Note : Bonjour ! Je vous retrouve pour une nouvelle trad de Faithwood. Celle-ci s'appelle Bitter Honey Green Night en anglais. J'espère qu'elle vous plaira, le ton est un peu plus sérieux, moins « comédie » que dans d'autres de ses textes. Ça devrait faire autour de 15K au total, et je vais essayer d'être régulière dans la publication.
N'hésitez pas à laisser un petit mot, c'est vraiment important pour les auteurs et traducteurs de savoir qu'on ne poste pas dans le vide ! ^^
Bonne lecture !
Chapitre 1
Il y a de la boue sur le sol. De la neige fondue mêlée à de la terre s'est infiltrée dans les fissures du bois vieilli. L'air est rance, un mélange de sapin brûlé et de tabac, doucereux, et il irrite son nez qui ne s'est pas encore adapté à la chaleur soudaine. Drago renifle. Des flocons de neige glissent le long de sa cape noire et rejoignent la bouillasse sur le sol. Il plisse le nez et s'avance ; le plancher sale craque sous ses pieds.
Il regarde la fille qui se tient derrière le comptoir et sourit quand elle lui fait un signe de tête. Elle se détourne pour s'occuper de son client, un vieil homme avec une pipe et des mots chuintés qu'il lui faut partager. Ses vêtements sont élégants ; il doit être plus important que Drago.
Son sourire retombe et il regarde autour de lui. Les bougies répandent une lumière dorée sur les nombreuses décorations de Noël. Elles sont de mauvais goût et ne parviennent pas à donner une atmosphère festive à l'auberge. Elles rappellent plutôt à Drago les piles de vieilles décorations qu'on cache au grenier parce qu'elles ont perdu leur cachet. La radio est allumée et diffuse une mélodie douce avec des cloches qui sonnent gaiement et ruinent toutes les notes. L'endroit a l'air désert et Drago pense à suivre la sagesse populaire et à s'en aller avant d'être affecté par l'allure déprimante de l'auberge.
Une chaise frotte contre le sol au loin et Drago fait un pas en avant pour voir derrière l'arche de pierre qui isole la salle de restaurant. Un homme est assis dans un coin, des journaux étalés devant lui sur la table. Le chandelier à cinq bougies suspendu au-dessus de sa tête a l'air plus dangereux que bénéfique. La lumière dansante se reflète dans les lunettes de l'homme.
Drago pense toujours qu'il serait plus sage de partir, mais il ne peut se payer le luxe de la sagesse.
Le porte-manteau se penche vers lui et Drago décide de prendre ça pour un signe plutôt qu'une ratée de la magie. Il enlève sa cape, retire son écharpe, et permet au porte-manteau de se sentir utile. Il se redresse et met le vêtement de Drago hors de portée, l'air étrangement auto-satisfait pour un simple bout de métal.
Drago se passe une main dans les cheveux et se tient sous l'arche. Il hésite avant de faire un pas de plus. Il fait trop chaud et trop lumineux. Drago ne pense pas pouvoir supporter autant de lumières scintillantes. Le mélange de vert et or trouble sa vision. Il s'avance, néanmoins, et essaie de ne faire ni trop de bruit, ni pas assez.
Il n'y a qu'une seule table d'occupée dans la pièce. Drago s'arrête à côté et agrippe le dos d'une chaise vide. L'homme ne relève pas la tête, même s'il a dû remarquer qu'il avait de la compagnie. Drago prend un moment pour l'observer. Sa chemise blanche a l'air fine, et il n'y a pas de manteau en vue. Il a dû prendre une chambre et descendre pour un dernier verre. La lumière joyeuse du chandelier illumine un long article avec une photo en noir et blanc du Ministre de la Magie. Le Ministre sourit et salue de la main l'homme pendant qu'il lit.
La gorge de Drago est sèche et il se retient de tousser.
« Le monde est petit », est assez tentant, tout comme « tiens, tiens, quelle surprise », mais Drago les garde pour lui et dit :
— Potter.
Potter lève la tête. Sa main frémit et puis forme un poing, juste au-dessus de la photo du Ministre. L'instinct est une chose étrange, pense Drago. Potter a ignoré sans problème la présence de quelqu'un d'autre, mais le simple son de la voix de Drago lui a donné envie d'attraper sa baguette.
