler de ça… »

« De quoi ? »

« De nous… enfin… si on peut appeler ça comme ça… »

Aïe. Aïe aïe aïe. C'est quoi, au juste, ce ton ironique et ce petit ricanement gêné ?

« Qu'est-ce que tu veux dire ? » je demande calmement, ma respiration demeure régulière mais une voix semble hurler en moi, une voix qui sait par avance ce qui va se produire, et qui proteste très fort à l'encontre de Jeffrey qui continue de me fixer avec embarras : « ne dis pas ça ! ne lui dis pas ça !! »

« Ecoute, ne le prends pas mal. Ce n'est pas toi le problème mais… »

Connard. Non seulement il l'a dit, mais il l'a bien dit. Que notre relation n'avait aucun avenir, que ce n'était facile pour personne, que l'on regretterait, que l'on n'était pas fait l'un pour l'autre, que je n'étais pas du genre à construire une famille (et qu'est-ce qu'il en sait, nom de dieu ? peut-être que si, que c'est ce que je veux !), qu'il recherchait plus d'engagement, d'union, de tendresse, de confiance… A ce moment-là, j'ai vraiment compris la situation. Je lui ai demandé comment elle s'appelait, il m'a répondu Xiao Ling, c'est la fille cadette de son supérieur à Pékin.

Ils se marient en décembre.

Brûle en enfer, Jeffrey David, et brûle-y longtemps.

Je crois que ma voisine de bus a envie de me donner un mouchoir en papier, et je prie pour qu'elle s'en abstienne parce que dans le cas contraire, je vais être obligée de l'éliminer sauvagement, en lui faisant avaler tous les dossiers rangés dans mon attaché-case, par exemple, bonne idée, tiens. Enfin, ma voisine descend avec ses nombreux sacs de course et un dernier regard compatissant, ce qui plutôt de susciter en moi une vocation de meurtrière, parvient à me faire finalement éclater en sanglots, dans ce bus pratiquement vide.

Ma vie est un échec. Peu importe l'énergie que je déploie pour me voiler la face, force est de constater que je suis passablement malheureuse. Si encore Jeffrey n'avait pas décidé de me planter là, sur le parvis de notre divine compagnie, afin d'intensifier mon humiliation (deux secrétaires nous ont dépassé en sortant, si seulement je pouvais être malade demain), et ce même pas par amour, non ! mais par désir d'ascension sociale, je l'ai vu dans ses yeux, tout comme j'ai pris conscience de l'absence d'affection pour moi dans son empressement, une fois la corvée accomplie, à prendre un taxi… pas même une tape sur l'épaule, pas une excuse, un mot de réconfort…

Mais quelle imbécile j'ai été ! Et sans même être réellement amoureuse. Totalement aveugle. Naïve. Je me suis fait tout un cinéma sur du néant. J'ai imaginé avoir trouvé la solution à ma vie sentimentale déjà piteuse. Et je l'ai rendue encore plus piteuse.

Je ne croyais pourtant pas ça possible. J'aurais bientôt vingt-cinq ans et je ne suis tombée amoureuse qu'une seule fois dans ma vie. Quatre petits mois à jamais gravés dans ma mémoire…

STOP. Danger. Il ne faut pas y penser, je m'interdis généralement d'y penser, parce que ça me rend toute mélancolique et en rentrant j'ai envie d'allumer le gaz mais comme j'ai pas non plus vraiment envie de mourir, ça finit en bourrage de gueule solitaire et je me réveille toute habillée mais trempant dans ma baignoire remplie je ne sais comment d'eau glacée. Bref, mauvaise idée.

