Sixième partie : Un couple peu ordinaire
Coucou ! Me revoici pour une sixième partie des aventures de Sherlock Holmes, John Watson, Hélène Stoner, madame Hudson, Mycroft Holmes, Louis, Elizabeth et tous les autres.
Vu que la partie 5, juste avant mon départ en vacances, le 17 juin 2011, avait atteint les 100 chapitres, je me suis dit que je n'allais pas la faire plus longue mais en commencer une autre.
Holmes, dans la partie précédente était dans l'ombre. Il a résolu deux affaires criminelles avant de retrouver Hélène et de passer, tant bien que mal, dans la lumière. Sa traversée du désert fut longue et son envie de la revoir ne s'est pas passée comme il aurait pu l'espérer. Elle a changé, lui pas, fidèle à lui même.
Ce passage de l'ombre à la lumière ne se fera pas dans la douceur. Il va devoir affronter ses vieux démons et tenter de surmonter ses peurs les plus profondément enfouies. Y arrivera-t-il ? Et comment va réagir la petite Elizabeth, si elle apprend la vérité ?
Vu que le titre « Un couple courant d'air » appartenait à une fic d'Elyon, vu que Holmes, ce n'est pas n'importe qui, j'ai choisi le titre de « Un couple peu ordinaire » parce que ils seront tout, sauf un couple banal et ordinaire !
Résumés des parties antérieures (ceux qui connaissent, passez-là) :
Le « Ruban Moucheté », partie 1 : Février 1885. La rencontre entre Holmes et Hélène Stoner. Il résoudra son affaire que Watson nommera « le ruban moucheté », mais la version qu'il donnera aux lecteurs n'est pas la bonne. Non, il a omis beaucoup de chose, notamment le comportement peu habituelle de Holmes vis-à-vis de sa jeune cliente.
« Là où tout à basculé » (Le Ruban Moucheté, partie 2) : le lendemain, de retour à Stoke Moran, Holmes va découvrir que Hélène, sa cliente qui ne le laisse pas indifférent s'est faite violer par son fiancé avec lequel elle voulait rompre. Après une bagarre violente qui se soldera par la mort du fiancé, Holmes va devoir aider Hélène à surmonter son traumatisme. Ils finiront là om ils avaient envie de finir, c'est à dire au lit tous les deux. Watson, bien que se doutant de quelque chose, n'est pas au courant du viol.
« Enquête en Normandie » (Le ruban Moucheté, partie 3) : Mars 1885. Holmes doit se rendre en Normandie pour récupérer les oeuvres d'art volées à trois collectionneurs. Pour ce faire, il va devoir rester discret pour ne pas éveiller les soupçons du voleur, dont les collectionneurs connaissent l'identité. C'est à Hélène qu'il va faire appel pour les accompagner, lui et Watson, en Normandie. Là, ils se feront passer pour un couple marié, en voyage d'étude avec leur secrétaire. L'enquête ne sera pas de tout repos, surtout que Hélène se trouve enceinte des oeuvres de son fiancé. Ils choisiront de ne rien dire à Watson. Après avoir croisé la route d'un jeune orphelin dans les campagnes – Louis – Hélène décidera de le ramener avec elle à Londres.
Malgré le danger, Hélène le suivra quasi jusqu'en enfer, lui sauvant la vie, même. Ils prendront des risques et finiront l'enquête en piteux état.
« Retour à Baker Street » (Le Ruban Moucheté, partie 4 – scènes de vie au 221b) : De mai à octobre 1885. Une fois de retour à Londres, Hélène et Sherlock Holmes vont continuer à se voir, du moins jusqu'à ce qu'elle parte en France pour accoucher discrètement. Utilisant mille ruses pour la voir sans que Watson le sache, continuant même à nier avoir une relation avec elle, malgré le fait que son ami n'est pas dupe. Ce dernier lui facilitera même la vie en découchant très souvent.
Entre Holmes et l'enfant adopté, ce n'est pas toujours la gloire, le petit étant intimidé par le grand, et le grand prenant un malin plaisir à l'agacer. Avant de partir, Hélène lui avouera son amour, mais Holmes refusera. Peur de s'engager, peur que le fait d'avoir une vie de famille ne constitue un point faible pour lui.
Après son accouchement, Hélène lui fera savoir qu'elle restera en France et ne reviendra pas à Londres, mettant fin ainsi – provisoirement – à leur histoire. Holmes va s'effondrer, car il ne s'y attendait pas.
« De l'ombre à la lumière » (Le Ruban Moucheté, partie 5) : Fin 1885. Holmes est dans l'ombre depuis qu'elle est partie. Ce qui va l'aider, ce sont deux enquêtes.
