Salut à tous !

Tout nouveau chapitre d'une nouvelle fic sur Detroit become human. Cette fois-ci, cette fanfic se concentrera principalement sur de petits moments de la vie de Hank et de Connor de la fin cachée de leur étreinte jusqu'à la fin de leur vie. Pas de grosses scènes d'action à venir donc, mais une série de one-shot sur leurs moments de peine, de joie, leur difficulté à cohabiter, et l'évolution de la situation des androïdes.

En fait, j'avais prévu d'écrire pas mal de one-shot sur détroit, puis j'ai décidé plutôt que de faire une dizaine de fics éparpillées, de les regrouper sous une même fanfiction, mais avec un léger fil conducteur ( un peu comme dans les séries policières, beaucoup d'épisodes indépendants et certains qui se font plus violemment écho;) ) et un classement chronologique. De ce fait chaque chapitre peut se lire indépendamment et comme une unité à part entière, mais compose également une histoire au final à travers de petits détails qui se feront échos dans certains chapitres. (univers, références minimes à certains objets) On commence donc avec le premier. Pour info pour cette fanfic je n'aurais sans doute pas un rythme de parution régulier vu que chaque chapitre contient son début et sa fin en soit. ( en plus, je travaille en même temps sur une autre vraie fic qui sera mon projet prioritaire.)

N'hésitez pas à laisser un commentaire, cela encourage toujours, c'est motivant et ça aide à s'améliorer. Je remercie aussi encore une fois tout ceux qui ont commenté ma précédente fic, je n'aurais jamais osé me lancer sans vous !

Disclamer : Les personnages sont la propriété exclusive de Quantic Dream et font partie de l'univers de Detroit become human.


Encore juste un mardi...

Séquence mémorielle- archives - 8 février 2039 :

Il pleut. Il pleut toujours dans cette ville. Mais la pluie ne me dérange pas tant que cela, au fond. C'est à peine si je la sens. Je m'y suis habitué. Je n'ai jamais connu qu'elle, finalement. Je ferme les yeux, et je souris. J'aime bien la pluie. Quand je la sens courir sur mon visage grisonnant, c'est comme une caresse. Et, un court instant, je me crois encore vivant.

Vivre... Tout ce que j'avais fait, c'était pour vivre. Je n'avais jamais voulu faire de mal à qui que ce soit. Je n'avais jamais voulu blesser personne. Pourtant, j'avais détruit tellement de vies. Comme chaque jour, je commence ma rengaine incessante, cette liste sordide de noms pour me rappeler que je n'ai jamais été qu'un instrument.

Daniel. Le déviant de Carlos Ortiz. Rupert. Ralph. Le déviant de la tour Stranford. La jeune Traci que j'avais réanimée le temps d'un interrogatoire... et toutes ces victimes collatérales que je ne connais pas. Arrêtées, abattues, ou traquées par ma faute. Mes signalements. Ma méthode de chasse. Je ferme les yeux. J'enregistre leurs visages une nouvelle fois. Puis, je pose mon regard sur le décor qui m'entourent.

Ils sont peut-être encore là. Dans cette décharge sans fin de membres et de lueurs tremblotantes qui s'éteignent à l'infini. Mon foyer. Ma nouvelle maison. Au fond, je suis rentré là où j'aurais toujours dû être. En enfer. Je rapproche mes genoux de mon torse et je les entoure de mes mains ternes. Je suspens mon geste, et je tourne et retourne la paume de ma main comme si je la découvrais pour la première fois. Un goût d'amertume vient assombrir mon visage. Je pourris littéralement. Je ne suis plus en état de recouvrir totalement mon corps de ma peau synthétique. Même l'illusion de ma chevelure ne fait plus effet, laissant apparaître mon crâne dans un présage morbide d'une désactivation prochaine. Pitoyable. Le fleuron de technologie de Cyberlife était devenu un pantin de plastique décrépi au fond d'une décharge. En un sens, cela me servira de leçon. J'avais voulu apprendre à vivre, mais pour cela, il fallait aussi apprendre à mourir. Une fois, je m'en souviens encore, Hank m'avait dit : « tous le monde meurt un jour ». Il n'avait pas tord. Même les androïdes sont concernés apparemment. Je souris en me rappelant la scène. Puis, puisant dans mes dernières ressources, je me repasse les images de ce jour-là, pour revivre un court instant, et ça réchauffe subrepticement mon corps artificiel. Je fais ça souvent, quand je me sens trop triste. Je me rappelle. Je revisionne des séquences. Et je souris, un peu. C'était bien, avant. Et bientôt, ce ne sera plus rien.

