Chapitre 1 – Changes

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Mrs Helen Potter et son fils James ont la douleur de vous faire part du décès de

Harry Andrew Potter

décédé le 7 juillet 1977 à Godric's Hollow

L'enterrement aura lieu dans le caveau familial des Potter le 9 juillet à 15h.

Les arrivées par Cheminette sont souhaitées avant 14h30.

Lily reposa le parchemin. Son nom avait été inscrit sur l'enveloppe par l'écriture négligée de Sirius Black. Elle ne put s'empêcher de penser que, malgré tout ce qu'elle pouvait par ailleurs penser du cabot, il prenait soin de ses amis. Lily pouvait sentir l'appel à l'aide dans l'absence de message joint au traditionnel carton. Elle devait y aller.

Pétunia lui jeta un regard furtif lorsqu'elle passa devant la porte de sa chambre, mais se replongea presqu'immédiatement dans la lecture de son livre, offensée à l'idée que sa sœur ait pu la surprendre en train de la regarder. Lily était trop troublée pour se vexer.

Elle ne connaissait pas Mr. Potter. De mémoire, elle n'avait rencontré qu'une seule fois son épouse, sur le quai du Poudlard Express, et le souvenir était vague. Comme d'habitude, elle avait vu Potter rejoindre ses trois comparses, et une fois avec eux, le reste du monde n'avait plus existé pour lui. Potter avait eu l'air gêné que sa mère l'embrasse devant ses amis pour lui dire au revoir… Elle se rappelait de Mrs Potter comme d'une femme grande et mince, et déjà d'un certain âge à l'époque. Elle avait eu l'air un peu triste de voir son fils la quitter aussi facilement. Oh, Lily savait que Potter aimait sa mère. Il était rare qu'il écrive moins de deux lettres par semaine à sa famille, et elle doutait qu'aucun de ses amis ne l'ait chahuté à ce propos. Il était attaché à ses parents. Sans doute avait-il toujours eu conscience qu'il était leur fils unique et que ses parents n'étaient pas éternels.

- Maman ?

- Oui ? demanda Mrs Evans, en plantant ses beaux yeux verts dans ceux, identiques, de sa fille.

- Est-ce que tu pourrais m'emmener à Londres demain ? Un … ami de Poudlard vient de perdre son père. J'aimerais aller le voir.

Sa mère porta une main à sa bouche. Lily savait que sa mère aurait voulu pouvoir sauver le monde entier, adopter tous les enfants en manque d'amour (à commencer par leur voisin sorcier), mais même son genre de magie à elle n'aiderait pas dans le cas présent.

- Cet ami, est-ce qu'il est entouré en ce moment ?

Mrs Evans avait perdu sa mère très jeune, et Lily sentit presque physiquement la vague de compassion qui émanait d'elle. C'était une femme qui faisait toujours ce genre d'effet sur les gens.

- Eh bien, il y a sa mère et sans doute ses meilleurs amis. Je ne sais pas qui d'autre viendra.

- Tu veux que je t'accompagne ?

- Non, je préférerais y aller seule. J'utiliserai une cheminée au Chaudron baveur.

- Tu es sûre que tu ne veux pas utiliser la cheminée des Rogue ? Je suis sûre que si je demandais à Eileen…

Lily tressaillit.

- Non. Et je préfèrerais que tu ne dises pas à Severus où je vais.

- Vous vous êtes disputés ? Encore ?

- Oui. Mais ce n'est pas le problème. Severus n'aime pas cet… ami et risquerait de dire des choses que… je ne veux vraiment pas entendre.

Le regard vert se fit plus perçant, mais Mrs Evans soupira.

- Je comptais aller voir une amie demain de toute façon. Tu penses rentrer à quelle heure ?

- Aucune idée. Je prendrai le Magicobus, au pire.