Sauf que ce n'est pas comme si je pouvais me sentir pire que maintenant, alors tant pis pour la résolution. Ca ne peut pas me faire tellement de mal, d'y repenser un tout petit peu…

J'avais à peine vingt-trois ans lorsque je l'ai rencontré. Et je venais juste d'obtenir mon job : le travail était rude, mais rien à voir avec les cernes de quinze kilomètres que j'arbore désormais, sans parler de l'enthousiasme et de l'excitation sans borne que j'éprouvais du haut de toute mon ignorance et surtout de mon inexpérience. Premier séminaire, j'avais encore l'audace de sécher comme une collégienne pour apprécier le paysage marin depuis la terrasse de l'hôtel, quelque part en Ecosse. Je n'étais jamais entrée dans un seul hôtel avant de commencer à travailler, encore moins dans ce genre d'hôtel où on est à la fois invité de marque et propriétaire des lieux. Il était encore tôt et les retraités dormaient encore, la lumière grise, typique du ciel écossais, me frappait en plein visage. J'avais croisé mes jambes, m'était enfoncée profondément dans le fauteuil à motif fleuri, fermé les yeux, et remarqué que mon voisin de fauteuil m'observait étrangement. Il avait tout de suite détourné le regard. J'avais entamé une conversation stupide après quelques instants d'hésitation, et m'étais étonnée du fossé entre son attitude générale, plutôt élégante, confiante, presque hautaine parfois, et son comportement vis-à-vis de moi en particulier. Un « bonjour » lui avait fait renverser son thé sur son superbe pantalon en lin. « Je m'appelle Marianne, je suis conseillère financière chez Craw and Brothers », avais-je dit en me retenant de sourire. Il avait mis quelques secondes avant de répondre : « Harry, je travaille pour… le gouvernement. » Le fait est que je n'ai jamais réussi à savoir exactement quel était son métier. Fonctionnaire ? Ou, vu le nombre de ses déplacements, employé dans une ambassade, quelque chose dans le genre ?

Voilà, typique de Harry, capable des conversations les plus posées avant d'inventer soudainement un prétexte absurde pour abréger une soirée jusque là parfaite. Pas que je suis un modèle en la matière, mais j'ai toujours été claire sur les raisons de mes absences. Lui, tantôt le travail, tantôt la famille – mais jamais trop d'informations, toujours flou, toujours vague. Et, hélas, toujours pendant les meilleures moments que nous passions ensemble. Avec le recul, peut-être que cette impression de perfection était juste celle d'une amoureuse fraîchement comblée, mais tout semblait magique avec lui. Il ne me faisait aucun reproche quant à mon travail puisqu'avec lui, le temps semblait se rallonger, se gonfler comme une bulle de savon. Je n'ai jamais réussi à élucider le mystère des roses jaunes renouvelées quotidiennement dans le vase de mon salon, ni le fait que la lumière soit toujours parfaite quand on se voyait, le ciel toujours dégagé, la température davantage accordée aux circonstances qu'aux normales saisonnières. Ca m'amusait autant que ça m'inquiétait, de l'imaginer jouer au magicien pour moi, doubler ma clé, acheter en urgence ce dont j'avais besoin… Quant au reste, il me portait simplement chance. Il suffisait qu'il tourne la clé de contact pour que soudainement, ma voiture se remette à marcher ; il avait miraculeusement réparé la porte de mon frigidaire, en deux minutes et avec pour tout outil un tournevis et une épingle à cheveux ; les incessantes disputes de mes voisins de palier ont soudainement pris fin et ils sont partis pour un tour du monde en amoureux, laissant l'appartement vide et silencieux, ce qui m'a permis de dormir enfin tranquille. On a commencé à sortir ensemble comme deux lycéens, rien à voir avec la « relation d'adulte » que j'ai pu avoir avec Jeffrey. Tout en douceur et en longues discussions, et en tendresse aussi, malgré ma sécheresse ponctuelle et sa mondanité ordinaire. Tout ce que je n'avais jamais vécu avant. J'ai détesté mon adolescence. « Le plus bel âge de la vie », mes fesses oui !

Et puis les détails se sont multipliés, bizarres, perturbants ; et lui qui refusait de m'expliquer, un petit sourire énigmatique aux lèvres, comment ces foutues roses jaunes arrivaient chaque jour à changer l'eau du vase. Je me disais, stupidement, que c'était peut-être un maniaque, et au fur et à mesure que les semaines passaient le travail tombait sur mon bureau façon blocs de béton, et je dormais peu, très, très peu, et je buvais plus de café, encore, toujours plus de café.