— Malefoy.
Potter fait un signe de tête et n'essaie pas de cacher sa surprise. Il regarde autour de lui comme s'il s'attendait à voir d'autres vieux camarades d'école se cacher derrière Drago et annoncer que c'est le moment pour une réunion d'anciens élèves. Drago ne peut pas le lui reprocher : ils ne se sont presque jamais revus depuis la guerre.
Potter a l'air d'attendre quelque chose. C'est au tour de Drago de parler, il en est conscient. Ne lui demande pas pourquoi il est là, ordonne Drago à sa bouche, qui lui obéit rarement. N'explique pas pourquoi tu es ici. Ne parle pas du temps qu'il fait. La liste des sujets de conversations possibles diminue à vue d'œil. Le feu qui se reflète sur les lunettes de Potter cache ses yeux. Ne pas voir quelles émotions y passent n'aide pas.
Drago avise les cheveux en bataille de Potter.
— Tu n'as toujours pas acheté de peigne à ce que je vois, dit-il.
Etrangement, la main de Potter se détend devant cette critique, comme si l'insulte l'avait convaincu que tout allait bien.
— Si je me peignais, les gens risqueraient de ne plus me reconnaître. Ça me priverait de verres gratuits et de demandes d'autographes.
L'espace d'un instant, Drago ne parvient pas à décider si Potter blague ou non, mais les coins de sa bouche se relèvent quand il ajoute :
— Alors, lequel des deux ça sera ?
Drago le fixe sans comprendre.
— Pardon ?
Les lèvres de Potter s'étirent en un grand sourire, même s'il fait visiblement de son mieux pour le contenir.
— Tu es là pour me payer un verre ou pour me demander un autographe ?
Il faut un moment pour que Drago se reprenne.
— Je te paierai un verre, Potter, pour éviter que tu mendies. Ça ne ferait pas très propre. Je préférerais éviter de voir ça.
— C'est pas grave, dit Potter. Je suis sûr que tu as mieux à faire.
Il retourne à ses journaux et ne dit plus rien. Drago a été mis de côté. Ce n'est pas surprenant. Ils ont échangé plus de mots en quelques phrases ce soir qu'en cinq ans jusqu'alors.
Une bûche craque dans la cheminée, rompant le silence. Drago se passe à nouveau une main dans les cheveux. Ils sont mouillés et font des épis, et le geste ne fait que les rendre encore moins disciplinés. Il plie le cou, tire ses manches par-dessus ses doigts et détend ses épaules.
— Tu ne vas pas m'inviter à me joindre à toi, alors ? demande-t-il.
Potter lève la tête, la bouche ouverte comme s'il comptait dire quelque chose, mais aucun mot n'en sort. Ça a dû marcher. Drago a dû avoir l'air d'un chiot gelé qu'on aurait mit dehors à coups de pied.
— Eh bien, si tu veux…
La réticence dans la voix de Potter n'arrête pas Drago. Il tire une chaise et s'assoit.
— Je veux.
Ce n'est plus la peine d'avoir l'air misérable et Drago sourit.
— Mes choix sont limités.
Il désigne de la tête le vieil homme assis au comptoir.
— C'est soit lui, soit toi. Je crains qu'il n'apprécie pas mes blagues.
Potter jette un regard vers l'homme avant de revenir à Drago.
— Parce que moi je vais les apprécier ?
— Tu es un public réactif, à défaut d'être reconnaissant.
— Et il te faut un public ?
— Evidemment. C'est Noël, Potter. Est-ce que je vais devoir boire seul, lire et écouter la radio ? Ce serait triste. Sans vouloir t'offenser, ajoute-t-il sans sincérité.
Drago peut voir les yeux de Potter, maintenant. Son regard est vif et déconcertant. Il a l'air trop soupçonneux pour ne pas poser la question à laquelle Drago veut répondre le plus vite possible.
Et bien sûr, Potter soupire et demande :
— Qu'est-ce que tu fais ici, Malefoy ?
— Je t'ai suivi, à l'évidence, vient la réponse immédiate. Je rêvais d'apercevoir notre héros bien-aimé. J'ai pris le dernier Portoloin pour Edimbourg juste pour ça.
Potter attend, l'image même de la patience. Drago rit et secoue la tête.
