Pov Aiba

Il était environ vingt-deux heures, lorsque je quittais le confort de mon appartement. j'avais été obligé de mettre mon réveil, non parce que je dormais, mais parce que je lisais un truc absooooooolument passionnant, que j'avais pas très envie de lâcher. Mais bon, des fois, faut aller bosser il parait. C'est utile pour payer les factures, la bouffe, tout ça. Je mets mes chaussures, ouvre la porte, sors sur le palier... et manque oublier mes clés. J'aurais eu l'air fin. Heureusement que je m'en suis souvenu. L'inconvénient d'être tête en l'air. En plus d'être bordélique. Ouais c'est dur d'être célibataire.

J'ai pas pris de manteau. J'ai pas envie de crever de chaud dehors. Parce qu'à Tokyo en été, il fait super chaud tout le temps, c'est étouffant. Dire que si j'étais resté chez moi, à Nago dans la préfecture d'Okinawa, j'aurais pu au moins me rafraîchir dans la mer, mais ici... Je soupire. Je soupire toujours quand je pense à ma si jolie et tranquille ville natale. A Tokyo, les gens sont tous fous. Et je me demande si je ne vais pas finir par le devenir aussi à force. Ça ne fait même pas encore deux ans que je suis là et j'en ai déjà assez. J'ai envie de changer d'horizon, mais trouver du travail ailleurs, c'est pas de la tarte, surtout pour quelqu'un d'aussi maladroit que moi. C'est déjà un miracle d'en avoir un alors j'essaie de pas être trop exigeant. C'est dur. Remarquez, l'un dans l'autre, j'ai un travail plutôt agréable quand j'y pense. Même si je suis pas des masses écouté. Je suis réaliste (pas beaucoup mais un peu quand même), je sais que le pourcentage d'auditeurs de TRL (Tokyo Radio Live) à minuit passé doit être plus que minus, mais bon... Au moins je fais ce que j'aime. Et je vois des gens. J'aime les gens en fait. Je les aime même beauuuuuuuuucoup. Trop à leur goût en général.

En moins d'un quart d'heure, je suis rendu au studio. Je salue le vigile et m'approche de lui.

- Konbawa, Nishikido-san, fais-je en souriant.

- Bonsoir... me répondit l'autre avec un air exaspéré.

- Vous n'avez pas l'air dans votre assiette, fais-je remarquer.

Je ne sais pas comment il fait, mais cet homme a toujours l'air de faire la gueule, je sais pas comment il fait. Je dirais pas que je suis happy de la life tout le temps, mais par rapport à lui...

- Vous-en faites pas pour moi et montez. Ils vous attendent.

- Hai hai. Gambarimaaaaasu ! fais-je d'un ton joyeux en espérant le décongeler.

Mais peine perdue. Et pourtant, j'essaye tous les soirs.

Je monte quatre à quatre les escaliers et, comme d'habitude, entre en trombe dans le studio, essoufflé comme si j'allais crever là, maintenant, tout de suite.

- Kon... bawa...

- Bonsoir, Aiba-kun, fait un gars plus jeune que moi que tout le monde surnomme Shige. On t'attendait. J'ai lancé le jingle, tu prends la suite dans... quinze secondes. Jaa ne !

Quinze secondes ?! Raaaaah je déteste quand il fait ça ! Je bondis sur le siège à roulettes qu'il vient de quitter, manque m'en casser la figure quand il roule et dépasse la tablette du micro, me rétablis de justesse, puis :

- Bonsoir Tokyooooooo ! Ici Aiba Masaki qui vous parle, comme tous les soirs en direct de TRL. Ce soir, nous avons un invité un peu particu... lier...

Je parle lentement parce que je déchiffre au fur et à mesure les notes gribouillées par Shige. Ce mec a une écriture quasi illisible. Il aurait pu être médecin. Bref j'ai du mal à lire le nom de l'invité et ça se fait trop pas. J'hésite, crains de trébucher dessus, puis décide de me lancer au petit bonheur :

- Fakusai Shio ! On l'applaudit bien fort !

