Chapitre 1.
Comment allait-il s'en sortir ? Cela faisait plusieurs jours qu'il tournait et retournait le problème dans sa tête et rien ne venait. Il ne voyait aucune issue à sa situation, en tout cas aucune issue positive. Peter était à la tête du service et il s'était vu assigner un nouveau « surveillant ». L'Agent Siegel n'était pas désagréable mais la manière dont Peter l'avait jeté entre les pattes de ce nouvel agent lui restait en travers de la gorge.
Celui qu'il avait appris à voir comme un ami lui avait clairement fait comprendre qu'il avait besoin de mettre de la distance entre eux. La raison de ce revirement était simple. Peter pensait qu'il était devenu dangereux pour lui et pour sa carrière. Au cours de leurs enquêtes, de leurs soirées autour d'un verre, ils étaient devenus proches, trop proches aux yeux de Peter.
D'une certaine manière, Neal comprenait sa réaction mais cela n'atténuait pas la douleur provoquée par les paroles de son ami. Il lui avait froidement lancé au visage qu'il n'était qu'un criminel et qu'il devait le traiter comme tel. Se sentant incapable de le faire, il avait choisi de le donner « en garde » à un autre agent.
Vexé, blessé et quelque peu humilié par ces paroles, Neal n'avait pas su quoi répondre. Des mots similaires, prononcés par une autre personne, lui revenaient en mémoire. Ils avaient rouvert une vieille blessure. Mais Neal avait vite rebondit. Il ne voulait pas donner un prétexte au FBI de le renvoyer derrière les barreaux. Il était hors de question qu'on le mette à nouveau en cage. Il préfèrerait partir en beauté que de revivre ça.
Depuis ce jour, les relations étaient cordiales mais distantes avec Peter. Elisabeth avait bien tenté de l'inviter à diner mais il avait poliment refusé. Il continuait à faire le travail qu'on lui demandait mais rien de plus. Siegel ne cherchait pas à créer de lien particulier et cela lui convenait parfaitement. Tous les soirs, en rentrant à l'appartement, il essayait de se convaincre que la décision de Peter lui faciliterait les choses s'il avait besoin de s'écarter un peu du droit chemin. Mais au fond de lui quelque chose s'était éteint.
Le fait que Peter ait confiance en lui était bien plus important pour lui qu'il ne voulait bien l'admettre. Lorsque Peter avait été emprisonné, il n'avait pas hésité un instant à pactiser avec le diable pour le sortir de là. Il savait bien qu'il ne pourrait pas retrouver son père. Cet homme avait passé la moitié de sa vie à se cacher. Même s'il avait pu le localiser, celui-ci n'aurait jamais témoigné en faveur de Peter. Neal avait alors accepter la proposition d'un vieil ami et s'était jeté dans la gueule du loup.
Aujourd'hui, Peter était libre et lui était enchaîné à un criminel qui exigeait de lui de commettre des actes susceptibles de le renvoyer pour longtemps derrière les barreaux. Mais il n'avait pas le choix. Il devait obéir ou il ne serait pas le seul à en payer le prix. Hagen détenait suffisamment de preuves pour remettre en question la liberté retrouvée de son collègue et ami.
Neal se retrouvait donc, ce lundi matin, assis à son bureau en train de feuilleter distraitement de vieux dossiers lorsque Peter poussa la porte vitrée. Neal n'avait pas eu de nouvelles d'Hagen depuis une semaine et il se sentait un peu nerveux car il savait bien que l'homme ne le laisserait pas tranquille bien longtemps.
Comme à son habitude Peter lui dit bonjour en passant avant de se diriger vers les escaliers. Neal, perdu dans ses pensées, ne lui répondit pas. Son inquiétude aurait facilement pu passer pour de la concentration et il fallait l'œil expert de Peter pour voir clair dans l'attitude du jeune homme.
L'agent du FBI commençait à s'inquiéter. Neal pouvait parfois être facétieux, capricieux et souvent insupportable mais ses silences et son apparente docilité avait quelque chose d'irréel et de terrifiant. Depuis l'arrivée de Siegel, Neal était présent sans être vraiment là, il répondait aux questions seulement si elles lui étaient posées directement et il semblait fatigué.
Peter était conscient que la discussion qu'ils avaient eue quelques jours auparavant avait blessé son ami. Mais il persistait à penser qu'il avait agi au mieux. Il n'arrivait plus à être objectif quand il s'agissait de Neal et ses sentiments pourraient avoir de graves conséquences aussi bien pour Neal que pour lui-même.
