C'est bien une idée de gonzesses, ça, songea Bakugou. Il les écoutait piailler depuis dix minutes autour de la table de Face-de-Lune, à se prendre en photo et à les envoyer Dieu-sait-où. D'abord, seules les filles avaient pris part à ce rituel débile, enchaînant grimace sur grimace. Elles souriaient dans le vide, sans se rendre compte à quel point elles avaient l'air idiotes. Et lui, il assistait à cette mascarade depuis son siège. Jamais il n'avait été aussi pressé que les cours reprennent.

Sans grande surprise, le premier crétin qu'elles réussirent à embarquer fut Deku. Un battement de cil d'Uraraka suffit à ce qu'il relâche sa garde et il finit coincé entre Ashido et Hagakure qui le mitraillèrent de leur portable.

— Et voilà, ça va directement sur la story de l'école ! annonça Ashido, pianotant avec fougue sur son écran.

— Que… de quoi ?

Le visage de ce crétin de Deku avait perdu toute forme de couleur. Il fallait être un bel abruti pour ne pas deviner qu'elles allaient diffuser les clichés aux yeux du monde entier. Ils étaient des célébrités désormais. Depuis le festival de sport, tout le monde savait qui ils étaient. Ils se faisaient accoster dans la rue par leurs nouveaux fans qui leur demandaient une photo ensemble ou un autographe. En tant qu'élèves de la filière héroïque, ils ne seraient plus jamais tranquilles. Enfin, sauf Bakugou, que personne n'approchait jamais… Il ne s'en plaignait pas, d'ailleurs. Une semaine à se trimballer dans les rues en compagnie de Best Jeanist lui avait suffi. Il voulait devenir un héros pour tabasser les méchants, par pour se dandiner devant les caméras.

Toujours était-il que certains prenaient très à cœur leur nouveau statut de starlette. Ashido et Aoyama s'étaient désignés d'office responsables de la communication et passaient leur temps à twitter des anecdotes sans intérêt et à poster des selfies. Comme si quiconque avait envie de voir leur grosse tronche moche tous les jours.

— Uraraka, Uraraka ! Fais-moi léviter !

— Quoi ?! Quoi ? Tu… tu es sûre ?

— Mais oui, t'inquiète, j'ai une super idée.

Uraraka posa une main appréhensive sur l'épaule de son amie, qui s'éleva aussitôt dans les airs. Elle flotta jusqu'à atteindre le plafond sur lequel elle resta collée, son portable toujours en main.

— C'est trop génial ! Je me sens super légère ! Eh, Tsuyu, Yaomomo, faites un sourire pour cette plongée comme on en a jamais vu !

Bakugou avait un mal fou à contenir sa rage. Il n'était pas idiot, il savait que s'il se faisait remarquer, elles sauteraient sur l'occasion et il se retrouverait mêlé à toute cette histoire. Ses paumes le démangeaient elles chauffaient un peu plus chaque seconde. Le seul réconfort qu'il trouvait, c'était qu'Ashido aurait tôt ou tard à redescendre et qu'à cette hauteur de plafond… ce serait douloureux.

Malheureusement, comme la fortune ne semblait pas être de son côté, Tsuyu l'enroula de sa langue et la fit descendre en douceur avant qu'Uraraka stoppe l'effet de son Alter. En plus d'être agaçants, ils manquaient d'humour. De mieux en mieux, cette classe…

— Et voilà, on a passé la barre des vingt mille followers ! dit-elle à peine arrivée au sol.

Là, Bakugou était dépassé. Comment vingt mille personnes pouvaient-elles être touchées par la même forme d'abrutissement spontané ? Certes, quelques-uns les suivaient dans le but avoué de se moquer d'eux, comme ce mystérieux NeiMono qui laissait commentaire désobligeant après commentaire désobligeant. Il avait été bloqué à plusieurs reprises, sur toutes les plateformes, mais recréait des comptes à chaque fois qu'il ne pouvait plus poster avec le précédent. Il en était désormais à NeiMono13 et Bakugou admirait ce genre de persévérance, même s'il n'était pas très sûr d'approuver les insultes à son égard — ce qui était un monstrueux euphémisme.

Ce fut ce moment que choisirent Tête d'orties et l'autre taser humain pour faire leur apparition. Comme si cette classe avait besoin d'un nouvel arrivage d'imbéciles heureux.

