Chapitre 1 : Pain et Bisounours.

Jonathan Crane détestait les gens.

Ça n'avait rien d'un secret, quiconque avait déjà croisé le chemin du jeune professeur aurait pu vous l'apprendre. Froid et antisocial, il détestait les petites discussions de convenance, les politesses ou autres simagrées, leur préférant de loin le sarcasme et le silence qui venait juste après.

Au départ ses collègues de la faculté avaient eu un peu pitié de lui. Ce jeune professeur toujours le nez dans un livre, sans ami dans sa vie ou de partenaire dans son lit. Ils avaient essayé de le faire sortir de sa bulle, mais chaque tentative s'était soldée par un échec cuisant. Au bout d'un moment, il leur avait fait clairement comprendre qu'il n'était pas le moins du monde intéressé sur le ton de quelqu'un vous disant d'aller vous faire fouttre avec une prostituée galeuse. Depuis ils avaient tous abandonné. Tous sauf Erin, avec qui le Démon partageait son bureau.

L'autre assistante-professeur de psychologie se faisait souvent l'avocat du diable autour de la machine à café, clamant à qui voulait bien l'entendre qu'il n'était juste pas très doué avec les gens, un peu trop timide peut être, oh non il n'avait pas voulu être vache en disant qu'il n'avait aucune intention de perdre son temps en réunions tupperware, c'était juste de l'humour. Quand la conversation tournait vers ses costumes achetés au supermarché, son écriture en pattes de mouches ou son air un peu efféminé, Erin les traitait de vieilles commères et partait en disant d'un air dramatique qu'elle était la seule à voir son âme derrière ses lunettes. Une fois partie, les vielles commères rétorquaient qu'elle avait surtout vu ses grands yeux bleus et avait choisi de baver dessus en ignorant le reste.

Parce que Jonathan Crane n'était pas très agréable.

Pour parler franchement, il était même désagréable. Qu'il soit perfectionniste, après tout pourquoi pas. Ca rendait le travail de tout le monde plus facile quand c'était à lui de remplir des formulaires. Les élèves n'auraient jamais été aussi agréables avec eux s'ils n'avaient pas eu Jonathan et sa ribambelle de devoirs à rendre comme seule comparaison. Deuxièmement c'était un petit génie et il ne laissait personne l'oublier. Soit. Après tout il en fallait bien pour remplir leurs quotas. Parce pour faire des bilans de recherches il était doué le Jonathan ! Il en avait rendu tellement depuis le début de l'année que Pigeon, leur principal superviseur, passait désormais son temps à lorgner par-dessus son épaule pour jeter un coup d'œil au dernier miracle du fils prodige. Là-dessus, rien à dire. Crane était doué, il n'avait pas obtenu le job grâce au piston ou quoi que ce soit. Mais bon sang ce qu'il était mauvais.

Pas mauvais dans le sens social, non, contrairement à ce que disait Erin il était parfaitement capable de faire la différence entre une blague et une insulte. Il était mauvais parce qu'il était mauvais.

Dès qu'il entrait dans une pièce il jetait un coup d'œil suffisant autour de lui puis retournait à ses notes, estimant que le reste du monde lui était inférieur. S'il vous lui adressiez la parole hors d'un cadre professionnel il vous enverrait paître tout net et si jamais vous aviez par malheur demandé quelque chose lorsqu'il était dans une de ses humeurs il vous sortirait quelque chose de visiblement innocent, que vous ne pourriez pas redire au superviseur, mais qui était pourtant une insinuation cruelle, une pique dégueulasse là où ça fait mal. Que ce soit un passé suicidaire ou une petite cousine de cinq ans atteinte de leucémie, aucun sujet n'était trop bas pour lui. Pour ça aussi il était doué Crane.

En fait Jonathan crane était un parfait connard.

Et là de suite Jonathan Crane était hors de lui. Parce que voyez-vous, ses collègues de travail n'étaient pas les seuls à devoir supporter sa charmante personnalité. Ses colocataires étaient beaucoup plus à plaindre. Enfin, avaient été.

