Bien le bonjour ! Me revoici pour une nouvelle fanfiction ! En vérité, c'est juste un three-shot (en trois chapitres donc, pour ceux qui sont fatigués).
Comme d'habitude, c'est un joli rating M parce qu'il y aura plusieurs lemons (certains meilleurs que d'autres) et le premier est tout à la fin de ce chapitre - en même temps, pour quelque chose appelé "Maison Close" on se doute que ca ne va pas rester chaste très longtemps, n'est-ce pas ?
Pour information, nous avons ici un doublet Aidan/Dean et Graham/Richard. Le défi (je crois que l'idée m'a été donnée par Sam Sanders, je ne me souviens plus, ca fait déjà quelques temps que j'ai commencé ce truc) était que, pour une fois, ce serait Dean et Graham, les catins, et non pas Aidan et Richard comme ca semble logique de faire (oui, c'est logique à mes yeux). Ca a donc été un peu difficile à écrire maiiiiis, je suis assez satisfaite.
Voilà, je vous souhaite une bonne lecture, en espérant que ca vous plaise !
Maison Close
Chapitre 1 : Dette
Accoudé au bastingage, Dean regardait défiler les eaux glacées de l'Atlantique. Au loin, il pouvait presque voir, malgré la nuit, se découper les falaises d'Angleterre. Enfin, il était arrivé à destination, après sept longs mois de navigation. Enfin. Il allait pouvoir commencer une nouvelle vie, loin de la pauvreté de Nouvelle-Zélande, trouver un travail correct et peut-être même fonder une famille s'il trouvait une femme à son goût, et qui veuille bien de lui. Une main se posa sur son épaule, et il sursauta violemment. Le jeune homme se retourna pour croiser un regard clair accompagné d'un sourire engageant. "James Nesbitt" pensa-t-il immédiatement car il était physionomiste, "irlandais d'origine parti aux Indes faire fortune".
- Et bien, mon garçon, il n'est pas prudent de rester seul sur le pont à cette heure. Les eaux de l'Atlantique sont traîtresses, tu pourrais tomber.
Dean lui sourit, touché par sa sollicitude. Monsieur Nesbitt avait été particulièrement agréable avec lui depuis qu'il était monté à bord. "J'avais un neveu à qui tu ressembles beaucoup, petit", avait-il dit quand le jeune néo-zélandais lui avait demandé la raison de cette attitude paternaliste. Cela lui avait fait plaisir. Son père, à lui, n'avait jamais été très bon envers lui.
- Il n'y a pas à s'inquiéter, je me tiens bien.
James Nesbitt laissa son regard glisser jusqu'au bastingage, et nota les mains du garçon fermement accrochées aux cordages qui s'y étalaient. Le jovial irlandais éclata de rire et passa un bras autour de ses épaules pour l'éloigner du rebord de bois.
- Allez, viens avec moi petit. Une petite partie de dés te tenterait-elle ? L'ennui me ronge, et je cherche quelqu'un contre qui jouer.
Dean secoua la tête, pas très sûr de lui, mais accepta quand même. Si seulement il avait su ce qui l'attendait, ce que cachait ce sourire si aimable, il aurait fui James Nesbitt comme la peste.
Après plusieurs verres d'un alcool dont il ignorait le nom et l'origine, Dean ne se souvenait même pas de son nom. Il n'eut pas conscience d'en avoir avalé une telle quantité. Il lui semblait simplement que son verre était toujours plein, alors il buvait, encore, et encore, et encore. Parce que c'était somme toute fort bon, et très agréable. Et plus il buvait, plus il jouait. Et plus il jouait, plus il perdait. C'était une sorte de cercle vicieux. Jusqu'à ce qu'il aie dilapidé la maigre somme qu'il avait réussi à emmener avec lui. Mais il continua de jouer, promettant de rembourser tout jusqu'au dernier denier dès qu'il aurait trouvé un travail.
"Je n'en doute pas, Dean, je n'en doute pas..."
Et comme il ne parvenait pas à se refaire, Nesbitt finit par cesser le jeu, en lui faisant signer une reconnaissance de dettes. Dean ne saurait jamais comment il avait fait, mais il avait réussi à écrire son nom complet sans trembler, malgré sa vision floue et son sang qui charriait plus d'alcool que d'oxygène. Puis l'Irlandais le ramena à sa cabine, où il s'effondra comme une masse et dormit jusqu'au lendemain après-midi. Nesbitt vint le visiter pour lui annoncer qu'ils accosteraient dans la nuit, puis qu'il faudrait prendre une navette jusqu'à Londres, ce qui les emmenait au lendemain matin. Le jeune néo-zélandais était encore trop mal pour comprendre la portée de ces informations, mais il parvint malgré tout à sourire et à remercier cet homme si gentil qui veillait sur lui depuis son départ. Le jovial irlandais lui fit boire quelque chose apporté par son acolyte au chapeau melon et il se rendormit instantanément.
Il se traîna jusqu'à la fameuse navette, soutenu par un James Nesbitt décidément très heureux d'être enfin de retour. Dean ne remarqua même pas la présence de deux femmes femmes à la peau cuivrées qui le suivaient docilement, tête basse. Il se laissa tomber sur la banquette capitonée de velours qui les attendait, tandis que les deux femmes s'asseyaient de part et d'autres de lui. Nesbitt et son acolyte, William Kircher, prirent place en face d'eux, bientôt rejoints par une homme très corpulent aux cheveux bruns, avec qui ils semblaient être en contact. La tête lourde, les paupières papillonnantes, Dean tentait d'écouter la conversation qu'ils animaient, sans grand succès.
"La marchandise à l'air en très bon état malgré la rudesse du voyage. Et lui, qui est-ce ?"
"Un bonus, Stephen. Les patrons devraient être très heureux."
"Oui, je ne doute pas qu'ils le seront..."
Le jeune homme s'endormit avant d'entendre la fin de leur conversation, ou de comprendre les quelques brides qu'il avait réussi à grapiller.
Quand il rouvrit les yeux, il se sentit reposé et incroyablement bien, malgré la lourdeur de sa tête et de ses membres. Et ses idées étaient claires, ce qui ne lui était pas arrivé depuis des siècles, selon lui. Il regarda autour de lui, incapable de dire où il était ni comment il y était venu. Un bruit lui parvint et il tourna la tête pour voir une femme s'activer à nettoyer les meubles et à ranger divers objets dans des tiroirs en marmonnant.