Il y a eu ces hiboux, un qui s'est pris la porte de ma cuisine, un second qui est entré et m'a foncé dessus – je me suis ébouillantée avec mon thé, très mauvais souvenir-, et finalement un troisième, énorme, qui refusait de s'en aller de son perchoir improvisé, à savoir l'halogène de mon salon, jusqu'à ce que Harry rapplique et le décroche avec une assurance bien plus convaincante que mes « pssssch ! » un peu intimidés (une taille, ce volatile ! gigantesque !)

Et un soir, alors que je lui avais tout dit de ma famille – du moins tout ce qu'il y avait important, et demandé de me raconter la sienne, il a grommelé un « hmpfcompliqué » qui m'a mise hors de moi. Il y a eu beaucoup de cris, je lui ai tout rappelé, tous les trucs louches, les hiboux comme le reste, la fois où il a été incapable de me donner le nom du collège où il a suivi ses études, toutes ses manies étranges, le fait qu'on aille jamais chez lui, toujours chez moi, ses horaires plus débridées que les miennes, son sac qu'il refusait que je touche ne serait-ce que pour l'accrocher à un porte-manteau. C'était sans compter sur le fait qu'il n'était vraiment pas du genre à se laisser crier dessus. On était quasiment aux mains, quand soudainement, tous mes verres qui attendaient patiemment que je les range dans le buffet se sont brisés en mille morceaux. Une bonne quinzaine de verres – j'avais invité mes collègues à dîner le week-end précédent – en parfait équilibre sur la table du salon… Le silence s'est installé, tandis que, tremblante, encore effrayée par le fracas de ma vaisselle explosant d'elle-même, je me tournais vers lui. Tout mon corps, mon cœur l'ont accusé, même si je n'avais aucune preuve, même si j'étais témoin de son innocence, je savais que cela venait de lui : encore un événement étrange, qui me perturbait, qui dérangeait ma vie déjà exténuante. Et lui, à peine hébété, juste un peu intrigué, dont les yeux allaient stupidement du carnage à sa main, puis portant sa main à son front, comme un élève confronté à un problème de mathématiques un peu complexe.

« Prends tes affaires et va-t-en. Sors. »

Il a semblé redescendre sur terre, et m'a lancé le pire regard que j'ai jamais reçu – noir, agressif, et profondément déçu.

Depuis, ma vie est d'un ennui mortel.

Qu'est-ce qu'on peut être stupide, quand on a vingt-trois ans.

Quelle importance qu'il ait eu des petites manies, puisqu'il était là, qu'il ne se moquait pas de moi quand je passais mon samedi soir devant une vieille cassette des Moomin ? (il ne connaissait pas d'ailleurs, je ne m'en suis jamais remise) Qu'est-ce que ça pouvait me faire, de ne pas savoir le nom exact de son métier ou des écoles qu'il a pu fréquenter ? J'aurais dû sauter de joie qu'il ne me présente pas à ses parents ; me réjouir qu'il préfère les hiboux voyageurs à MSN ; profiter davantage de sa voix, de son visage endormi, du temps qu'il m'accordait. Les soirées écourtées n'étaient jamais ratées pour autant.

Peut-être avait-il simplement un poste de fonctionnaire prenant et confidentiel ; qu'il préférait le hibou au perroquet comme oiseau domestiqué ; que son chez-lui était mal rangé, comme quatre-vingt-dix-neuf-pourcents des tanières de la gente masculine.

Et moi, stupide, ambitieuse, inconsciente jeune fille, j'envoie au diable le seul garçon que j'ai jamais aimé.

Quel gâchis.