Pov Sho

Je manque m'étouffer avec le verre d'eau qu'on m'a servi quand je suis arrivé. Ce gars, qui ne sait apparemment pas qui je suis, vient d'écorcher salement mon nom. Sakurai Sho. SA-KU-RAI SHO. C'est quand même pas compliqué ! J'ai l'un des noms les plus courants du territoire nippon et mon prénom ne tient qu'en un caractère ! Je savais bien que je n'aurais pas dû venir... Mais, malheureusement, ma fierté m'interdit de refuser un événement, même s'il n'est diffusé qu'en pleine nuit sur une basse fréquence. Je suis venu, et j'espère vraiment que ce... jeune homme... ne commettra pas d'autres erreurs.

- Sakurai Sho, le reprends-je avec un sourire crispé.

Pov Aiba

Arg, vu la tronche qu'il tire, j'ai du écorcher son nom. Il me reprend. Ouch oui en effet. Mais comment réussir à lire "Sakurai Sho" avec les pattes de mouches de Shige ? Chuis pas docteur en... en... truc sur l'écriture. Bon bon bon... cette émission commence super trop bien of the dead... Qu'est ce qu'a écrit Shige ensuite ? La vache je leur ai dis au moins cent fois que ce serait bien que j'ai les infos en avance histoire de pas passer pour un crétin à l'antenne tous les soirs... mais non personne m'écoute, rah la la...

- Excusez-moi, fais-je dans un sourire contrit. Alors Sakurai-san, vous êtes écrivain il parait. (je m'abstiens de dire que je l'ai déduit des notes que j'ai sous les yeux) C'est cool ça.

- Oui, c'est "cool", fait-il en appuyant le dernier mot.

- Et vous écrivez quoi de beau ?

- Des romans principalement, mais si j'ai été invité à votre fréquence, c'est pour parler de mes poèmes.

- Des poèmes ? (beuuuuuuh... je fais une allergie à la poésie, c'est trop chiant...) Pourriez-vous en réciter un pour nos auditeurs, s'il vous plait ?

- Bien sûr. Il s'intitule "Mourir" :

"Mourir de honte, mourir de peur.

Mourir par l'âge, mourir de pleurs.

Regrettant toujours, mourir d'amour,

En perdant son beau cœur de velours.

Mourir en guerre ou sur le bûcher,

Pour la liberté, pour une idée,

Pour sauver une encyclopédie,

Des principes et des théories.

Mourir vivant ou de désespoir.

Mourir quand la vie devient si noire.

Toujours mourir pour une raison,

Toujours mourir libre, pas en prison.

Briser ses chaînes, se libérer,

Et revendiquer sa liberté.

Mourir de fureur ou de malheur.

Mourir innocent ou de bonheur.

Ou mourir pour se sentir vivant,

Regrettant la vie, les sentiments.

Mourir pour donner ce que l'on perd.

Et mourir en héros, par le fer.

Pour toujours se retrouver plus haut,

Pour recréer un monde nouveau.

Refaire une famille, une vie.

Et profiter toujours de la nuit.

Avant que la rage ne nous prenne,

Et la haine, que la mort ne revienne.

Tuant, pour aller toujours plus haut.

Vivre encore et mourir à nouveau.

En attendant désespérément,

Vie et mort, l'Eternel Jugement.

Où tous auront enfin le repos.

Et cesseront de naître à nouveau.

Et cesseront de mourir toujours.

Pour conserver toujours pur l'amour."

Voilà. Je l'ai écris le mois dernier et il sera publié dans mon prochain recueil.

Beuuuuuuuuuh déprimant ET chiant... je vais crever... Je déteste la poésie. J'ai déjà dis que c'était chiant ? En réalité, ça me barbe tellement, que j'écoute seulement d'une oreille et encore, ça ressort aussitôt par l'autre. Ils veulent que je m'endorme, à me coller des nanars pareils ou quoi ? Franchement, c'est abusé. Je retiens un bâillement peu poli et fais mine de m'extasier.

- Merveilleux ! Je pense que, comme moi, les auditeurs ont été transportés par la magie de ces vers.

- Je l'espère également. Mon recueil sortira dans trois semaines et se nommera "Mémoires d'un Autre Monde".

- Vous avez bien entendu et bien noté, chers auditeurs. Ne manquez pas d'acheter cet ouvrage lorsqu'il sortira !

Tout en parlant, j'ai fais un geste de la main qui a presque fait tomber nos micros. Je tourne la tête vers la régie et croise le regard mécontent de mon boss, Ohno-san, qui me fait un geste de la main pour que je continue. Hai hai... « The-show- je-sais-plus-quoi", je sais. Bref, je reprend.