- Excusez moi... commenca-t-il d'une voix légèrement éraillée.
La femme sursauta et poussa un cri bref, lâchant ce qu'elle tenait dans ses mains. Il s'avéra qu'il s'agissait d'un broc, sensé contenir de l'eau, heureusement vide. Le récipient explosa en un millier de petits morceaux de porcelaine couleur crème, dispersant ses arêtes tranchantes un peu partout dans la pièce sous le regard catastrophé de la femme.
- Je suis désolé, je... dit-il en tentant de se lever. Je vais nettoyer tout ca.
- Restez allongé, monsieur Dean, vous pourriez vous blesser. Ne bougez surtout pas, je reviens de suite !
La femme quitta la pièce dans une envolée de jupons blancs et noirs, pour revenir quelques instants plus tard, comme promis, armée d'un balai et d'une petite pelle de métal. Avec des gestes vifs et économes, elle s'empressa de réunir tous les petits éclats, sans en omettre un seul, qu'elle ramassa avec la pelle et emmena dans le couloir. Elle revint encore, chargée d'un nouveau broc plein d'eau cette fois-ci, et le plaça dans un large bol posé sur la commode. D'aussi loin qu'il se souvenait, il n'avait jamais entendu parler d'un hôtel doté d'un personnel aussi performant - et surtout aussi présent lorsque les locataires se trouvaient dans leur chambre. Ce qui le ramena à sa question originelle.
- Pardonnez moi, mais... Où suis-je ?
La femme se tourna vers lui mais ne s'approcha pas et croisa les mains devant elle, sur son long tablier blanc. Un long tablier blanc porté sur une robe noire, tout aussi longue. Une gouvernante, donc, pas une simple servante. C'était la première fois qu'il parlait à quelqu'un d'aussi haut placé dans la domesticité. Lui n'avait jamais eu affaire qu'aux aides-cuisinières ou aux palefreniers, si d'aventure il frayait dans les environs d'une famille assez riche pour en avoir. Ce qui, en Nouvelle-Zélande, était quand même très rare. A bien y regarder, la femme lui semblait assez jeune. Un peu plus de vingt ans, mais pas beaucoup plus. C'était très jeune, pour un tel grade. Un esprit moins naïf que le sien - ou plus habitué aux grandes villes comme Londres - lui soufflerait qu'il devait y avoir là de la promotion canapé. Et serait dans l'erreur, comme il l'apprendrait un peu plus tard. Elle avait des cheveux bruns, assez longs, remontés en un chignon serré. Son visage pourrait être agréable s'il n'était pas si froid et fermé. Elle se tenait droite, comme pour se faire plus grande qu'elle ne l'était. Ou plus importante. Ce qui ne fonctionnait pas bien, comme il en aurait la preuve plus tard.
- Vous êtes à l'Hôtel Cavendish, monsieur. Et vous êtes attendu.
Elle claqua des doigts et une petite bonne femme toute ronde arriva bientôt, chargée d'un plateau où trônait une assiette de petits sandwichs.
- Bonjour, mon chéri ! Je vous ai préparé une petite collation, ces monstres vous laisseraient mourir de faim sans même s'en rendre compte. Heureusement que Camille et moi sommes là pour veiller sur vous, mes pauvres petits !
"Camille" qui sonnait très français, comme nom, devait être la gouvernante, dont le regard s'adoucit par la simple présence de ce qui devait être une cuisinière.
- Mangez, dit-elle. Vous en aurez besoin. Et rafraîchissez-vous, vous avez une mine épouvantable. Nous vous laissons. Quand vous serez prêt, sonnez.
La gouvernante prit la petite bonne femme par les épaules et la poussa dehors, lui laissant à peine le temps de faire un dernier geste de la main à Dean avant que la porte se referme derrière elles. Abasourdi, le jeune homme resta immobile pendant un moment. Puis l'odeur du pain frais et du beurre lui parvint et il se décida à manger.
Il passa une serviette propre, très douce, sur son visage pour effacer les dernières gouttes d'eau qui s'amusaient à glisser sur sa nuque et sa gorge. Puis il saisit le petit cordon qui pendait près de la commode et attendit le retour de la gouvernante. Qui ne tarda pas à faire son entrée, toujours raide et droite, toute trace de chaleur disparue de son visage. Elle l'inspecta de haut en bas et finit par marmonner un "ca devra bien suffir, de toute façon" avant de lui faire signe de la suivre. Il referma la porte derrière lui et s'appliqua à marcher dans ses pas tout en observant les alentours.
Où qu'il se trouve, c'était un endroit aisé. La décoration, aussi simple était-elle, dénotait d'un goût certain, et d'un luxe heureusement discret. Des chandeliers d'argent, et non pas d'étain. Des tentures de velours, et non pas de coton. Des meubles anciens parfaitement entretenus, faits dans un bois laqué du plus bel effet. Un sol de parquet ciré recouvert d'épais tapis moelleux, et non pas des moquettes élimées. Oui, où qu'il soit, il était dans la maison d'un homme riche. Très riche. La question était de savoir ce qu'il faisait là. Son inquiétude remonta à la surface, mêlée cette fois d'une pointe d'angoisse qui lui donnait envie de s'enfuir en courant. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait un horrible pressentiment.
La gouvernante s'arrêta enfin face à une porte de bois, au fond d'un couloir.
- Restez toujours poli, appelez le "monsieur" jusqu'à ce qu'il vous dise de faire autrement. Ne vous asseyez que lorsqu'il vous le demandera. Soyez franc, toujours, lui dit-elle très vite avant de lever le bras.
Elle toqua trois coups brefs et une voix d'homme, très élégante et modulée d'un certain accent qui dénotait d'une haute éducation, lui permit d'entrer. Elle poussa le lourd battant de bois sans faire un pas de plus, se tenant dans l'encadrement de la porte.
- Monsieur O'Gorman est là, monsieur.
Puis elle s'inclina respectueusement et s'écarta d'un pas pour lui permettre d'entrer.
- Je reviens tout de suite, murmura-t-elle à son passage.