Il monta lentement les marches menant à son bureau, se retournant pour jeter un œil discret vers Neal. Une fois de plus, Peter remarqua les cernes sous ses yeux et la profonde tristesse sur son visage. Il arrivait que Neal tombe le masque quand il avait le sentiment que personne ne pouvait le voir mais depuis quelques jours, il ne prenait plus la peine de cacher ses émotions.
Il avait essayé de le faire parler mais il était évident qu'il n'était pas le mieux placé pour ça. Il avait même appelé Mozzie sans succès. L'homme n'avait même pas répondu à son appel. Il en avait parlé à l'agent Siegel qui ne voyait pas de problème dans le soudain « mutisme » de Neal.
Elisabeth avait fini par lui ordonner d'arrêter de se faire du souci. Elle avait eu du mal à se remettre de son emprisonnement et elle avait semblé soulagée qu'il s'éloigne un peu de Neal. Même si sa femme avait une tendresse toute particulière pour le jeune homme, elle ne voyait pas d'un bon œil que son mari prenne des risques pour l'aider.
La lecture des rapports et des divers dossiers entassés sur son bureau l'occupèrent pour le reste de la matinée et quand il releva le nez de ses papiers il était midi passé. Il décida de faire une pause pour grignoter quelque chose. Neal n'était plus à son bureau et il se tourna vers Jones pour lui demander où il était passé.
-Aucune idée. Il était là i minutes. Son manteau est toujours là, il ne doit pas être bien loin.
Peter hocha la tête. Il n'avait aucune raison de s'inquiéter mais il n'arrivait pas à se débarrasser de ce sentiment. Il sentait que quelque chose de grave allait se passer. Le sentiment d'un désastre imminent et cette sensation était étroitement liée à Neal. Son instinct l'avait rarement trahi en ce qui concernait son ami.
Il décida de laisser son inquiétude de côté pour le moment. Il fit un détour par les toilettes avant de descendre s'acheter un sandwich. Il sourit en pensant au froncement de sourcils de sa femme lorsqu'elle apprendrait qu'il n'avait pas pris le temps de prendre un vrai repas.
Il tomba nez à nez avec Neal alors qu'il s'apprêtait à entrer dans l'ascenseur. Le jeune homme avait les yeux rougis par la fatigue et son teint était anormalement pâle.
-Tout va bien, Neal ?
-Parfaitement bien.
La réponse avait été bien trop rapide et Peter se rendit compte qu'il empêchait Neal de sortir de l'ascenseur. Le jeune homme face à lui ne bougeait pas, attendant patiemment que Peter s'écarte pour le laisser passer.
-Tu sais que je peux dire quand tu mens.
-Si tu permets, j'ai des dossiers à finir de lire.
Peter entra dans l'ascenseur. Il prit le bras de Neal lorsque celui-ci essaya de sortir. Il pouvait sentir un léger tremblement dans le bras du jeune homme. Cette fois, il était vraiment inquiet.
-Qu'est-ce qui se passe, Neal ? Tu n'as pas l'air dans ton assiette ces derniers temps.
-Siegel s'est plaint de mon travail ?
Peter avait cru à une manœuvre de diversion de la part de son ami mais Neal semblait réellement inquiet de savoir ce que Siegel avait pu lui dire.
-Non, absolument pas.
-Ok. Alors tout va bien.
Neal regarda la main de Peter toujours cramponnée à son bras.
-Tu voulais me demander autre chose, Peter ?
L'Agent du FBI hésita un instant avant de se raviser. Un ascenseur n'était pas vraiment l'endroit pour avoir ce genre de discussion. Mais il était certain, maintenant, que Neal lui cachait quelque chose et cette conversation devrait avoir lieu. Et le plus rapidement serait le mieux.
Neal retourna s'asseoir à son poste de travail et se replongea dans les dossiers que Siegel lui avait confiés. Son « gardien » avait pris une journée de congé pour partir à la recherche d'un nouveau logement. Récemment arrivé sur New York, il vivait encore à l'hôtel.
Après plusieurs heures de lecture, Neal considéra qu'il avait droit à une petite pause. La journée était plutôt calme. Peter était revenu de sa pause déjeuner et il avait passé son après-midi pendu au téléphone. Neal se leva pour aller se verser un café. Le brusque mouvement provoqua un vertige et il réalisa qu'il n'avait rien avalé depuis le matin.