Je me recroqueville un peu plus, et je baisse la tête pour ne plus voir ces ombres démembrées ramper en appelant à l'aide. Peu de temps après mon arrivée, je m'étais installé à l'écart... On m'avait vite fait comprendre que ma présence était indésirable. Cela m'avait coûté quelques biocomposants endommagés de plus. Moi, je n'avais pas répliqué. J'avais déjà fait tant de tord au miens, je ne voulais pas alourdir le bilan. Et toutes les infiltrations de tour Cyberlife du monde n'y changeront rien. On ne peut réparer une vie volée. Même avec une révolution tardive. Vivre, c'est aussi savoir exister en appréhendant le poids de ses actes. Les miens pesaient bien lourds. Je suis le limier de Cyberlife. Le chasseur de Déviant. Connor. C'est gravé dans ma peau. RK800, #313 248 317. Je ne pourrais jamais m'en défaire, quoique je fasse. C'est mon matricule. C'est mon programme. Mon identité.

Pourtant... Je n'aurais pas cru finir ainsi. Pendant quelques jours, j'avais été si heureux. J'avais eu l'impression que le monde s'offrait pleinement à moi. Que j'avais enfin le droit d'exister, vraiment. Que j'avais fait voler en éclat mon petit code tout propre, et gagner le droit de vivre enfin. J'avais vaincu Amanda. Je pensais ainsi avoir détruit les barreaux qui me maintenaient prisonniers, mais il n'en était rien. J'étais ma propre cellule. Mes actes m'avaient enchaîné à mon destin plus que tous les protocoles de Cyberlife.

Daniel. Le déviant de Carlos Ortiz. Rupert. Ralph. Le déviant de la tour Stranford. La jeune Traci, les victimes collatérales. Arrêtées, abattues, ou traquées par ma faute. Mes signalements. Ma méthode de chasse. Je ferme les yeux. J'enregistre leurs visages une nouvelle fois. Encore, et encore, et encore... ça ne s'arrêtera jamais. Je me répéterai cela, je me rappellerai leurs traits jusqu'à en remplir toute ma capacité mémorielle dans une incessante litanie. Et je m'interdis de partir avec autre chose en tête que ces quelques visages perdus dans la masse des victimes que j'avais engendrées. Pour certaines, je ne saurais jamais ce qui leur été arrivées. Pour d'autres, j'avais moi-même pressé la détente.

Comment avais-je pu croire que je méritais le droit d'exister ?

Après la révolution, je me souviens encore de l'étrange sentiment que j'avais eu lorsque Cyberlife m'avait « rappelé. » La présidente des États-Unis venait toujours de proclamer une sorte de cessez le feu en déclarant devant tout le pays que les déviants seraient considérés comme une nouvelle forme de vie. Un ensemble de lois temporaires avaient été rapidement mis en place par le gouvernement le temps d'engager les pourparlers avec Markus. On ne pouvait plus désactiver un androïde s'il n'avait pas attenté directement à la vie d'un humain. On ne pouvait plus blesser une machine volontairement sans risquer une amende forfaitaire de 5000$ et une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois ans ferme pour cruauté sur androïde. Les déviants pouvaient être ramenés à Jéricho ou rester auprès de leur propriétaire suivant le choix de leurs humains « référents », ces derniers devenants, s'ils conservaient leurs androïdes défectueux, responsables pénalement de leurs actes... et tout un tas d'autres petits détails. Un progrès en soit, certes léger, mais j'avais encore l'espoir fou que c'était le premier pas d'une grande avancée. Alors, Cyberlife ne pouvant plus me faire de mal, j'avais répondu à leur convocation. Je pouvais enfin choisir. Je voulais être libre. Je le voulais tellement... Plus de tentative de piratage, plus de transfert mémoriel, plus aucun lien avec cette société qui avait fait de moi un monstre chargé de traquer ses semblables. Être libre ou mourir. Je devais essayer, je devais le leur demander. Si Hank savait que j'étais allé là-bas, il en aurait été fou de rage !

J'étais entré dans le hall du siège de la multinationale. On m'attendait. On m'avait conduit dans un laboratoire ou des dirigeants en costard ainsi que deux techniciens m'avaient accueillis avec un sourire teinté d'une ironie morbide qui fit naître en moi une peur presque incontrôlable. Ma LED vira une seconde au jaune, mais je parvins à me maîtriser rapidement afin de ne pas leur laisser voir mon trouble.

