Chapitre un: Une livreuse dans la ville.
Yuya Shiina effectua un périlleux dérapage contrôlé à 180° et se gara impeccablement sur la place de parking libre qu'elle convoitait. Ignorant la petite plaque plaquée or visée sur le mur d'un blanc lumineux, elle se pencha pour se saisir de sa trousse à maquillage. Elle le vérifia distraitement sur le rétroviseur ainsi que sa coiffure, réajusta sa minijupe et, perchée sur ses hauts-tallons, gravit avec assurance le perron qui menait l'intérieur du plus grand cabinet d'avocat de tout Tokyo. Le sol, marbré, rutilait, preuve qu'il était entretenu avec assiduité. Une jeune femme derrière un guichet l'accueillit avec gentillesse et efficacité, et la redirigea au trente-cinquième étage. Une secrétaire BCBG la fit patienter dans une salle annexe très luxueuse.
"C'est tellement chic que ça en deviendrait de mauvais goût".
Elle soupesa une fois de plus l'épais dossier qu'elle transportait. Le scellé rouge attisait la curiosité de tous les gens qui passaient et si Yuya n'était pas catégorique sur les règles de travail, elle l'aurait aussi été tenté de découvrit ce qu'il renfermait. Mais dans ce cas, elle ne serait pas la meilleur livreuse de la ville et de ses environs. En temps que telle, elle se devait de respecter un certain standing. Par contre remarqua t-elle avec une moue de dégoût et en fixant le cadrant de sa montre, son client et elle n'avaient décidément pas les mêmes valeurs. La ponctualité est la politesse des rois, dit-on.
Et bien Monsieur Hino était un sacré rustre.
Elle attendit encore un quart d'heure avant qu'on ne se décide à l'introduire. La secrétaire s'excusa comme si c'était de sa faute et l'abandonna devant une porte en bois noir laquée et marquée du nom de son client après l'avoir priée d'attendre un peu. Entrouverte, elle laissait entendre la conversation téléphonique de l'avocat.
-Et dites à cette Ally MCBeal d'aller se faire voir!
Yuya eut un tic qui agita méchament le coin de sa lèvre droite.
"De nouveau tombée sur un macho sans cervelle, quelle joie."
Le bruit caractéristique du combiné qu'on raccroche violement arriva à elle et elle frappa rapidement avant de rentrer et de se planter en face de Monsieur Hino. D'âge mûr, le crâne dégarni, la bedaine enserrée dans un splendide costume hors de prix, il eut un grand sourire en la voyant débarquer. Il griffonna quelque chose sur un bloc note et se leva pour lui serrer la main plus longtemps que nécessaire, si bien que Yuya du presque la lui arracher pour la récupérer. Sans mot dire, elle lui fourra le dossier dans les pattes.
-Merci beaucoup, vraiment merci, vous me sortez une sacrée épine du pied.
-C'est mon travail, monsieur, répondit-elle laconiquement.
Il se dirigea vers un tableau particulièrement hideux, qu'il avait certainement choisi lui-même, contrairement à ses habits, et le fit pivoter pour dévoiler un coffre high-tech.
"Cliché".
Une fois le code introduit et la lourde porte ouverte, il déposa précieusement le dossier et récupéra une enveloppe volumineuse. Yuya ne se donna même pas la peine de recompter ses honoraires, par contre elle glissa soigneusement son reçu dans sa poche intérieure. Reconduite par Hino jusqu'à l'ascenseur, elle s'apprêta à repartir quand l'avocat lui saisit le poignet. Yuya se retint, avec difficulté, de lui faire une prise de judo qui l'aurait envoyé embrasser le plancher, et se borna à l'écouter avant de mettre à exécution ses menaces mentales.
-Ha, Mademoiselle Shiina, que diriez-vous d'un dîner ce soir rien que tous les deux?
Hino semblait très sûr de lui et de sa réponse affirmative, car il lui proposait cela alors que beaucoup d'employés stationnaient dans le couloir. La livreuse se força à lui faire un charmant sourire avant de donner une secousse sèche sur son poignet pour faire lâcher prise à Hino.
-Même pas en rêve.
La mâchoire à terre, l'avocat n'entendit pas les subtils ricanements venant des employés et de sa propre secrétaire. Yuya ne lui laissa pas le temps de répliquer et s'engouffra dans l'ascenseur en lui faisant un gentil "coucou" de la main, en guise d'adieux.
En sortant de l'immeuble, elle se félicita d'avoir envoyé bouler ce parasite et elle sortit ses clefs pour déverouiler l'alarme de sa décapotable. Elle sauta dedans, balança sa veste sur la banquette arrière et mit le contact. Un tour de volant plus tard, et elle se retrouva sur le chemin de sa maison. Du Blur et du Nickleback couvrirent bientôt le sifflement du vent dans ses oreilles.