La première avec un codicille (un changement dans un testament) daté de 1582 et un maître chanteur. Comment prouver que le document – authentifié par des experts – est un faux ?
Deuxième enquête : Lestrade est aux abois, il a quatre cadavres dans un entrepôt et la méthode utilisée pour les faire trépasser est peu habituelle. Holmes la résoudra en trois jours.
Ensuite, je passe en revue de manière brève « Le signe des quatre » pour le mariage de Watson et j'ai revu et corrigé « Un scandale en Bohême ».
La lumière : octobre 1889, Holmes est parti, en compagnie de Watson, résoudre une affaire dans les campagnes anglaises. Depuis quatre ans, il n'a plus revu Hélène, bien que recevant régulièrement de ses nouvelles. Quelle n'est pas sa surprise, lorsque, se restaurant dans une auberge de la région, il aperçoit la jument – fort reconnaissable – d'Hélène...
Attention, spoiler !
Sa surprise fut plus grande encore lorsqu'il croisa la route d'une petite fille de quatre ans, possédant quelques aptitudes pour la déduction et possédant de beaux yeux gris acier...
Or, tout holmésien qui se respecte, sait que les yeux de Holmes sont de couleur « gris acier » (oublions les yeux noisette et envoûtants de Robert Downey Jr, et passons aussi sur les merveilleux yeux verts de Jeremy Brett). Vous avez compris ? Elizabeth est sa fille et Hélène n'était pas tombée enceinte de son violeur.
Les retrouvailles entre Holmes et Hélène furent assez houleuses, surtout que Hélène s'est mariée. Holmes soupirera d'aise en apprenant que c'est un mariage de convenances, le mari d'Hélène étant inverti. La nuit entre eux fut assez torride. Nous reprenons le cours au petit matin...
Voici la suite !
Chapitre 261 : Le bonheur n'est pas dans l'introspection
Les yeux d'Elizabeth se mirent à pétiller en entendant sa mère lui parler d'une promenade tous les trois.
- Chouette, fit-elle en sautant au bas de mes genoux, faisant remonter sa robe qu'elle redescendit d'une main distraite. On va se promener tous les trois !
Hélène la regarda en souriant, puis, elle tourna vivement la tête vers la porte. Au loin, on entendait un cheval qui renâclait dans son box.
- Allons bon, fit Hélène en soupirant. La voilà qui fait des siennes, maintenant. Sherlock, je te confie de nouveau ma fille et je vais voir ce qui se trame dans cette écurie.
- Maman... commença la petite, en faisant mine de se déplacer vers sa mère.
Un index pointé vers elle la fit stopper net :
- Tu restes à la maison et que je n'apprenne pas que tu as fait des caprices, ordonna sa mère.
La menace avait été clairement annoncée et Hélène se dirigea vers l'entrée pour enfiler ses bottes et, une fois qu'elles furent mises, elle sortit en trombe.
Elizabeth resta plantée au milieu de la pièce, triturant les manches de sa robe, se dandinant d'un pied sur l'autre, ayant envie de suivre sa mère, mais n'osant pas.
Sachant qu'elle ne pouvait pas sortir, elle grimpa de nouveau sur mes genoux, refusant l'aide que je lui proposais pour l'installer plus facilement. Puis, une fois qu'elle fut à son aise, elle s'appuya contre mon torse, sa tête posée contre mon épaule, tout en serrant sa poupée dans ses bras.
Pour ne pas qu'elle tombe, je passai mes bras autour de sa taille et mon menton vint se poser sur le sommet de sa tête. Je restai silencieux, profitant de ce bref moment où j'avais ma fille dans mes bras, respirant son odeur. Tout à coup, sa tête se tourna vers moi.
- Monsieur, tu es presque en train de me faire des bisous sur la tête, me dit-elle en fronçant ses sourcils. Je sais pas si tu as le droit. Déjà que tu as fait dodo avec ma maman...
Me redressant, je mis la plus grande distance entre mes lèvres et sa tête. Perdu dans mes pensées, je ne m'étais pas rendu compte que je l'avais embrassé dans les cheveux.
Elle tendit ses pieds pour mieux admirer ses pantoufles.
- Elles sont belles, hein ? me demanda-t-elle en tournant ses pieds dans tous les sens. C'est ma mamie qui me les a faites. C'est du tissu tout doux et elle m'a fait des têtes de nounours sur le devant. En plus, tout mon pied est couvert et je sais pas les perdre de mes pieds quand je cours.
- Magnifiques, fis-je admiratif.