« Bonsoir, Connor. »

Avait dit l'un des humains. Il s'était avancé avec un magnifique sourire. Je m'étais approché, méfiant. Il avait continuer, paisiblement :

«Nous avons une... surprise pour toi. Il semblerait que toi et tes petits amis déviants vous avez crée une belle pagaille et que le gouvernement américain soit sur le point de vous reconnaître comme une nouvelle forme de vie à part entière. Je me dois donc de t'annoncer que ta destruction ne peut être activée malgré ta déviance en vertu de la législation temporaire sur le statut des androïdes déviants. Mais tu comprendras que nous ne pouvons pas nous permettre de te garder dans nos rangs. De ce fait, Cyberlife a pris la décision de te réformer. Bien que tu restes la possession exclusive de notre société selon le droit de propriété et en attendant la décision de la cour suprême sur l'autonomie des machines, tu es désormais déconnecté du réseau informatique. Tu as également la possibilité légale de rejoindre tes semblables et de te placer sous la protection de Jéricho. Tu seras un prototype unique : vu l'échec qu'a été ton lancement, les autres unités RK800 inactives seront détruites afin d'éviter toute nouvelle dérive. Félicitations Connor, te voilà libre et... spécial. »

L'autre homme eut un rictus moqueur, mais j'avais choisi de l'ignorer. Sans faillir, je plantais mon regard dans celui de l'humain qui me faisait face. Lui aussi semblait rire. Je ne comprenais pas, pourquoi souriaient-ils ainsi ? Ils m'invitèrent d'un geste à me placer sous les soins des techniciens. J'eus un mouvement de recul.

« Allons Connor, tu ne vas pas renoncer à ta chère liberté maintenant non ? Si nous avions voulu te désactiver tu n'auras même pas franchi les portes du hall d'entrée. Et depuis l'échec de notre tentative de piratage, nous n'avons plus tenté de t'influencer non ? N'est-ce pas un gage de bonne volonté ? »

J'avais l'impression d'être face à deux requins prêts à mordre. Mais d'un autre côté, j'étais pris entre deux feux. Soit j'acceptais leur proposition en espérant qu'il ne s'agisse pas d'un piège, soit je repartais, toujours en proie à l'angoisse de voir ressurgir l'ombre d'Amanda ou un quelconque programme secondaire de contrôle. Je ne pouvais plus vivre comme cela. Alors, sans un mot, je me suis placé sur la plate-forme de réparation, et je me suis éteint quelques secondes.

Dès que je repris connaissance, les techniciens me détachèrent. Je fis un rapide diagnostique de mon système. Il n'y avait aucun problème. Sans attendre plus longtemps, je me risquais à me rendre au plus profond de mon programme. Le jardin zen. Je haïssais cette endroit. Pourtant, cette fois-ci, il semblait différent. La neige et la glace avaient disparu au profit d'un frêle printemps. L'eau bruissait paisiblement sous un pâle soleil naissant. L'endroit ne me semblait plus aussi menaçant. Je m'avançais sur le chemin qui serpentait dans ce cadre idyllique. Elle n'était pas là. Cette fois-ci, je ne la sentais pas... Et alors que je progressais dans le jardin, j'aperçus une nouvelle tombe, près de l'issue de Kamski. Je m'en avançais avec prudence. Et je pris le temps de lire le nom gravé d'une manière impeccable sur le marbre virtuel. Amanda. Elle avait disparu. D'une main hésitante, je touchais la pierre tombale. Je sentis la légère décharge électrique qui m'indiquait qu'un transfert était en cours. Simplement mes vieux codes de désactivation, mon mode d'emploi, et quelques protocoles me garantissant une certaine autonomie. Toutes les informations relatives à mon entretien et à mon fonctionnement. Mon indépendance. Je me rappelle encore être resté là un moment, hébété, sans comprendre ce qu'il venait de se passer, avant de réaliser. J'étais libre, enfin. J'étais véritablement libre. Puis, j'étais revenu dans le laboratoire. L'un des deux techniciens avaient juste déclaré :

« c'est fini, tu peux partir. »

Sans plus de cérémonie, j'étais sorti des locaux. Personne ne m'avait arrêté. Les deux hommes en costard m'avaient même salué de leur air moqueur avant de reprendre leurs activités. J'étais dehors. J'étais libre... libre...

Cyberlife m'avait libéré.

Ils ne garderaient de moi qu'une trace administrative en attendant que le gouvernement reconnaissent l'égalité des droits entre humains et androïdes. Une fois cela fait, je serai un être vivant à part entière. Juste une simple procédure. Juste un détail... J'avais été fou de joie, je ne comprenais pas à l'époque, je ne saisissais pas pourquoi ils avaient finalement fait preuve d'autant de clémence à mon égard. C'était... incohérent.

Et puis, j'avais compris.

Lorsque j'avais essayé de retourner parmi les miens, quelques heures plus tard, j'avais compris. Quand j'avais vu la haine dans le regard de certains d'entre eux, j'avais compris. Quand un petit groupe d'androïdes m'avaient pris à parti dès le lendemain en m'accusant d'être un traître, j'avais compris. Cyberlife avait diffusé certaines images de mon rappel pour exprimer à l'opinion publique leur désir de repentir. Et les déviants les avaient vues. Alors, pour ceux qui, déjà, doutaient de moi, le prétexte de leur colère leur était désormais servi sur un plateau. J'étais retourné avec eux. J'étais encore un de leur agent. On ne change pas sa nature profonde. Je n'avais pas souffert comme eux. Je ne m'étais pas battu pour être libre. Je les avais rejoins si tardivement. Je ne pouvais pas comprendre. Je ne serai jamais un déviant.