Elle n'était même pas certaine que James Potter ne lui hurle pas de dégager en la voyant arriver comme une fleur à un enterrement où il ne l'avait pas invité. Elle était sûre qu'il était le genre de personne que le deuil rendait agressif contre le monde entier. Elle ne se rappelait que trop bien leur dernière conversation (comprenez « altercation ») à la fin de l'année scolaire. A son habituel refus agacé de sortir avec lui s'était ajoutée la colère qu'elle aurait dû diriger contre Severus. Elle s'énervait facilement, et ils le savaient tous les deux, mais alors que l'un des deux la connaissait assez pour lui laisser le temps de se calmer, le second prenait un malin plaisir à la taquiner quand elle était de mauvais poil, pour être sûr d'attirer son attention. Oh, Potter avait attiré son attention. Et sa main dans la figure. En bonus.

Elle ne regrettait pas leur dernière dispute, parce qu'elle avait été ferme sur l'impossibilité d'une relation romantique entre eux, et qu'il avait enfin eu l'air de comprendre qu'il la répugnait au-delà du concevable. Mais du coup, elle ne pourrait pas lui en vouloir s'il lui lançait un sortilège de Chauve-furie en la voyant, ou s'il décidait de lui jeter des horreurs à la figure comme elle l'avait fait. Elle avait déjà décidé qu'elle le laisserait faire, si ça pouvait lui faire du bien.

- Lily ?

- Pardon…

- Je demandais si tu avais besoin d'autre chose… pour toi ou ton ami.

- Non… seulement que tu m'aides à retrouver mon pull et mon pantalon noir.

Elle aimait s'habiller de manière colorée, surtout en dehors de l'école. Les environs de l'ancienne cité minière de Spinner's End étaient aussi gris que le cœur industriel de la ville. Ses cheveux roux et ses yeux verts tranchait déjà avec le paysage, mais pas suffisamment pour qu'elle s'y sente bien. Et son uniforme de Poudlard était trop… uniforme pour lui correspondre, il n'y avait jamais assez de rouge et d'or, si bien qu'elle se rattrapait pendant les vacances d'été.

- Demande à ta sœur, je crois que la dernière fois que je t'ai vu avec ce pull, tu devais être en CM2 …

Lily grimaça. Premièrement, parce que l'année scolaire lui donnait la mauvaise habitude de toujours s'en remettre à sa magie, et qu'à partir du premier juillet, même un simple sort d'agrandissement sur un pull-over lui était interdit. Deuxièmement, parce que Pétunia – à supposer avec beaucoup d'optimisme qu'elle ne se contente pas de l'ignorer– refuserait tout de go de lui prêter quoi que ce soit. Troisièmement, parce qu'elle allait devoir continuer pendant les deux prochains mois à prétendre devant sa mère que sa famille s'entendait aussi bien qu'avant son entrée à Poudlard…

- Si Pétunia ne veut pas, va piquer dans mon armoire, dit sa mère après un autre de ces coups d'œil perçants.

… Ou pas.

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- Tuney ?

Sa sœur releva imperceptiblement la tête, sans lever le nez de son livre de sténographie, mais l'œil exercé de Lily comprit qu'elle l'avait entendue.

Pétunia allait commencer une formation de secrétaire à la rentrée suivante. Lily était un peu déçue de ce choix. Malgré sa relation tendue avec sa sœur, elle savait que celle-ci était intelligente et qu'elle s'ennuierait vite à un poste fixe. Mais elle sentait aussi que c'était la façon qu'avait sa sœur de gérer la présence d'une sorcière dans la famille. En se raccrochant à un des métiers par excellence des femmes normales.

- Si par hasard je n'avais pas l'occasion de te le dire plus tard, je t'aime très fort.

Elle fila bien vite vers la chambre de ses parents, pour ne pas faire face au poison qui ne manquerait pas de s'échapper des lèvres de sa sœur. Mais il ne vint jamais. Pétunia avait levé les yeux et regardait, bouche bée, la porte du couloir par laquelle sa sœur venait de partir.