- Quand avez-vous commencé à écrire des poèmes, Sakurai-san ?

- Cela fait environ deux ans il me semble. Mais je ne les publie que depuis l'année dernière. Auparavant, ils étaient loin d'être assez bons pour être lus.

Plus j'écoute parler ce type, plus je me dis que... qu'il est plus vieux que ce qu'il semble. Sans déconner, il est sérieux comme je sais pas quoi, il décroche pas un sourire, répond à mes questions sans plaisanter et en plus il s'est pointé en kimono. En KIMONO quoi ! A une émission de radio et en 2012. Il a un grain, ce mec, c'est moi qui vous le dis. Et puis il est chiant. Beau. Très beau même. Mais aussi trèèèèès chiant. J'en ai déjà marre. Pourquoi j'ai jamais de beaux gosses marrants et autres qui viennent dans ma tranche horaire ? Pourquoi je me coltine seulement les casse-pieds qui font des trucs qui n'intéressent personne ? Ah nan je sais pourquoi... Il parait que je suis une catastrophe ambulante et que "à cette heure-ci, vous ferez moins de bêtises, Aiba-san" gnagnagna... Hum, bref, mon silence a duré plusieurs secondes et le "vieux" beau gosse me fixe d'un air pas aimable. J'suis sûr qu'il mordrait.

- Vous avez d'autres questions ? me demande-t-il d'un ton sec.

Je me retiens de le singer "vous avez d'autres questions ?" Et mon pied au cul pour te virer le balai qui y est logé, il va t'en poser des questions ? Raaaah il m'agaaaaaace. Bref bref bref... De toute façon, je sais plus quoi lui demander, alors autant couper court à cet entretient soporifique.

- Je pense que nos auditeurs ont entendu ce qu'ils avaient besoin, je ne vais donc pas vous retenir plus longtemps. c'était Sakurai Sho-san !

Pov Sho

Enfin fini. Je ne sais pas qui est ce type agaçant, mais je n'ai absolument aucune envie de le revoir. Vivement que je retourne chez moi, dans ma belle Karuizawa. Mais vu l'heure, je vais plutôt revenir à mon hôtel pour dormir. L'autre m'a épuisé. Je me lève sans un mot, m'incline profondément, puis me redresse.

- Au revoir.

Je n'adresse qu'un léger sourire à l'homme en cravate derrière le jeune exaspérant et sors de la pièce. Je veux mettre de plus de distance possible entre ce... cet indiscipliné et moi.

Pov Aiba

Pfiou ça y est il est parti. Mon émission va pouvoir reprendre un cours moins... endormant. Je farfouille dans ma playlist.

- Et maintenant, un petit morceau qui a la pêche : "weeeek" de News !

Je lance le morceau, coupant ainsi le micro et tourne les yeux vers mon boss. Qui me fait le signe "toi t'es mort". Je vais encore me faire attraper. Mais j'y peux rien s'il était chiant ce type. Je soupire, me lève de mon siège et vais à la régie le rejoindre. J'attends ma réprimande. Je suis habitué.

- Imbécile ! Tu ne sais pas combien ça a été difficile de le faire venir !

- Mais j'ai rien fais de mal, me défends-je piteusement.

- Tu as écorché son nom et ton interview était médiocre !

- J'ai écorché son nom parce que je lisais les notes illisibles de Shige ! Et et...

Je me tais. En fait, je n'avais de justification que pour le nom. Je me doute que j'ai fais des interviews meilleures que celle-là, mais aussi j'ai des gens plus intéressant d'habitude : des créateurs de jeux vidéos, des dessinateurs de mangas... Enfin des trucs biens quoi. Là...

- Tu ne sers vraiment à rien... Je crois que je vais penser sérieusement à te trouver un remplaçant. Sakurai-san est l'un des écrivains japonais les plus connus, on avait une merveilleuse façon d'avoir plus d'écoute et tu as tout fait foirer !

Heu... là il me fout la trouille. Me trouver un remplaçant ? Heu... nan là, je veux pas moi.

- S'il vous plait, Ohno-san, ne me fichez pas dehors... Je peux me rattraper...

- Alors prouve-moi que tu vaux quelque chose ! Débrouille-toi pour le faire revenir !