Elle referma la porte derrière lui et il se retrouva seul dans le vaste bureau. Contrairement au reste de la maison, cette pièce là était étonnament encombrée de par la présence de deux massifs bureaux de bois. Une cheminée occupait un large pan du mur en face de lui, mais l'âtre était vide. On était en plein été, ici, il ne faisait pas encore assez froid pour faire un feu, malgré la rigueur de "l'été londonien" connu mondialement. Suivant les indications de la gouvernante, il resta parfaitement immobile et croisa les mains dans son dos, ne pouvant s'empêcher de baisser la tête face au regard inquisiteur fixé sur lui.
- Approchez, mon garçon, je ne vais pas vous manger.
Au travers de ses cils, il vit l'homme se lever de son large fauteuil et contourner le bureau pour lui faire face tandis que lui s'approchait à pas mesurés. Il vit une main s'élever lentement avant que des doigts ne se referment sur son menton pour lui relever la tête. Il croisa un regard bleu extrêmement clair, dans un visage déjà usé par le temps. Une masse épaisse de cheveux blancs, bien coiffés en arrière, donnait au visage de cet homme un air digne et élégant que seuls devaient avoir les nobles. Il était grand, également, pour un homme de cet âge. Il fallait dire aussi que Dean était un peu trop petit...
Le regard glacé glissa sur lui, avec une effronterie que Dean jugea tout à fait outrageante, et il aurait bien remis ce vieux dandy à sa place s'il n'avait pas eu une conscience aigue de la différence très nette qui existait entre eux. Lui, c'était un homme riche, donc important. Fatalement puissant. Et lui n'était rien d'autre qu'un insecte. Il ne pouvait rien faire d'autre que subir cette observation sans dire un mot, et rester digne. Un sourire appréciateur étira les lèvres fines et Dean sentit un soulagement aussi incongru qu'irritant s'emparer de lui à l'idée d'avoir réussi au moins cet examen là.
- Asseyez-vous, mon garçon, nous devons parler.
L'homme le mena jusqu'à une partie "salon" du vaste bureau, et le jeune homme se laissa tomber avec autant de distinction que possible, c'est à dire aucune, dans un profond fauteuil. Son hôte s'installa face à lui, avec plus de grâce, sur le canapé et croisa les jambes. Ce devait être un signal car, à peine fut-il installé que trois coups frappés contre la porte se firent entendre, juste avant que la gouvernante n'entre dans la pièce, chargée d'un lourd plateau d'argent sur lequel trônait un service à thé en porcelaine de chine absolument exquis. Elle le posa sur la table basse et s'appliqua à faire le service, aussi discrète et efficace que possible.
- Amène nous également des biscuits, ma chérie, je te prie.
La gouvernante hocha la tête en silence et s'en fut rapidement, jetant un regard rassurant au jeune néo-zélandais. La porte se referma sans bruit et l'homme se pencha en avant pour ajouter une cuillère de sucre et une larme de lait à son thé.
- Comment prenez-vous votre thé, jeune homme ?
- Euh, je... Je n'ai jamais bu de thé, monsieur...
L'homme lui jeta un regard si effaré que Dean aurait bien ri s'il ca n'avait pas été inconvenant. Il garda donc le silence et se mordit la lèvre, conscient d'avoir fait une bêtise.
- Il est vrai que vous venez de Nouvelle-Zélande, et êtes arrivé il y a peu. Vous vous habituerez très vite aux coutumes de notre bon pays, expliqua plaisamment l'homme élégant en ajoutant les mêmes ingrédients dans la seconde tasse avant de la lui tendre.
- Je... Je l'espère, monsieur...
- Vous êtes adorable, savez-vous ?
Dean s'étouffa avec le liquide brûlant, mais fut absolument persuadé que ca n'était pas du tout à cause de la chaleur. Il releva la tête vers l'homme et le fixa d'un air qui devait sûrement paraître bien stupide, mais il ne pouvait rien faire d'autre. Le riche inconnu éclata d'un rire clair et but une gorgée avant de reposa la tasse dans une soucoupe. De nouveaux coups furent frappés à la porte et, cette fois, ce fut la petite bonne femme toute ronde qui entra d'un pas alerte, une large assiette pleine de biscuits dans les mains.
- J'espère que vous êtes gentil avec lui, monsieur McKellen ! Il vient à peine d'arriver ! Il doit être complètement perdu !
- Pas de crainte à avoir, ma chère Mathilde. Il est entre de bonnes mains.
- De bonnes mains ? Mon oeil, oui ! Vous allez nous le terrifier !
- Pardonnez-nous, monsieur, nous y allons, intervint la gouvernante, qui venait tout juste d'entrer dans la pièce, en prenant la cuisinière par les épaules pour la tirer hors du bureau. Tais toi, tu veux ?
Il n'entendit pas ce que répondit la cuisinière, car la porte se referma sur les deux femmes, mais il perçut très bien son ton courroucé. Monsieur McKellen, puisque ce devait être son nom, ne semblait pas perturbé le moins du monde par l'intervention inopinée de ses domestiques, et souriait aimablement en grignotant un biscuit.
- Je me rends compte, dit-il d'un ton calme, que je ne me suis pas encore présenté, ce qui est un manquement grave à mes devoirs d'hôte. Je suis Sir Ian McKellen, chevalier de la Reine Victoria.
Dean reposa sa tasse dans la soucoupe qui lui était attribuée et bafouilla une présentation fort succinte. Il n'avait pas de titre, lui. Sir Ian leva une grande main dans un geste apaisant et lui sourit tranquillement en reprenant un biscuit.
- N'ayez crainte, je sais pertinemment qui vous êtes mon garçon. Et puisque mon associé ne daigne pas arriver, nous allons commencer sans lui. Commençons par les termes de votre contrat...
- Pardon, mais... Quel contrat ?
Le sourire de McKellen se fit indulgent et il se leva pour rejoindre son bureau, rapportant plusieurs feuillets qu'il disposa sur la table.
- Vous souvenez-vous de ceci, monsieur O'Gorman ?
Le jeune homme s'empara de la feuille qu'il lui tendait, et reconnut, tout en bas, sa signature. Mais le papier en lui-même ne lui disait rien du tout.
- Non, monsieur.
Le regard de Ian McKellen se durcit et c'est d'une voix beaucoup plus froide qu'il reprit la parole, croisant les jambes et ses longs doigts devant lui.
- Il s'agit bien de votre signature, n'est-ce pas ?
- Oui, mais...
- Donc, vous devez avoir connaissance de ce document.
- Monsieur, je vous assure que...