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Elle ne saurait pas quoi lui dire, se répéta une nouvelle fois Lily, en laissant son regard dériver vers le fleuve que la voiture longeait. La fumée grise qui s'élevait des usines de Spinner's End était déjà loin derrière elles. Sa mère lui lança un regard soucieux depuis le siège conducteur. Elle mit en marche la radio, mais dut changer une bonne demi-douzaine de fois la fréquence avant de tomber sur un tube qui ne soit pas triste. La mélancolie faisait vendre, Lily l'avait déjà remarqué. Mais elle n'avait vraiment pas besoin de ça.

Elle avait choisi de ne pas s'habiller en noir. Elle ne savait même pas si porter une tenue moldue serait considéré comme approprié dans la famille Potter, mais elle n'avait pas eu envie de porter la couleur qui aspirait la lumière de toutes les autres. Ça lui aurait trop rappelé l'effet des Détraqueurs. Un des amis Mangemorts de Severus avait trouvé amusant d'en inviter trois le soir où ils fêtaient la fin des examens. La manière dont il (ou plus probablement « ils ») les avait fait entrer restait un mystère, et elle sentait que ce tour de magie noire avait permis à Macnair et Severus de gagner l'estime de certains Serpentards de septième année, qui suivaient (ce n'était plus un secret pour personne) celui qui se faisait appeler le Seigneur des Ténèbres. Elle n'avait jamais vu Albus Dumbledore aussi en colère que ce jour-là. Severus non plus ne l'avait jamais vue tant en colère que ce soir-là. Elle ne lui avait pas reparlé depuis.

Elle chassa cette idée de sa tête. Elle ne voulait vraiment pas penser à Severus à cet instant. Mais penser à James Potter ne lui faisait pas non plus du bien. Elle ne pouvait pas haïr une personne en pleine détresse. Et en même temps, elle ne pouvait pas l'apprécier après toutes ces années de plaisanteries de mauvais goûts, de rixes dans les couloirs, de provocations immatures… un court instant, son cerveau effleura la possibilité que Sirius ne lui ait envoyé cette lettre que pour lui faire une blague. Une blague de très mauvais goût. Non, même Sirius n'était pas aussi cynique. Et il aimait les Potter, chez qui il vivait depuis le Noël précédent - où il avait fait une fracassante fugue. Le cabot avait répété l'histoire dans les couloirs pendant des semaines, et en particulier quand il était à portée de voix des amis Serpentards de son frère ou de ses cousines. C'était elle qui avait lancé tout haut le maléfice de Bloclangue que tout le monde avait pensé tout bas.

Un cahot sur la route la ramena à la réalité. Non. C'était sérieux. Le monde était devenu sérieux, au cours de l'année précédente. Le mage qui s'était fait connaître sous le nom de Lord Voldemort avait fait parler de lui. Par cadavres interposés. Il l'effrayait. Il les effrayait tous. Les lions comme les autres. Elle se rappelait encore le jour où le professeur McGonagall lui avait demandé (elle était préfète) d'aller chercher la petite Elia Montgomery, avec ce regard entendu qui l'avait glacée. Devenir orpheline, seulement deux mois après avoir appris qu'on était une sorcière… c'était à ce moment-là que les Maraudeurs s'étaient évertués à multiplier le nombre de leurs farces. Depuis Lily s'était demandé à plusieurs occasions s'ils le faisaient réellement par pure insensibilité, ou par volonté de continuer à faire rire les gens. A les empêcher de se faire engloutir par le chagrin.

- … cinq minutes.

Lily ouvrit de grands yeux. Il lui restait cinq minutes. Elle ne savait toujours pas ce qu'elle allait pouvoir lui dire.

- Maman. Qu'est-ce qu'on peut bien dire à quelqu'un qui vient de perdre un de ses parents ?!

Sa mère la regarda sérieusement.

