La chambre n'avait pas changé, comme le premier jour, la première nuit. La lumière de la lune entrait par les fenêtres, bienfaisante mais mystérieuse. Sa lumière n'était pourtant pas ce qui éclairait le mieux la pièce : un chandelier était posé sur un chariot, près d'une tasse élégante de porcelaine blanche ciselée d'or.
Un majordome se tenait là, attendant que son maître daigne enfin quitter sa contemplation pour venir se coucher. Ciel Phantomhive n'avait pas beaucoup grandi depuis le temps et Sebastian en était vraiment navré. Son maître avait seize ans à présent et il n'avait rien de la taille de son défunt père. De son prédécesseur comme il l'appelait.
Enfin, Ciel tourna son regard vers son majordome qui lui adressa un sourire avant de le regarder sérieusement.
- Maitre, je crois qu'il est temps.
Le jeune garçon soupira en fermant son oeil et se dirigea vers Sebastian, le laissant le déshabiller comme tous les soirs.
- Je sais que le temps est venu. Merci Sebastian.
Le majordome avait mis un genou à terre pour le déshabiller entièrement et il effleura la blessure de fer rouge dans le dos du maître. Une blessure qui datait de bien longtemps à présent.
- Je m'apprête à vous enlever votre âme, pourquoi me remercier ? Demanda-t-il avec un sourire en coin, tout en boutonnant le pyjama du jeune homme, comme il l'avait fait un nombre incalculable de fois.
- Cela fait maintenant une semaine que j'ai accompli ma vengeance. Pendant cette semaine de répit, j'ai eu le temps de mettre de l'ordre dans mes affaires, respirer l'air frais et embrasser Elisabeth. Dit le jeune homme avec un petit sourire alors que le majordome servait le lait chaud dans la tasse.
L'odeur du lait rassura immédiatement le garçon, comme à chaque fois. Sebastian savait que Ciel faisait encore des cauchemars, bien que les responsables de son traumatisme soient tous six pieds sous terre aujourd'hui. Son âme était brûlée à point, délicieusement marquée.
- Je n'ai fait qu'appliquer ce que mon jeune maître m'a dit : le véritable honneur, c'est de détruire ses ennemis, de détruire tout ce qui nous empêche de vivre. Et une fois cela fait, il faut vivre et leur faire l'insulte d'être heureux.
Le démon poussa la tasse vers le garçon avant de lui tendre le pot de miel.
- Est-ce raisonnable ? Demanda Ciel en se saisissant tout de même du pot.
- Personne n'en saura rien, jeune maître.
Ciel laissa couler le miel dans la tasse, avec un air pensif.
- Je suis surpris de me rendre compte que je veux vivre encore. Cette vengeance était la raison pour laquelle je voulais continuer, même sans mes parents. Mais j'ai rencontré des gens… intéressants.
Sebastian savait de qui voulait parler le comte. Les domestiques de la maison, la petite sorcière et son serviteur, l'écrivain intelligent, la reine et ses sbires, Undertacker, les gens du cirque, le prince Soma et son dévoué serviteur… Des gens qu'on ne se lassait pas de regarder se débattre avec les petits soucis de la vie. Les être humains sont si fascinants !
- Lizzy… Elle dort ?
- Oui. Souhaitez vous lui dire au revoir ? Demanda Sebastian en refermant le pot de miel et en laissant le maître boire une gorgée.
Le maître secoua la tête et le majordome lui retira avec douceur son cache oeil, révélant la marque magnifique sur sa prunelle, symbole de leur contrat. Combien de fois ce jeune humain avait posé son regard magnifique sur lui de cette façon ? Comme s'il était invincible, comme s'il souhaitait tout écraser sur son passage.
Le lait était chaud et détendait son maître qui était pourtant si proche de la fin.
- Quelles mesures ont été prises pour les domestiques ?
- Ils seront au service de dame Elisabeth. J'ai envoyé une lettre à votre tante conformément à votre désir pour l'informer.
- Nous pouvons imaginer qu'Elisabeth restera ici encore deux jours après ma… mort.
- J'ai préparé suffisamment à manger pour au moins quatre jours avant que notre chef ne soit livré à lui-même. De plus, j'ai expressément rappelé à Agni et le prince Soma que votre amitié l'obligeait à prendre soin de votre famille si quelque chose se produisait.
Le comte grimpa dans son lit, après avoir reposé sa tasse vide, se glissant dans ses draps puis retira sa bague.
- Alors ainsi s'éteint la lignée des Phantomhive. La Reine sera déçue, elle devra trouver un autre chien. Dit-il avec un sourire tout en remontant la couverture.
Sebastian éloigna le chariot et vint près du lit pour border son maître.
- Est-ce que ça fera mal ? Demanda soudainement le jeune homme.
- Non, ce sera comme s'endormir.
Les flammes du chandelier s'éteignirent, les plongeant dans la clarté de la lune. Lentement, le corps du majordome se déforma pour qu'il reprenne sa forme, comme un néant noir qui absorbe tout.
Il se pencha lentement sur le jeune homme dans le lit. Du bout de ses doigts acérés, il caressa sa joue, sous cet oeil marqué, plongeant ses yeux dans les siens. Comme attendu, dans les moments sérieux, le jeune comte ne tremblait pas. Il commençait même à s'endormir.
- On a fait du bon travail, n'est-ce pas ? Demanda-t-il.
- Avoir été votre majordome jusqu'à votre fin aura été un honneur. Dit le démon en laissant ses fibres encercler son maître, prêt à se jeter sur lui. Je dirais même que c'était l'une des expériences les plus divertissantes de mon existence. Je ne pensais pas qu'un être humain pouvait à ce point me pousser à bout.
C'était un repas à savourer, l'un des meilleurs.
- Sebastian, c'est un ordre : reste à mes côtés pour toujours… Murmura doucement la faible créature dont la main se leva pour frôler la matière dont était composée le démon.
Un sourire étira les lèvres sur les dents pointues.
- Yes, my Lord.
