Le silence n'existait pas. Quand Lucy fermait les yeux, elle tentait de se boucher les oreilles, en vain. Elle faisait semblant que ça ne la gênait pas et restait toute la nuit dans son lit pour que ses parents ne se doutent de rien. Les autres dormaient sans problème malgré le chant de la pluie qui résonnait sur les toits. Ils oubliaient qu'elle existait parce qu'elle faisait partie de leur quotidien. Les autres oubliaient tout, jusqu'aux sentiments qui pouvaient les attacher à une personne. Lucy s'employait à oublier, elle aussi. Elle tentait de se boucher mentalement les oreilles, recroquevillée sous sa couverture. Si elle le faisait pour de vrai, les Régulateurs le sauraient et ils l'arrêteraient. Lucy ne voulait pas passer leurs tests, elle ne voulait pas savoir à quel point elle était différente et si elle faisait vraiment partie de ces Autres. Elle retint un soupir et se concentra sur sa respiration.
Dehors, la pluie tombait sans discontinuer. Elle martelait les toits et le béton. Elle constituait un incessant rideau entre les yeux et le monde réel. A quoi ressemblerait la ville, sans ces trombes d'eaux artificielles ? La nuit, dans le secret de son lit, quand l'insomnie la tenait, quand elle peinait à oublier le bruit, Lucy s'imaginait voir la ville sans ce filtre, sans ces bruits. Elle imaginait le silence parfait qui régnerait dans les rues. Est-ce que le ciel serait gris si la pluie cessait de tomber ? Les yeux fermés, la jeune fille voyageait dans les rues désertes de Rain. Le ciel était gris, mais ce n'était pas grave. Les néons des enseignes luisaient plus intensément sans les gouttes d'eaux pour les renvoyer. Ils en faisaient presque mal aux yeux. Sur les immeubles, les écrans géants continuaient d'envoyer des publicités pour les dernières créations des Ingénieurs. Des hologrammes géants représentant des femmes et des hommes traversaient Lucy en vantant les mérites de ces nouveaux modèles de serviteurs.
Le tout se faisait dans un silence parfait. La jeune fille n'avait pas besoin de ses oreilles. Elle observait les rues désertes. Il n'y avait pas de volante pour troubler la quiétude qui régnait. Les gens ne marchaient pas, pressés, la tête baissé pour ne pas affronter la pluie. Il n'y avait pas le bruit des pas marchant dans les flaques et éclaboussant les alentours. Il n'y avait pas d'Autres qui faisaient la manche, rejeté par la société. Il n'y avait que Lucy et le silence, Lucy et la ville de Rain enfin libérée de la pluie battante. Il n'y avait que Lucy, délivrée de sa cage, qui n'était plus obligée de se cacher.