- Des fois, chérie, ce ne sont pas les mots qu'on dit qui importent. C'est ceux qu'on écoute, ou qu'on dit sans ouvrir la bouche.

Lily acquiesça, pas tout à fait certaine d'avoir compris.

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La suie lui piquait les yeux, mais au moins, un coup d'œil rapide au salon où elle avait atterri lui apprit qu'elle ne s'était pas trompée de maison. Des photographies d'un petit garçon aux cheveux en bataille et au regard rieur familier lui souriaient depuis les quatre coins de la pièce. Sur l'une d'elle, il brandissait dans ses mains un balai volant pour enfant, assis au milieu de cadeaux de Noel, et sur une autre, là où un enfant moldu aurait été pris en train de donner des cacahouètes à l'éléphant d'un zoo, il touchait une licorne. Le garçon des photos ne semblait pas affecté par le présent. Le jeune homme en robe de sorcier qui se tenait dans le jardin et qu'elle voyait serrer la main d'autres sorciers avec une mine grave, lui, n'avait plus grand-chose du farceur qu'elle connaissait. La tristesse n'allait pas avec son visage.

Elle hésita un instant à aller le saluer. Que disait-on dans ces cas là ? « Toutes mes condoléances ? ». Mr. Potter valait mieux que cette formule trop entendue. Au moment où elle allait se décider à sortir par la porte-fenêtre, Remus Lupin entra dans la pièce. Il la salua avec son flegme habituel. Il y avait toujours une certaine douceur dans le loup-garou, mais aujourd'hui, elle sentit que la douceur était teintée d'une douleur sourde. L'un des siens avait mal.

- Lily ? dit la voix de Sirius, derrière elle, voix – nota-t-elle – plus rauque que d'habitude. Tu es venue !

- Oui… mais s'il-vous-plaît, ne me forcez pas à parler à James, je ne sais pas du tout quoi lui dire …

- C'est pas grave… Ça lui fera du bien de te voir.

Lily en doutait, mais elle suivit les deux garçons, que Peter rejoignit rapidement, sur la pelouse. Le cortège s'avançait déjà vers la grande rue du village, Mrs Potter et son fils en tête.

Lily n'avait jamais assisté aux funérailles d'un sorcier. Il était visiblement de coutume pour les amis et invités de créer des objets symboliques destinés à être inhumés avec le mort. Mrs Potter laissa tomber sa bague de fiançailles dans la fosse, et James un vif d'or en piteux état. Il resta planté au bord de la fosse pendant que la file d'invités passait déposer ces étranges offrandes. Lily ignorait que faire. Elle n'avait rien apporté. Elle ne connaissait même pas l'homme.

Et puis, elle se souvint de la rencontre fortuite d'une potion de Severus (un dérivé de Veritaserum et de potion euphorisante on ne peut plus prohibée) avec le verre de Bièraubeurre (également interdit à Poudlard) de James. Ce dernier s'était mis à mimer à grand renfort de moulinets et de papillonnements de cils les rendez-vous romantiques de ses parents, au Palais Saint James (qui avait inspiré son nom). Mr et Mrs Potter y avaient été ambassadeurs du Ministre de la magie de leur temps. Quand Potter lui avait imposé de force le rôle de Mrs Potter, elle lui avait administré la gifle … numéro 267 (si elle ne se trompait pas) mais elle n'avait pas oublié l'histoire. Lorsque ce fut son tour de s'avancer, sa baguette traça un léger cercle et une petite boule à neige se matérialisa. A l'intérieur, un couple dansait une valse devant le Palais Saint-James. Mrs Potter lui jeta un regard surpris, mais ne dit rien.

James en revanche, la fixa. Elle ne sut dire pourquoi, mais elle baissa les yeux et vint se placer à côté de lui. Sa main chercha la sienne, et pour une fois, elle ne se déroba pas à la pression qu'elle sentit sur ses doigts. Elle valait tous les remerciements, tous les pardons, tous les mots.

C'était une promesse.

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