Alea jacta est... Les dés sont jetés. Tout est fait, rien n'est plus à faire. Qui n'en a jamais été persuadé ? Et pourtant ! Quoi qu'on en dise, quoi qu'on en pense, tout peut toujours changer. Il suffit de n'importe quoi, d'une minuscule erreur, et tout peut basculer. Pour le meilleur... comme pour le pire.

N'espérez pas tout comprendre d'un coup, ce ne sera -normalement- pas le cas. Mais vous pouvez toujours établir des conjectures ! Je tiens tout de même à préciser que si je fais complètement abstraction de la saison 5 et du dernier épisode (tellement... tellement... =D) de la 4, je ne peux par contre garantir qu'il n'y aura aucun spoiler quant aux saisons antérieures.

Sur ce, bonne lecture !


Chapitre 1 Let's be optimistic !

Elle plisse les yeux et pousse un soupir. Il est une heure du matin, la musique douce qui tourne en boucle depuis vingt-deux heures lui pulvérise les tympans, et elle chancelle légèrement. Elle s'est nourrie des olives piquées en brochettes dans les cocktails et alcool forts, et n'aurait pas dû boire les coupes qui les accompagnaient. Elle se rattrape discrètement au coin du buffet recouvert d'une nappe beige. Non, elle aurait définitivement dû s'abstenir. Et se nourrir d'olives, elle doute que ce soit conseillé. En plus, maintenant, elle est écœurée à la seule vue des verres cristallisés.

Elle souffle doucement et son haleine alcoolisée lui revient en pleine figure. Réprimant une vague de nausée, elle contourne et évite des gens en tenue de gala, essayant de ne pas vomir sur les robes haute-coutures des femmes distinguées. Elle relève la tête, le cherche. Bien évidemment, il est hors de vue. Intérieurement, elle fulmine. C'est à cause de lui qu'elle est là, à s'ennuyer comme il n'en est pas permis. C'est lui qui lui impose de venir à chacune de ses soirées. Un serveur passe à ses côtés, elle s'empare d'un verre remplis d'un liquide transparent et fait comme si elle ne savait pas que ce n'est pas de l'eau. Le liquide lui brûle la gorge. Elle a la tête qui tourne, désormais. Elle ferme les paupières le plus fort possible. Elle tombe, mais elle ignore si c'est son oreille interne qui fout le bordel ou si elle est vraiment sur le point de copiner avec le parquet lustré. Une main la retient subitement, alors qu'elle est encore plongée dans des réflexion qui n'ont aucun sens. Et puis elle devine qu'on lui parle, et elle ouvre les yeux à côté d'elle.

Il lui fait face. Et d'un coup, elle est sûre que c'est l'homme le plus beau qu'elle ait jamais vu. Elle en est fermement convaincue, même. Il lui parle, mais elle n'écoute pas. Dans la salle, une musique un peu plus actuelle a brisé la monotonie de la soirée. C'est bien. Et puis elle le voit, dans la foule. Son mari. Appuyé sur deux fausses-blondes mannequins. Elle évite son regard, mais elle a vu l'étincelle désapprobatrice qui brille dans le sien. Elle l'ignore, mais ça la blesse quand même. Elle reporte son attention sur l'homme qui la dévore des yeux.

« Vous êtes marié ? demande-t-elle. »

Et elle prit pour qu'il le soit. Elle pourra le dire à son mari, comme ça. Parce-que lui, il a le droit de s'envoyer toutes les filles du monde, mais qu'elle, si elle s'avise seulement de croiser un regard masculin… Elle pourrait en faire un argument inébranlable, ''de toute manière, il était marié''. Vous êtes marié ?

