Il paraît que quand on raconte sa vie, on doit d'abord se présenter. Alors voilà : nous sommes une légende à Beauxbâtons. Pour une fois, sans rire ! On nous appelle le Cauchemar Anglais, moitié par plaisanterie, moitié avec sérieux. Ce n'est pas très inventif, je sais. Même nos parents doivent convenir que ce surnom nous va comme un gant. Et pour cause : ils ne parviennent pas à faire la différence entre nous quand nous décidons de les rendre fous. Je dois dire à leur décharge que ce n'est pas facile non plus. Nous sommes des quintuplées, des vraies.

Moi, c'est Eurynome. Mes sœurs se nomment respectivement Déméter, Maïa, Mnémosyne, et Léto. Nos parents sont férus de mythologie grecque, au point qu'ils nous ont à toutes donné des noms de maîtresses divines de Zeus. Merci du cadeau ! Enfin, notre petite sœur – née toute seule pour une fois – a eu encore moins de chance. Elle se nomme Aphrodite. Pas facile à porter quand on a onze ans et qu'on va rentrer à Poudlard.

Ah je ne l'avais pas dit ? Oui, Papa et Maman habitaient en France et nous ont envoyées à Beauxbâtons parce qu'ils étaient inquiets. Pensez, leurs chères et précieuses quintuplées n'auraient pas été en sécurité à Poudlard ! L'Angleterre est au moins au bout de la Terre ! Beauxbâtons leur a semblé plus sécurisé mais ils l'ont vite regretté. Nous ne nous y sommes pas vraiment « creusé un nid » si vous me passez cette expression. Trop voyantes…Bonnes en magies mais pas sociables, voilà comment un œil extérieur peut nous résumer. Pour nous, évidemment, c'est différent. En six ans, personne n'a réussi à savoir qui était qui. Hi hi hi ! Je dois dire que nous nous sommes bien amusées ! Maintenant, ça va être une autre paire de manches : Papa a brusquement été muté au Ministère de la Magie de Londres, Maman l'a suivi, et toute la smala avec ! Je dis la smala, mais un mot comme « troupeau » aurait été parfaitement adéquat. Moi et mes sœurs sommes les aînées. Quatre ans après nous viennent les triplés, j'ai nommé Jason, Ulysse et Ajax ! Mythologie oblige ! Ne vous endormez pas, ce n'est pas fini. Aphrodite est venue deux ans plus tard, puis les jumeaux (mais des faux) Clytemnestre et Pollux. Ils ont neuf ans. Enfin, le dernier, Pyrrhus, est encore au berceau. Tout ce beau monde va ou ira, maintenant que nous habitons un hôtel particulier à Londres (c'est bien ce qui nous fallait pour être à notre aise), à Poudlard. Pour une dernière année ce n'est pas très malin, me diriez-vous. Je suis bien d'accord. Seulement, Beauxbâtons finissait par devenir abrutissant. On nous connaissait là-bas, et les professeurs s'étaient résignés à nous voir assises tantôt en rang d'oignon juste sous leur nez, tantôt disséminées dans toute la salle, bien sûr en échangeant nos noms toutes les cinq minutes.

Satisfaits ? Vous savez tout sur la famille ? Je n'ai pas dit notre nom ? Préparez vous, il est ridicule et cadre bien avec la flopée de prénoms mythologiques dont nous avons été affublées à un âge trop tendre pour nous défendre : Délos ! Pourtant, je puis certifier que nous ne sommes pas grecs pour deux sous, et même que nous sommes Sangs-Purs. Plaignez-moi, c'est affreux. Seuls mes parents semblent trouver cela charmant. Ils peuvent toujours parler, nos grands-parents les ont sagement nommés Daphné et Achille.