Il n'avait jamais supporté le bruit des autres étudiants alors dès qu'il avait eut plus de moyens il avait fuit sa chambre universitaire pour une petite bâtisse défraîchie en bordure du Summerset. Ce n'était pas très grand, quatre chambres exiguës avec une salle de bain, un salon et une cuisine, mais ça lui allait très bien. Ce qui lui allait beaucoup moins bien c'est qu'il avait cinq colocataires, dont deux couples qui n'hésitaient pas à se faire entendre. En pleine nuit. Jusqu'à six fois par semaines. Alors comme il n'avait aucune intention de quitter les lieux, il entama une véritable guérilla dans la résidence pour se débarrasser des autres occupants. Après plus de six mois, une invasion de cafards lâchés par Jonathan, deux vols, une nourriture qui pourrissait étrangement vite parce qu'il débranchait le frigo la nuit, un compteur électrique qui tombait tout le temps en panne parce qu'il remettait les plombs usagés, une invasion de souris lâchées par Jonathan et un grand seau d'eau glacé sur les amoureux en pleine action, les derniers occupants étaient partis, le laissant seul maître des lieux.

Alors est-ce que quelqu'un pouvait lui expliquer pourquoi il y avait une crétine en rose sur son pallier ?

" Bonjour ! "

Dit-elle avec un grand sourire en secouant la main dès qu'il ouvrit la porte. Elle n'avait pas vraiment dit bonjour, elle avait dit bonchourr avec un accent qu'il pensa allemand, mais il n'eut pas le temps de s'y attarder parce qu'elle se remit à parler à toute vitesse immédiatement après.

" Je suis Kornelia Burba, je suis la nouvelle locataire ! Je sais je devais arriver plus tôt mais fiouuu ! C'est grand ici, je me suis perdue deux fois en venant ! D'abord en sortant du bus – la gare routière est très grande mais là il y a des panneaux c'est facile de s'y retrouver tu comprends ?- donc oui d'abord en sortant du bus j'ai cru que tout irait bien mais non ! Dès que je suis sortie à l'arrêt la carte- la carte sur l'arrêt de bus, moi j'ai pas de carte- elle était déchirée donc j'ai du suivre les panneaux mais à un endroit les panneaux étaient cassés donc j'ai dû demander mon chemin et là…"

Oh.

La seule raison pour laquelle elle avait réussi à dire tout ça, c'est parce que Crane n'écoutait pas. Il était en état de choc. Pendant qu'elle pépiait avec excitation, il se passa une main sur le visage. Il la regarda entre ses doigts comme une scène de film d'horreur particulièrement atroce. Parce que pour lui elle était exactement ça. Depuis les ballerines roses jusqu'au ruban rouge sang sur ses cheveux bruns frisés comme un caniche en passant par l'énorme manteau de fourrure rose bonbon. Comment, mais comment est-ce qu'il avait bien pu lui venir à l'idée d'acheter une chose aussi immonde ? On aurait dit que quelqu'un avait dépecé un Bisounours. Peut être même que c'était elle qui l'avait fait, parce qu'il voyait mal comment on pouvait avoir assez de mauvais goût pour commercialiser ça. La fille sous le blob rose était relativement mignonne, dans le genre petit chiot surexcité, mais elle portait beaucoup trop de maquillage -rose - et à ses joues creuses elle faisait très certainement tous les régimes à la mode sans s'inquiéter pour sa santé. Baissant les yeux il vit ses valises –roses- et conclu qu'elle était sa nouvelle colocataire.

Ça devait être la façon de son propriétaire de le punir.

" Puis je sais pas comment je me suis débrouillée, j'ai du me tromper de pharmacie-"

Est-ce qu'elle s'arrêtait pour respirer des fois ? Jonathan ne le savait pas mais il n'allait pas attendre de le découvrir.