« Non. Et vous ? »

Tant pis. Elle mentira. Ce n'est pas grave après tout. Elle bredouille une phrase affirmative, et se fait fureur pour ne pas tourner de l'œil. Elle laisse l'homme lui parler pendant encore quelques instants, mais elle ne l'écoute plus, ne le regarde même plus. Son attention est braquée sur le buffet. Soudain, une main lui agrippe l'épaule, l'excuse et l'entraîne quelques pas plus loin. Son époux se penche vers elle et lui souffle sèchement à l'oreille :

« La baby-sitter sur la ligne deux, dans mon bureau. Tu connais le chemin. »

Elle acquiesce sans lui porter une réelle attention. Des marteaux piqueurs ont envahi son cortex cérébrale. Il la secoue légèrement en la relâchant :

« Et tiens-toi un peu mieux, je t'en prie. Tout le monde te regarde. »

Il la laisse ruminer pour retourner à ses ''occupations'', ne lui laissant pas le loisir de lui dire ce qu'elle pense, à savoir qu'elle ne fait rien de répréhensible. Bon, elle a peut-être un peu trop bu. Peut-être. Vacillante, elle se dirige vers la porte de sortie de la salle de danse. Elle pousse le battant de la porte, s'y agrippant au passage pour ne pas tomber, et s'enfonce dans le couloir. Elle connait le trajet par cœur. Peut-être qu'elle ne devrait pas. Elle secoue la tête afin de chasser ses pensées de plus en plus dénuées de sens, et prend l'escalier. Troisième étage. Le temps de gravir et de compter les soixante trois marches, elle se sent mieux. Elle réalise qu'il lui a glissé les clés de son bureau dans la paume de sa main droite. Pourquoi est-ce qu'elle ne s'en est pas rendue compte plus tôt ? Après quelques essais infructueux, elle pousse la porte et allume les lumières. Cette pièce l'a toujours impressionnée pour son nombre de téléphones disposés un peu partout. Elle en saisit un au hasard, se racle la gorge.

« Allô ? »

Perdu. S'appuyant contre le bureau, elle se déplace et en saisit un autre. Deuxième essai. Cette fois, quelqu'un lui répond :

« Allô Mada-

- Je vous ai dit de m'appeler Kate, la coupe-t-elle. »

En réalité, elle n'en sait rien. Elle avait dit à l'autre baby-sitter de l'appeler Kate, ça elle s'en souvenait. Mais elle l'avait virée, ensuite… Et aujourd'hui, c'était une nouvelle femme qui s'occupait des enfants. Des enfants…

« Je… Votre mari m'a dit d'appeler dès qu'il y avait un problème, alors… »

Kate a décroché. Elle a mal à la tête, elle a envie de vomir. Est-ce que c'est normal ?

« Et ? presse-t-elle la baby-sitter.

- La petite à de la fièvre.

- Oh. »

Elle se rend compte qu'elle s'en fiche. Elle sait que dans d'autres circonstances cette réaction de négligence la terrifierai, mais là, elle n'en a rien à faire. Peut-être qu'un nouveau martini adoucirait son mal de crâne…

« Elle a 38°C, poursuit son interlocutrice qui semble particulièrement mal à l'aise.

- Un degré en trop, diagnostique avec difficulté la jeune femme. Elle n'en mourra pas. C'est bon. »

Elle s'apprête à raccrocher, mais l'autre semble sur le point de prendre la parole. Elle attends une fraction de seconde, mais n'est jamais très patiente lorsqu'elle a bu. Elle raccroche. En retournant dans la salle bondée, elle fait un détour aux toilettes, où elle se rend compte qu'elle a oublié les clés et laissé la porte ouverte. Elle s'asperge le visage d'eau froide, mais c'est un truc qui ne marche que dans les films. Au contraire, il lui semble que le choc thermique renforce méchamment sa douleur crânienne. La porte s'ouvre, une silhouette se dresse derrière elle.

« Ce n'est pas censé être les toilettes pour femme ? s'enquiert-elle avec une sombre ironie. »

Il secoue la tête, jette un regard enjôleur au miroir et la saisit par l'épaule.

« Tu dis n'importe quoi. Allez, viens. »

Elle en a assez qu'il la prenne comme ça, toujours. Comme si elle était une petite fille.

« Je croyais que tu m'aimais, lance-t-elle d'un air détaché. C'est pour ça que je t'ai épousé. »

Il se fige, semble sur le point de la frapper. Mais il contient sa fureur, et parvient à desserrer les mâchoires :

« Non. Non, Kate. Tu ne peux pas me faire une scène de ménage maintenant, devant tout le monde. Je te l'interdis. Cette soirée est importante pour ma carrière.