Il n'avait pas faim mais il serait sans doute plus raisonnable de manger quelque chose. Il se rassit, regarda autour de lui pour s'assurer que personne n'avait été témoin de son étourdissement. Il fouilla dans ses tiroirs et dégota un sachet de bonbons au chocolat. Sans conviction, il en avala un et tenta à nouveau de se lever.
Il se sentait faible mais, cette fois, la pièce cessa rapidement de tourner autour de lui. Il avança donc vers la machine à café, sa tasse à la main. Il ne remarqua la présence de Peter que lorsqu'il saisit la cafetière.
-Un bonbon, ça ne remplace pas un vrai repas.
Le jeune homme leva les yeux vers Peter, surprit d'entendre sa voix si proche. Il pouvait voir que son ami était inquiet mais il se ressaisit en se rappelant que la première inquiétude de Peter concernait sans doute ses capacités à faire correctement son travail.
Il ne fit donc aucun commentaire et entreprit de se verser un café.
Il s'était rendu compte que, s'il restait silencieux, la plupart du temps, les gens autour de lui finissaient par l'ignorer. Et, pour être honnête, ça lui convenait parfaitement en ce moment. Il ne se sentait pas de taille pour jouer la comédie et donner à voir ce que ses collègues attendaient de lui.
-Je ne plaisante pas Neal. Tu as l'air épuisé et tu as du t'y reprendre à deux fois avant de pouvoir te lever de ta chaise.
Evidemment, on pouvait compter sur Peter pour avoir l'œil partout.
-Ne t'inquiète pas, je retourne m'asseoir devant mes dossiers tout de suite.
Neal tourna les talons et marcha vers sa chaise. Il essaya de contrôler du mieux qu'il pouvait ses mouvements mais ses jambes semblaient s'être transformées en guimauve et le chemin jusqu'à sa chaise lui parut plus long qu'à l'aller. Il ne put retenir un profond soupir lorsqu'il atteignit sa chaise.
Il avala discrètement un second chocolat espérant que l'apport de sucre l'aiderait à donner le change pendant encore une heure. Après ça, il ne lui resterait plus qu'à rentrer chez lui et attendre que le jour se lève à nouveau et qu'il soit l'heure de retourner travailler. Il n'était pas certain de pouvoir continuer à ce rythme encore longtemps. Il n'arrivait plus à dormir, il avait perdu l'appétit et l'angoisse de recevoir un appel d'Hagen à tout moment rendait ses journées interminables.
Il réussit à rentrer chez lui sans encombre et s'écroula sur son canapé. La journée s'était terminée en beauté. Son téléphone avait sonné alors qu'il sortait du bâtiment du FBI. A croire que ce salaud avait un sixième sens…ou peut-être l'observait-il…
La nouvelle mission semblait simple. Neal devait se renseigner discrètement sur le transfert, par fourgon, d'un lot de preuves dans une affaire d'escroquerie bouclée un an auparavant. En théorie, il semblait facile de poser les bonnes questions, à la bonne personne. Et en temps normal, Neal aurait fait ça sans même sourciller. Mais ce soir, il se sentait bien incapable de trouver une histoire crédible, un prétexte pour amener un quelconque employé à lui parler du transfert.
Il n'avait même pas ôté ses chaussures qu'on frappa à la porte. Il soupira. Il n'était d'humeur pour une visite. Il se leva et alla ouvrir la porte sachant qu'il serait vain d'essayer de prétendre qu'il n'était pas chez lui. L'employé de June l'avait vu entrer.
Peter se tenait sur le pas de la porte et Neal fut si étonné de le voir qu'il resta un long moment immobile avant de l'inviter à entrer.
-Je te dérange ?
-Non, je viens juste d'arriver.
Peter semblait mal à l'aise. Il finit par se diriger vers la terrasse et s'asseoir sur une des chaises. Neal ne dit rien et prit place à côté de lui savourant la fraîcheur de cette soirée de printemps. Peter avait sans doute quelque chose à lui dire mais il n'avait aucune intention de lui faciliter la tâche.
-Ça fait plusieurs jours que je t'observe…
Neal ne put retenir un petit rire, soulignant l'étrangeté de cette phrase.
-Quoi ?
-Peter, ça plusieurs années que tu m'observes…de très prés même…
-Pas faux…Ce que je veux dire…Je vois bien que quelque chose ne va pas.
-Je t'assure que tout va bien, Peter. Tu peux dormir tranquille, je n'ai pas l'intention de m'envoler à l'autre bout de la planète avec un trésor caché…
Peter grimaça en entendant les reproches derrière les paroles de son ami mais il était bien décidé à le faire parler. Il planta son regard dans le sien avant de poursuivre.