Heeeeeeeeee ?! Le faire revenir ? C'est quoi cette connerie ?!

- Le faire revenir ? Mais Ohno-san...

- C'est évident qu'il n'était pas satisfait. Alors soit tu l'invites à revenir, soit tu l'interviewes chez lui ou où tu veux. Compris ?

- Et si je... s'il refuse ?

- Je te trouverais un remplaçant.

Gloups... je crois que là, je me suis très sérieusement foutu dans la merde... Et j'ai bien l'impression que je vais y rester un sacré moment, parce que ça m'étonnerait que l'autre chiant lâche l'affaire comme ça. Il doit être vexé et tout le bataclan, alors je vais morfler sérieux je crois. Mais pourquoi moiiiiiiiiiiii ?!

- Hai...

- Retourne au studio, finis ton créneau et rentre chez toi. Je ne veux plus te voir ici tant que tu n'auras pas réussi à le faire revenir.

- Heeeeeeeee ?! Vous êtes sérieux ?!

- Oui, fit-il sèchement avant de se retourner pour sortir de la régie.

Ok, donc là je suis VRAIMENT dans la merde. A tel point que la marée noire c'est que dalle à côté. Mais comment je vais faire ça moi ? Je suis une bille en argumentation. J'arrive même pas à convaincre mon chat de faire ses besoins ailleurs que dans le couloir alors...

Je sais même pas où le trouver, l'autre chiant (j'ai déjà dis qu'il était chiant, ce chiant nan ?). C'est pas comme si y'avait pas des dizaines et des dizaines d'hôtels à Tokyo ne. Je suis un petit gars de la campagne moi. Moins je me risque en ville et mieux je me porte. Et maintenant...

Un peu démoralisé, je retourne à mon siège alors que la chanson se termine mais j'ai plus vraiment la tête à mon émission. J'essaye de réfléchir à ce que je pourrais dire pour que Sakurai-SAN (j'suis sûr qu'il préfèrerait -sama, ce mec) accepte de m'accorder une deuxième interview. A part m'aplatir comme une carpette, en le suppliant, je vois pas. Mais ça me semble bien dans la mesure où j'ai pas d'argument pour le faire changer d'avis.

Une heure et demie plus tard, mon émission est terminée. Il est deux heures du matin et, dans le studio, il n'y a plus que l'ingénieur du son qui pionce à moitié sur son siège et moi. Je tape à la vitre de séparation pour le faire réagir, puis passe la porte.

- J'ai fini pour ce soir, Kamenashi-san.

- Eh ? Ah euh... ouais. Bonne nuit.

- Oyasumi nasai, fais-je sans mon habituel sourire.

J'arrive pas à croire que je me retrouve dans cette situation et que je vais devoir aller faire le lèche-botte auprès de ce mec... J'attrape mon sac et file hors du studio. Je bâille. C'est son poème qui m'a endormi je parie. J'avais jamais rien entendu d'aussi assommant de ma vie. Il m'a tout coupé, ce Sakurai. J'ai même pas envie de reprendre ma lecture après ça. Je me laisse tomber sur ma chauffeuse dépliée, en étoile de mer, la tête sur le côté et les yeux grands ouverts. Comment je vais trouver ce mec demain ?

J'ai trop super mal dormi. L'histoire avec Mister Chiant qui me trottait dans la tête. Quand je pense que le boss a menacé de me virer à cause de lui, ça m'énerve. Il se prend pour qui ce type ? Tout ça parce qu'il est connu (et encore moi j'en avais jamais entendu parler alors sa célébrité doit être relative), il se la joue. Je supporte pas ce genre de mec.

Aux environs de dix heures, je décide quand même de me bouger. Après tout, comme je sais pas où il loge, je vais devoir pleurer l'info à Ohno-san et j'ai comme dans l'idée qu'il va pas franchement être disposé à me la donner. Mais bon j'ai pas trop le choix. J'attrape mon portable et compose son numéro. Il m'aboie dessus. Ok, je l'ai réveillé, il manquait plus que ça. Après plus de cinq minutes, il me renseigne quand même et je raccroche en le remerciant. Enfin remerciant... Je suis pas sûr de devoir le remercier du "superbe" cadeau qu'il me fait en m'envoyant à l'abattoir près de ce type.