- Comme les autres, grogne-t-elle. Tu es déjà célèbre, de toute manière. »

Il ne répond rien, la tire vers lui et la dévisage avec attention, déterminé à la garder cloîtrée ici si elle n'est pas présentable. Mais il semble satisfait de son inspection, et ouvre énergiquement la porte, l'entraînant avec lui d'une main dans le bas du dos. Son estomac à beau être complètement retourné, son fond de teint n'a apparemment pas fait des siennes.

« Le sujet est clos, prévient-il. »

Elle ne dit rien, se contente de le suivre. De retour dans la salle où la fête, elle, bat son plein, tandis qu'elle divague au milieu des convives et des talons aiguilles. De loin, elle voit sans le voir son époux attraper un homme d'une quarantaine d'année par le bras et de lui murmurer rapidement quelques mots tout en envoyant de longs regard placides à la jeune femme. L'homme hoche brièvement de la tête, rencontre son regard. Le temps de détourner les yeux, il est déjà à ses côtés, la soutenant avec force pour ne pas qu'elle s'écroule au sol.

Il la traîne jusqu'à l'extérieur, retenant la porte vitrée qui les sépares de l'air froid pour la laisser passer. Elle l'aurait sûrement remercié, en temps normal, quoi qu'elle n'en soit même pas sûre, mais pour l'heure l'alcool a bien du mal à se diluer dans ses veines, et elle doit reconnaître, dans un demi-sommeil proche du coma éthylique, qu'elle n'est plus maitresse d'elle-même, de ses actes et de ses réactions. Elle se contente de tituber en le rejoignant à l'air libre, s'effondrant ensuite dans les bras du garde du corps/homme à tout faire employé par son mari. L'homme la récupère avec une fermeté mêlée à une certaine douceur, comme si elle était seulement une enfant qui descend du tourniquet. La réalité est bien moins innocente, et il la soutient pendant qu'elle vomit sur le trottoir, retenant d'une main les boucles brunes qui s'échappent par mèches éparses du chignon sophistiqué qu'elle portait en début de soirée mais que les heures combinées aux cocktails ont ébouriffé.

Le regard dans le vide elle se redresse, et il la réconforte rapidement en passant sa main dans son dos. Il la conduit jusqu'à la limousine garée sur le parking, un des avantages certains lorsqu'on est mariée à une célébrité. Tant mieux, il n'aurait pas supporté d'attendre un taxi, avec le froid qui règne et la jeune femme chancelante qui tangue dans ses bras. Quoique ça ne va pas être forcément mieux.

« Ça va aller ? » s'enquiert-il après l'avoir installée sur l'immense banquette arrière, ou plutôt après l'avoir calée du mieux qu'il peut pour qu'elle ne roule pas au plancher dès le premier virage. Elle ne répond pas. Il cherche un moment dans la boîte à gant, et fini par sortir un sac plastique.

« Vous allez réussir à vomir là-dedans, si besoin est ? »

Elle ne l'écoute pas, et de toute façon il sait que sa manœuvre est vaine. Il ne lui reste plus qu'à prier, à prier et à rentrer au loft chic situé au cœur de Manhattan le plus doucement possible. Il tente d'abord de maintenir un semblant de conversation dans l'habitacle, de manière à garder Kate consciente, mais lorsqu'elle finit par participer à son monologue c'est pour lui asséner de se taire, ce qu'il se contente donc de faire. En priant pour la banquette de la voiture. Dieu a dû avoir pitié de lui, car ils arrivent à destination dans une propreté certes relative, mais bien moindre comparée à ce qui aurait pu survenir.

« Allez. »

Dans l'ascenseur, il se regarde un instant dans la vitre. Il se trouve vieux. Des années passées à s'occuper de riches familles dont les soucis quotidiens et les préoccupations dépassent de loin l'entendement général. Et puis il la regarde, elle. Malgré ses yeux vitreux et l'odeur ténue de cognac qui émane de ses cheveux, elle est plutôt belle. Pas au meilleur de sa forme, c'est certain. Mais elle a, quoi, son âge ? Un peu moins, peut-être. Et pourtant, à cet instant précis, elle ressemble à une adolescente. Une adolescente complètement bourrée, mais une adolescente tout de même.