"STOP !"

"Quoi mais je-"

"Non."

"Mais-"

"Non, chut."

" Mais le-"

" Chut."

" C'est-"

A bout de force, il posa sa main en travers de sa bouche pour la faire taire et lui lança un regarda noir jusqu'à ce qu'elle arrête de couiner ou d'agripper son poignet. Il fallu une bonne minute.

" On se tait" articula-t-il lentement comme s'il parlait à une petite fille " et quand je pose des questions on me donne des réponses courtes, d'accord ?"

Elle secoua vigoureusement la tête.

" Bien. Je vais partir du principe que tu sais lire les pancartes " Qu'il avait affiché pour témoigner son amour aux visiteurs " et que tu n'es ni un démarcheur, ni un témoin de Jéhovah, ni un potentiel locataire. Donc tu es là pour quoi ?"

Il enleva sa main.

" Je suis Kornelia Bur-"

Il remit sa main.

" J'ai pas demandé ton nom, recommence."

Cette fois ci quand il retira sa main elle sauta hors de sa portée avec un air courroucé, passant sous son bras pour entrer dans le salon.

" Vous êtes pas très accueillant vous ! J'ai dis que-"

Il tendit vivement son bras pour la faire taire ou la jeter dehors, mais elle lui mit une claque sonore sur la main avant qu'il ne fasse quoi que ce soit. Comment osait-elle cette –

"J'ai dis" cria-t-elle avant de baisser le volume " que j'étais Kornelia Burba, votre nouvelle colocataire et que comme le propriétaire vous l'avait dit par mail j'ai réservé ma chambre ici il y a trois jours. J'étais censée arriver dans l'après midi mais je me suis perdue, je suis désolée d'être arrivée si tard mais c'est pas une raison pour me traiter comme ça ! Ça va pas non ?!"

Il y eut un instant de silence. Jonathan baissa les yeux sur sa main. Mais quelle sale... Elle avait laissé une marque ! Mais il se retint de lui hurler dessus, se contentant de hausser un sourcil. Ainsi donc elle avait une bonne raison d'être là. Et bien tant pis, il nierait en bloc et essuierait tous ses arguments avec des accusations infondées. Il la ferait passer pour une gamine immature et hystérique. Sûrement, avec une fille comme ça il n'aurait pas besoin de plus pour la faire fuir.

"Et ta réponse c'est de me frapper ?" Demanda-t-il d'un air doucereux.

" Vous m'avez fait mal !"

" Alors si je comprends bien ton argument se tient à ' c'est lui qui a commencé ?'"

" Dans ce pays c'est recevable la légitime défense !"

Et si elle commençait à monter sur ses grands chevaux en empruntant du jargon juridique ça ne pouvait annoncer rien de bon. Diversion.

" C'est vrai, mais à moins que vous soyez tous stupides, arriérés et analphabètes dans ton pays, tu devrais avoir vu sur les pancartes que je ne cherche pas de locataires."

L'insulte paru la rendre encore plus furieuse. Elle serra les poings et avança un peu plus sa lèvre inférieure, il s'attendait presque à la voir taper du pied. Sauf qu'elle se contenta de le contourner pour empoigner ses valises restées sur le seuil.

" Oui et bien tu as de grandes mains pour faire taire les gens et écrire des mots doux …"

Visiteurs Passibles de Poursuites Judiciaires.

" ... Mais tu es pas le propriétaire et j'ai déjà payé le mois alors zou, on sort du chemin ou j'appelle …"

La situation lui échappait à grande vitesse. Elle était plus furieuse qu'intimidée et n'avait pas la moindre envie de s'en aller. En désespoir de cause il posa ses mains de chaque côté de la porte pour lui barrer la route et abaissa son visage à quelques centimètres du sien.

" Sors. De. Chez. Moi"

" … Le propriétaire tiens ! Cria-t-elle encore plus fort Il sera ravi de savoir que tu m'as mise dehors ! On tente pour voir ?!"