Je file à la douche, enfile les premières fringues qui me tombent sous la main (un leggins vert pomme, un pantacourt jaune canari et une parka bleue à capuche sur un t-shirt jaune aussi. J'adore ce qui est très coloré et original) et file prendre mon scooter. Quelques minutes plus tard, je file vers son hôtel, où j'arrive une vingtaine de minutes plus tard. Je gare mon engin et vais à la réception.

- Excusez-moi, pourriez-vous m'indiquer la chambre de... (c'est quoi encore son nom à Mister Chiant ? Ah ouais...) Sakurai-san, s'il vous plait ?

- C'est à quel sujet? Sakurai-sama ne veut pas être dérangé.

"-sama"... Il lui donne du "-sama"... Et ben je suis mal barré moi...

- Anooo... Je suis Aiba Masaki, animateur radio à TRL. Il était à mon émission hier soir et j'ai vraiment besoin de lui parler. Pourriez-vous le prévenir s'il vous plait ?

- Je l'appelle, fait-il en décrochant le téléphone. Oui, Sakurai-sama ? Bonjour. Aiba Masaki-san voudrait s'entretenir avec vous... Oui... Bien sûr... Oui... Très bien. Pardon de vous avoir dérangé. Au revoir, fait-il en s'inclinant avant de raccrocher et de se tourner vers moi. Vous pouvez monter. Sa chambre est la 568. Attendez une dizaine de minutes, il se prépare pour vous recevoir.

Bon, au moins il a pas raccroché direct en entendant mon nom, c'est "rassurant".

Je remercie le réceptionniste pour sa bienveillante coopération, le salue et vais prendre l'ascenseur jusqu'à l'étage correspondant, puis cherche le bon numéro. Je la trouve rapidement, puis me met à poireauter en attendant les dix minutes. Je dois avoir l'air tout à fait idiot, tout seul dans le couloir devant une porte fermée, comme si j'avais oublié la clé de ma chambre, mais je m'abstiens de frapper. Inutile de le braquer, déjà que c'est un miracle qu'il ait accepté de me recevoir...

Après les dix minutes, la porte s'ouvre enfin sur Sakurai Sho et son kimono.

- Bonjour, Aiba-san. Vous avez oublié de me dire quelque chose ?

Purée il est en kimono dès le matin. Ce mec est pas réel c'est pas possible. Il est apparu de l'Ere Edo comme l'acteur dont j'ai oublié le nom dans "Chonmage purin"... (sauf qu'il en a pas la coupe ridicule) c'est pour ça qu'il est si coincé. Hum bref...

- Ano... je suis désolé pour hier soir. Je n'avais pas été prévenu du tout de votre identité (*bruit mental de violons*) et je n'ai pas eu le temps de préparer des questions appropriées (*bruit mental de violons bis*). S'il vous plait, acceptez de revenir ce soir... S'il vous plait ! fais-je en m'inclinant très bas.

- Ce soir, je ne serai plus à Tokyo.

- Alors... Est ce que vous voulez bien recommencer l'interview maintenant ?

- J'ai mon train dans moins de deux heures, me répond-il après un bref regard à sa montre à gousset cachée dans sa manche.

Je manquais m'étrangler en le voyant regarder une antiquité. Woh, donc j'avais raison à propos de l'Ere Edo. Ou plus ou moins. Ce mec vit dans le passé, c'est un truc de malade.

- J'essaierais d'être aussi bref que possible. Merci de m'accorder une seconde chance, fais-je en entrant.

Oui enfin chance, c'est vite dit. Je sais absolument pas quoi lui demander. Qu'est ce qu'on est censé poser comme questions à un poète ? J'ai aucune idée de quoi dire et je suis bien emmerdé. Et ça se voit. D'autant que je suis pas du tout habitué à mener des interviews en dehors des locaux de la radio, en dehors de l'antenne. Je suis animateur moi, pas journaliste... Mon truc c'est la déconne, pas le sérieux, parce qu'à l'heure de la nuit où je suis à l'antenne, si les gens entendent des trucs soporifiques, ils s'endorment et c'est pas franchement le but.

- Il ne me semble pas vous avoir autorisé à entrer, siffle-t-il en refermant la porte derrière moi. Mais si vous êtes professionnel et concis, je n'ai pas de raison de vous laisser dehors.