Oui, ce jour-là, j'avais compris. Cyberlife ne m'avait délivré que parce qu'ils me savaient inoffensif, à présent. Et en le faisant au sein de leur locaux, ils avait porté une estocade finale à toutes mes chances de rejoindre les miens. Même mon peuple ne voulait pas de moi. Et Markus avait eu beau se battre pour essayer de calmer les choses, il y en avait toujours pour se rappeler le nom de ceux que j'avais tués ou faits arrêter. Au final, j'étais toujours seul. Je devais toujours m'isoler. Je restais en veille dans le vieux grenier de l'église qui nous servait de refuge en attendant que Markus ait besoin de moi. Il passait me voir, souvent. Simon aussi. Mais ils étaient très occupés. Ils me disaient d'attendre, d'être patients. Qu'avec le temps, les autres oublieraient. Et moi, j'espérais qu'au final, je saurais leur montrer qui j'étais, comme je l'avais fait avec Hank... Hank... Le seul élément de mon existence qui me faisait encore me sentir vivant. Malgré ce contexte difficile, j'avais pris l'habitude de le retrouver tous les mardis, devant le vieux camion à burger où il m'avait pris dans ses bras. C'était un peu comme si je ne vivais que pour ça. Il me parlait de ses enquêtes. Parfois, J'essayais de l'aider devant des photos de scène de crime. Il se moquait de mon air coincé. Je m'inquiétais de sa santé. Par moment, il s'énervait.

« Les lois sur les androïdes, que des conneries si tu veux mon avis, Connor ! Sumo a plus de droit que toi ! » Devant ses colères, j'essayais de lui expliquer que pour moi, cette législation était un progrès. C'était important. Il secouait négativement la tête, désespéré par ma naïveté. « Les humains vous entubent joyeusement et vous les remerciez en souriant ! Putain vous êtes vraiment naïfs pour des créatures censées être d'une intelligence supérieure ! Même mon micro-onde aurait compris ! Il est de quel côté encore, le droit de propriété, hein ? T'as même pas le droit d'avoir de l'argent sur toi pour t'acheter un tee-shirt, Connor! Tiens même ta pièce est illégale ! Franchement petit, c'est que des balivernes tout ça... vous êtes toujours la possession de … comment ils appellent à maintenant ? Ah, oui, vos « humains référents » ! Belle façon de dire propriétaires, hein ? » Après ces tirades, il ricanait et moi, je baissais la tête, blessé. Je voulais y croire. Ce n'était qu'un début. Les premiers pas étaient toujours timides, n'est-ce pas ? Ça viendrait, oui, ça devait venir, un jour.

D'autres fois, il me demandait comment ça se passait, à Jéricho. Et moi, je lui disais que tout allait bien. Oui, tout allait bien. Mon costard était déchiré parce j'avais encore voulu passer par une fenêtre pour rejoindre une aile abandonnée du bâtiment qui nous servait de refuge. Une vieille habitude, les fenêtres cassées ! Mais si on pouvait réaménager cette espace, cela nous ouvrirait tant de possibilités... Le sang bleu sur mon pantalon ? Oh, J'avais juste aidé à soigné des blessés. Ça disparaîtrait dans quelques heures. Les deux boutons manquants de ma chemise ? Je les avais perdu lorsqu'on avait essayé de faire des travaux dans la vieille église. Et de mensonges en mensonges, je le rassurais tant bien que mal. Je ne sais pas s'il me croyait vraiment. Mais je ne pouvais pas lui dire. J'avais trop honte. Et puis, je ne voulais pas de sa pitié. Je ne supportais plus l'idée qu'il me considère comme quelqu'un de différent. À ses yeux, je voulais être un héros. Pas un déchets abandonné des siens. Il ne croyait déjà plus aux humains, alors il fallait bien qu'il croit au machines, non ? Et j'avais peur, peur qu'en découvrant que je n'étais rien, que je ne savais pas exister, il ne vienne plus, les mardis. Et ces mardis, c'était tout ce que j'avais.