— Je suis là pour affaires, bien sûr. J'avais un rendez-vous avec quelqu'un pas loin d'ici.
Il évite le regard de Potter.
— On dirait qu'on m'a posé un lapin. J'ai préféré attendre au chaud quoi qu'il en soit. Je ne m'attendais sûrement pas à tomber sur Harry Potter…
Arrête, hurle une voix dans sa tête, et il se tait. Potter le regarde en silence.
— Et toi ? demande Drago avec brusquerie.
Les yeux de Potter s'étrécissent et Drago regrette d'avoir posé la question. Il essaie de réparer sa bévue, sachant qu'il va regretter ça aussi.
— Non, attends, ne me dis pas. Tu es ici pour une mission d'Auror très importante. Voyons voir…
Drago regarde autour de lui et s'arrête à la fille derrière le comptoir.
— Tu enquêtes sur notre estimée hôtesse ? Ou bien sur l'homme dont elle s'occupe. Je dois avouer qu'il a l'air suspect. Cette pipe pourrait servir d'arme. Ou bien tu penses que les sapins de Noël vont attaquer les clients ? Je suis heureux que tu sois là, dans ce cas. Il y a un nombre effrayant de sapins dans cette auberge ; je ne serais pas capable de les vaincre tout seul. J'espère juste que je n'ai pas grillé ta couverture.
Potter ouvre la bouche pour parler mais Drago continue ; il ne peut pas s'arrêter.
— Non, bien sûr que non. Désolé… j'ai oublié. Tu n'as pas brossé tes cheveux donc bien sûr tu n'es pas en couverture.
— Je ne comptais enquêter sur personne dans cette auberge, dit Potter. Il n'y a rien qui ait l'air particulièrement suspect. Si on excepte les sapins.
Drago note l'usage du passé et se force à sourire.
— Jusqu'à maintenant, dit-il d'une voix faussement inquiétante. Désolé de te décevoir, Potter. Ma raison d'être ici est si ennuyante qu'elle devrait être illégale, mais elle ne l'est pas. Mais je vous en prie… – Drago se penche en avant – enquêtez donc sur moi, Auror Potter, si tel est votre désir.
Les yeux de Potter s'ouvrent grands, et c'est seulement alors qu'il réalise à quel point sa voix était suggestive. La patronne vient enfin à lui, et Drago n'a pas le temps de s'interroger sur la réaction de Potter.
— Vous prenez quelque chose ? demande-t-elle.
Drago lève la tête vers elle.
— Oh, vous n'auriez pas dû vous déranger. Je ne voulais pas interrompre votre très importante conversation.
La patronne se redresse, même ses boucles brunes semblent se tenir plus droites et plus fières.
— Pas de problème. J'avais fini.
Drago lui fait un grand sourire.
— Formidable. Je vais prendre… est-ce que c'est de l'hydromel ?
Il regarde le verre de Potter, rempli d'un liquide doré. Il secoue la tête et fait tss-tss.
— Je vais prendre de l'hydromel aussi.
Il se penche vers la patronne et baisse la voix.
— Nous sommes des rebelles… à boire alors que nous devrions travailler.
— Je ne suis pas en service, se dépêche de dire Potter comme s'il s'inquiétait que la patronne ait une mauvaise opinion de lui.
Mais elle ne prête attention à rien d'autre qu'à la commande de Drago.
— Très bien. Nous avons le meilleur hydromel que vous pouvez trouver à Edimbourg. Vieilli en fût de chêne, bien sûr. On y met de la cannelle…
— Oui, oui, la coupe Drago. Ça sera très bien.
Elle fait demi-tour brusquement et s'en va, ses boucles dansant autour d'elle.
Potter fixe Drago du regard.
— Elle va cracher dans ton verre, tu t'en rends compte ? demande-t-il.
Drago fronce les sourcils et y réfléchit. Et puis il appelle.
— Miss Glas – c'est Miss Glas, n'est-ce pas ?
Elle se retourne et fait oui de la tête.
— Amenez-moi donc la bouteille, demande-t-il. Et… je l'ouvrirai moi-même, merci.
Elle hausse un sourcil avant de repartir, et Potter pouffe de rire.
— Tu ne t'es jamais dit que c'était simplement plus facile d'être poli ? demande-t-il.
— Je ne suis pas le seul à ne pas être poli, ici, réplique Drago en sortant sa baguette.
