Matricule 58007
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Il se réveilla d'un sursaut. Il se redressa lentement et se mit en position assise, pressé contre le corps d'un homme endormit. Une vague de puissants frissons recouvrit son corps puis il se mit à grelotter. Il réalisait qu'il était frigorifié, le froid s'infiltrant dans tous les pores de sa peau.
Le jeune homme frictionna ses bras et balaya le wagon dans lequel il se trouvait du regard, à la recherche de sa famille.
Il repéra sa sœur, accompagnée de sa grand-mère à l'opposé de lui, emmitouflées dans leur manteau. Il continua d'inspecter l'endroit mais ne trouva pas son grand-père. Il s'interdit de paniquer et se convint à l'idée que son ancêtre se trouvait dans l'un des autres wagons du train.
Tout avait été tellement vite et confus. Il entendait encore les cris déchaînés des soldats leur ordonnant de monter dans les wagons tel du bétail et revivait les bousculades qui l'avaient séparé de sa famille.
Perdu aux fins fonds de ses pensées, le jeune homme ne remarqua pas l'arrêt du train. Soudain, un clic retentit tout de suite suivi d'un grondement sourd. Le blond cligna successivement des yeux, l'esprit brumeux et perçu une voix tranchante et assurée :
« Descendez tous, ne prenez pas vos bagages, vous les récupérez plus tard. Rejoignez les gardes dehors en vous regroupant !»
Le brouhaha s'intensifia alors que les personnes commencèrent à descendre.
Où pouvaient-ils bien être ? Pourquoi étaient-ils tous parqués comme des animaux ? Le jeune homme savait pertinemment que sa vie ne serait plus comme avant et que son existence serait chamboulée à jamais, mais à quoi devait-il s'attendre exactement ? Il avait bien entendu des rumeurs quant aux camps d'extermination réceptionnant tous les juifs déportés d'Europe, mais fallait-il croire ces atrocités ? La seule chose dont il était sûr était que sa famille et lui allait devoir travailler au compte des nazis. Et rien que cela lui donnait des sueurs froides. Il ne s'autorisa pas à pousser plus loin ses pensées quand il se rendit compte que le wagon était à présent à moitié vide. Il se leva en vitesse mais fut de suite couper dans son élan en s'écroulant par terre, ses jambes trop engourdies par le froid mordant et sa mauvaise position les empêchaient de le soulever. Il massa énergiquement ses membres, attendant que sa circulation revienne à la normale quand il s'aperçut que l'homme précédemment pressé sur son épaule n'était toujours pas réveillé.
Le jeune homme se rapprocha du mieux qu'il put et secoua l'homme.
« M-Monsieur, réveillez-vous. On est arrivé et il faut d-descendre. »
Il se mit à genou et secoua vivement l'autre. La froideur émanant de l'adulte le frappa, Newt plaça une main hésitante sur le front de l'homme. Il était glacé, sa peau était dure et sèche. Apeuré, le blond remarqua alors la pâleur de son visage. Il alla une fois de plus essayer de le réveiller alors qu'une grande main ferme le leva avec violence. Il manqua de retomber à terre et lança un regard abasourdi et choqué à la personne responsable.
Le soldat poussa le blond vers la sortie en effet ils étaient les derniers dans le wagon.
« E-Et l'homme ? »
« On ne prend pas les morts avec nous. On brûlera son corps plus tard. » Cracha l'allemand d'un ton méprisant. « Maintenant magne-toi de descendre de ce foutu train. » Sa voix claqua dans l'atmosphère morbide de l'endroit.
La nausée gagna Newt alors qu'un coup de pied le poussa hors du train. Il atterrit au milieu de la foule. Il avait l'impression que son cerveau fonctionnait au ralentit comme si ses neurones étaient paralysés.
Comment n'avait-il pas pu se rendre compte de l'état du pauvre homme ? S'il avait été plus observateur lors du trajet il aurait peut-être pu faire quelque chose et lui éviter cette fin tragique. La culpabilité commença à le ronger. Il ne devait plus y penser.
Il leva la tête et se mit à chercher désespérément des visages familiers. Il se concentra et ne pensa plus qu'à eux, tentant du mieux qu'il pouvait d'oublier la sensation de la peau dure et froide du cadavre sur le bout de ses doigts.