Les portes de l'ascenseur s'ouvrent avec le petite tintement caractéristique leur signifiant qu'ils sont arrivés à leur étage, et tout en maintenant la jeune femme contre lui, il s'escrime à ouvrir la porte. C'est une très jeune femme qui lui vint finalement en aide, déverrouillant de l'intérieur et tenant le bâtant tandis qu'ils pénètrent dans l'appartement. Lucie. C'est son nom. Et elle a l'air terrifiée, bien qu'elle n'ait a priori aucune raison de l'être. Le garde du corps lui souffle un rapide remerciement et emmène Katherine dans la salle de bain. Elle s'accroche aux lavabos, les jointures crispées et peinant à garder les yeux ouverts.

« J'arrive, promet-il en la laissant seule après avoir prit un comprimé de Paracétamol dans la trousse à pharmacie. »

Il rejoint Lucie dans le salon qui jouxte la cuisine américaine.

« Elle va bien ? s'enquiert la jeune femme avec un timide signe du menton en direction de la salle de bain.

- Ça va. Elle a juste un peu bu. »

Lucie hoche la tête et il attrape un verre transparent dans un des placards.

« Vous pouvez partir, lui dit-il en le remplissant d'eau.

- Mais je… bredouille-t-elle. Ils m'ont dit de rester jusqu'à ce qu'ils reviennent… »

''Ils'', c'est le couple pour lequel ils travaillent, tous les deux. Et Kate représente seulement cinquante pourcents de ce couple, ce qui semble décontenancer Lucie. En y réfléchissant bien, il trouve que Kate possède plutôt quelque chose comme vingt-cinq pourcents du pouvoir ici, pas plus. Son mari contrôle tout. Son mari… Il lève le verre dans lequel médicament commence à se dissoudre avec effervescence.

« Son mari m'a dit de vous remplacer. C'est bon, je reste.

- Je… Merci, Joseph.

- Il n'y a vraiment pas de quoi. »

Il la regarde rassembler ses affaires à la hâte puis lui tourne le dos et retourne dans la salle de bain voir comment Kate et tout l'alcool qu'elle a ingurgité cohabitent. Celle-ci est assise par terre, adossée aux toilettes, les yeux fermées.

« Doliprane, déclare-t-il en la relevant péniblement et en lui tendant le verre. »

Elle se contente de secouer la tête en repoussant d'une main molle le verre, mais ses gestes sont si imprécis qu'elle manque de le renverser. Joseph soupire en reposant le verre près d'une des vasques, et s'adosse au meuble les soutenant. Là, il entreprend de démaquiller le visage peint de la jeune femme.

« Maman ? »

La voix les fait sursauter, enfin surtout lui, et il se retourne immédiatement. Dans l'encadrement de la porte se trouve un petit garçon aux boucles claires qui encadrent son visage.

« Thomas, énonce Joseph.

- Ryan, reprends le petit garçon. »

L'homme hausse un sourcil.

« Je m'appelle Thomas Ryan Alexander, explique l'enfant avec entrain. Papa a dit que je pouvais choisir mon prénom d'usage, alors moi je choisis Ryan ! Comme dans ''Il faut sauver le soldat Ryan'' !

- Tu as vu ce film ?

- Euh…oui, avoue-t-il, mais je crois que Papa me l'avait interdit, alors chut ! C'est un secret. Ce film est super cool ! »

Joseph esquisse un sourire, et l'enfant se rend compte de la présence de Kate.

« Maman ne va pas bien ? s'inquiète-t-il »

Le garde du corps se retourne et contemple la pâleur de la jeune femme. Kate, à dix mille lieues de la luxueuse salle de bain où ils sont réunis, ne cille pas.

« Ça va aller, assure-t-il en se retournant vers lui. Elle est juste un peu malade, elle a dû manger quelque chose de mauvais à la soirée. Il se peut qu'elle vomisse, cette nuit, mais ne t'inquiète pas, ça finira par passer.

- Ooh, comme Marie quand elle avait mangé ce truc dégueu à Noël ! s'enthousiasme le petit en criant presque. »

En voyant Katherine froncer les sourcils en se couvrant les oreilles d'une main sourde, Joseph décide d'éloigner le petit garçon avant qu'il ne se fasse incendier par sa mère. Et puis il fait aussi ça pour elle. Le moindre bruit doit être une vraie torture, avec le mal de crâne qu'elle doit avoir.