Notre deuxième rencontre : sous la pluie, par hasard, pas très loin du Square Grimmaurd. Il m'aide à porter mes sacs remplis de vieux vêtements jusqu'à une association de recyclage. Fou rire quand on se perd sur le chemin du retour, de l'eau jusqu'aux chevilles. Troisième rencontre : un cinéma, pas loin de chez moi. Un rendez-vous cette fois, programmé et tout ça. « N'importe lequel » avait-il dit avec une excitation de cinéphile. Sauf qu'il était tout sauf cinéphile. Jamais entendu parler d'Hitchcock, Keaton ou Spielberg. « Et heu, comment ça marche ? » m'a-t-il demandé en se retournant vers la cabine de projection, une fois que les bandes-annonces ont commencé. J'ai beau être naïve, je ne l'ai jamais cru quand il m'a dit qu'il n'était jamais rentré dans un cinéma. Quatrième rendez-vous. On est censés se rendre au restaurant, il a réservé, il vient me chercher chez moi. Et finalement, on reste là. On discute, on se taquine, on mange des spaghetti tomate dégueulasses, on se moque gentiment, on se confie, on se fait marcher, on se rapproche, encore, encore un peu…

C'est tellement plus drôle de louper son arrêt quand on prend le dernier bus. Mes chaussures me font mal (qui porte des talons aiguille pour parcourir les cinq miles séparant mon arrêt de la gare ?), j'ai mal à la tête (il faut que je me calme avec l'ordinateur), mal au cœur (il faut que je me calme avec mes trois litres de café par jour) et mes mains sont agitées de tremblements compulsifs qui rendent la manipulation de mon trousseau de clés très problématique (… bis). Je monte mes six étages (il faut que l'ascenseur se calme avec ses pannes continuelles), mon lit, mon lit, MON LIT. J'ouvre l a porte et une petite pile de courrier se heurte à mon pied. J'envoie mon sac valdinguer, rejoint par ma veste, mes chaussures, mon collant, mes boucles d'oreille, et ma jupe tellement serrée qu'elle me fait une marque écarlate à la taille. En sous-pull et petite culotte, je me penche pour ramasser mes lettres et m'étale dans le sofa – une bouteille de Contrex vide et un Cosmopolitain daté d'il y a quatre ans roulent du canapé pour tenir compagnie à ci-gît ma tenue du jour. Alooors. Facture (on verra demain), pub, facture (on verra la semaine prochaine), une carte postale de la tante Joséphine (hmm, les Baléares…), une autre facture (… dans un an, si Dieu le veut), une lettre. Officielle : une facture ? … Sauf que l'adresse est bizarre. Certes, c'est mon adresse, mais je ne savais pas que la mention exacte de l'emplacement de mon appartement était désormais nécessaire… « Marianne Dohring, deuxième étage, appartement 5, la porte bleue et fissurée. »

Gne ? C'est une blague ? Une pub ? Du harcèlement ?!

Peut-être une lettre de mon proprio qui veut vraiment que je répare cette fichue porte… Je fronce les sourcils et examine l'enveloppe de plus près. Au dos, une écriture gothique annonce « Fletchley and Associates », suivi d'un logo atypique : une maison type manoir hanté de Disneyland d'où s'échappe des petites étoiles, et un grimoire tout droit sorti d'Amandine Malabul. Perplexe, je décachète la lettre – et oui, un cachet. Toutes les lettres que recevait Harry étaient cachetées – WARNING ! Sujet brûlant. J'extirpe la lettre (… du parchemin ?...) et la déplie, partagée entre curiosité et perplexité.

« May 24th, Friday

Chère Miss Dohring,

J'ai l'honneur de vous écrire en ce jour pour vous annoncer qu'après vingt-deux ans de recherche acharnée, notre maison est enfin parvenue à retrouver le testament de votre défunte mère, Marlene Felicia Colette Dohring, née Mc Kinnon.

En effet, le notaire précédemment en charge de retrouver ce précieux document, M. Orson Denton, a récemment pris sa retraite et c'est avec plaisir que nous avons pu mettre un terme à ses derniers dossiers inachevés. Je vous invite donc à me contacter le plus rapidement possible par la voie usuelle, afin de prendre connaissance des biens que votre mère a désiré vous léguer après sa mort.

Veuillez agréer etc,

Justin Finch-Fletchley »

… pardon ?

Ah non. Non. Je sens la crise d'angoisse arriver – ma respiration qui se bloque, mon ventre qui se contracte. Pffff, respire, pffff… Allongée sur le sofa, respirant par le ventre (enfin, essayant de respirer par le ventre), je tente de faire le point.

1) Ma mère a laissé une trace d'elle sur terre.