Il s'enfonça dans la masse en bousculant et se faufilant entre les personnes, remerciant pour la première fois sa petite corpulence. Il chercha de tous les côtés, se dévissant le cou à chaque fois qu'il apercevait une touffe de cheveux dorés. Le blond se perdit dans cette mer formée de personnes confuses. Quelques instants plus tard plusieurs voix en même temps retentirent :
« Tous ceux qui sont dans l'incapacité ou qui ne peuvent marcher de longues distances doivent se rendre dans les camions à leur disposition !»
Les gens n'attendirent pas et commencèrent déjà à se diriger vers les camions tandis que Newt se démenait afin de ne pas se faire embarquer par la foule.
Après avoir reçu un bon nombre d'insultes, il sortit enfin de cet amas et regarda autour de lui. Ils se trouvaient dans une étendue d'herbe à perte de vue et en face d'eux, à trois ou quatre kilomètres, se dessinait un bâtiment rouge. Il ne put s'empêcher de penser qu'ils allaient devoir marcher toute cette distance dans le froid et le vent glacial. Tout à coup il vit sa grand-mère et sa petite sœur se rendant vers les camions prêts à partir. Il courut les rejoindre, heureux et soulagé de les voir en un seul morceau. Une fois à près d'elles, il posa délicatement sa main sur l'épaule de sa grand-mère.
« Mamie, Lizzy, vous allez bien ? Personne ne vous a fait de mal ? »
« Newt ! Enfin te voilà ! » La vieille femme étreignit fortement son petit-fils. « On a eu tellement peur Lizzy et moi. Nous n'avons pas trouver ton grand-père et nous avions peur de t'avoir perdu également… »
La petite fille serra le plus fort possible son grand-frère dans ses bras. Le blond s'accroupit et encadra le visage de la petite de ses mains froides.
« Il ne faut pas s'inquiéter pour moi. Tous va bien se passer, je vous le promets. » Il s'adressa maintenant uniquement à Lizzy. « Tu vas monter dans le camion avec mamie et vous irez jusqu'à notre nouvelle maison, d'accord ? Moi je vais chercher papy et ensuite on se retrouvera tous ensemble. Tu sais que tu es une petite fille très courageuse ? Et n'oublie pas : je t'aime de tout mon cœur. » Finit le jeune homme en lui pinçant la joue.
La petite afficha une moue boudeuse mais sauta au cou de son frère, l'étouffant presque.
L'innocence de sa sœur attendrit Newt. Elle était une battante, il en était convaincu. Seulement, la naïveté de l'enfance l'habitait toujours et toutes ses épreuves avaient du être extrêmement difficiles pour elle et sa grand-mère. Il claqua un bisou sur la joue de Lizzy, lui offrit un dernier sourire confiant et rassurant puis se releva et câlina une dernière fois sa grand-mère.
« Fais attention à toi, mon grand. Je t'aime. »
Il n'eut pas le temps de répondre qu'elles furent enlever et embarquer dans le camion. Les portes arrièrent claquèrent en guise de dernier au revoir. Il regarda, un voile de tristesse devant ses yeux, l'engin s'éloignait, emportant avec lui les deux personnes les plus chères à son cœur. L'espoir remplaça le vide créer du départ de sa famille. L'espoir que tous se passe bien pour elle, son grand-père et pour lui. Et s'il avait un vœux à soumettre à moment précis aux Dieux, il consisterait à revoir sa famille entière saine et sauve, ne rendant pas cette scène d'au revoir un adieu.
Soudain, une vive douleur l'extirpa de sa mélancolie, il chuta lourdement face contre terre.
« Relève-toi et avance p'tit merdeux. Ça fait déjà deux fois que je te le dis et il n'y aura pas de troisième. »
Il se releva fébrilement et découvrit son agresseur. C'était le même soldat que précédemment. Visiblement il ne semblait pas que la tête de Newt lui revienne, mais le sentiment était tout à fait partager. Cet homme était un pourri, le blond pouvait le voir rien qu'à la lueur malsaine qui se tapissait dans ses yeux.
Il se dépêcha de rejoindre le groupe -qui avait maintenant presque diminué de moitié- en essayant de ne pas trop ménager sa jambe heurtée.
Après une vingtaine de minutes à avancer dans le froid mordant, le jeune homme n'avait toujours pas aperçut son grand-père dans le troupeau.
Soudain une idée lui vint.