-Alors explique-moi ce qui t'empêche de dormir.
Neal ouvrit la bouche mais il se ravisa et baissa les yeux. Le jeune homme n'avait jamais fui son regard auparavant. Il avait toujours un mensonge tout prêt, une histoire crédible à lui servir.
Ce soir, un long silence fut sa seule réponse.
-Neal, j'ai besoin de savoir ce qui se passe.
-J'ai parfois des périodes d'insomnies. Ça va passer. Il n'y a pas de quoi s'inquiéter.
-Pas de quoi s'inquiéter ? Tu as vu ta tête ?
S'il avait été dans son état normal, Neal aurait répliqué par une de ses pirouettes verbales favorites. Mais il était bien trop fatigué pour chercher à donner le change.
-Je vais essayer de faire un effort.
-Ce n'est pas ce que je te demande. J'aimerais juste savoir ce qui te tracasse au point de passer tes journées sans dire un mot et tes nuits à ruminer dans le noir.
Neal se leva pour mettre un peu d'espace entre Peter et lui et alléger la pression que son ami mettait par sa proximité. Il avait un jour dit à Peter qu'il ne lui avait jamais menti et c'était la stricte vérité. Ce qu'il n'avait pas dit c'est pourquoi il était incapable de lui mentir. Il ne pourrait jamais lui dire qu'il lui avait toujours été impossible de mentir aux gens qu'il aimait.
Sa mère lui avait martelé, durant toute son enfance, que si on aimait vraiment quelqu'un, on ne devait jamais lui mentir. Il ferma les yeux. Il pouvait encore entendre sa voix le soir où elle avait appris qu'il avait séché les cours pour aller voir une exposition en ville. Ce soir-là, il lui avait menti. Il n'avait que 15 ans et il ne voulait pas qu'elle se fasse de souci pour lui. Elle avait suffisamment de tracas.
Alors il lui avait dit que son cours avait été annulé parce que son professeur était absent. Evidemment, elle avait facilement pu vérifier auprès du lycée qu'il s'agissait d'un mensonge.
Le lendemain matin, elle ne lui avait pas adressé la parole. Ils avaient pris leur petit déjeuner en silence. Il s'était retourné vers elle avant de fermer la porte mais elle n'avait pas levé les yeux. C'était la dernière fois qu'il l'avait vu en vie. Quelques heures plus tard, les pompiers avaient sorti son corps sans vie de sa voiture encastrée dans un arbre à quelques kilomètres du restaurant où elle travaillait.
-Neal… ?
Le jeune homme ouvrit les yeux et vit Peter près de lui. Il se rendit ensuite compte qu'il était allongé sur le sol de la terrasse. Il n'avait aucun souvenir de la manière dont il avait atterrit dans cette position.
Peter l'aida à se redresser.
-Qu'est-ce qui se passe, Neal ?
-Ce n'est rien. J'ai juste oublié de manger aujourd'hui.
-Est-ce que tu pourrais essayer d'être honnête l'espace d'un instant ?
Neal ne répondit pas, il n'avait pas envie de prolonger cette conversation car il connaissait le pouvoir de persuasion dont Peter était capable de faire preuve.
-Neal, je m'inquiète pour toi.
Neal se dirigea vers le canapé et s'assit lourdement.
-Pourquoi ? Après tout, tu l'as dit toi-même, je ne suis qu'un criminel et il convient de me traiter comme tel.
Petr grimaça en entendant ce commentaire. Le plus douloureux était sans doute le fait qu'il n'y avait aucune forme d'humour dans la remarque de Neal. Le jeune homme avait visiblement très mal vécu ses propos et ses décisions.
-Tu sais parfaitement bien ce que je voulais dire.
-Oui, Peter. J'ai très bien compris et j'ai accepté ta décision de te débarrasser de moi sans rien dire. Alors, tu ne peux pas me reprocher maintenant de vouloir garder mes distances.
-Tu ne m'en diras pas plus… ?
-Il n'y a rien à ajouter, Peter.
-Très bien. Comme tu veux mais essaie de manger et de dormir un peu. Je ne voudrais pas que l'agent Siegel ait à se plaindre.
Peter n'attendit pas de réponse. En se dirigeant vers sa voiture, il regrettait ses dernières paroles mais l'attitude de Neal l'avait irrité. Il s'en voulait aussi de ne pas réussir à mieux comprendre ce que tracassait son ami.
Il avait le pressentiment qu'il devait creuser la question avant que la situation ne lui explose à la figure