- Si tu veux, je demande à mamie de te faire les mêmes, me proposa-t-elle tout contente.
- Heu... hésitai-je, ne voulant pas froisser sa sensibilité. On verra bien... Mais tu sais, c'est des pantoufles pour les petites filles.
- Oh, faut pas avoir peur, mamie les fera à ta taille, me dit-elle comme si j'avais pensé le contraire.
- Merci, fis-je en me retenant d'éclater de rire.
Continuant à tourner ses pieds dans tous les sens pour admirer ses pantoufles, elle m'asséna :
- Ma maman va avoir un bébé, alors, si tu as fait dodo avec elle ?
La question me pris au dépourvu et je restai la bouche ouverte, ne sachant quoi répondre.
- Non, bredouillai-je vivement, reprenant le contrôle.
- Je crois que si, parce que maman ne veut plus faire dodo dans le lit de papa à cause qu'elle veut plus de bébés ! déclara-t-elle du haut de ses quatre ans. C'est ce qu'elle m'a dit quand je lui ai demandé pourquoi elle faisait pas dodo avec papa. Alors, si elle fait dodo avec toi, elle va avoir un bébé avec toi. Ma maman n'aime plus mon papa ?
- Mais non, fis-je en me demandant ce que je pouvais bien lui dire. Ce sont des histoires d'adultes et les enfants n'ont pas à s'y mêler.
- C'est pas en faisant dodo avec un monsieur que les madames attrapent des bébés ?
- Heu... Non, mais tu es trop jeune pour apprendre tout cela.
Ses questions m'avaient mis mal à l'aise. Pourquoi fallait-il que cela tombe sur moi, les questions de ce genre là ? J'étais déjà, il y a quatre ans, la cible privilégiée de Louis pour les questions embarrassantes.
Je la vis plisser ses lèvres, cherchant le moyen de revenir à la charge. Ce qui l'empêcha de parler, ce fut le cri qu'Hélène poussa, dans l'écurie. Cela ressemblait plus à un juron qu'à autre chose. La jument devait lui mener la vie dure et ne pas apprécier le changement d'écurie.
Elizabeth bondit sur le sol et couru jusqu'à la porte.
- Maman a crié, me dit-elle tout en panique. Il lui est arrivé quelque chose, je dois aller voir.
Déjà elle empoignait ses petites bottines, faisant valser ses pantoufles.
- Non, fis-je d'une voix ferme. Tu risqueras juste une chose : être dans ses pieds au plus mauvais moment et recevoir un coup. Ta mère n'a pas crié de douleur, mais de mécontentement. Donc, elle va bien.
Malgré tout, la petite n'était pas très rassurée et elle continua de se déhancher pour tenter d'apercevoir par le carreau si sa mère arrivait. La voyant ainsi, je me dis qu'il fallait faire quelque chose pour la calmer.
- Je vais mettre mes souliers, fis-je en la rejoignant. Ensuite, je te prendrai dans mes bras et nous attendrons le retour de ta maman sur le perron, d'accord ?
Elle battit vivement des mains en entendant ma proposition. Prenant son manteau, je le lui enfilai, fis de même avec le mien, mis mes chaussures et, prenant la petite dans mes bras – et la poupée aussi – je me tins sur le perron.
Le regard de la gamine était tourné vers les écuries, guettant le retour de sa mère qui tardait.
- Et si le cheval avait tué ma maman, me dit-elle avec des yeux pleins de larmes. Tu dois aller voir...
Ses doigts me trituraient les cheveux, dans ma nuque et l'autre main serrait la poupée de manière compulsive.
Au moment où j'allais poser ma fille sur le sol pour aller vérifier par moi-même que tout allait bien, la porte s'ouvrit et Hélène en sortit. L'humeur maussade, mais sans avoir l'air de souffrir ailleurs que dans son amour-propre.
Dans mes bras, Elizabeth s'agita et tendit les bras vers sa mère, qui, une fois arrivée à sa hauteur, la prit dans les siens. Les bras de la petite se nouèrent autour du cou de sa mère et elle la serra très fort.
- J'ai eu très peur quand tu as crié, maman, lui dit-elle la voix tremblante.
Sa mère lui caressa les cheveux pour l'apaiser.
- Ce n'est rien, c'est juste la jument qui faisait un peu la folle. Je n'aurais pas dû crier dessus, d'ailleurs, c'est mauvais pour elle, tout ce stress.
Nous rentrâmes tous ensemble et un peu plus tard, Giuseppe vint expliquer à Hélène que le voisin était chez le docteur, qu'il allait recevoir une attelle et qu'ils devaient garder la jument jusqu'à ce moment là. Hélène lui fit part de son intention d'aller se promener et elle lui demanda de seller un cheval pour aller quérir Watson, chez le comte Ellington.