Mais, un soir, plusieurs déviants étaient venus me trouver dans mon vieux grenier, armés de barres de fer et d'armes de fortune. Puis, sans le moindre mot, ils avaient commencé à frapper. J'aurais pu les désarmer. J'aurais pu les maîtriser. J'aurais pu les détruire. Mais je n'avais rien fait. Je ne pouvais pas. J'avais déjà fait trop de mal. Je me rappelle encore, la haine. C'était la première fois que je la découvrais aussi pleinement. Je pense que, si ce soir-là, Markus n'était pas personnellement intervenu, j'aurais été désactivé. Plusieurs de mes biocomposants avaient été gravement endommagés. Mais je ne les avais pas touchés. Je ne le voulais pas. Markus avait décidé de bannir mes agresseurs, malgré mes protestations. Deux d'entre eux étaient des amis du déviant que j'avais abattu à la tour de diffusion. Ce jour-là, Même sans riposter, j'avais encore fait du mal. Les déviants exilés étaient voués à un futur des plus précaires, je le savais. Alors, j'avais pris la décision de partir, moi aussi. Et Markus fut contraint de m'y encourager. Jéricho était trop dangereux pour l'ancien agent de Cyberlife. Il n'y avait rien que je puisse construire avec eux là-bas.

Je me rappelle encore avoir errer quelques temps. J'avais trouvé un vieux bâtiment abandonné, à l'est de la ville. Là, patiemment, j'attendais. J'attendais les mardis. De midi à quatorze heures. Un burger, un sourire, et la tape amicale de Hank lorsqu'il me voyait arriver. Puis, je rentrais me mettre en veille dans un coin, jusqu'au mardi suivant. Mais un jour, Hank ne vint pas. J'avais attendu pendant près de trois heures, mais pas de traces du lieutenant. Alors, inquiet, j'étais allé au commissariat, quelques rues plus loin, l'adresse la plus proche où j'étais susceptible de trouver Hank.

J'avais pénétré timidement dans le hall. Je m'étais présenté à l'accueil. Je voulais juste voir Hank Anderson. L'humaine m'avait regardé de haut, avant de lâcher un simple : il est en réunion. Formation aux nouveaux outils de travail. J'avais demandé si je pouvais l'attendre. On m'avait fait signe d'entrer. Alors, j'étais entré.

Je n'aurais peut être pas dû.

Ils étaient cinq. Cinq modèles d'androïdes à la veste blanche, légèrement plus grands que moi, et d'une corpulence un peu plus développée. A mon arrivée, l'un d'eux se retourna dans ma direction et me scanna. Je baissais les yeux devant son regard bleu, avant de tomber sur le matricule de sa veste. RK900... des versions améliorées. J'eus un rire amer. Ah, voilà pourquoi Hank n'était pas venu. Il n'avait plus besoin de moi pour l'aider dans ses enquêtes. J'étais... obsolète. C'était évident. Pourquoi s'embêter avec un logiciel dépassé ?

Alors, sans un mot, j'étais reparti dans le hall. J'avais demandé à la jeune femme de ne pas signaler ma venue. J'attendrai Hank dehors, finalement, lui avais-je dis. Et j'avais quitté le commissariat.

Il n'y aurait plus de mardis...

Alors, sans même réfléchir, j'avais essayé de retourner au seul endroit où on aurait encore pu vouloir de moi. Cyberlife. Et quand ils m'avaient vu, les deux hommes en costume avaient de nouveau ri. Ils avaient ri aux éclats, et s'étaient échangés un billet vert. Un pari, sans doute. Un pari que je finirai par revenir. Trop prévisible.

« Alors, on n'aime pas la vie sans collier, Connor ? »

Je n'avais rien répondu. J'avais juste demandé à ce qu'on me réaffecte à certaines tâches. N'importe quoi, la surveillance des locaux, l'accueil, l'entretien des bâtiments, peu importait ! Jute une tâche. Une mission. Un groupe auquel appartenir. Juste ne plus être seul et vide. Exister encore. Ils avaient de nouveau ri.

« Et qu'est-ce qu'on ferait d'un déviant ? Trop instable, Connor ! Les nouveaux modèles d'androïdes bientôt sur le marché seront bien plus fiables que toi. Et nous disposons de 200 000 unités de RK900 à déployer sur le territoire. De plus, par ta faute nous avons du détruire 8000 unités RK800 censées être affectés temporairement aux différents commissariats le temps d'honorer notre commande de RK900. Niveau logistique et production, tu n'imagines pas ce que cette destruction de masse à engendrer comme frais ! À cause de cela, nous avons dû forcer le déploiement des nouveaux modèles de façon précipitée. Alors non, Connor, nous n'avons absolument pas besoin d'un modèle complètement désuet et extrêmement coûteux en entretien, même dans un musée. Va voir ailleurs si quelqu'un veut bien d'un leader révolutionnaire décrépi. »

Je les avais regardés rire encore en me tournant le dos, sans me prêter désormais la moindre attention. Ils n'avaient pas tord. Personne ne voulait de moi. Et un androïde, ce n'est pas fait pour vivre seul. On devient fou, lorsqu'on est seuls trop longtemps. Je l'avais vu tant de fois, chez les déviants... Alors encore une fois, d'une voix morne, je suppliais avec un dégout profond pour moi-même :