Ses grands yeux bleus regardaient droit dans les siens sans flancher. Elle ne bluffait pas. Si elle ne bluffait pas c'est qu'elle avait bel et bien le numéro du propriétaire et l'appellerait si jamais il continuait de la harceler. Au cas où ça arriverait, le propriétaire serait furieux et mettrait fin à son bail. La strangulation n'étant pas une solution viable l'heure était venue de faire marche arrière. Poussant un profond soupir il se redressa un peu.

" Bon on ne va pas y arriver, montres moi tes papiers."

" Oh, vous me montrez votre badge Monsieur l'Agent ?"

" Tes papiers du bail !"

" Tu es pas sérieux ?!"

Il haussa un sourcil et ne répondit pas. Au bout de quelques secondes elle leva les yeux au ciel et ouvrit une de ses valises pour en sortir un classeur –rouge pour changer- le tout en râlant. Enfin elle en sortit une feuille d'aspect tout à fait officiel et l'agita sous son nez.

" Arrêtes ça, j'ai vu."

Il se détourna d'elle et rentra à l'intérieur. Ç'aurait été trop espérer que l'aspect du salon lui fasse peur, mais il savait que ça ne donnait pas envie à qui que ce soit de rester. La pièce était aussi laide que le reste de la maison, avec sa tapisserie décolorée, aux motifs géométriques passés de mode, sa moquette tâchée par endroits et son aménagement rongé sur les bords. Les sièges du canapé en tissu vert bouteille s'étaient affaissés, ce que cachait mal un vieux plaid en dentelle jauni et les deux autres fauteuils n'étaient pas en meilleur état. Au milieu la table basse était couverte de vieux papiers à lui avec de la vaisselle sale ici et là. La télévision ne marchait plus depuis le passage à la TNT, la bibliothèque d'angle remplie de vieux romans de gare était donc la seule source de divertissement possible. La décoration, des fausses fleurs en vase, un tapis effiloché et des photographies de paysages, n'aidaient pas à rendre l'ensemble cosy. D'un pas résolument lent il alla s'asseoir dans le fauteuil au centre de la pièce, sans se préoccuper de ce qu'elle pouvait penser. Si elle comptait faire des remarques sur la façon dont il entretenait, grand bien lui en fasse. La voyant peiner à traîner ses quatre valises –qui avait besoin de tant de bazar ?- il lui octroya un dernier avertissement.

" Je pensais qu'il n'y aurait pas de nouveaux locataires parce que la maison n'est pas vivable. Il y a des rongeurs, des cafards…"

" J'achèterais du produit ! " Lança-t-elle par-dessus son épaule en entrant dans la cage d'escalier. " Et ne touches pas à mes affaires."

" … Le chauffe eau marche une fois sur deux" continua-t-il en l'ignorant " les plombs sautent au moins une fois par semaine…"

" C'est pas mieux dans les logements étudiants !"

Elle n'en démordrait pas aujourd'hui, n'est-ce pas ? Il attendit qu'elle ai ouvert toutes les portes de la maison et soit revenue dans le salon pour lui lancer une dernière pique tandis qu'elle peinait à monter ses affaires à l'étage.

" Ça serait moins lourd si tu n'étais pas aussi maigre."

La brune ne se retourna pas, mais il vit son dos se redresser une seconde avant qu'elle ne recommencer à tirer. Trop fatiguée pour s'énerver peut être ? Il lui semblait qu'elle avait mentionné s'être perdue. Il fit la moue. Enfin c'était bien beau tout ça mais il n'était pas avancé. Son alter ego non plus d'ailleurs. Parce que la vraie raison pour laquelle il ne voulait vivre avec personne c'est qu'il se savait bizarre. Pas fifou comme une pouffe qui a mangé trop de sucre. Bizarre dans le sens où il pouvait faire des discussions entières à lui tout seul.

Car voyez vous, Jonathan Crane était malade.