Youhou... Le seconde interview commence super trop bien of the dead. Je suis un homme mort. Si un regard pouvait tuer et une voix congeler, je serais déjà mort et en mode esquimau géant. Ce type est effrayant. Comment quelqu'un peut réussir à être à la fois si beau et si... antipathique ? Mais bon encore une fois, j'ai pas le choix. Y'a cette foutue épée de Damoclès au dessus de ma tête marquée "You're fired" comme sur les fax de Marty McFly dans "Retour vers le Futur". Je veux pas être viré. Je PEUX PAS être viré. Alors tant pis, je vais faire comme si ce type n'était pas désagréable.

- Excusez-moi, je suis nerveux, fais-je dans un sourire contrit.

- Vous vouliez me demander quoi exactement ? me demande-t-il en s'installant sur le fauteuil en face de moi.

Woh... dans la famille "je mets les gens super trop à l'aise direct", je voudrais Sakurai, ne. Bon, vas-y Masaki, rassemble tes idées, tu peux le faire.

- Où puisez-vous votre inspiration pour ces poèmes ? C'est du vécu ou... ?

- Mes derniers poèmes sont tirés d'expériences personnelles, oui.

Et là, je pense à quelque chose. Je n'ai rien pour enregistrer ses réponses. Ben oui j'ai pas l'habitude moi. Au risque de me répéter, je suis pas journaliste. Je réfléchis à toute vitesse à une solution, puis sors mon portable.

- Ano... Je n'ai... pas enregistré... Pourrions-nous juste... recommencer cette question s'il vous plait ? fais-je en m'inclinant depuis l'assise du fauteuil.

Je ne suis pas à l'aise du tout. J'ai le regard fuyant et ma main gauche triture nerveusement le tissu de mon pantacourt. J'ai horreur de ça, moi qui suis toujours comme un poisson dans l'eau quelles que soient les circonstances. Il va me prendre pour un débile profond mais tant pis du moment qu'il accepte. Après tout, son avis, je m'en contrefous. Son seul intérêt, c'est de m'éviter d'être viré, donc...

Je met mon portable en mode dictaphone, puis répète ma question précédente :

- Où puisez-vous votre inspiration pour ces poèmes ? C'est du vécu ou... ?

- Oui, pour ce qui est de mes derniers poèmes. Je m'inspire de mes propres expériences.

- Est ce que tous vos poèmes ont le même style ou chacun est-il d'un genre différent ?

Je ne crois pas qu'il se rende compte à quel point je me creuse la tête pour poser des questions comme ça. Rendez-moi mes interview décalées, pas prise de tête et humoristiques ! Là, je vais me pendre tellement il est austère et maussade. Moi qui suis quelqu'un de joyeux, j'ai trouvé mon parfait contraire. Il mérite bien son surnom de Mister Chiant tiens.

- Ça dépend à quelle période je les ai écrit, me répond-il toujours sans sourire. Mes derniers sont du même genre.

J'ai envie d'en finir tout de suite, de lui dire d'aller au diable avec sa mine de trois pieds de long, mais je peux pas. Ohno-san me tomberait dessus direct si je me pointais au studio avec seulement trois questions. Ah non deux. J'ai pas encore posé la troisième... pour la bonne raison que je sais pas encore quoi demander.

- Vous n'avez jamais eu de critiques négatives de vos lecteurs ? Des avis disant que c'était trop triste ?

Bon, j'ai jeté un pavé dans sa mare, mais c'est moi qui en ai marre de cette interview planplan... Gare à sa réaction cela dit.

- Jamais. Mes lecteurs respectent mes choix, eux, fait-il avec un regard noir. Je n'ai jamais eu de critique particulière. Ceux qui lisent mes poèmes recherchent peut-être ce genre de sentiment pour mieux comprendre les leurs. C'était comme ça dans l'un de mes romans, "Kuroi Geisha", où le personnage principal de Shiori devient la geisha personnelle d'un Yakuza. Plusieurs fois, elle cherche à se suicider, à s'enfuir, mais elle finit par tomber amoureuse de son patron.

"Kuroi Geisha"... C'est marrant, ce titre me dit un truc, mais je vois pas quoi...

- Je vois. C'est une histoire qui donne à réfléchir en somme. Pourriez-vous citer quelques un de vos autres ouvrages pour les auditeurs qui chercheraient à s'en procurer ?

Et aussi pour que j'arrive à mettre le doigt sur ce qui me chiffonne à propos du roman dont il vient de parler.

