Chapitre 1

« Et voilà le dernier ! » Je venais à peine de finir de monter le dernier carton dans mon nouveau studio. J'étais arrivée à Forks en début d'après-midi, j'avais rencontré ma propriétaire, Madame Greenleaf, une vieille veuve qui vivait seule avec ses deux chiens aux rez-de-chaussé, signé les derniers papiers, récupéré les clés, puis j'avais enfin pu prendre possession des lieux et commencer à emménager. La benne de ma voiture – le dernier modèle 4x4 de Toyota, un petit bijou en forme de tank (je lui avais moi-même apporté quelques modifications) – était rempli à ras bord. J'avais eu toutes les peines du monde à fermer la porte. Mais à présent que tout était entassé en vrac dans mon nouvel appart', il ne restait plus qu'à ranger… Mais n'étant pas d'une nature très ordonnée, je préférais reporter la tâche au lendemain.

Il était déjà 17h passé. Je voyais le soleil qui commençait à décliner à l'horizon. Je décidais donc de faire un petit tour, histoire de me familiariser avec mon nouvel environnement. De plus il me restait une semaine tout pile avant la rentrée qui aurait lieu le mardi suivant, donc j'avais largement le temps de m'installer.

Je fis un rapide tour dans la salle de bain. Après le voyage et le déménagement je devais avoir une de ces têtes ! Et c'était le cas ! Lorsque je croisai mon reflet dans le miroir, je crus voir une souillonne ! Déjà que j'ai naturellement l'air d'une bohémienne, avec mon teint mate et mes longs cheveux sombres… mais là, j'ai ma tignasse en pétard ! Quelques moutons y ont même élu domicile ! Et mes habits ! J'avais mis des vieux trucs pour être à l'aise… mais impossible que je sorte comme ça ! Bonjour le ridicule ! Je ressortis de la salle de bain pour chercher de quoi prendre une douche.

Une demi-heure plus tard, j'étais prête. Mes cheveux étaient propres, ondulés et soyeux et surtout ils sentaient bons... ça fait toujours du bien de se sentir propre ! J'avais enfilé un pull beige avec un col en V et une petite jupe en velours brun. Je cherchai un instant mes clés de voiture du regard, elles étaient sur le petit meuble à côté de la porte d'entrée. Je m'en emparais en passant, je sortis et fermai la porte de l'appartement derrière moi.

En moins d'un quart d'heure, j'avais traversé la petite bourgade de Forks par la route principale. On m'avait promis du calme et de la paix, j'étais servi. Je n'avais repéré qu'un seul « super » marché, une ou deux petites épiceries, un magasin de randonné, un seul bistrot, un restaurant… vraiment pas de quoi alimenter des après-midi shopping avec mes futures amies… Parce que c'est que font les amies normales, des après-midi shopping, des heures à parler de garçons et fringues, faire les petites commères. Pas que je sois très fan de ce genre d'activité, mais j'avais l'intention de m'intégrer, alors je m'en moquais de revêtir le masque de l'adolescente américaine moyenne. A mon avis, j'ai déjà fait preuve d'assez de maturité pour le reste de ma vie. Je pouvais me laisser aller quelques temps et prendre du repos autant physiquement que mentalement.

Bon, pour être honnête avec moi-même, ça me ferait de la peine de mettre totalement mes entraînements de côté. Et puis j'avais des milliers de kilomètres carré de forêt à ma disposition… Je n'allais pas laisser passer une chance pareille ! Moi qui n'ai connu que les entrainements dans des vieilles caves insalubres et de vieux entrepôts.

Ça faisait dix minutes que je tournais en rond, plongé dans mes réflexions. Il s'était arrêter de pleuvoir, j'étais arrivée aux alentours du lycée. Comme il ne pleuvait plus, je décidais de garer ma voiture sur le parking, et de continuer mon inspection des environs à pied. Je pris mon manteau, la température ayant rapidement baissée, malgré le fait qu'on soit seulement à la fin août.

Je marchais sur les trottoirs dans la pénombre de la fin du jour. Je flânais sur le bitume humide, les lumières des lampadaires s'allumant un à un. Il y avait peu de circulation, les gens roulaient calmement pour rentrer chez eux, les voisins se saluaient entre eux. Certains me jetèrent des coups d'œil curieux. C'est vrai que dans une ville aussi petite on devait vite repérer les visages étrangers.

Après un moment à vagabonder au hasard, je tombai sur un café-restaurant que je n'avais pas repéré pendant ma ronde en voiture. Il recommençait à pleuvoir et mon estomac commençait à se manifester. Je n'avais pas beaucoup mangé à midi, seulement grignoté un sandwich pendant que je roulais.

J'allais pousser la porte, lorsque mon regard s'arrêta sur une feuille accrochée sur la vitre : « Urgent, recherche serveuse, vous adresser à l'intérieur. » C'était mon jour de chance, il fallait justement que je trouve un petit boulot. Mes économies n'allaient pas me tenir éternellement. Je poussai donc la porte du restaurant.

Il faisait bien chaud à l'intérieur, et la déco était rustique mais chaleureuse. Tout le mobilier était en bois sombre, verni, mais il y avait aussi beaucoup de lampes, qui diffusaient une douce lumière orangé. Une dizaine de personnes était attablée dans la salle, par groupe de deux ou trois. Ils discutaient avec animation et rires devant des assiettes qui m'avaient l'air bien appétissantes. Quatre, cinq hommes étaient installés au bar et discutait avec un homme et une femme d'une cinquantaine d'années qui devaient être les patrons de l'établissement. La femme tourna sa tête vers moi, je lui adressai un sourire qu'elle me rendit, et lui montra une table un peu reculée de la salle près de la fenêtre. Elle acquiesça en me faisant signe qu'elle arrivait. Je me dirigeais donc vers la table que j'avais désignée et m'y installai. Je contemplais la pluie à travers la vitre d'un air absent. Quelques instants plus tard, la femme me rejoignit.