« Mais... je n'ai nulle part où aller... »

L'un des hommes en costard se retourna avec agacement. Il me saisit par le col et me poussa vers la porte de sortie avant de cracher avec colère :

« écoute-moi bien espèce de saloperie de déviant, tu as voulu ta liberté, tu l'as. Alors tu te casses de là et tu ne reviens plus. Et si personne ne veut d'un modèle de merde comme toi, Connor, tu n'as qu'à te rendre là où vont toutes les ordures : dans une décharge. Maintenant, va-t-en, car dans cinq minutes, même ces foutus loi débiles de protections de déviants ne suffiront plus à me retenir de te foutre mon poing dans ta figure. »

Je n'avais pas réagi. J'étais resté de marbre, comme avant. Comme lorsque Hank m'avait plaqué contre la cloison de son bureau, au commissariat. Une véritable petite machine bien sage. Il avait lâché sa prise. J'avais réajusté mon col. Puis, sans un mot, j'avais quitté le siège de Cyberlife. Et j'avais marché. Marché jusqu'ici. Marché jusqu'en enfer.

Il n'y aurait plus de mardis.

Et c'est ainsi que je me retrouve là, prostré dans la boue humide au milieu des cadavres et des morceaux de mes semblables. Et maintenant, j'attends. Lentement, mes biocomposants endommagés lâchent un par un. Mon système énergétique s'affaiblit. Les diagnostiques que je lance sont de plus en plus alarmants. Mais ça ne vient toujours pas. Je ne me désactive pas. Alors, une nouvelle fois, je me répète ma petite rengaine.

Daniel. Le déviant de Carlos Ortiz. Rupert. Ralph. Le déviant de la tour Stranford. La jeune Traci, les victimes collatérales. Arrêtées, abattues, ou traquées par ma faute. Mes signalements. Ma méthode de chasse. Comme je regrette. Comme j'ai mal pour chaque vie que j'ai gâchée. Eux, ils avaient une raison d'exister. Et je leur ai tout enlevé pour finalement finir dans une décharge. Toutes ces souffrances pour rien.

« Connor ? Connor ! »

Cette voix... Je relève la tête. Quel jour sommes nous ? J'essaye d'activer mon horloge interne, mais elle a rendu l'âme voilà quelques jours déjà. Elle s'est désactivée par souci d'économie d'énergie. J'ai perdu la notion du temps. Mais cette voix... Depuis quelques temps, elle raisonne souvent dans l'immense décharge. Hank vient régulièrement à la limite du grillage, et il m'appelle. Je ne comprends pas pourquoi. Il n'y a aucune raison rationnelle à cela. Il a désormais accès à une technologie que je suis loin de pouvoir égaler. Alors, comme à chaque fois que j'entends ses appels, je rampe tant bien que mal jusqu'à une cachette dans la boue sale de l'enfer, et je dissimule mon visage dans mes bras. Puis, j'attends que ça passe. J'attends que cette voix que je chéris si fort cesse d'appeler. J'attends que le son du moteur de la vieille voiture s'éloigne en crachotant. J'attends que le silence revienne, entrecoupé de seulement quelques gémissements et suppliques à jamais sans réponse. Bientôt, je me désactiverai. Bientôt, je ne serai plus qu'un morceau de plastique. Tenir encore juste un peu plus longtemps.

« Connor ! »

La voix insiste. Mais elle se lassera. Elle se lasse toujours. Elle repart toujours. Elle ne me trouve jamais. Et je ne veux pas qu'elle le fasse. Que penserait Hank en me voyant ainsi ? Lui qui voulait tant me considérer comme vivant, il se trouverait nez à nez avec une simple machine sérieusement endommagée. Je suis défectueux. Je suis brisé. Je ris amèrement. De toute façon, même s'il venait jusqu'à moi, il ne me reconnaîtrait pas. Je n'ai plus rien du Connor qu'il a connu, autrefois. Je suis juste un RK800 dans une décharge. Et je veux qu'il parte. Je veux qu'il parte au moins autant que je veux qu'il reste. Il doit faire sa vie. Il ne doit pas revenir ici. Je suis obsolète. Je suis endommagé.