Rendue dans le paisible quartier pavillonnaire où elle résidait, elle baissa le son, sauf lorsqu'elle passa devant chez sa vieille pie de voisine. Sortant de son garage, elle envoya un baiser fictif à son bolide et glissa la clé dans la serrure de la porte de la maison. Les dernières notes d'une chanson de Hoobastank résonnèrent un instant avant de mourir définitivement. Pas vraiment intriguée, Yuya monta à pas de loup au premier étage et colla son oreille contre une porte couverte d'autocollant de toutes les couleurs et d'un "no disturb" d'hôtel sur la poignée. Une litanie constituée de "allez, allez, vas-y" frénetiques et de "bip, bip" filtrait malgré l'épaisseur de la porte. Aussi, prit-elle un plaisir sadique à revenir au rez-de-chaussée et à s'approcher du disjoncteur comme un vautour rôde autour d'un cadavre encore chaud. Un petit silence retentit dans la grande maison puis vite suivit d'un cri de désespoir et d'ultime souffrance. S'il ne s'était pas s'agit de son frère, Yuya aurait pu croire qu'un éléphant en furie descendait les marches à toutes vitesse.
Tapie dans l'ombre, Yuya attendit que sa proie soit dos à elle pour le surprendre. Le jeune garçon s'arrachait les cheveux, ne sachant pas comment remettre l'appareil en marche.
-Sasuuukkkeeee, commença t-elle d'une voix douce et aimante.
Le concerné fit un saut comique de trois mètres de haut et se retourna lentement, pour retarder au maximum de se trouver face à face avec sa sœur adorée. Il passa la langue sur ses lèvres soudainement détachées et dansa d'un pied à l'autre.
-Tu...heu…rentre tôt, aujourd'hui, nee-san. Tu ne devinera jamais, il y a eu une grève surprise et…
-Surprise, depuis deux jours? coupa t-elle sèchement.
C'est le temps qui lui avait fallu pour effectuer la livraison de Hino. Et bien sûr, cette petite peste en avait profité.
-Heu...
-Ton professeur principal m'a appelé ce matin. Il m'a aimablement signalé que tu n"était pas venu en cour depuis Lundi. Nous sommes mercredi. Explications. Maintenant.
-Je...n'en ai pas.
-Biiiiien, on réglera ça plus tard, j'ai, ou plutôt nous, avons rendez-vous avec Monsieur Taihaku cet après-midi à cinq heure trente. Je viendrais te chercher à la sortie de la classe. Dépêche-toi de filler au collège ou je t'y envoie moi-même à coup de pied au derche.
-Vi, fit-il, penaud.
Un instant plus tard, il était en uniforme et enfilait à moitié ses chaussure pour prendre la chemin de l'école dare-dare. Yuya soupira et se vautra élégamment sur le canapé en cuir du salon et ne bougea pas pendant au moins dix minutes. Puis, retrouvant l'usage de ses membres, elle poussa la table basse à côté, souleva une latte branlante et lâcha l'enveloppe remplit de billets qu'elle avait reçue en salaire.
-J'irai à la banque plus tard.
Retourna à l'étage, elle sema ses fringues dans le couloir, déjà nue avant de rentrer dans la salle de bain. Elle ne quitta le jet d'eau bienfaiteur que longtemps après y être entrée. Elle récupéra quelques vêtements propres dans un tas de sa chambre et s'habilla sans volonté. Retrouvant le confort du canapé, elle étala son équipement et entreprit de nettoyer son arme, un splendide 454 Casull. Yuya avait toujours eu une facilité déconcertante avec les pistolets. Elle avait voulue se construire une salle de tir dans le sous-sol, mais avec l'arrivé de Sasuke, cela avait finalement été impossible. Leurs parents étaient décédés dans un accident de la route trois ans auparavant, et seuls Sasuke avait été retrouvé vivant, mais était resté prostré plusieurs mois. Il avait attendu les secours trois heures durant lesquelles il était resté conscient, témoin malgré lui de l'atrocité des blessures de son père et de sa mère. Petit génie, son absence au collège ne l'avait pas trop inquiété, d'autant plus qu'il connaissait le programme quasiment par cœur, ainsi une ceux de quatrième et de troisième. Mais c'était un inconditionnel des jeux vidéos et pouvait passer des journées dessus sans décrocher.
Il ne savait pas ce que faisait sa sœur, et elle n'avait pas l'intention de le lui dire.
Quand la convoyeuse eut fini de récurer son arme, il était presque cinq heures vingt. Elle enfila un jean moins usé et un haut un peu plus classe, histoire de ne pas faire honte à son frangin et démarra en quart de trombe en direction du collège privé où il étudiait.
Elle arriva avant la sonnerie, aussi fit-elle un petit tour dans l'établissement. Arrivant devant la porte de la salle de son frère, elle s'adossa au mur et prit son mal en patience.
Les élèves sortirent un à un dès que la cloche sonna et elle agrippa Sasuke par le col de sa veste pour le traîner vers le bureau de son professeur, passant outre ses jérémiades continuelles. Disparaissant dans le coude d'un couloir, les camarades de Sasuke regardaient encore a direction qu'ils avaient empruntés quelques minutes plus tard. L'un d'entre eux siffla, résumant l'idée générale.
-Fiiiiuuuuu, elle est vachement bonne sa sœur!
-suite au chapitre deux: "Mon oncle, cet homme au sourire si doux"-
