La phrase se délite, les mots ne se laissent pas ordonner sans combattre, ils se cachent derrière leurs autres sens ou leur traduction dans une autre langue, propulsent des contre-sens ou des approximations sur le fond sombre de mes paupières, glissent à la périphérie de ma vision et sur le bout de ma langue.
Il faut les dompter, les chasser dans les moindres recoins, parfois s'avouer vaincue et se contenter d'un synonyme, rendant la phrase légèrement dissonante, et enfin je peux les modeler selon mon intention, enchaînés les uns aux autres dans un ordre qui m'est propre, et lentement ma phrase s'inscrit enfin sur ma feuille blanche, glorieuse dans sa solitude et sa résistance à ma plume. Les phrases les plus fortes, parviennent parfois à se modifier pendant que je les grave dans le papier, et continuent à se débattre, enfermées à jamais par l'encre qui les lie et leur donne vie. Puis il faut recommencer, se battre encore et encore, chaque mot plus dur à trouver que le précédant.
Ma main faiblit, je renonce presque… non ! Il faut continuer, encore et toujours, laisser mon témoignage pour le futur, une trace du passé et de la vie qu'ils pourraient avoir s'ils le souhaitent, la vie d'avant la méfiance et les trahisons.
Les mots se troublent, je dois me dépêcher avant qu'ILS ne me trouvent, je dois insuffler mes souvenirs à ce texte puis jeter le sort qui le cachera dans l'inconscient de ceux qui se battent encore et de ceux qui ont perdu espoir, dans les rêves des enfants à venir, pour leur permettre d'espérer, de résister et de poursuivre ma tâche.