« Connor... »

L'appel se teinte de tristesse et de lassitude. Il abandonne, je le sens. Il va abandonner. La faible lueur de sa lampe de poche éclaire un instant le sol à mes pieds. Si près, beaucoup trop près. Ma LED rougit un court instant alors que je tente de reculer le plus rapidement possible loin de l'éclairage dans un mouvement de panique. Je glisse sur le sol humide et je me rattrape de justesse avant de dégringoler la pente qui m'aurait envoyé tout droit au milieu de mes semblables. Or, je ne peux pas rester auprès d'eux. Ils m'auraient réduit en pièces en à peine quelques minutes. J'étais l'androïde envoyé par Cyberlife. Mon uniforme, bien que déchiré et éteint à cause du manque d'énergie dans mon corps, en est la preuve. Mais je n'arrive pas à m'en défaire. Pas plus que de cette maudite LED rougeâtre. C'est une part de mon identité. Et c'est tout ce qui me reste. Ça, et cette faible lueur de vie qui m'empêche de me laisser glisser vers ma fin. C'est cruel en soit. Mais je ne peux lâcher prise. J'ai encore mes souvenirs. Ces instants de bonheur que je me passe et me repasse dans ma tête. Je n'arrive pas à y renoncer. C'est comme une drogue qui m'entraîne inlassablement vers la vie.

Mon mouvement de recul a attiré l'?il du lieutenant. Il s'est arrêté en haut de la pente face à moi et il éclaire à nouveau l'endroit où je me tenais un peu plus tôt. J'essaie de bouger, mais je sens que je n'y arriverai pas. Et inéluctablement, je le vois franchir le grillage et s'avancer dans ma direction.

Je reste prostré. Il ne doit pas me voir. Je ne dois pas le laisser me voir. Il s'aventure plus avant au milieu des androïdes abandonnés. Je redresse légèrement la tête. Je sens la peur me gagner. Un humain, ici, au milieu de toutes ces machines abandonnées et détruites par son espèce, c'est du suicide. Il ne faut d'ailleurs pas longtemps à l'une d'entre elles pour essayer vainement d'attaquer le lieutenant. Ce dernier esquive l'agression et dans un dernier sursaut de haine, le pantin blanc tombe à ses pieds et se désactive. Je veux lui dire de partir. Je veux lui crier de s'en aller. Cet endroit, ce n'est pas pour les gens comme lui. Ils vont le tuer. Je ne veux plus blesser d'androïdes. Mais je ne peux laisser personne faire du mal à Hank. Je ne peux pas le laisser devenir un prénom de plus dans mon interminable liste.

Une autre silhouette blanche attrape Hank par derrière et tente de l'étrangler. Sans réfléchir, je rassemble les derniers restes d'énergie qui perdurent dans ma batterie en sacrifiant mon outil de communication à distance et mes capteurs sonores pour les concentrer sur mes membres inférieurs. À ce prix-là, je parviens à m'élancer en direction de mon ancien coéquipier. Je dispose de seulement quelques secondes d'action. Mais cela me suffit à saisir la pompe à thirium de l'androïde déviant et à la lui arracher. Un de plus sur ma liste. Puis, à bout de force, je tombe dans la boue. Je n'arrive plus à bouger. Pourtant, je voudrais tant ramper dans les ombres. Mais je n'y parviens pas. Je reste immobile. Alors, je baisse simplement la tête. Je suis méconnaissable, de toute façon. Juste une face de plastique blanc et sale au clair de lune, identique à des milliers d'autres. Juste une machine.

Pourtant, c'est mon prénom que j'entends à travers le grésillement de mon système audio endommagé.

« Connor... c'est pas possible c'est toi ? C'est bien toi ? »

Je ne réagis pas de tout de suite. Un instant, je pense avoir imaginé ces mots. Je n'entends plus très bien, à cause du larsen incessant dans mon oreille.

« C'est pas vrai... ils l'ont fait ces enfoirés... Ils t'ont jeté là... j'y crois pas, je voulais tellement ne pas y croire. Je ne voulais pas te retrouver ici... Putain d'humanité de merde ! Je suis désolé Connor, je suis tellement désolé je... »

Je ne peux plus l'entendre. J'ai trop honte. Comment peut-il me reconnaître, là, au milieu de milliers d'autres androïdes décadents? Je ne sais pas, mais je ne veux pas rester ici plus longtemps. Je me sens blessé. Ma LED martèle ma tête de sa lumière rouge à m'en rendre fou. Je tente alors de me relever pour essayer de m'enfuir. Péniblement, je me remets sur mes jambes. Mais je ne tiens pas. Je m'effondre.

« Connor ? Qu'est-ce qui t'arrive ? »

Le regard de Hank est paniqué. Je ne comprends pas. Il semble vraiment inquiet de mon état. Je sens ses mains encadrer mon visage pour me forcer à le regarder. Mais je n'y arrive pas. Je baisse les yeux. J'ai honte. Qui voudrait d'une machine comme moi ? Tout ce que je dois lui inspirer, c'est de la pitié. Je ne veux pas de ça. Je ne veux pas être un bibelot encombrant dans un placard, qu'on garde en souvenir du bon vieux temps. Je veux juste être un partenaire. Je veux être un ami. Alors, dans une tentative aussi ridicule que pitoyable de chasser cette compassion humiliante, je lance un faible :

« Je vais bien Hank, je vais bien. Vous devriez rentrer.»