« - Bonsoir ! me dit-elle avec un sourire chaleureux.

Bonsoir, lui répondit-je à mon tour. »

Elle me tendit le menu et m'annonça le plat du jour. Un steak tartare avec des frites. Je m'empressai d'accepter avec un sourire, au moment où elle allait rejoindre le bar, je l'a retins.

« - Excusez-moi. J'ai lu votre annonce pour la serveuse. Je viens d'emménager en ville et je cherche un emploi. Quels sont les horaires pour celui-ci ?

Elle me détailla un instant du regard.

- Eh bien c'est le service de midi le samedi, le service du soir le dimanche et en semaine le lundi, mardi et mercredi soir.

- Parfait, lui dis-je avec sourire. Est-ce que je peux vous envoyer mon CV ?

- Oh pas besoin. Vous avez de l'expérience ? »

Oui j'avais énormément d'expérience, si c'est que ce qu'elle voulait savoir. Peut-être pas dans la restauration, je suis d'accord, mais pour un boulot de ce genre, je pourrais très rapidement m'adapter.

J'acquiesçai. Elle me demanda ensuite quel âge j'avais, si j'étais de Forks, parce qu'elle ne m'avait jamais vu. Comme je l'avais supposé, les gens d'ici remarquaient tout de suite une nouvelle tête. Elle poursuivit ensuite son interrogatoire : est-ce que j'étais inscrite au lycée de Forks pour la rentrée, ce que faisaient mes parents, pourquoi j'avais déménagé, etc…

La plupart de mes réponses furent vraies, mais je m'étais préparée quand même une version officielle pour expliquer pourquoi à 16 ans j'étais venue m'enterrer dans ce trou perdu sans parents. Je ne pense pas que ma propriétaire s'abstiendrait dans une discussion de laisser échapper que je vivais seule.

Donc officiellement j'étais une orpheline qui avait vécu chez sa tante à New York, mais ne s'entendant pas du tout avec celle-ci, j'avais tout de suite demandé mon émancipation à mes 16 ans. Je l'avais obtenu sans problème. Grâce à l'héritage de mes parents, je pouvais vivre seule et poursuivre mes études. Ayant marre de la côte est et de la grande ville, j'étais venue m'installer à Forks pour finir mes deux dernières années au lycée dans le calme.

Ma peut-être future patronne, où plutôt Charlotte, comme elle voulait que je l'appelle, accepta de me prendre à l'essai la semaine prochaine et me proposa aussi de me présenter quelques jeunes du coin. C'était une femme charmante et j'acceptais avec plaisir.

Je patientais pendant qu'on me préparait mon plat. En attendant, j'observais les autres personnes présentes dans la salle. C'était des gens simples, dans le sens positif du terme. Ils menaient une vie tranquille, avec des problèmes normaux, ils devaient avoir une famille qui les attendait à la maison, un chaleureux foyer où rentrer chaque soir. Ce que je n'ai jamais eu la chance de connaître. Plusieurs personnes me jetaient des coups d'œil intriguée, et certains regards d'hommes étaient plus qu'appréciateurs. Cela ne me gênait pas. Sans aucune prétention, je savais l'effet que je faisais aux hommes. J'étais bien faite, je faisais pas mal de sport, ma peau mate, mes cheveux noirs de gitane et mes yeux bleus étaient mes principaux atouts. Une fois, un petit garçon dans le bus m'avait demandé si je m'appelais Esméralda.

A un moment la porte s'ouvrit sur le shérif, d'après son uniforme. Plusieurs personnes le saluèrent, il alla jusqu'au bar pour saluer les patrons, commanda un café et alla s'asseoir à la table de deux hommes qui étaient en train de manger. Ces derniers, un grand gaillard, typé comme un indien (et ça devait en être un, j'avais lu quelque part qu'il y avait une réserve dans le coin), et un petit grisonnant, lui serrèrent la main. Ils discutèrent avec animation à voix basse.

On m'apporta mon assiette et je pus enfin satisfaire mon estomac qui demandait grâce. Charlotte se dirigea ensuite vers le shérif qui s'était levé et se rhabillait. Elle lui dit quelques mots, ils regardèrent dans ma direction puis s'avancèrent vers moi. Le shérif me tendit la main que je serrai.

« - Bonsoir, je suis le shérif Swan. Tu peux m'appeler Charlie.

- Maeva, répondis-je avec un sourire.

- Charlotte m'a dit que tu venais d'emménager dans le coin, poursuivit-il, j'ai une fille de ton âge environ. Si tu veux, tu pourrais venir manger à la maison demain soir. Je ne serais pas là, et comme j'aime pas trop la laisser seule… »

J'étais surprise qu'on me propose comme ça de manger chez quelqu'un alors qu'il ne me connaissait pas. Les gens d'ici vivaient vraiment d'une autre manière. Ou alors c'était peut-être le fait qu'une fille de mon âge vive seule qui m'attirait leur sympathie… ou leur pitié. Ce que je ne voulais pas. Mais j'acceptais tout de même de bon cœur, pressé de me lier avec des jeunes de mon âge et goûter à ma nouvelle liberté.

Le shérif Swan me laissa son adresse, me souhaita la bienvenue à Forks et une bonne soirée puis s'en alla.

Je finis mon repas, échangea quelques mots avec les patrons et avec quelques habitués, régla la note. Puis je retournais à ma voiture en marchant rapidement. Il s'était arrêté de pleuvoir mais la température s'était encore rafraichie.