Au pire si l'étranglement c'est pas possible je suis sûr un bon coup de grille pain dans la nuque-

Impossible, le propriétaire savait qu'elle devait arriver et ça ne lui servirait pas à grand-chose. D'autres locataires finiraient bien par venir tôt ou tard. La seule chose à faire c'était de rester invivable, s'armer de patience durant les longues, très longues journées où il allait devoir partager la résidence et attendre qu'elle abandonne.

Fait chier.

Assez.

Dis tu crois que les gens l'appellent Korn ?

Pardon ?

Ben elle s'appelle Kornelia. Kornelia, Korn…

Très mature. Mais l'épouvantail marquait un point, se rendit-il compte en se levant. Elle avait du l'entendre des millions de fois, tout comme lui avait du entendre des millions de fois qu'il avait une bouche de suceuse ou autre comparaison dégradante. Ca n'était pas fin, juste immature et désagréable. Donc il allait s'empresser de brancher ses amplis volés à son ordinateur et de mettre Korn à fond jusqu'à vingt deux heures. Lui-même avait un casque anti bruit, ça ne le gênerait pas, mais elle aurait du mal à travailler dans ces conditions. Si elle ne pouvait pas travailler, elle finirait bien par mettre les voiles.


C'est avec une très grande consternation que Kornelia Burba se rendit compte que la cuisine était encore plus répugnante que le reste de la maison.

Au moins ça ne s'étendait pas beaucoup, c'était aussi grand que la penderie de son beau père. C'était ce qu'il fallait se dire, pour ne pas perdre espoir, parce que les murs étaient constellés de tâches de gras jusqu'au plafond, le sol n'en parlons même pas. Heureusement que c'était du lino. D'ailleurs est-ce qu'il était gris, ou est-ce qu'il était devenu grisâtre avec le temps ? Elle n'en était pas sûre. Le bahut à côté de la porte était terne et poussiéreux, il ne devait pas servir à grand-chose puisque toute la vaisselle était empilée en équilibre précaire sur le plan de travail, tandis qu'une mare radioactive poussait joyeusement dans l'évier. Un instant elle sursauta, croyant que ça avait bougé, mais c'était juste des larves de mouches. Même chose pour la cuisinière mais chaque surface était tellement recouverte de graisses brûlées que ça devait fonctionner comme de la colle. Visiblement, son nouveau colocataire était aussi propre qu'agréable. Poussant un profond soupir, Kornelia mit ses gants en latex et déroula un sac poubelle. Ca ne lui plaisait pas de jouer les femmes de ménage pour un sagouin mais il avait raison, la maison était vraiment invivable, et elle avait des gâteaux à faire pour le lendemain. Ne sachant pas trop par où commencer -comment est-ce qu'on pouvait être aussi sale ?- elle fit plouf plouf entre le frigo aux airs faussement innocents, la vaisselle moisie et la plaque de cuisson gluante.

S'armant de courage, la polonaise agrippa alors la poignée en essayant de se convaincre mentalement qu'elle avait vu pire. Puis elle ouvrit la porte, s'immobilisa pendant une seconde, hurla comme une truie qu'on égorge et la referma avec un coup de pied en se jetant en arrière.

Donc déjà, non elle n'avait pas vu pire. Enfin si, elle avait déjà vu des cadavres dans un état de décomposition beaucoup plus avancé que celui des yaourts de son colocataire. Oui, ils avaient explosé partout et rependu de la mousse noire sur les parois. Oui, il ya avait des champignons dans un plat mais encore une fois ça n'était pas trop grave. Un corps une fois bien gonflé au soleil finissait par exploser. Horrible à nettoyer. Elle-même n'avait jamais eu à le faire, interne à la morgue qu'elle était, mais l'équipe qui s'en chargeait lui avait raconté des histoires horribles comme quoi la graisse humaine c'était pire que de l'acide. Ca s'incrustait partout et il fallait changer la moquette derrière. Une horreur vous dis-je. Sauf que les cadavres c'était gentil, ça ne vous attrapait pas par la mâchoire, ça ne vous disait pas de méchancetés et ça ne grouillait pas sur les parois comme la horde de cafards qui habitaient le frigo. Des cafards ! Une infestation de cafards ! Pour s'en débarrasser il fallait gazer toute la maison normalement ! Et s'il y en avait ailleurs ? Il y en avait forcément ailleurs. Dans la salle de bain. Dans les placards. Dans les chambres. Dans sa chambre, grimpant sur le lit, rampant sur ses draps pendant la nuit, atteignant son visage…