2) Elle se souvenait qu'elle avait une fille puisqu'elle m'a légué quelque chose.

3) Mon dieu, ma mère est morte.

4) C'est quoi, ce bordel ? Vingt-deux ans pour retrouver un testament ?! Mais quel genre de notaire peut perdre un testament ?!!

5) Si ça fait vingt-deux ans qu'elle… alors elle n'a survécu que deux ans après nous avoir abandonnés… ?

Je me redresse sur le canapé. Avait-elle une grave maladie ? Nous a-t-elle laissés en sachant qu'elle allait mourir ? Ou s'agit-il d'un pur hasard ?

« Elle était égoïste. Elle nous a quittés. »

Je dois répondre. A machin Fletchley. Tout de suite. A moitié pliée en deux, je me dirige vers mon bureau…

Et pourquoi pas réfléchir un peu ? Garder la tête froide, penser posément. Pourquoi se presser à récupérer ce que ma mère m'a laissé… ? Elle n'a plus aucune importance maintenant. Aucune. Rien de ce qu'elle pourra me donner ne rattrapera le temps sans elle, ne guérira le mal qu'elle nous a fait. Même si elle nous lègue toute une fortune, même si elle nous lègue tout un trésor…

Un trésor… rembourser mon père… lui payer une maison dans la lande, où il serait tranquille… plus de soucis… il passerait ses journées à faire ses maquettes, sans s'inquiéter de rien… aider ma tante Helena et mes deux petits cousins, eux aussi seuls, délaissés… et peut-être même… m'arrêter de travailler…

Les mains croisées sur mon ventre, le souffle court, je suis à mi chemin entre le sofa et le bureau fait de bric et de broc. Je n'ai pas envie de renouer avec le souvenir de ma mère ; je ne connais même pas son visage et je m'en porte très bien. Je ne pourrais jamais parler de cette démarche à mon père, ça le tuerait. Il faudrait lui mentir… Si elle nous a laissés quelque chose de valable, dire que j'ai gagné à la loterie… Cacher tout ce que je pourrais trouver, si elle a refait sa vie dans ces deux ans qui ont suivi son départ, si… si j'ai des demi-frères et sœurs… même si elle est morte de la plus atroce manière qu'il soit, je devrais garder le secret. Je ne sais pas ce qui pourrait faire le plus de mal à mon père : apprendre qu'elle n'avait pas réellement disparu ce jour-là, ou qu'elle n'est morte que deux ans après.

Mon père avait dû être très amoureux d'elle pour la haïr avec autant de force après qu'elle soit partie sans laisser de trace.

… Ce serait dommage de refuser. Si je peux en tirer quoi que ce soit de concret, de matériel…

Mes yeux croisent le réveil. Il est quasiment deux heures du matin. Je grogne. Si je m'endors maintenant, je vais pouvoir dormir quatre petites heures… Ca valait vraiment le coup de rentrer à la maison plutôt que de dormir au bureau… Un vieux proverbe me revient en mémoire : « La nuit porte conseil. » Retirer mes lentilles, mettre mon réveil. On verra demain.

Hier, j'ai « envoyé » ma réponse. « Par la voie usuelle » m'a laissé plutôt perplexe, surtout quand j'ai réalisé qu'il n'y avait aucune adresse inscrite nulle part… J'ai donc inscrit le nom de Fletchley, de la maison de notaire, affranchi, et mis tout ça dans la boîte aux lettres, parfaitement consciente que mon entreprise avait peu de chances d'aboutir, mais soulagée à l'idée que j'avais fait « tout ce que j'ai pu », que ce n'était sûrement qu'une escroquerie et que je n'entendrais plus jamais parler de cette affaire de testament. Du moins, c'est ce que je croyais, jusqu'à ce qu'aujourd'hui, en rentrant, je m'aperçoive qu'une autre lettre de Fletchley and Associates m'attendait, entre deux publicités et une énième carte de la tante Joséphine (… aux Caraïbes). Lentement, je me suis penchée pour récupérer la lettre, croyant à une illusion d'optique. Mais aucun doute, il s'agit bien de la même enveloppe, et ma première réaction est de déglutir et de fermer ma porte à double-tour.