La suite de sa phrase refusa de sortir alors qu'un souvenir insistant remontait à sa mémoire. Soudainement, il se revit, sur le bâteau, jouer aux dés avec James Nesbitt sous le regard moqueur de William Kircher et signer, des heures plus tard et sous l'emprise de l'alcool, le papier qu'il lui présentait.
- La reconnaissance de dette...
Ian retrouva son sourire et reprit un biscuit.
- Cette petite fait les gâteaux les plus délicieux du monde, je gage.
- Il... Il travaillait pour vous ? demanda le jeune homme d'une voix blanche.
- En effet, monsieur O'Gorman.
- Mais... mais c'est avec lui que je suis en dette.
- Certes, mais il s'agit de mon employé et il a joué mon argent. C'est donc avec moi que vous êtes en dette, sommes-nous d'accord ?
Dean s'apprêta à protester avec virulence, rendu furieux par l'attitude arrogante de cet homme mais le regard glacé qu'il rencontra lui fit refermer la bouche sans avoir rien dit. Il lut rapidement le papier, et se rendit compte qu'effectivement, cette reconnaissance de dette l'engageait auprès de messieurs Ian McKellen et Peter Jackson. Catastrophé, il chercha le montant, et le numéro à plusieurs chiffres qui lui sauta aux yeux lui coupa la respiration. Il ne pourrait jamais payer une telle somme, c'était impossible, même après une vie de labeur.
- Pouvez-vous payer cette somme, monsieur O'Gorman ? demanda Ian McKellen en inspectant ses ongles bien nets.
- Non, monsieur...
- Avez-vous des biens, quels qu'ils soient ?
- Non, monsieur...
- Pas même en Nouvelle-Zélande ?
- J'ai vendu tout ce que j'avais pour pouvoir payer mon passage en Angleterre, et j'ai joué le peu d'argent qu'il me restait. Monsieur, ajouta-t-il après un bref silence alors que les indications de la gouvernante lui revenaient en mémoire.
- Pas de logement, et pas d'emploi, n'est-ce pas ?
- Non, monsieur.
Sir McKellen se rapprocha du bord du canapé et reprit sa tasse de thé désormais presque froid. Lui n'avait même pas touché au sien. Dégoûté, il était persuadé d'être malade s'il avalait quelque chose, fut-ce du thé. Le vieil anglais semblait très satisfait, et fier de lui, sans véritables raisons apparentes, ce qui inquiétait beaucoup le jeune homme.
- J'ai donc un marché à vous proposer, monsieur O'Gorman.
Prostré sur son lit, Dean était incapable de penser. C'était une maison close. Pas n'importe laquelle, cela dit. Un lupanar de luxe, réservé à une clientèle aisée, pour le moins. Mais un bordel quand même. Et lui, il y était enfermé. Jusqu'à ce qu'il aie éclusé cette dette faramineuse qui le liait aux patrons. Il en avait pour toute la vie, c'était sûr. Un instant, il avait songé à s'enfuir, mais il s'était vite rendu compte que la fenêtre de la chambre qui lui était allouée était beaucoup trop haute. Une chute serait mortelle, au mieux, ou handicapante à vie, au pire. Quitte à devoir mourir, il préférait ne pas se louper...
Alors qu'il essayait vainement de ne pas pleurer comme une femme en détresse, il avait entendu la gouvernante et la cuisinière discuter à voix basse, avant que la première n'entre doucement dans sa chambre pour lui demander s'il avait besoin de quelque chose. Il n'avait même pas eu la force de répondre, ce qui avait énervé la petite cuisinière, qui s'en était allée "dire deux mots à McKellen", selon ses propres termes. Il l'avait entendue crier jusqu'ici, malgré la distance et les portes fermées. Elle était venue le voir moins d'une heure plus tard, apportant avec elle un breuvage chaud au goût très doux. "C'est du chocolat" avait-elle dit. "Le meilleur des remèdes pour les cœurs abîmés". Il avait à peine noté la marque rouge qui s'étalait sur sa joue, signe clair qu'on l'avait frappé peu de temps auparavant. Il avait bu, jusqu'à la dernière goutte, et s'était senti légèrement rasséréné. Puis elle s'en était allée sans bruit, le laissant à ses réflexions.
Pendant un an. Une année complète. Une putain d'année à travailler dans ce... cet endroit sordide, sans recevoir de gage, pour éponger sa dette. Puis il serait libre. Un an. Il n'y survivrait pas. Oh, pourquoi avait-il signé ? C'était une folie ! Il était perdu. Définitivement perdu. Qui accepterait de louer un appartement à un ancien résident de maison close, même aussi prestigieuse que celle-ci ? Qui lui offrirait un travail, après tant de temps passé ici ?
"Notre clientèle est exclusivement masculine".
Peut-être plairait-il suffisament à quelqu'un pour qu'il le prenne avec lui ? Et en quoi cela arrangerait sa situation ? Il passerait de catin de bas étage à amant entretenu. Tout ce que la moral réprouvait, tout ce qu'il détestait. Nous vraiment, il était tombé bien bas... Mais il n'avait pas le choix, n'est-ce pas ? Il avait beau pleurer et prier le Seigneur que ce ne soit qu'un affreux rêve, supplier pour se réveiller sur le bâteau, avant que James Nesbitt ne le fasse boire et dilapider le peu d'argent qu'il avait, il ne pouvait échapper à la réalité. Il était pris au piège, et le peu d'honneur qu'il lui restait exigeait qu'il lave sa dette.
Ce n'était pas ainsi qu'il envisageait sa vie en Angleterre. Il avait naïvement cru pouvoir se fondre dans la masse des immigrés du Commonwealth, naïvement cru pouvoir mener une existence normale dans le carrefour des civilisations qu'était devenu Londres. Naïvement cru pouvoir nouer des relations normales, naïvement cru pouvoir fonder une famille, et vivre plus heureux qu'il ne l'était en Nouvelle-Zélande. Maintenant, il regrettait amèrement son départ, comme le lui avait prédit son père. Il aurait donné n'importe quoi pour pouvoir retourner chez lui, revoir ses parents et son petit-frère. Ils ne lui avaient jamais autant manqué qu'en cet instant, malgré la séparation houleuse qu'ils avaient connue.
Il enfouit son visage dans l'oreiller, et pleura. Jusqu'au matin.