- J'ai aussi écrit "Kumo to Niji", "Akai Mizuumi", "Mamoritai" et beaucoup d'autres.

Matte, matte... Chotto matte... Ces titres aussi me disent quelque ch... OH MERDE ! MERDE MERDE MERDE ET MEEEEEEEERDE ! J'arrive pas à le croire tellement c'est un truc de ouf ! J'ai lu tous ses bouquins, je les ai même dévorés et je pensais que l'auteur était putain de doué ! Et c'était luiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! Oh nan trop la loose, j'ai over la honte là. Sérieux, je me suis JUSTE conduit comme un abruti de première avec mon AUTEUR PREFERE ! Je l'ai en face de moi et... et quoi en fait ? Bah rien. Oui, il est putain de doué et il est chiant d'être aussi talentueux. C'est même gavant tellement il est bon. Et beau (même si ça a rien à voir). Mais c'était pas de ses bouquins qu'on parlait à la base mais de ses po-è-mes. Qui eux sont aussi rasoirs que ses romans sont passionnants. Il est même pas constant ce type, c'est dingue. N'empêche que maintenant, j'ai l'air d'un con et en plus, je sais que j'ai rougi. Il va forcément demander pourquoi, je suis trop louche pour qu'il fasse autre chose là.

- Un problème ? me demande-t-il justement. Vous n'avez pas l'air bien.

Et Paf !

- S... Si... C'est juste que... je viens de réaliser que j'ai... lu tous vos livres... Tous sans exception... Et je... (je me lève et m'incline très très bas limite à me faire un tour de reins) Je suis vraiment vraiment désolé ! Je... J'adore ce que vous faites !

Je me sens trop mal. Surtout que j'ai rien de plus à ajouter sur ses poèmes tellement je suis sous le choc. Et pour tout arranger, là, j'ai l'air de la groupie de base. En moins chevelue. Je pensais pas que c'était possible d'être aussi nul que moi. Peut-être bien que mon boss a raison à mon sujet finalement.

- Je vois, merci, fait-il calmement avec un petit sourire avant de regarder sa montre. Par contre, je vais devoir y aller, donc si nous pouvions conclure...

Oh la vache ! Il sait sourire, truc de ouf ! Faut que je m'en souvienne. Et ça lui va plutôt mieux que de tirer la gueule sans arrêt (il me fait penser à Nishikido-san pour ça tiens).

- Heu oui, bi... bien sûr, fais-je en balbutiant comme un gamin. Pour terminer, auriez-vous un message à faire passer aux auditeurs pour leur donner envie d'acheter votre recueil de poèmes ?

- Hum... Je crois... que c'est la première fois que je me dévoile vraiment. Tous les sentiments que j'ai ressenti récemment, je les ai décrits et mis en scènes dans ces poèmes. On m'a souvent dit que personne ne savait qui j'étais vraiment et c'est pour cela que j'ai fait ce choix.

Je coupe le magnétophone de mon téléphone, verrouille celui-ci et le range dans ma poche.

- Merci de m'avoir accordé une seconde chance. Excusez-moi encore pour hier soir. Je vous souhaite un bon voyage de retour, dis-je en m'inclinant brièvement. Vous n'avez pas trop de chemin à faire ?

- Une heure de train. Je vais à Karuizawa, répond-il en fermant son sac de voyage avant de le prendre et de partir vers la porte. Au revoir.

Et il quitte la salle sans un mot de plus. Je me sens con. Mais vraiment. Je reste a fixer la porte par laquelle il est sorti, les yeux ronds comme Nakatsu qui découvre que Ashiya est une fille dans HanaKimi. Il me faut quelques instants pour me secouer et sortir a mon tour.

Pov Sho

Enfin j'ai fini cette interview ridicule. Sérieusement, pourquoi on m'a collé un gars pareil ? Je suis sûr qu'il est revenu parce que son patron l'a menacé de le virer. Un déchet de la société comme lui qui ne sait même pas s'habiller correctement (non mais c'est quoi ce legging vert ?!), aussi maladroit que ça, ça me sidère, vraiment. Il ne devrait même pas avoir le droit d'entrer dans un hôtel aussi luxueux. Et en plus il fallait que ce soit l'un de mes fans, on croit rêver ! Vivement que je rentre chez moi, Tokyo m'agace.