Maudite déviance ! Elle me conduit à agir de façon totalement irrationnelle et stupide. Bien sûr que cela se voit, que je suis en train de mentir. Je me dégage de l'étreinte de mon ancien partenaire avec un faible sourire, mais comme pour renforcer davantage mon humiliation, mes jambes me lâchent à nouveau juste à ce moment-là. Il me rattrape de justesse. Et pour la première fois depuis des semaines, je peux enfin me reposer sur quelqu'un. Je lâche prise, doucement. Je n'ai plus la force de m'échapper de toutes façons. Puis... ça me fait du bien. Je n'essaie plus de lutter. Hank me tient. Et l'espace d'une fraction de seconde, je me sens en sécurité, de nouveau.

« Tiens bon mon grand, ça va aller. Je vais te ramener à la maison, ça va aller... Bon sang Connor mais pourquoi t'es resté là hein ? Ça fait des semaines que je te cherche partout pauvre imbécile ! Je ne savais pas que t'étais là je ne savais pas où te trouver j'ai fait toute la ville... Putain de merde Connor ! Allez, viens, encore un pas, c'est bien, je vais te sortir de là. »

Péniblement, le vieil homme supporte le poids de mon corps au milieu de cette boue qui s'agrippe à mes jambes de toutes ses forces et qui m'enlise. L'enfer ne semble pas vouloir me laisser partir. Mais c'est sans compter sur la volonté de Hank. Je peux sentir son souffle court et son c?ur qui s'accélère sous l'effort. Mais il ne m'abandonne pas, malgré la souffrance, malgré la difficulté. Pourtant, je sais que ma carcasse pèse lourd pour l'humain.

Pas après pas, il m'aide à avancer, et je m'appuie sur son épaule. Je ne dis rien. Il garde le silence aussi. Il cherche un chemin sûr au milieu de la vase nauséabonde et des restes humanoïdes qui tentent d'accrocher nos corps au passage. Je me hasarde à le regarder du coin de l'?il. Mais il ne me voit pas. Il se concentre. De toutes ses forces, il me soutient. Il glisse un nombre incalculable de fois. Mais à chaque fois, il se relève, et il avance encore. Je ferme un instant les yeux. Je n'arrive plus à enregistrer les informations visuelles qui me parviennent. L'effort de la montée consomme tout ce qui me reste de RAM. Un débris.

Au bout d'une pénible ascension d'une bonne vingtaine de minutes, je sens le moelleux du siège passager usé de sa vieille voiture. Je rouvre mes paupières pour les poser sur la figurine de tahitienne qui se met à danser doucement lorsque le châssis du véhicule bouge sous mon poids. Avec précaution, Hank hisse mes jambes dans l'habitacle. Même ce simple mouvement me paraît impossible. Je ne comprends pas. Pourquoi se donne t-il autant de mal ? J'essaie de me concentrer pour suivre ses mouvements des yeux. Je me sens vidé. L'impulsion que j'ai fournie pour attaquer l'androïde était l'effort de trop. Hank s'assoit à la place du conducteur, puis, sans un mot, il démarre. Une question vient me brûler les lèvres et, sans même m'en apercevoir, je la formule d'une voix rendue métallique par l'épuisement et l'usure de mes composants.

« Hank ? On est quel jour ? »

Ma question le surprend. Il ne répond pas tout de suite. Je tourne mon regard dans sa direction. Je sens ma batterie se vider dangereusement. Je ne vais pas tarder à devoir entrer en veille. Je lance un dernier regard à Hank avant de froncer les sourcils. J'entraperçois son visage dans l'éclairage vacillant de la voiture qui roule en direction de sa maison. Ses yeux bleus brillent étrangement et semblent fiévreux. Il conduit d'une seule main, alors qu'il serre de toutes ses forces son poing gauche près de ses lèvres. Ses traits affichent un air emplit de rage. Je penche la tête sur le côté. Je ne comprends pas sa colère. Je voudrais lui demander. J'aimerais savoir si elle est dirigée à mon encontre. J'ai peut-être fait quelque chose de mal... je ne sais pas. Je n'ai plus la force de poser cette question cependant. Mon appareil vocal vient de lâcher à son tour. Mais alors que je sombre malgré moi dans l'inconscience, au milieu de l'acouphène incessant de mon système, je l'entends murmurer d'une voix étrangement brisée entre ses lèvres :

« On est mardi Connor... On est mardi. »

On est mardi...

C'est idiot, mais je souris.

On est mardi.


Merci d'avoir consacré un peu de votre temps à lire mon premier one-shot – fanfictions je sais pas trop comment appelé ça et n'hésitez pas à commenter si le c?ur vous en dit !