Camille, la Gouvernante, entra dans la chambre dans un silence quasi parfait, seulement perturbé par le frottement de l'ourlet de sa longue jupe sur le parquet du sol. Il n'avait pas fermé l'oeil de la nuit et était resté habillé, comme pour se protéger des futures atteintes que subirait bientôt son corps. La jeune femme ouvrit les lourds rideaux, laissant le soleil entrer à flot dans la chambre. Un sourire éclaira son visage froid, la rajeunissant considérablement. Elle était nettement plus jolie quand elle souriait.
- Ah, vous êtes réveillé, monsieur Dean. Bien. Comment vous sentez-vous ?
- Comment vous sentiriez-vous si on vous enfermait dans une maison close sans votre consentement, dites moi ?
Le visage de la jeune fille se referma et il se dit, bien trop tard, qu'il n'avait aucune idée de l'histoire de cette jeune fille, et qu'elle pouvait très bien ne pas être ici par plaisir ni vocation, mais bien contrainte et forcée. Comme lui. A ceci près qu'elle n'aurait pas à se faire baiser par tous les hommes qui en émettrait le désir, elle au moins.
- On est de mauvaise humeur ? Alors qu'on a réussi à vous octroyer une journée de tranquilité ? Vous devriez nous remercier à plat ventre, jeune homme.
Dean tourna le regard vers la porte pour voir la cuisinière entrer en poussant un chariot de bois sur lequel attendaient plusieurs plateaux couverts de victuailles. A cette vue, et malgré sa dépression sincère, il sentit son estomac gargouiller désagréablement. Ce qui déclencha un sourire lumineux à la petite bonne femme. A bien y regarder, elle était jeune, elle aussi. Trop jeune pour vivre ici, tout comme la gouvernante. La vingtaine. Guère plus. Peut-être même moins. C'était désolant. Accédant à son ordre, il piocha une viennoiserie et la grignota, appréciant la chaleur du croissant et son goût de beurre délicieux et revigorant alors qu'elle quittait la pièce un instant.
- C'est très bon. D'où est-ce que ca vient ? demanda-t-il lorsqu'elle revint.
- De la cuisine, répondit la cuisinière en traînant le lourd sac de voyage de Dean dans la pièce. C'est une recette française.
C'était donc ca. Il ne reconnaissait pas leur accent (et, à dire vrai, il ne connaissait pas d'autres accents que le sien ou celui des anglais), mais il devina que c'était un accent typiquement francais. Ces deux jeunes femmes étaient des étrangères, comme lui.
- Merci, dit-il tout bas en baissant le nez. Merci pour tout.
Les deux femmes se consultèrent du regard avant de lui adresser un sourire rassurant. Il continua de manger, restaurant ses forces, tandis qu'elles s'appliquaient à ranger ses affaires dans la commode, signant avec inéluctabilité son appartenance à la maison close, en se chamaillant sur la meilleure manière de trier des vêtements. La gouvernante penchait pour un code couleur tout en créant des tenues. La seconde pour classer selon la nature du vêtements et de laisser le jeune homme se débrouiller pour choisir comment s'habiller. Il se demandait comment elle pouvait établir un tel protocole de rangement avec le peu de vêtements qu'il possédait. Néanmoins, cela semblait une affaire sérieuse.
- Aujourd'hui, annonça Camille en croisant les mains sur son tablier, vous allez commencer votre... "apprentissage" comme dit monsieur McKellen.
- Mon apprentissage ?
- Comment faire jouir un homme en un temps record sans ressentir la moindre émotion, si vous préférez...
La gouvernante siffla entre ses dents et la cuisinière, qui venait de parler sans détour, haussa les épaules en empilant les assiettes vides sur ses plateaux. Dean rougit jusqu'à la racine des cheveux, maudissant au passage son teint pâle de blond.
- Je disais donc... reprit la gouvernante en secouant la tête avec lassitude. C'est monsieur Graham qui va s'occuper de vous. Si vous voulez bien vous préparer, je vous conduirai à lui. Mathilde, on s'en va.
La petite cuisinière toute ronde s'en fut sur un dernier signe de main et sourire lumineux en poussant son chariot, vite suivie par la rigide gouvernante. De nouveau seul, Dean se laissa retomber sur ses oreillers, se demandant comment la situation pouvait être pire qu'elle ne l'était déjà. Puis il se leva et, sans énergie ni envie, fit ses ablutions.
C'était un géant. Immense et massif, Graham McTavish était le prototype même de l'homme viril et fort avec lequel les douces demoiselles de la haute société rêvaient de s'encanailler. Mais monsieur McKellen avait dit clairement que leur clientèle était masculine, exclusivement. Alors Dean ne comprenait pas. Il s'avéra très vite que monsieur Graham n'était pas vraiment au même niveau que les autres résidents du bordel où il était enfermé, comme il en aurait confirmation plus tard. Il était jovial mais professionnel, amical mais pas mielleux. Et il était gentil. Un peu comme les deux jeunes femmes. Il ne le brusquait pas, était très patient. Jusqu'à la phrase fatidique.
- Dis moi, petit Dean... Tu as déjà baisé une femme, au moins ?
Evidement, le jeune néo-zélandais avait rougi - encore une fois - jusqu'à la racine des cheveux. Il avait espéré, pourtant, que son inexpérience totale ne se verrait pas tant que ca. Le fait était qu'il n'avait jamais eu le moindre rapport avec une femme, ni même avec un homme. Il était parfaitement innocent des choses de l'amour, même s'il aspirait de toutes ses forces à les connaître un jour.
- Bien sûr que... j'ai déjà eu des... des rapports avec...
Graham le regarda avec un tel air blasé qu'il préféra se taire, douloureusement conscient d'avoir été percé à jour. Après tout, c'était logique. Voir normal. Il était risible d'espérer duper un homme aussi versé que son professeur dans l'art de donner du plaisir. Le géant était venu s'assoir près de lui et avait passé une main dans ses courts cheveux blonds pour amener son visage jusqu'au sien, l'arrêtant à seulement quelques centimètres.
- D'abord, la base. N'embrasse jamais, et ne les laisse pas t'embrasser.
