Je suis brisée
Les larmes sont un don. Souvent les pleurs, après l'erreur ou l'abandon, raniment nos forces brisées
Victor Hugo.
Tu sais tu m'as vraiment fait mal.
Au début, je pensais que nous deux c'était un jeu. Un jeu avec nos propres règles et nos propres pions. Tu m'embrassais au détour d'un couloir, tu me faisais l'amour dans une salle de réunion... Je ne t'aimais pas, pas encore, j'aimais juste ton corps. Tu ne m'aimais pas, tu aimais juste mon corps. C'était facile, simple, concret. Je maîtrisais la situation. J'aimais juste quand tu me faisais l'amour. Puis la couleur de tes yeux ainsi que la texture de tes cheveux et peut-être un peu ton sourire narquois en permanence collé sur ton visage imparfait. Juste cela. C'était juste physique. Aucun sentiment.
Plus simple ne pouvait exister. Comme je l'ai dit, je maîtrisais. Jusqu'au jour où, après m'avoir fait l'amour et alors que tu croyais que je dormais, tu as murmuré cette phrase mortelle dans mes cheveux.
« Comment ne pas tomber amoureux de toi ? »
Je me rappelle de ce soir-là comme si c'était hier...
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On boit, comme d'habitude. Tu m'as donné cette manie de noyer mon chagrin dans la boisson. On boit, on ne parle pas. Puis, tu me prends par la main et tu allumes la musique. On danse. Langoureusement. Sensuellement. Tu mets tes mains sur mes hanches, je te lance des regards provocants, tu descends lentement tes mains vers mes fesses, tu me rapproches de toi, trop près peut-être. Après ton cinéma, tu pousses mes cheveux vers l'arrière avec ta main, tu la laisses glisser vers mon cou et enfin, tu m'embrasses. Commence alors un ballet acharné entre nos langues. On se cherche, on se trouve, pour se séparer et se retrouver à nouveau. On n'écoute plus la musique, trop intéressé par l'autre.
Tu me dirige vers ma chambre, on ne se quitte pas des yeux. Tu enlèves tes chaussures, tes chaussettes, ton pantalon, ta chemise, ton boxer... Pendant que je te regarde. Nu, tu es encore plus beau. Tu t'approches de moi et tu me déshabilles. Je sens tes mains frôler mon corps sans jamais le toucher.
Tu me fait basculer sur le lit et tu rampes vers moi tel un prédateur. Tu maîtrises tout, tu me domines, je l'avoue. C'est érotique mais tu sais que je n'aime pas quand je ne maîtrise rien.
On ne prend même pas la peine de faire des préliminaires, on a perdu cette habitude. Tu me pénètres avec force, comme toujours tu utilises la force pour t'exprimer. Puis tu changes, du tout au tout. Tu deviens plus doux, plus humain. Tu m'embrasses le cou, puis la gorge, puis l'épaule, tu descends vers mes seins, que tu manipules agilement avec ta langue. Tu me fais vibrer. Tu es un homme et je suis une femme. Quoi de plus normal que de se satisfaire mutuellement ? Tu me fais monter au septième ciel, murmurant mon prénom au creux de mon oreille pendant que j'hurle le tien au monde entier sans retenu.
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Nous avions juste fait l'amour une fois de plus.
Oui mais voilà, tu as prononcé ces mots et je ne les ai jamais oubliés. Durant des jours, voire des semaines, ils ont hanté mes nuits. Je ne pouvais en parler à personne. Je pouvais juste les subir, comme toujours. À chaque fois que je te voyais, je m'embrasais. Pas seulement mon corps, mon cœur y mettait du sien depuis cette nuit. Je me haïssais de ressentir cela. J'avais dit dès le début que nous deux ce n'était que du sexe et que je contrôlais. Je ne fais aucune erreur. C'était de ta faute, tu étais le seul coupable dans notre histoire. Je n'y étais pour rien.
Je ne suis pas tombée amoureuse de toi. J'en suis... presque sûre. J'étais juste amoureuse de ton corps, mon état en dépendait. Point. Sur le moment, je ne m'inquiétais pas. Tu étais encore là, pour moi seule.
Seulement, du jour au lendemain, plus de baisés volés au travail, plus de rendez-vous secrets. Plus rien et aucune explication. Tu étais parti. Plus tard, j'appris que tu étais parti loin de moi pour retrouver ta fiancée. Je ne savais même pas que tu en avais une. Je ne pouvais pas t'en vouloir, je ne te l'avais jamais demandé. Puis, pourquoi en parler ? J'aurais juste aimé l'apprendre par toi et non pas par cette Rita Sticker et son journal !
Dès lors, tu ne m'as plus jamais adressé un regard. Lorsqu'on travaillait, nos paroles s'arrêtaient à une affirmation ou à une négation. On ne se disait plus bonjour ni au revoir. Tu n'existais plus pour moi et je n'existais plus pour toi. Si seulement cela s'était arrêté là...
Peut-être qu'en face de toi je faisais la fille indifférente, mais chez moi, c'était tout autre... Je passais des soirées à regarder des films à l'eau de rose. Je ne m'amusais plus à être coquette ni à m'habiller joliment. J'avais changé. D'ailleurs, mes amis ne comprenaient pas ce changement soudain. Ils essayaient de me tirer les vers du nez pourtant, mais je n'ai jamais rien dit. J'ai gardé notre secret.
Puis, comme dans toutes les histoires d'amour, au fur et à mesure je me sentais mieux. Je reprenais vie. Je sortais de nouveau avec mes amis au restaurant. Je me maquillais, des hommes commençaient à s'intéresser à moi, j'ai même eu deux relations sérieuses. J'étais fière de moi. Je t'avais vaincu.
Et un matin alors que je mangeais mon fidèle croissant du Samedi, le journal m'apportait, une nouvelle fois, une mauvaise nouvelle. Elle était enceinte. Ta femme portait ton enfant. C'était le coup de grâce. Tout ce que j'avais réussi à reconstruire s'effondrait. Tout, sans exception. Même si je savais que tu allais toucher ta femme, j'espérais secrètement que tu allais te retenir de la mettre enceinte pendant quelques années, disons vingt ans. Je sais que ce n'était pas possible, je ne suis pas folle non plus... Tu aurais juste pu me laisser le temps de m'en remettre, complètement. De t'oublier, entièrement.
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Maintenant, après plusieurs années, je comprends que j'ai eu tort de tomber amoureuse de toi. Je l'avoue. Je n'étais pas seulement dépendante de ton corps, je l'étais aussi de toi, tout entier. J'ai eu confiance en toi, à mes tords. Avec cette maudite phrase, j'ai cru que tu commençais à m'aimer aussi... J'y croyais, dur comme fer. J'étais persuadée et je me suis une nouvelle fois trompée.
Le plus dur c'est de savoir que tu avais raison quand tu disais que j'étais faible. Parce que tous les soirs je me disais :
« Je suis brisée ».