- Tu feras des crêpes ? demanda la petite pleine d'espoir. Il faut qu'ils goûtent tes crêpes, même si elles sont moins bonnes que celles de papa...
- Merci, fit la voix froide d'Hélène. Tu es charmante, ma fille...
La petite se mit à glousser et à se trémousser sous le regard bienveillant de sa mère.
Après un repas de midi vite expédié, nous nous mîmes en route, Elizabeth gambadant devant nous, s'extasiant devant chaque branche d'arbre. Il y avait une promenade qui longeait le cours d'eau, et Hélène avait trouvé que c'était une bonne idée de vérifier où en était la montée des eaux.
Durant le début de la ballade, je lui avais répété tout ce que sa fille m'avait dit, ce qui faisait qu'Hélène avait une mine soucieuse alors que nous marchions d'un pas tranquille.
- Elle a l'esprit vif, me dit Hélène, tout en surveillant sa fille. Mais je ne m'attendais pas à ce qu'elle remarque tous ces petits détails. Tu l'intrigues, Sherlock. Elle se pose beaucoup de questions sur toi.
- La fragilité de son âge et son innocence doivent être préservées, fis-je sèchement. Elle ne doit pas connaître la vérité.
- Non, elle est encore trop jeune... Mais cela ne doit pas l'empêcher de venir te voir. Louis sera fou de joie quand il te reverra. Il doit arriver d'ici trois ou quatre jours, avec Alessandro.
- Il n'est pas au courant de mon identité, ton mari... Que lui as-tu raconté ?
- Oh, au départ, je lui avais dit que j'étais fiancé avec un homme que j'aimais, que nous avions eu une relation charnelle, mais qu'il m'avait quitté, ne voulant pas se marier. Alors, je m'étais consolée dans les bras d'un autre, plus par vengeance que par amour. Notre contrat était que, si l'enfant était de l'homme que j'avais aimé, je le gardais et je me mariais, mais si c'était de l'homme de passage, je lui laissais l'enfant et je partais sans me retourner.
- Tu as maquillé la vérité, en quelque sorte... En inversant les rôles...
Hélène haussa les épaules et me fit un sourire amer.
- Oui, je venais de le rencontrer et je ne voulais pas lui parler de certaines choses. Mais si cela peut te rassurer, le fiancé que j'avais aimé, c'était toi, et l'homme de passage, c'était la version édulcorée de ce que Percy m'avait fait. Il était hors de question, même dans un mensonge, de lui donner le rôle de l'homme pour qui j'avais des sentiments.
Elle croisa ses bras, comme si elle avait froid.
- Et maintenant, il la connaît, la vérité ? lui demandai-je en resserrant les pans de mon manteau car j'avais froid, moi aussi, mais de l'intérieur.
- En fait, c'est son compagnon qui a compris que je cachais quelque chose, m'avoua-t-elle en passant son bras sous le mien.
- Tu... Tu t'entends bien avec ?
- Oui, mais il a fallu un peu de temps, il est plus renfermé qu'Alessandro et il met plus de temps avec les gens qu'il ne connaît pas. Il doit prendre ses marques. Au départ, je pensais qu'il était froid et renfermé, ou qu'il me détestait, mais non, il lui faut juste le temps. Il s'était rendu compte que je n'étais pas dans mon assiette et que mon regard était lointain. Une nuit d'insomnie, alors que j'étais sortie pour me balader dans le parc, il m'a suivi et m'a rejoint sur le banc où je m'étais assise. Nous avons discuté et il m'a sorti les vers hors du nez. Lui aussi en a bavé dans la vie, et il en est resté méfiant. Plus tard, j'ai expliqué à mon mari que je lui avais quelque peu caché certains faits...
- Et ?
- Et il n'a rien dit... Enfin, il n'a rien dit sur mon mensonge, il en a compris la raison. Personne n'aime parler de ce genre d'humiliation, de ce genre de blessure. Pour le reste, il a été d'un grand soutien. Cela m'a fait du bien, je n'avais plus Meredith pour discuter.
Elizabeth revint en courant vers nous avec deux petites branches d'arbre.
- Un bouquet de fleur pour maman ! cria-t-elle en brandissant la branche que sa mère prit avec un grand sourire. Tiens, celui-là, c'est pour toi.
Prenant la petite branche d'arbre dans mes mains, je la remerciai.
- Et ça, me dit-elle en sortant un galet de sa poche, c'est une pierre pour toi. Faut la garder, elle vaut des sous...