Les baisers, selon Graham, étaient un symbole d'amour, le moyen de démontrer physiquement l'affection que l'on porte à quelqu'un sans que cela aie une connotation sexuelle d'aucune sorte, même si c'est toujours un très bon début pour allumer le désir d'un client. Or, ils n'étaient pas là pour les aimer, ni pour les faire tomber amoureux. Ils étaient là pour leur permettre de se vider l'esprit et de se distraire en plaisante compagnie. Ils étaient là pour assouvir leur fantasmes, ce que leurs épouses se refusaient bien souvent à faire. Les lèvres de Graham effleurèrent la commissure de ses lèvres.
- Ne va jamais plus loin que ca.
Puis sa bouche remonta sur sa joue jusqu'à son oreille, dont elle mordilla légèrement le lobe avant qu'une langue taquine ne se glisse derrière l'appendice pour caresser la peau sensible.
- N'oublie pas, non plus, que tu es là pour leur donner du plaisir, pas pour en prendre, murmura son professeur d'un souffle brulant. C'est à toi de les séduire, et de les amener à lâcher prise mais à moins d'un ordre très précis des patrons - et tu es trop inexpérimenté pour qu'il te confie ce genre de demande - tu devras écarter les jambes sans jamais chercher à prendre le dessus sur ton client. Et tu ne porteras jamais la main sur aucun d'eux, même s'il le demande. Jamais. C'est compris ?
Dean soupira sous les caresses adroites que les mains fortes de Graham lui dispensaient et hocha la tête. Il ne s'attendait pas à cela. Jusqu'à présent, il avait refusé d'imaginer ce que donnerait ce type de... relation avec un autre homme, parce que la moral le réprouvait, bien sûr. Il n'envisageait pas que cela puisse être aussi appréciable, malgré la virilité indéniable de son professeur, et la chasteté des caresses. Car à part quelques effleurements, Graham ne l'avait même pas réellement touché. Et lui se sentait déjà flotter sur un nuage. Puis, soudain, la présence chaude de Graham disparut et il se retrouva seul sur le canapé.
Le géant alla ouvrir une porte latérale et fit signe à quelqu'un d'entrer. Un jeune homme, peut-être même plus jeune encore que Dean, pénétra dans la pièce d'un pas léger et guilleret. Par rapport à McTavish, il semblait proprement minuscule, mais cela était surtout dû à la finesse de sa carrure. Cette stature frêle lui conférait un air fragile et précieux qui donnait envie de le protéger des atteintes du monde. Il ne put s'empêcher de répondre au sourire éclatant que le nouvel arrivant lui décerna, malgré l'incongruité de leur situation. Aussitôt, le garçon se mit à babiller dans un anglais maladroit avec un accent français à couper au couteau, le même que celui des deux jeunes femmes, qui ne faisait qu'ajouter un peu plus à son charme naïf.
- Je m'appelle Adam, je viens de Normandie. Tu connais la Normandie ? Tu dois être Dean, c'est cela ? Les filles ne parlent que de toi, tu es leur nouveau chouchou, c'est atroce. A croire que tu m'as remplacé dans leurs coeurs ! Tu viens de Nouvelle-Zélande ? Je ne suis jamais allé en Nouvelle-Zélande, tu sais. C'est beau comme pays ? Oh, je pense que ca doit l'être. Tous les pays sont beaux, même l'Angleterre, c'est dire...
- Adam, assieds-toi.
Aussitôt, répondant à l'ordre de Graham, le jeune garçon se laissa tomber dans le sofa qu'occupait Dean, s'affalant presque sur lui. Le jeune homme ne revenait pas du débit de parole qui pouvait jaillir d'un si petit être, cela lui semblait ahurissant. Surtout qu'il n'avait pas tout compris, Adam recommençant à parler français au beau milieu d'une phrase sans même s'en rendre compte, avant d'éclater de rire entre deux paroles.
Graham, amusé autant par le babillage frivole d'Adam que par l'air déconfit d'un Dean qui ne comprenait pas ce qui se passait, s'installa calmement dans un fauteuil confortable qui faisait face à la méridienne.
- Et toi, Graham, d'où est-ce que tu viens, au juste ? demanda bientôt Adam, visiblement incapable de se taire plus de deux minutes successives.
- Je viens d'Ecosse. De Glasgow, plus précisément.
- Oh, soupira le garçon avec un air extatique. C'est où ?
Le géant qui leur servait d'instructeur éclata de rire et leur expliqua, très patiemment, où se situait Londres en Angleterre, puis l'Angleterre par rapport à l'Ecosse et enfin, où se trouvait Glasgow en Ecosse, ceci afin qu'ils puissent apprécier la distance qui le séparait de son pays natal, malgré sa proximité apparente. Ils discutèrent de tout et de rien, parlant de leurs pays d'origine, des espoirs qu'ils avaient formés en venant en Angleterre, de ce qui leur était arrivé pour se trouver dans une telle situation. C'est ainsi que Dean apprit l'histoire d'Adam, et celle de Graham.
Le premier était né dans un petit village et, pour échapper aux mauvais traitements qui lui étaient infligés dans sa famille, s'était enfui du domicile familial. Il n'avait pas été très loin cependant, jusqu'à Cherbourg, et avait été ramassé dans la rue par une dame élégante qui l'avait pris sous son aile, l'avait nourri et logé en échange de quelques menus services. Malgré son jeune âge, il était déjà très vif d'esprit, et il n'avait pas fallu longtemps pour qu'il mette un nom approprié sur la relation qui l'unissait à cette charmante dame. Et à ses quelques amis. C'était monsieur Jackson, alors en voyage d'affaire en France pour contrôler leurs investissements parisiens, qui s'était arrêté à Cherbourg pour attendre le ferry sensé le ramener en Angleterre. Il était tombé sur Adam, et s'était simplement dit qu'il plairait à son ami et associé Ian. La dame, d'abord récalcitrante, lui avait rendu sa liberté sans problèmes. Il était arrivé deux jours auparavant, et n'avait dû son attente avant de rencontrer son instructeur qu'à sa maigreur effrayante. Ordre de la cuisinière.
L'histoire de Graham était bien différente.
Issu d'une famille pauvre de Glasgow, il était le cinquième et dernier enfant de la fratrie. Parfaitement inutile et rien d'autre qu'une bouche à nourrir, ses parents l'avaient d'abord fait travailler dans la même usine que son père, mais il s'était avéré que ce n'était pas suffisant. Alors ils l'avaient amené à Londres, où ils devaient rencontrer un viel ami installé là. Ils avaient appris que ledit ami était mort inopinément, parce qu'il n'avait pas su payer la dette conséquente qu'il avait envers un riche homme d'affaire. C'est ainsi qu'ils avaient fait la connaissance de Ian McKellen, alors encore relativement jeune, et plus ambitieux et sévère qu'il ne l'était désormais. Ses parents l'avaient vendu un bon prix, et lui était devenu un des premiers résidents de ce qui deviendrait rapidement la maison de passe la plus côtée de Londres.