L'image la fit frissonner. Définitivement invivable. Elle ne pouvait pas rester là. Son cerveau lui faisait mal à force de penser à toutes les maladies qu'elle pourrait attraper ici. Non non non. On se calme, on respire, on ne panique pas et on va chercher une combinaison jetable anti-infection. Elle allait nettoyer jusqu'à quatre heure du matin et ensuite ça irait beaucoup mieux. Ca ne serait pas parfait. Il faudrait tout de même qu'elle aille acheter du produit pour les nuisibles et qu'elle s'y prenne en plusieurs fois pour tout nettoyer. De toute façon en attendant qu'elle se retrouve un emploi à Gotham il faudrait bien qu'elle s'occupe la nuit. Voilà, on positive. Je vais bien, tout va bien.

Dans un sens, heureusement qu'elle avait beaucoup de choses à faire parce que sinon elle aurait fondu en larmes.

Elle avait été très anxieuse dans l'avion, abandonnant derrière elle tout ce qu'elle avait connu pour une ville où elle doutait qu'elle puisse trouver un logement. La pauvre avait eut raison d'ailleurs, sa chambre d'hôtel était jolie mais se trouver un endroit où vivre en fin du deuxième semestre n'avait pas été aisé. Sans l'association des étudiants étrangers elle n'aurait jamais trouvé, ils avaient fouillé partout pour lui trouver une place. Au final elle avait prit la première chose qui passait, les remerciant chaleureusement pour leur aide et promettant qu'elle ferait plein de gâteaux pour leurs stands. D'où l'urgence, parce que Kornelia se sentirait coupable de les laisser tomber après qu'ils aient été si gentils avec elle. Surtout que pour le moment entre les gens qui lui donnaient de fausses directions dans la rues et son odieux colocataire ils étaient bien les seuls à avoir un minimum de décence. Ses mains de resserrèrent sur son éponge et elle frotta plus fort.

Ce n'était pas de sa faute si elle était aussi maigre. Elle essayait de manger mais c'était… compliqué. Son estomac se serrait, des fois elle tombait malade parce qu'elle n'avait plus l'habitude de digérer des portions normales. Plus elle mangeait, plus elle stressait, plus elle stressait moins elle avait envie de manger. Alors oui ses bras étaient osseux, ses reins fragiles, ses dents trop courtes et elle devait mettre beaucoup de fard pour cacher son teint maladif mais elle allait mieux. Elle n'était plus si maigre. Kornelia frotta plus vite. C'est sur qu'avec ses beaux yeux et ses traits délicats, préraphaélites, il pouvait se permettre de critiquer qui il voulait lui. Là tout de suite elle avait envie de le frapper. Lui donner un œil au beurre noir, lui casser le nez, n'importe quoi pour le rendre moins beau et lui rendre un peu de sa confiance en soi. C'était injuste qu'elle doive se battre autant pour si peu de résultats alors que d'autres ne faisaient que se plaindre de ce qu'il y avait autour d'eux sans la moindre considération pour le ressentis de leurs proches. Soudainement furieuse elle se releva et jeta son éponge de toutes ses forces contre le mur. Elle s'écrasa en éclaboussant tout ce qu'il y avait autour avant de tomber avec un bruit mouillé sur le sol. Haletante, poings tremblants à ses côtés, elle regarda les nouvelles tâches brunes dégoulinant sur la vielle peinture.