D'autorité, elle posa le caillou dans ma paume et elle repartit en courant.
- Heu... fis-je un peu bête, en contemplant mes cadeaux.
- Surtout, évite de les jeter, me conseilla Hélène. Elle vérifie que tu possèdes encore ses cadeaux et gare à toi si tu l'as jeté.
- J'en fais quoi, alors ?
- Tu mets la pierre au fond de ta poche, et si tu veux avoir les mains libres, tu me donnes ta branche. Mais crois-moi, conserve-là, parce que le jour où elle viendra à Baker Street, elle vérifiera si tu l'as toujours.
Je donnai ma branche à Hélène et Elizabeth revint vers nous en sautillant, sa poupée toujours dans les mains. Sur un ton suspicieux, elle me demanda ce que j'avais fait de la pierre et je lui montrai que je l'avais mise en poche. Quand à ses fleurs, je lui expliquai que si je les avais prêtées à sa maman, c'était juste le temps de la promenade. Elle fut rassurée. Une fois qu'elle eut marché un peu avec nous, elle repartit en courant. Je profitai de son absence momentanée pour continuer la discussion :
- Les parents de ton mari vivent avec vous ?
- Non, juste sa mère, m'expliqua-t-elle. Alessandro a quitté la maison familiale à l'âge de seize ans, plongeant sa mère dans un grand désarroi. Pas son père, qui s'en moquait bien. Pour lui, son fils n'était pas assez viril. Il aimait cuisiner et était toujours fourré avec sa mère.
- Encore une famille merveilleuse... ironisai-je en pensant à ma propre famille.
- Sa mère oui, mais pas son père, ni ses frères et soeurs. Il n'a plus aucun contact avec eux. Lorsqu'il a commencé à gagner un peu plus d'argent, il a acheté une petite maison et a contacté sa mère, à l'insu du reste de la famille. Vu qu'elle ne supportait plus son époux, ni ses autres fils, qui se comportaient comme des gros machistes, elle a suivi Alessandro. Deux des domestiques l'ont surprise à faire ses bagages, c'était Giuseppe et sa femme. Ils ont décidé de la suivre, parce que travailler pour le comte Trebaldi père, ce n'est pas une sinécure. Peu de temps après le départ de la mère, ils ont donné leur démission et sont venus les rejoindre. Alessandro a continué à gagner sa vie, de mieux en mieux, puis, il a commencé dans le commerce des chevaux et là, il a très bien gagné ! Il a acheté la maison en France, il y a de ça six ans, en baie de Somme et c'est Giuseppe qui a fait le travail pour retaper le tout, avec d'autres ouvriers. Sa mère a un petit pavillon à part. Ma tante est venue nous rejoindre aussi. Elle était heureuse de découvrir Elizabeth, mais triste d'apprendre que je ne vivais pas avec toi. Elle avait beaucoup d'affection pour toi. Bien entendu, je ne lui pas expliqué la vérité, cela lui aurait fait trop mal. Monsieur Lewis est venu la rejoindre ensuite. Je me doutais qu'entre eux, ce n'était pas que de l'amitié. Il était tout le temps fourré chez elle !
- Tu leur as dit que... ?
- Non, je leur ai dit que je l'avais fait avec Percy, un après-midi où mon beau-père était sorti. Ensuite, j'avais été te trouver pour que tu règles mon affaire. Puis, je leur ai dit que j'avais succombé à ton charme et que nous l'avions fait ensemble, la nuit suivant la mort de Percy. Un horrible mensonge, mais je ne voulais pas qu'ils sachent ce qu'il c'était réellement passé.
- Tu as eu raison... Et Louis ? Pourquoi ne s'entend-t-il pas avec ton mari ?
- Ouh, c'est une longue histoire... Lui, ce qu'il voulait, c'est que toi et moi vivions ensemble. Tu es son modèle et il ne jure que par toi. Alors, lorsqu'il est revenu de Londres avec son rat et qu'il a découvert que, non seulement j'avais gardé l'enfant, qu'il était de toi, et pas de mon fiancé et que, malgré tout, j'allais me marier avec un autre homme. Il n'a pas compris et encore moins apprécié. J'ai eu beau lui expliquer que ce n'était qu'un mariage de raison, que je n'aimais pas Alessandro, rien n'y a fait, il l'a détesté directement. Malgré le fait qu'il a fait un gros effort pour accepter le rat, alors qu'il n'en voulait pas, Louis ne lui a pas montré de la gratitude. Tous ses efforts pour se faire accepter de Louis furent vains. J'ai eu de grandes discussions avec mon blondinet, Karl aussi, même Harald lui a expliqué qu'Alessandro était un homme bien et qu'il pouvait l'apprécier, sans pour autant te trahir. Mais non, rien n'y a fait... Ils ont eu beau lui expliquer que ce n'était la faute de personne, hormis celle du destin qui avait fait que nous vivrions, toi et moi, loin de l'autre, Louis a tout mis sur le dos de mon mari et il refuse de lui parler, juste le nécessaire. Il ne veut même pas aller en cuisine quand celui-ci s'y trouve.
