Le vase explosa en heurtant le sol avec fracas. Les débris de verre colorés furent rapidement rejoins par ceux d'une assiette en porcelaine. Je savais qu'il les adorait. Pourtant, son visage restait impassible face à mon coup d'éclat. Il se moquait bien que je ruine sa vaisselle. Je serrai les poings en saisissant un couteau couvert de nourritures.
– Je ne suis plus à tes ordres ! éructai-je. Je ne suis plus ta protégée ! Je ne suis plus ta petite chose fragile ! Tu m'étouffes, est-ce que tu le comprends ?
Il ne répondit rien, se contentant de m'observer sans un mot. Il continuait même de manger comme si rien ne se passait. Furieuse, j'attrapai son assiette pour la jeter dans la salle à manger. Les restes se répandirent sur le parquet lustré tandis qu'Alfred, venu assister au spectacle, soupirait. Il lui faudrait tout nettoyer par la suite, et même si j'étais désolée de lui donner plus de travail, la rage qui m'animait m'empêchait de m'apitoyer sur le sort du majordome. Je frappais violemment mon poing sur la table. Une longue fissure ouvrit le chêne massif en deux.
– Regarde-moi, Bruce ! Réponds-moi ! Fais quelque chose, bordel ! Si tu dois me retenir, prouve-moi que notre mariage vaut encore le coup ! Prouve-moi que je ne me fais pas d'idée sur ce qui se passe !
Je me plantai en face de lui, les deux mains posées sur la table et la respiration hachée. Malheureusement, mon interlocuteur restait muet, les yeux posés sur moi, impassible. Son calme ne faisait qu'augmenter ma propre agitation. Je me redressai, la mâchoire serrée. Les larmes menaçaient de couler sur mes joues. Je les sentais brûler ma rétine, mais les refoulais. Il était hors de question que je lui donne ce qu'il désirait. Il ne pourrait plus profiter de ma faiblesse comme il l'avait fait toutes ces années.
– Très bien.
Mon ton était froid alors qu'un véritable volcan explosait dans mon ventre au point de me faire mal. Mon cœur serré en devenait douloureux. Je toisais l'homme assis qui ne bougeait pas, ne tentait même pas de me retenir, comme si toutes ces années n'avaient jamais existé pour lui. Pour moi, elles étaient réelles. Je ne savais plus ce que je représentais pour lui, ni même si notre mariage comptait. Je retirai l'anneau qui encerclait mon annulaire gauche et le posai sur la table, entre nous.
– Mon avocat t'enverras les papiers du divorce. Je te rends également ton nom de famille. Tu es maintenant seul, Bruce Wayne, et ça n'aurait jamais dû changer.
Je me détournai, le dos raide, la nuque douloureuse. Mes talons claquaient sur le sol tandis que je quittai la salle à manger sous le regard peiné d'Alfred.
– Maîtresse Anthéa… tenta-t-il de me retenir.
Il était bien le seul à désirer me voir rester, mais ce n'était pas ses mots que je désirais.
– Alfred, peux-tu ranger s'il te plaît ? Je crois que le repas est terminé.
Pour la première fois, Bruce ouvrait la bouche, mais ce n'était même pas pour me parler. Il me rendait ma liberté, quand j'aurais aimé qu'il m'enchaîne à son manoir. Je gardai la tête droite en montant les escaliers jusqu'à notre chambre. La mâchoire serrée, les mains tremblantes, je sortis un sac de voyage du placard et commençai à y ranger des affaires. Mon cœur battait douloureusement dans ma poitrine. Tout était finis, mais je savais, au fond de moi, que cela faisait longtemps que c'était le cas. Une larme traîtresse roula sur ma joue. Je l'essuyai d'un geste et, peu désireuse de m'attarder dans cette maisons trop grande et trop froide, abandonnai celui que je pensais être l'amour de ma vie.