Il s'attend à ce que Potter réagisse, sorte sa baguette et crie « Expelliarmus », mais Potter continue à sourire, parfaitement immobile, les bras croisés sur sa poitrine. Drago n'en pense pas moins que s'il essaie de jeter un sort à Potter, il se retrouvera ligoté par terre avant que les mots aient pu quitter sa bouche.
Il écarte cette pensée et agite sa baguette vers la masse de bougies et éteint leurs flammes. Un autre mouvement et la brillance des illuminations de Noël diminue. Encore un coup et le chandelier flottant atterrit sur la table alors qu'il essaie futilement de retrouver sa liberté et de rallumer ses bougies.
La magie de Drago s'attarde dans l'air une courte seconde ; c'est bleu pâle avec une nuance de vert, et Drago ne peut s'empêcher d'être fasciné. Le vert semble disparaître en dernier.
— Les lumières se sont montrées impolies envers toi et il a fallu que tu les tues ? demande Potter avec une fausse gentillesse.
Drago arrache son regard à la rémanence du sort et range sa baguette dans sa poche.
— Maintenant, tes pauvres yeux myopes ne pourront plus lire, dit-il. Tu n'as pas plié ton journal, Potter. Ça aurait été poli étant donné que tu as de la compagnie.
— Poli ou pas, ce que tu as fait ne change rien. C'est peut-être dur pour toi de prévoir si loin, Malefoy, mais je peux simplement rallumer les lumières, dit Potter en parlant lentement, détachant chaque mot comme s'il parlait à un enfant.
Drago a un sourire supérieur.
— Tu pourrais, mais tu ne le feras pas.
— Ah bon ?
— Si tu les rallumes, je les éteindrai à nouveau… Ça serait très immature. On ne peut pas s'abaisser à ça. Qu'est-ce que Miss Glas penserait de nous ?
Potter se masse les tempes et puis tend la main vers son verre. Sa pomme d'Adam se soulève alors qu'il laisse sa tête partir en arrière et qu'il avale le liquide sucré. La peau de sa gorge est pâle, remarque Drago malgré lui.
— Très bien, dit Potter.
Il repose son verre sur la table et plie le journal.
— Raconte-moi une blague, alors.
— Une blague ?
— C'est toi qui l'as proposé.
— D'accord.
Drago fronce les sourcils. Il connait pas mal de blagues mais aucune ne lui vient. Les seules dont il se rappelle se moquent des Moldus et de leur mode de vie.
Le regard de Potter est amusé, comme s'il avait deviné les pensées de Drago.
— D'accord, répète Drago.
Il se racle la gorge.
— Quelle est la différence entre une harpie et du Whisky Pur Feu ?
Il attend quelques secondes et indique :
— Tu es censé dire que tu ne sais pas.
— Bien sûr, désolé.
Potter n'a pas vraiment l'air désolé.
— Je ne sais pas.
— Il n'y en a pas. Si tu passes assez de temps avec l'une ou avec l'autre, ils essaieront tous les deux de bouffer ton foie.
Potter donne l'impression qu'il pourrait rire s'il se forçait un peu.
— C'est toi qui l'as inventée ? demande-t-il.
— J'imagine que c'est plus drôle si tu as bu une bouteille de Pur Feu, reconnaît Drago, mais il refuse de s'avouer vaincu. Tu sais comment font les harpies pour draguer ?
— Sérieusement ? Tu es obsédé par les harpies ou quoi ?
Drago lui jette un regard mauvais. Potter cède :
— Désolé. Non, comment elles font ?
Drago sourit, se penche en avant, et regarde Potter de façon suggestive. Il baisse la voix et ronronne :
— Mmh, c'est mignon, on en mangerait.
Potter se fige, et puis il baisse les yeux et pouffe de rire. Un rire qui semble un peu nerveux, mais juste après il relève la tête et la seule chose que Drago peut voir sur son visage c'est de l'amusement.
— J'en ai plein d'autres, se vante-t-il.
Potter grimace et reprend son verre. Il fait un geste de la main comme pour dire, « Vas-y alors, puisqu'il le faut. »
L'hydromel dans le verre de Potter disparaît plus vite qu'il ne s'y serait attendu. Drago sourit et réfléchit à une autre blague.
