« les miroirs feraient bien de réfléchir
avant de renvoyer des images »
Il ne sait toujours pas où il a trouvé la force de se lever ce matin. Une pulsion, sans doute. L'envie d'être plus qu'une loque, peut-être. La conscience que le monde, dehors, continuait à tourner sans lui.
George s'était redressé dans son lit comme un automate qu'une main invisible aurait remonté. Un instant, il s'était presque attendu à voir Fred assis sur la couchette face à lui. Il aurait rêvé d'un sarcasme sur le symptôme de la flemme chez les patients atteints d'oreillole. Il aurait adoré entendre sa voix moqueuse, encore une fois.
Mais les draps face à lui étaient incroyablement lisses, et la chambre désespérément vide. George soupira et se passa les mains sur le visage. Depuis combien de temps était-il là ? A quand remontait sa dernière douche ? Son dernier repas ? Il fixa un moment le plateau déposé par Molly, la veille. Il y avait à peine touché. Sur la table de chevet, il remarqua sa baguette qu'il n'était pas même sur de pouvoir encore faire fonctionner.
Lentement, en multipliant les précautions pour être sur de pouvoir tenir sur ses jambes, il se leva, et se dirigea vers la porte de sa chambre. Le Terrier semblait calme, troublé seulement par le bruit des casseroles qui tintaient dans la cuisine.
George traversa le couloir et se réfugia dans la salle de bain. Il referma la porte sur lui en se retenant à la poignée, comme une poupée de chiffon brisée que l'on aurait accroché pour la faire tenir droite. Ses yeux, qu'il avait fermé un instant, s'ouvrirent sur la salle d'eau dont le souvenir s'était dilué dans son esprit brumeux. La douche était cachée par des rideaux d'un bleu profond, les vasques étaient blanches, le mur couvert de mosaïques, et la petite fenêtre en hauteur laissait filtrer les rayons du jour, clarté d'un monde si loin de lui.
Puis, soudain, les yeux de George se posèrent sur son reflet dans le miroir. Lentement, il s'approcha en portant une main à son visage. Ses cheveux avaient poussé, emmêlés et sales, tombant sur son visage mangé par une barbe qu'il n'avait jamais laissé paraitre auparavant, traumatisé par celle qu'il avait vu sur lui après sa tentative d'inscription au Tournoi des Trois Sorciers. Il était incroyablement pale, et ses yeux étaient entourés d'ombres. Il avait maigri, semblait flotter dans sa chemise. Faible. Malade. Eteint. On eut dit un fantôme. George frissonna. Il ne se reconnaissait pas dans ce reflet, cette image que lui renvoyait l'étendue lisse face à laquelle il s'était souvent préparé à côté de son frère pour être certain d'être assez identiques pour rendre folle leur mère. Ce n'était plus lui dans ce miroir. Ce n'était plus Fred. Il ferma les yeux. Il avait laissé échapper le regard rieur, le sourire moqueur, les cheveux coiffés, le teint laiteux caressé par les couleurs vives du magasin de Farces et Attrapes.
Il entrouvrit les lèvres et laissa échapper le prénom de son frère. Qu'avait-il fait ? Comment avait-il pu choisir la déchéance à la vie ? Fred méritait un tout autre hommage. Un sourire à chaque minute, une farce chaque jour, une invention nouvelle chaque semaine. Quelques traces sur son visage pour garder en lui le souvenir de son frère. George saisit le rasoir - encore un objet mordu qu'avait ramené son père, bien utile pour les reclus de la baguette - et se regarda une dernière fois dans la glace tel qu'il était.
Là, face à la vision inconcevable de ce qu'il était devenu, il se fit la promesse qu'à partir de ce jour, chaque instant de sa vie serait un hommage rendu à son frère.
Il est pour toi, Gred.
& pour vous tous,
Je vous embrasse,
Forge.