— Combien ?

— Vingt mille ! répéta Mina. Deux et pas deux, pas trois mais quatre zéros derrière !

Et quoi de mieux que de fêter ça avec un autre selfie de groupe et puis un autre et encore un autre ? A mesure que les autres élèves arrivaient, la foule autour du bureau d'Uraraka s'épaississait. Tout le monde prenait part au rituel, faisait une, parfois deux photos en compagnie de tous les autres, le tout agrémenté de citations surfaites ou d'encouragements pour faire croire à l'abruti de base que lui aussi avait une chance d'être Plus Ultra.

Le seul point positif que Bakugou voyait dans cette situation était qu'aucun de ses camarades de classe n'avait encore songé à le traîner là-dedans. Il avait jusque-là réussi à éviter d'être impliqué et comptait bien continuer ainsi. Le pauvre Tokoyami avait été fait captif. Il se contentait de rester à l'arrière-plan et d'afficher un air mystérieux. Bakugou l'aurait volontiers plaint s'il en avait eu quelque chose à faire.

Encore cinq minutes avant la fin des hostilités. Le professeur Aizawa allait arriver sous peu et calmer ce tas de babouins. C'était sans compter sur les idées débiles qui pouvaient parfois fleurir dans le crâne de Kirishima.

— Allez, on en fait une dernière tous ensemble avant la reprise ?

Il fut accueilli par l'enthousiasme général. Mais oui, quelle merveilleuse perspective ! Collons-nous encore les uns contre les autres pour montrer au monde à quel point nous sommes une classe unie qui étudie dans la joie et la bonne humeur. Bakugou était sur le point de vomir. Qu'ils se dépêchent de faire leur connerie et qu'ils la ferment, c'était tout ce qu'il demandait.

— Eh, Bakugou !

Il se tourna. C'était bien à lui qu'on avait parlé ? C'était bien à lui qu'on avait osé parler ? Le responsable, ô comble du suspense, était Kirishima, un sourire comploteur accroché au visage.

— J'ai dit « tous ensemble »…

Il lui fit un geste, l'invita à venir les rejoindre. Plutôt crever. C'en était trop et, comme d'habitude, Bakugou explosa.

— Pour qui tu me prends, le porc-épic ?! Est-ce que j'ai une tronche à faire l'idiot sur Facebook ?! Allez tous mourir !

Il allait continuer sur sa lancée mais les dix-neuf autres élèves de la classe 1-A ne lui en laissèrent pas le temps. Ils fondirent sur lui en une seconde, Kirishima et Ashido en tête de cortège. Bientôt, ils l'encerclèrent tout à fait, agglutinés comme du vieux chewing-gum tout autour de lui.

— Je vais vous fumer !

Ses protestations étaient vaines, personne ne l'écoutait. Il aurait pu tout aussi bien hurler dans le vide.

— Arg, j'arrive pas à nous faire tous rentrer dans le cadre, on est trop nombreux.

Une déception pour eux, mais une nouvelle victoire pour Bakugou. Lui vivant, il ne se laisserait jamais afficher de la sorte partout sur la toile. Les photos de lui en jean moulant et cheveux plaqués sur le crâne qui avaient fait le tour de la classe après son stage lui avaient suffi. Qu'une vingtaine de personnes le voit dans une situation embarrassante, c'était déjà beaucoup, alors le Japon entier… Et quoi qu'en pensaient les autres, apparaître au milieu d'un selfie était une situation embarrassante.

Ils étaient sur le point d'abandonner — enfin ! — quand Shouji saisit le téléphone. Ses tentacules s'étirèrent et éloignèrent l'objectif jusqu'à ce que tout le monde soit visible. Ashido le félicita d'un pouce levé et d'un clin d'œil. Bakugou, lui, fulminait.

— Allez, tout le monde ! On regarde par ici et on dit « Cheeeeeeeese » !

Aizawa arriva, trente secondes trop tard. Le cliché était déjà posté, accompagné d'un nauséabond « Quand on veut, on peut ! Tous nos encouragements et passez une bonne journée ! Plus Ultra ! ». Fort heureusement, le cours de maths arriva vite à bout de toute cette joyeuse humeur et Bakugou put passer la fin de la journée dans le calme.