Je suis certaine qu'il s'agit d'une escroquerie. Ces gens sont allés fouiller la boîte aux lettres et m'ont répondu en pensant que je ne m'apercevrais pas de l'étrangeté de la situation. Quand bien même la poste a été rapide, ma lettre n'a pu arriver qu'aujourd'hui… Non. Non, nous sommes dimanche. Ma lettre ne peut arriver que lundi, c'est-à-dire demain !

Après m'être avalée un verre de vodka cul sec, je déverrouille ma porte, l'entrouvre très doucement, et passe le nez dans l'entrebâillement, scrutant de droite à gauche, au cas où mon harceleur guetterait, tapis dans l'ombre. Mais tout ce que je vois, c'est la poussette de mon voisin du dessus et le carrelage défoncé des murs oranges de l'immeuble (déco des années soixante-dix, c'est pas la joie). Je referme ma porte avec précaution, verrouille le tout de nouveau, et après quelques instants d'hésitation, ouvre finalement la bête.

« May 26th, Sunday

Chère Miss Dohring,

La lettre que vous nous avez adressée hier a pu certifier votre identité. Je suis donc désormais autorisé à vous révéler la nature des biens que vous a léguée Marlene Dohring, néé McKinnon. Celle-ci vous lègue sa demeure, « Les Limbes », situé sur Mould-on-the-wold, et tout ce qu'elle contient. Je vous invite donc à vous rendre le plus rapidement possible à Mould-on-the-wold afin de me rencontrer et de prendre possession de vos biens. Il m'est possible vous chercher à la gare si vous le désirez. Je vous prie de m'adresser votre réponse par la voie usuelle afin de faciliter nos démarches.

Veuillez agréer etc,

Justin Finch-Fletchley »

Allons bon. L'escroc me donne rendez-vous. Classique. Et après je me retrouve ligotée, kidnappée au loin dans une voiture, et il demande une rançon et…

… Et la curiosité est trop forte, j'ouvre Internet et tape « Mould-on-the-wold » sur google.

Tandis que la page charge, je relis la lettre. « La lettre que vous nous avez adressée hier a pu certifier votre identité. » Comment une lettre peut certifier une identité… ? N'importe quoi… « Il m'est possible vous chercher à la gare… » Donc, me jeter dans la gueule du loup, bien sûr bien sûr. Surtout qu'avec un nom pareil, ça doit être un patelin paumé avec trois fermes, deux canards et trois va…

Une image me saute aux yeux. Il s'agit d'un très joli cottage, blanc comme neige, dont toute la façade gauche est couverte d'un lierre au vert flamboyant. Les fenêtres m'évoquent immédiatement ces adaptations cinématographiques des bouquins de Jane Austen. Je clique sur la photo et atterrit sur le site de la ville (oh ? ils ont un site ?)

« 'Les Limbes', datée du début du XVIIIème siècle, fait partie des plus vieilles demeures de Mould-on-the-wold. Son ancienneté en fait un monument historique, partie intégrante de notre patrimoine. Parmi les familles s'y sont succédées, grand nombre d'entre elles ont laissé leur marque dans l'histoire de la ville, parfois même de notre pays. Malheureusement, bien qu'admirablement conservée, elle est inhabitée depuis plus de vingt ans. »

… Admettons que Finch-Fletchley ne soit pas un escroc. Admettons qu'il soit juste un notaire maladroit, qu'hier le postier ait simplement été en retard pour ramasser le courrier, et qu'aujourd'hui, la poste marche parce que tous les postiers travaillent pour cotiser je ne sais quoi pour le gouvernement. Cela veut dire que je suis propriétaire d'une maison historique qui doit valoir des millions et des millions. Et si je vends… si je vends…

Je souris et me penche en arrière sur mon siège. Enfin, peut-être, une éclaircie…

Fin du chapitre 1

A suivre…

Oui je sais, c'est bizarre comme fic… :)

Gros merci à Freya, éternelle beta-reader ! Merci à vous qui avez daigné jeter un coup d'oeil ! N'hésitez pas à reviewer, si vous saviez comme ça motive !

(Samedi 1er Septembre 2007)