« Je reviens tout de suite, dit-il à la jeune femme en lui tendant le verre qu'elle n'a toujours pas touché. Buvez ça. »

Elle saisit le verre d'une main mal assurée en grimaçant, et il attrape l'enfant par la main afin de l'entraîner ailleurs.

« Ce truc ''dégueu'', c'était une huître, Thomas. Et on ne dit pas ''un truc dégueu''.

- A cause de ''truc'' ? demande-t-il avec une innocence sincère.

- A cause de ''truc'' et de ''dégueu'', Thomas.

- Ryan.

- Tu t'appelle Thomas, réplique Joseph.

- Mais Papa m'a dit… bougonne l'enfant.

- Très bien, l'interrompt-il. »

Satisfait, bien qu'un peu déçu de ne pas avoir pu donner une seconde fois cette explication qui à ses yeux vaut tout l'or du monde, Ryan hoche la tête. Au bout de quelques pas, il se plante devant la cloison qui sépare le salon d'un des bureaux. Inséré dans le mur se trouve un gigantesque aquarium rempli de poissons multicolores. En plissant les yeux, on peut apercevoir à travers l'eau éclairée par de petits spots qui changent régulièrement de couleur la pièce opposée.

« A l'école, on a fait des aquariums pour la fête des mères, annonce l'enfant.

- Vraiment ?

- Oui. On a pris une boite à chaussure, mais qu'une partie, tu sais, le gros bout, dit-il en mimant une boite en carton dans l'air. On a peint l'extérieur en noir et à l'intérieur on a fait plein de décorations, des algues, des trésors de pirates, et tout ça. On a peint le sable en jaune et l'eau en bleu et en vert. Après on a découpé des petits poissons en carton, on les a accrochés avec une ficelle transparente à la boîte, et ça fait comme s'ils nageaient dans l'eau ! Alors qu'en fait, ils sont juste suspendus dans l'air.

- Ça a l'air chouette, déclare Joseph en hochant la tête. »

Thomas acquiesce.

« Tu penses que Maman va aimer ?

- J'en suis sûr.

- Tant mieux. J'ai pensé qu'on pourrait le mettre à côté du vrai aquarium, pour que Roupillou et Chipouille aient des amis. »

Roupillou et Chipouille, deux des poissons de l'appartement, appartenaient au petit garçon et avaient été soigneusement choisi par sa petite personne le jour de ses trois ans. Il se souvenait encore de l'animalerie illuminée et de tous ces poissons qui lui avaient fait tourner la tête. Les yeux écarquillés, bouche bée, il avait mis une éternité à faire son choix.

« Ça va être génial, assure gentiment Joseph.

- Dis, tu pense que Maman sera toujours malade ? »

Et l'homme ne peut s'empêcher de penser que le lendemain risque d'être une journée décevante. Il doute réellement que Kate se remette si vite de sa monumentale cuite. Mais il ne veut pas attrister l'enfant, qui le prend un peu pour un grand frère depuis qu'il a été embauché. Alors, il se tait, change de sujet, l'entraîne loin de l'aquarium. Peut-être que le Doliprane aura fait des merveilles.

« Marie est malade, l'informe Ryan tandis qu'il le borde. J'ai entendu Lucie dire qu'elle avait de la fièvre.

- Je vais m'en occuper, promet-il.

- Mais t'es pas docteur ! s'exclame le petit en riant.

- En effet. Mais je devrais pouvoir me débrouiller ! »

Il s'appuie contre la porte, et sourit quand Ryan ferme les paupières. Il attends un peu et s'apprête à partir, mais une voix qui s'élève dans la petite chambre plongée dans la nuit le retient :

« Joseph ?

- Mmh ?

- Est-ce que c'est Papa ? »

Il hausse un sourcil dans le noir, et l'enfant semble percevoir son incompréhension.

« Est-ce que c'est Papa, reprend-il, qui fait du mal à Maman ? »

Figé dans l'obscurité, complètement déstabilisé, il ne sait pas quoi répondre.

Peut-être parce que, d'une certaine manière, Thomas, ou Ryan, quelque soit la façon dont il désire qu'on l'appelle, peut-être que Thomas Ryan Alexander a touché un point essentiel.

Peut-être parce que, du haut de ses cinq ans, il n'aurait pu mieux discerner les failles qu'on retrouve un peu partout, dans cette famille.

Peut-être parce que, au fond, il a raison.