Il ne s'en sortirait pas comme ça.


Le rythme régulier de ses talons résonnait sans qu'on l'entende, assourdi par la musique de son colocataire et la moquette miteuse. Les hanches maigres de Kornelia ondulaient plus que d'habitude pour équilibrer son corps sous le poids du lourd plateau qu'elle portait. Méticuleusement, elle y avait déposé des couverts brillants sur une serviette proprement pliée, un pichet de grenadine, un verre et une énorme assiette couverte d'une petite montagne de tranches de pain de viande présentée sur une salade si verte et fraîche qu'elle en paraissait artificielle. La brune s'arrêta devant la porte de son colocataire, où les hurlements noyaient même le bruit de sa respiration. Sans hésiter elle tapota la porte avec son pied. Pas de réponse. Elle ouvrit la bouche pour l'appeler mais se rendit compte qu'elle ne connaissait même pas son nom. Tant pis, elle continuerait à frapper jusqu'à ce qu'il réponde. Alors elle frappa encore une fois.

Et encore.

Et encore.

Et encore.

La musique s'arrêta. Redressa ses épaules devenues lasses à force de porter le plateau elle fit un grand sourire le voyant enfin ouvrir sa porte. Il lui jeta un regard noir, restant dans l'entrebâillement.

" Le tapage nocturne c'est seulement à partir de vingt deux heures."

Crane baissa les yeux vers l'assiette et le délicat fumet qui s'en échappait. Ou alors il jetait un coup d'œil à sa poitrine, c'est selon.

" Oui, non en fait je suis venue pour m'excuser."

" T'excuser de m'avoir harcelé pendant une heure ?"

Pas très encourageant. Elle fit un sourire contrit et releva le plateau.

" Je suis désolée de t'avoir crié dessus tout à l'heure, c'était pas très gentil de ma part. Si tu veux j'ai fais " Il lui prit ce qu'elle avait dans les mains " du cake pour" et lui claqua promptement la porte au nez " … me faire pardonner." La musique reprit.

Elle resta un instant là, figée sur place.

S'il elle ne s'y était pas attendu sa paupière aurait eut un spasme.

Au lieu de ça la polonaise ne se départit pas de son sourire crispé. Sans se presser elle retourna dans sa chambre en fermant soigneusement derrière elle. Ses mains tremblaient en verrouillant, elle dut se reprendre à deux fois avant de pouvoir entrer la clé dans la serrure. Le cliquètement fut à peine audible sous les hurlements, le crissement de ses vêtements contre la porte encore moins quand elle se laissa glisser sur le sol. A deux doigts de la crise de panique, elle serra ses genoux contre sa poitrine et posa sa tête contre le sol, yeux fixés sur la glacière, où les vermines vrombissaient autour d'un humérus humain.

Et maintenant quoi ?


D'ordinaire je ne fais pas d'apartés de ce genre mais dans le cas présent j'ai cru que ça s'imposait. Le personnage inventé de cette fanfiction, Kornelia, a un nom très similaire à Cordélia, la sirène inventée par Anga 27. Je vous rassure, ce n'est pas du plagiat et autant que je sache les histoires n'ont rien à voir (je n'ai lu que le résumé). De plus je publie des dessins de Kornelia et des bribes de ma fanfiction sur Deviantart depuis mai dernier, bien avant la publication de son premier chapitre. J'ai pensé à changer son prénom pour éviter l'ambiguïté, mais comme c'est un point de scénario qui revient assez souvent ce n'était pas vraiment possible. Ah et aussi il y aura du meurtre. Beaucoup.

Pour ce qui est du rythme de parution, je publie une semaine sur deux et ne vous inquiétez pas pour le hiatus j'ai actuellement 7 chapitres d'avance donc on est tranquille jusqu'en Février. Rendez vous le 11 novembre pour le chapitre deux : Or et Argent.

Amour et chocolats !