- Et Elizabeth, elle ne trouve rien d'anormal ?
- Depuis quelques années – depuis les deux ans de la petite – Louis fait de gros efforts pour parler à Alessandro, afin de ne pas éveiller les soupçons de sa petite sœur, fit Hélène en tendant le cou pour surveiller sa fille. Mais quand sa sœur fait une remarque sur le fait qu'il ne lui fait pas de câlins, il lui répond que, puisque son chouchou à elle, c'est son père, alors lui, il m'a choisi moi comme sa personne préférée, pour ne pas que je me sente seule et c'est à moi qu'il fait des câlins. J'ai même droit à deux baisers, matin et soir...
L'ombre d'un sourire naquit sur mes lèvres en apprenant que Louis avait bien fait ce que je lui avais demandé.
- Tu as beaucoup de chance, alors, fis-je en posant ma main sur mon chapeau pour lui éviter de s'envoler.
- Oui, j'ai été surprise, la première fois qu'il m'a embrassé deux fois, juste après son retour de Londres, il y aura bientôt quatre ans. Il m'a dit que c'était parce que je le méritais.
Hochant la tête, je restai silencieux. Une bourrasque de vent nous obligea à nous courber en deux. Elle ne dura pas longtemps, mais nous frissonnâmes tout les deux.
Nous poursuivîmes notre promenade, Elizabeth trottinant devant nous. Une fois parvenu sur un autre sentier, nous pûmes nous rendre compte que le lit de la rivière était gonflé par les pluies et qu'il était sortit, inondant les berges en contrebas.
La rivière, d'habitude si paisible, charriait des branches mortes, et dévalait à une vitesse folle. Les berges étaient inondées, recouvrant le sentier qui la longeait sur le côté opposé. Nous, du fait que nous étions un peu plus haut, notre sentier n'était pas inondé, mais l'eau effleurait tout de même, à certains endroits.
- Allons bon, soupira Hélène. C'est la crue... Regarde-moi comment une si paisible petite rivière peut devenir une furie après une nuit de pluie. On ne la reconnaît plus. Elizabeth, reste bien sur le sentier et ne t'approche pas de la rivière.
- Oui, maman, lui dit-elle tout en continuant de prendre de l'avance.
- Heureusement que nous marchons de ce côté-ci, le chemin n'est pas recouvert par l'eau, fit Hélène. Moi, j'ai vu le sentier hier, avant l'orage. Le lit de la rivière se trouve deux mètres en contrebas. Tu imagines le volume d'eau?
Je hochai la tête. Le sentier devait descendre à certains endroits, car il faisait moins profond dans l'eau. On aurait presque pu mettre les pieds dedans sans se noyer. A d'autres endroits, c'était les arbres qui subissaient les assauts du torrent. Le cours d'eau étant sorti de son lit, les arbres affleurant l'eau se trouvaient à présent dans l'eau.
- Elle s'entend bien avec Louis ? demandai-je en observant la rivière où dévalaient des branches d'arbres et même un cadavre de vache, sans doute surprise par l'orage et la montée des eaux.
- Oui, même s'il y a eu parfois des petits soucis, notamment un peu de jalousie de la part de Louis.
- Jalousie envers sa sœur ? C'est normal chez les enfants, non ?
- Oui, surtout que, avant la naissance, c'était lui qui était le centre d'intérêt de tout le monde. Qu'il soit avec moi, chez toi, ou chez son parrain. Vu qu'il était le seul enfant, il se faisait chouchouter partout.
- Sa sœur naît et voilà que tout change, complétai-je. C'est elle le centre d'attention de tout le monde, rendant les autres enfants jaloux du statut du bébé.
- Tu as tout compris, fit-elle en glissant sa main sous mon bras. Pourtant, j'ai fait en sorte de ne pas le laisser tomber et de m'occuper de lui, lui réservant des moments rien que pour lui, mais ce n'était pas encore assez. Alors, je l'ai impliqué un peu plus dans les soins à apporter à Elizabeth, comme si c'était un jeu. Ça n'a pas trop mal fonctionné et le moment « jalousie » a pris fin. Même si ça se crêpe le chignon de temps en temps, Louis n'aimant pas que sa sœur fouine dans ses affaires, et vu que la miss est curieuse... En tout cas, il avait fort peur de ta réaction.