Dean avait compris qu'il n'était pas le plus à plaindre. Son contrat l'engageait pour un an, et ce n'était qu'un moyen d'éponger une dette. Eux étaient liés à vie à cet hôtel qu'il jugeait sordide malgré son luxe certain mais discret.
- Nul besoin de raconter ton histoire, dit Adam en agitant la main, je la connais déjà. Oh, ce Nesbitt, je lui collerais bien mon poing dans la figure !
Graham sourit avec indulgence alors que Dean, stupéfait, essayait d'imaginer le frêle garçon frapper quelqu'un.
- Il ne faut pas croire, j'ai de la force ! dit Adam dans un éclat de rire.
- Bien, messieurs, et si nous passions aux choses sérieuses ?
Les deux jeunes hommes échangèrent un regard, soudainement aussi peu assurés l'un que l'autre, avant de se tourner vers l'écossais avec timidité.
- Montrez moi ce que vous savez faire.
Graham regardait par la fenêtre alors que les deux garçons s'ébattaient joyeusement sur la méridienne. Enfin, joyeusement. Ca avait l'air de l'être, mais un oeil averti comme le sien savait que ca ne l'était pas. Pas du tout, même. Il percevait les fausses notes dans les gémissements forcés de Dean, son visage figé par le dégoût et la peur. Il voyait bien l'air compatissant et les gestes doux d'Adam, qui essayaient de l'aider de son mieux. Sans succès. Mais ils faisaient l'effort louable de faire comme si de rien n'était. Son regard gris balaya la rue en contrebas, admirant les toilettes chatoyantes des femmes de bonne famille et les chapeaux haut-de-forme des gentilshommes. Il ne pouvait s'empêcher de chercher un visage bien particulier, sans jamais le trouver, ce qui ne cessait de lui briser le coeur avant que l'espoir ne le fasse renaître à chaque fois qu'il apercevait un homme ressemblant vaguement à l'objet de son attente.
- Oh oui, oui, oui, oh oui !
Bon, il était grand temps qu'il prenne les choses en main.
- Non, non, non, non. Franchement, les garçons...
Les deux jeunes hommes, coupés en plein élan, s'arrêtèrent et se rassirent correctement sur le sofa, un peu honteux de constater que leur prestation, qu'ils pensaient pourtant acceptable, n'avait dupé personne.
- C'est ca que l'on t'a appris en France, Adam ? Et toi, Dean... Je sais bien que tu n'as aucune expérience en la matière, mais te rends-tu seulement compte à quel point tes petits soupirs sont ridicules ? Est-ce que l'un de vous deux comprend ne serait-ce qu'un mot de ce que je vous ai dis ? Hm ?
D'abord, ils ne répondirent pas, gardant la tête basse, avant qu'Adam ne se décide à murmurer un vague "oui, monsieur" que Graham jugea correct.
- Bon... Recommençons depuis le début, voulez-vous ? Adam, tu fais le client. Et bien, vas-y ! ajouta-t-il comme aucun d'eux ne bougeait.
Soupirant, le français adressa un sourire désolé à son compagnon néo-zélandais avant de glisser une main dans ses courtes mèches blondes et de lui embrasser la gorge. Graham fronça les sourcils, jugeant l'action trop vorace.
- Lentement. Voilà, comme ca. Ils ne sont pas dupes, vous savez, leur expliqua-t-il calmement. Ils viennent de payer leur dû, il savent pertinemment ce que vous êtes. Ils savent que tout cela n'est qu'une comédie jouée à leur unique attention.
Les lèvres d'Adam quittèrent la gorge de Dean pour glisser sur son épaule puis sa clavicule tandis que ses mains remontaient le long de ses jambes repliées, caressant délicatement la peau halée frémissante. Sans brusquerie, il incita le jeune homme à s'étendre sur la méridienne, sa bouche atteignant un mamelon dressé. Et Dean, qui n'avait pas l'habitude de pareils attouchements, laissa échapper un léger gémissement.
- Votre travail consiste à leur faire oublier ce qu'ils savent. Et cela prend du temps. Vous devez les y amener avec délicatesse, en douceur.
Les yeux fermés, Dean frissonna quand la bouche d'Adam quitta son torse pour descendre sur son ventre, alors que son sexe durcissait rapidement. Ses muscles abdominaux se contractèrent fermement lorsqu'une langue agile se glissa dans son nombril, allant et venant dans ce minuscule orifice, mimant l'acte sexuel à la perfection.
- Vas y, Adam...
La voix de Graham, rocailleuse et basse, n'était plus qu'un murmure chaud à l'oreille de Dean. Les lèvres douces descendirent encore et mordillèrent tendrement l'intérieur de sa cuisse avant que la pointe mouillée de la langue ne vienne lécher son sexe dressé sur toute sa longueur. Immédiatement, Dean se cambra et enfouit ses mains dans les cheveux bruns d'Adam, un râle grondant lui échappant. En réponse, il se sentit glisser entièrement dans la bouche brûlante de son camarade de jeu. Il se cambra un peu plus, cherchant inconsciemment à s'enfoncer plus loin dans l'antre accueillante.
- Délicatesse... Douceur... entendit-il la voix de Graham murmurer près de son oreille, son souffle ardent enflammant sa peau trop sensible. Malgré toi, il te subjugue peu à peu, Dean. Tu aimes ca. Dis le lui, que tu aimes ca...
- Oh oui, mon Dieu... parvint-il à dire d'une voix rauque.
Adam gémit sourdement quand les ongles courts de Dean raclèrent la peau de sa nuque, et ce son délicieux se répercuta dans tout l'être du jeune néo-zélandais.
- Comme ca, c'est parfait, murmura Graham en se délectant du spectacle merveilleusement érotique que lui offraient ses élèves. Il aura envie de vous croire. Il tire du plaisir de sa queue depuis qu'il est en âge de jouer avec, alors pourquoi pas vous ? Il sait que par rapport aux autres hommes il est... le meilleur. Il l'a toujours su, au plus profond de lui-même et maintenant, il en a la preuve. Il est si doué qu'il parvient à même à toucher quelque chose en vous, de vulgaires putains, quelque chose dont personne ne pouvait soupçonner la présence, et vous vous prenez à vouloir jouir, vous aussi...