Il se mit de côté et commença à trottiner en inspectant les visages un par un. Il se devait de retrouver son papy, il ne pouvait pas le laisser seul, sans défense, à la portée de tous ces êtres malfaisants. Ces grand-parents avaient toujours essayé d'être présent pour le défendre et s'occuper de lui lors de ses moments difficiles, alors à partir de ce jour, il allait tout faire pour leur rendre l'appareil. Il était temps que ces grands-parents lui passent le flambeau et que Newt se comporte comme l'homme de la famille du haut de ses 19 ans. La flamme de détermination se raviva dans sa poitrine, il continua de plus belle sa recherche.
Il arriva en tête de peloton, toujours sans aucune trace de son grand-père. Il s'arrêta essoufflé et réfléchit un instant. Peut-être était-il monté dans un des camions ? Cela ne lui ressemblerait pas de prendre la solution de facilité, c'était un homme de fort caractère qui ne renonçait jamais face à une situation compliquée. Seulement, peut-être que le voyage l'avait exténué ou alors il aurait voulu se rendre au plus vite au camp afin de les retrouver ? Ces deux suppositions frappèrent le blond mais il préféra vérifier une seconde fois si le vieil homme ne faisait pas parti de la foule.
Il repartit en courant et remarqua qu'ils ne leur restaient plus qu'environ un bon kilomètre avant leur arrivée. Tout à coup, Newt se sentit partir en arrière, étranglé par son propre pull et il finit face au pourri – oui, il lui avait attribué un petit nom affectif- qui l'agrippa violemment par les cheveux, le dominant de largements 20 centimètres. Newt gémit alors qu'un rictus de colère et à la fois de dégoût déformait le visage de l'autre. Le soldat se pencha entraînant le jeune homme par les cheveux.
« Qu'est-ce que tu comprends pas sale déchet ? Tiens-toi tranquille et arrête de nous faire chier en tournant en rond comme un stupide clébard ! » Toute sa haine envers le blond semblait être passé dans ses paroles.
« Officier Barkley ! Arrêtez votre mascarade. Si quelqu'un doit intervenir c'est moi et personne d'autre. Si vous persistez à agir sans mon consentement je vais devoir vous sanctionnez. »
« Oui, monsieur. » Grogna rageusement le soldat. La prise sur ses cheveux se desserra un petit peu et Barkley approcha dangereusement sa bouche de l'oreille de Newt.
« Si tu me provoques encore une fois, je te retrouverai au camp et te rentrerai dedans jusqu'à ce que tu regrettes d'avoir été mis au monde. »
Newt hocha doucement la tête, terrifié par la menace de l'Allemand. Ce dernier s'éloigna. Son corps se mit à trembler violemment et ses dents claquèrent. Ses mots lui avaient glacé le sang. Il se remit à avancer comme un automate en essayant de se faire le plus petit possible. Comment pouvait-on être comme cela ? Ils devaient être traités comme des moins que rien, comme des déchets par prétexte qu'ils étaient soit disant juifs ? Le jeune homme perdit tout son courage et continua de marcher, les idées noires.
Ses jambes lui faisaient mal et ses lèvres devaient sans doute être bleues, il se disait qu'il aurait du prendre un des camions avec sa grand-mère. Il n'avait jamais été aussi épuisé aussi mentalement et physiquement de sa vie qu'à ce moment. Il posa ses yeux sur le bâtiment en face de lui. Enfin, ils étaient presque arrivés.
Une fois devant, Newt se rendit compte de la grandeur du bâtiment ainsi que du camp.
Un violent frisson le fit tressaillir. Sa poitrine se comprima et la nausée le gagna. Newt se trouvait devant un paysage qu'il qualifiait d'apocalyptique.
Le soir tombant, l'ombre maléfique de la tour de garde se projetait devant lui et le ciel aussi rouge que le sang était parsemé d'une fumée grisâtre s'échappant des cheminées. Une odeur de cendre mélangée à une autre indescriptible infestait ses narines et installa en lui un sentiment d'inconfort et de malaise alors qu'il lut l'inscription au dessus de l'entrée du camp : « Arbeit match frei » Le travail rend libre.
Ses jambes faiblirent. Les gardes s'avancèrent devant eux, mitraillettes à la main, complétant la scène.
Le stress en même temps que la terreur se greffèrent au plus profond de son être. Son instinct lui hurlait de fuir temps qu'il le pouvait encore mais sa raison lui rappelait qu'il devait rejoindre sa famille en priorité. Il franchit le portail, pénétra dans le camps sachant que se ne serait, pour lui et tout les autres, qu'un allé sans retour.