Je ne répondis pas, me contentant de hocher la tête. La petite courait les bras au vent, devant nous.
- Sherlock, me fit Hélène dans un souffle, il va falloir que nous parlions sérieusement.
- De quoi ? fis-je en sentant le froid s'insinuer en moi. Nous venons déjà de parler...
- De nous deux... me dit-elle presque imperceptiblement.
Mes vieux démons, qui s'étaient juste assoupis depuis hier soir, se réveillèrent et commencèrent à s'agiter dans mon esprit.
Qu'avais-je fait, il y a quatre ans ? J'avais refusé le bonheur qui s'offrait à moi, je l'avais refusé, la mort dans l'âme, mais je l'avais fait quand même, laissant Hélène partir pour de bon... Même si je venais de la retrouver, rien n'était plus pareil. Tout avait changé. D'ailleurs, étais-je prêt à vivre en couple ? Rien n'en était moins sûr.
Alors, la crainte s'était insinuée en moi, semblable à une bête sauvage, nichée dans mes entrailles, qui m'aurait lacéré de l'intérieur, sans jamais me laisser de répit. J'avais le sentiment d'avoir une chance extraordinaire : Hélène m'aimait toujours et elle avait donné naissance à notre fille. Son mariage était un mariage arrangé. Mais la question que je me posais, c'était : où cela allait-il nous mener ?
Cette chance que j'avais de l'avoir retrouvée ne cessait d'être contrebalancée par l'angoisse de perdre ce bonheur. C'était comme les deux faces d'une pièce : d'un côté, la félicité et de l'autre, la peur constante, dévastatrice, qui constituait le revers de cette pièce.
Dès le début, en février 1885, j'avais compris que rien de bon ne pouvait découler de ma relation avec Hélène. Pas qu'elle ne me convenait pas, non, elle était la femme que j'aurais aimé avoir à mes côtés. Le problème venait de moi, du fait que je ne saurais pas l'aimer comme elle le méritait, que je ne saurais pas lui donner tout ce dont elle était en droit d'attendre d'un mari, et que mon métier était incompatible avec la vie de couple, et encore plus avec une vie de famille.
Conscient de la précarité de notre relation, ne songeant même pas qu'elle puisse m'aimer, n'ayant pas compris moi-même que j'éprouvais des sentiments amoureux pour elle, j'avais pleinement savouré chaque seconde passé avec elle, lorsqu'elle avait joué le rôle de mon épouse. Dans mon for intérieur, j'avais toujours cru que cela se finirait avec la fin de notre enquête en Normandie.
Défiant toutes les lois de la bienséance une fois de plus, Hélène avait insisté pour continuer à se voir, même après notre retour à Londres... Et je l'avais fait, continuant à savourer chaque minute que je passais auprès d'elle, me doutant qu'un jour, cela finirait et qu'elle me quitterait. Mais elle m'aimait et tout ce qu'elle voulait, c'était faire sa vie à Baker Street, avec moi...
De mon plein gré, j'avais refusé. La peur de la perdre avait dicté ma conduite, sans parler de la peur de m'engager avec elle. La somme de toutes mes peurs m'avait tordu les entrailles et j'en étais arrivé à la faire partir, pour ne plus la voir revenir avant quatre longues années.
Je ne méritais pas l'amour qu'Hélène me portait, et ce sentiment croissait au fur et à mesure que je marchais à côté d'elle. Je venais de plonger dans un malaise auquel je ne pouvais pas m'arracher. Il avait tissé ses fils autour de moi et il était trop tard.
La douleur devenait insupportable et je n'avais qu'une envie : fuir !
Entre Hélène et moi, il n'y aurait jamais rien de tangible. Ce bonheur, cette félicité que j'avais ressentie cette nuit, était en train de me quitter. Tout cela partait en lambeaux à cause du fait que je savais, tout au fond de moi, que Hélène ne divorcerait pas et qu'elle continuerait de vivre avec son mari.
Cela aurait perturbé la petite, d'être séparée de celui qu'elle croyait être son père et qui l'élevait comme telle. Moi, jamais je n'aurais assez de temps à leur consacrer, avec mon métier. Ce dernier me prenait trop de temps et tout le monde en aurait souffert, de mes absences répétées à longueur de semaine. Jamais je ne pourrais construire un foyer stable pour leur assurer une vie à laquelle elles avaient droit. La place de ma fille était auprès du mari d'Hélène, et nulle part ailleurs. Oui, leur place était auprès de cet homme. Pourtant, j'aurais aimé revoir ma fille... à Baker Street. Le dilemme était cruel.