Graham caressa les cheveux bruns et Adam délaissa le sexe douloureusement tendu pour écarter un peu plus les jambes de Dean, sa langue caressant la peau fragile qui reliait son sexe et l'antre encore inviolée où il s'enfoncerait bientôt. Sous le regard sombre de l'écossais, le jeune français lécha goulument l'anneau de chair contracté, y enfonçant légèrement sa langue, le lubrifiant au maximum pour ce qui allait suivre. Il suca rapidement deux de ses doigts et les placa contre l'entrée légèrement distendue et remonta embrasser le torse de son petit compagnon alangui, poussant légèrement son index jusqu'à ce que sa première phalange l'aie pénétré. Adam sourit au râle rauque qu'émit Dean et sa main libre vint caresser lentement son sexe dressé tandis qu'il relevait la tête pour planter son regard sombre dans celui de Graham. Dardant sa langue, il en caressa les lèvres fines de son professeur, provocateur.
- Et si tu venais te joindre à nous, Graham ?
L'écossais le laissa jouer quelques secondes, songeant que ca faisait bien longtemps qu'il n'avait pas goûté à d'autres baisers que les siens.
- N'embrasse jamais, murmura-t-il contre les lèvres aguicheuses du frêle Adam. De plus, je me réserve pour un autre homme.
- Allons... Ce qu'il ignore ne peut pas nous faire de mal... rétorqua le jeune homme en poussant son majeur à l'intérieur de Dean, lui arrachant un autre gémissement sourd tandis qu'il se cambrait un peu plus.
L'écossais retourna s'assoir sur son fauteuil, croisant ses longues jambes musclées et ses doigts devant lui, jaugeant la prestation d'un regard appréciateur.
- Dicton stupide, trancha-t-il. Ce qu'on ne sait pas, c'est en général à cause de ca qu'on se fait tuer, dans notre milieu, mes enfants.
Adam amorça un mouvement de va-et-vient, bougeant ses doigts pour détendre Dean du mieux possible, sans jamais cesser de le caresser, un peu plus rudement, récoltant des cris de plus en plus graves qui lui donnaient furieusement envie de s'enfoncer dans ce délicieux petit cul brûlant. Pas tout de suite, pas encore.
- Il doit... Il doit être très beau... pour te plaire.
Un doux sourire étira les lèvres de Graham, son regard sévère s'adoucissant considérablement à l'évocation de l'homme qui hantait toutes ses pensées.
- Oui, en effet, approuva-t-il en se remémorant la finesse des traits de son beau visage et l'harmonie sculpturale de son corps parfait. Et il descend d'une longue et ancienne lignée de la Haute Noblesse.
Adam, dont le regard acéré ne manquait jamais rien malgré son agitation légitime à l'idée de pouvoir baiser cet adorable petit ange tombé du ciel, eut un sourire narquois quand l'écossais crut bon d'ajouter le pedigree de son amant. Il ne trompait personne.
- Je crois bien... que tu es amoureux, Graham... intervint difficilement Dean, qui n'avait pas manqué une miette de la conversation malgré le tourment que lui infligeait son compagnon de jeu.
Le sourire de Graham se teinta d'amertume et de résignation. Bien sûr qu'il était amoureux. Il l'avait envoûté, et lui dépérissait à chaque seconde passée sans le voir.
- Depuis plusieurs années, maintenant, confirma-t-il sans gêne. A tel point que j'ai l'impression d'avoir passé ma vie à l'aimer. La suite, Adam, il ne faudrait surtout pas qu'on s'ennuie.
Le petit français retira ses doigts et s'enfonça en Dean d'un coup de rein, feulant de plaisir en sentant son sexe enserré si rudement. Putain, c'était délicieux. Un éclair de satisfaction le traversa en constatant qu'il n'avait pas causé la moindre douleur au néo-zélandais, et il se mit enfin à rouler des hanches.
- Et lui aussi il m'aime, poursuivit Graham en regardant la queue d'Adam aller et venir entre les fesses de Dean. Il me parlait de tout. Des chevaux qu'il avait acquis - parce qu'il adore les chevaux. Des réceptions ennuyeuses où son frère le traînait. De la femme qu'il allait devoir épouser pour satisfaire sa famille. Une femme de son rang. Et plus belle que le jour.
- Il... Il est toujours... marié avec elle ? s'enquit Adam en remontant un peu plus les jambes de Dean autour de ses hanches pour mieux le prendre.
- Non. Elle est morte il y a peu. Je crains qu'il ne l'aie réellement aimé. Et pourquoi ne l'aurait-il pas aimée, du reste ? Elle était... parfaite.
Après un coup de boutoir plus puissant et profond que les autres, Dean s'arqua en criant d'une voix éraillée, jouissant sur son ventre en longs jets brûlants. Adam le rejoignit dans l'extase immédiatement après, bougeant encore légèrement les hanches.
- Excellent, sourit Graham en tapant deux fois dans ses mains. Vous savez ce que j'ai appris en le regardant se marier malgré notre amour ? J'ai appris que je ne gagnerai jamais. Il est trop inaccessible. Les nobles jouent un jeu différent du nôtre, mes enfants, et ils ont leurs propres règles. Je ne peux pas les combattre, ces règles, alors je ne vais pas me fatiguer inutilement. Je vais plutôt faire ce que je fais de mieux et les enculer. Voilà ce que je sais, voilà ce que je suis. Et ce n'est qu'en admettant ce qu'on est qu'on peut obtenir ce qu'on veut.
- Et qu'est-ce que tu veux ? demanda Dean d'un ton haletant.
- De lui ? Absolument tout. Mais je crois que je l'ai déjà... Allez vous lavez, vous travaillez tous les deux, ce soir. C'était très bien, Dean !
Graham regarda les deux jeunes hommes quitter la pièce après s'être rapidement rhabillés et retourna se poster à la fenêtre pour reprendre son observation minutieuse de la rue.
Voilà, fin du premier chapitre.
J'espère que cela vous a plu et, aux éventuelles lecteurs plus assidus, à la semaine prochaine !
Aschen