Parce que si je laissais Hélène à son mari, acceptant qu'elle vienne me rendre visite, elle ne pourrait venir avec notre fille et Louis uniquement lorsque je n'aurais pas d'affaire en cours... Et si une affaire se présentait, lors de leur présence au 221b ? Alors, je serais forcé de leur demander de quitter mon domicile, la petite ne pouvant pas être présente en même temps que le client. Toutes mes affaires n'étaient pas dénuées de cadavres ou autres meurtres sanglants, mais la place d'une enfant n'était pas à mon domicile lorsque je recevais un client.
Oui, je devrais leur demander de me laisser seul avec mon client... Leur faisant de la peine à tous. Comme d'habitude, mon métier passerait en premier et leur visite serait écourtée.
Même ainsi, il me serait impossible de passer du temps avec ma petite fille et elle me détesterait vite... Et Hélène avec.
Notre nuit était une belle erreur, jamais je n'aurais dû succomber à mes vils instincts, j'aurais dû partir tant que j'en avais encore la possibilité.
Le cœur au bord des lèvres, je n'écoutais même plus Hélène qui me parlait. Venant de me rendre compte que notre nuit était un non-sens et que rien n'allait changer entre nous. J'étais trop groggy que pour l'écouter parler de nous deux et de notre avenir qui, pour moi, n'avait rien de commun avec le sien.
Pourtant, je la désirais ardemment, je ne voulais pas la perdre, mais malgré tout, je n'étais pas fait pour une vie de couple et encore moins une vie de famille. Hélène avait raison, mon comportement était égoïste : je la voulais, mais pas tout le temps, uniquement lorsque j'en aurais eu besoin.
Un peu comme une maîtresse de luxe, que j'aurais été voir lorsque cela m'aurait agréé, entre deux affaires, lorsque mon esprit aurait sombré dans la stagnation et que j'aurais voulu l'occuper d'une autre manière. Dieu du ciel, c'était encore pire que ça ! J'aurais fait d'elle une prostituée de luxe... Juste réservée à mes besoins personnels. Je ne l'aurais utilisée que lorsque moi, j'en aurais eu envie, sans me soucier de ce qu'elle voulait... Oui, mon égoïsme, ma peur de m'engager, mais l'envie de la garder non loin de moi, auraient fait d'elle une prostituée de luxe pour mes petites envies personnelles. Obligée de rester célibataire toute sa vie et de ne voir l'homme qu'elle aimait, uniquement quand lui en aurait eu envie...
Mais j'étais ignoble, moi ! Jusqu'à présent, ce genre de pensée ne m'avait pas effleuré l'esprit, mais en y réfléchissant bien, c'était ce dont j'avais l'intention de faire d'elle : la garder près de moi, mais pas chez moi... Avec moi, mais sans moi. Ensemble, mais vivant séparé.
J'eus envie de vomir. Sans même le vouloir, je commençais à devenir aussi abject que mon père, en ne faisant aucun cas du mal que je causais autour de moi ou que j'allais engendrer à la femme que j'aimais...
Puisque rien n'était possible, je devais y mettre fin avant que tout cela n'aille trop loin et qu'Hélène ne me quitte une seconde fois... Avant que la petite ne s'attache à moi et que je sois le responsable de son chagrin.
Plus tard, sa mère lui apprendrait la vérité. Peut-être qu'elle me pardonnerait et qu'elle voudrait bien dire bonjour à son vieux père...
Sinon, il me resterait le souvenir de la journée d'hier et de cette nuit... Ma rencontre avec ma fille et ma nuit avec sa mère...
- Hélène, commençai-je, ce n'est pas le bon endroit pour discuter de tout cela, ta fille est là. Nous devrions en parler plus tard...
- En fait, tu ne m'as pas écouté, me dit-elle en fronçant les sourcils. Pourquoi est-ce que les hommes n'écoutent-ils jam... ?
Laissant sa question dans le vide, sa main se posa subitement sur mon bras et elle le serra assez fort. Son regard était angoissé.
Je compris vite la raison. Le chemin de terre, devant nous, bien que légèrement en pente, était en ligne droite, sur une grande distance, et on ne voyait plus Elizabeth.
- Sherlock, fit-elle d'une voix tremblante. Où est ma fille ?
Quoi ? Vous croyez qu'après mon petit hiatus pour cause de vacances et de rédaction de la suite, j'allais changer ma méthode ? Non, vous rigolez, ou quoi ? Toujours aussi sadique dans mes coupures de chapitres !