Maintenant, si vous êtes toujours là, permettez-moi de nous présenter plus en détail. Nous nous ressemblons en apparence comme deux gouttes d'eau. Toute la fratrie est bâtie sur notre image, sortie de Merlin sait où. J'ai, comme mes sœurs, de longs cheveux argentés qui me descendent jusqu'aux hanches. Attention, je n'ai pas dit blancs : argentés. Aussi brillants que des Mornilles, on pourrait se voir dedans, j'en passe et des meilleures. Personne ne sait d'où ça vient, c'est comme ça. Nos yeux sont évidemment gris. Nous avons la taille fine, le visage bien fait, une démarche de Vélane. Autrement dit, nous serions des canons si nos joues n'étaient pas si creuses. Enfin, ça c'est moi qui le dit, Maïa n'est pas d'accord. Nous n'avons jamais attiré le moindre garçon. Déméter prétend que c'est parce qu'après être tombé amoureux de l'une de nous, il n'arriverait pas à la retrouver. Je la crois sans peine.

Malgré notre ressemblance congénitale (le terme fait très savant non ?), mes sœurs et moi sommes très différentes. Moi, Eurynome, je suis la plus folle, la meneuse, appelez cela comme vous le voudrez. Dès que nous faisons un mauvais coup, c'est sûr, l'idée vient de moi. Le fait est reconnu d'ailleurs, mais comme par hasard, quand on me cherche, je suis introuvable. Un jour, à Beauxbâtons, alors que Madame Maxime avait décidé de sévir avec la dernière autorité suite au malencontreux plongeon de cet âne Frank Delacour dans le bassin où nageaient les Strangulots réservés à l'étude, elle nous a poursuivies dans tout l'établissement. Le but était bien sûr de me trouver moi et moi seule. La vieille demi géante (elle avait au moins cent ans lors de notre arrivée) nous vit toutes, me croisa sept fois, crut avoir rencontré Léto à six reprises, Maïa à trois, Déméter quatre fois et Mnémosyne cinq. En désespoir de cause, elle nous infligea à toutes une retenue qui s'acheva rapidement en bavardages.

Je suis aussi têtue, autant que Maïa, ma complice préférée, est insolente. Dès que l'une de nous dit une bêtise en cours, c'est sûr, ça vient d'elle. Elle a énormément d'imagination, et l'utilise parfois pour perfectionner mes plans. Pour reprendre le même exemple (décidément, j'en suis fière de ce coup-là), c'est elle qui a eu l'idée de mettre Frank en caleçon devant toute l'école avant son bain. Je m'en souviens encore, il était noir avec des petites têtes blanches de lapin dessus. Sauf sur le derrière, il avait dû le déchirer et sa mère l'avait raccommodé avec un infâme tissu à carreaux rouges et bleus. Sa popularité en a pris un sacré coup après ça. Bien fait pour lui, il n'avait pas qu'à vouloir nous reconnaître en nous jetant des sortilèges de métamorphose en douce. Personnellement, j'ai trouvé que les oreilles d'âne qu'il avait voulu infliger à l'une de nous lui allaient bien mieux. Ce qui m'amène à parler de Déméter.

Elle est championne dans l'art d'inventer des sortilèges. C'est également la meilleure de nous, celle qui passait les examens pratiques à notre place avant que les professeurs ne s'en doutent. Enfin, après on a volé le Retourneur de Temps de la vieille bique alors tout allait mieux. Bon, d'accord, pas « on »…J'ai volé le Retourneur de Temps. Ça va ? Vous avez eu vos aveux ? Oui ? Je peux continuer ? Dans le cas de Frank Delacour (un vrai chef d'œuvre), elle lui a renvoyé son sortilège à la figure. En informulé s'il vous plaît ! Nous n'avions que quinze ans, et Déméter commençait tout juste à les maîtriser. Maintenant, même Mnémosyne en sait autant qu'elle.

Ah, Mnémosyne…Une véritable intello celle-là ! Non, ce n'est pas péjoratif, je l'adore. Elle est un peu plus lente que nous à assimiler la pratique, mais question théorie, elle est incollable. Quand vous ne la trouvez pas, vous avez plus de quatre-vingt dix-neuf pourcents de chance de la repérer à la bibliothèque. Jamais je n'ai rencontré quelqu'un avec une mémoire pareille. Mnémosyne est capable de vous réciter par cœur la recette du Polynectar, nommer dans le désordre tous les Gobelins ayant participé à la fondation de Gringotts (il y en a plus de cinq cent, je me demande comment ils ont fait pour s'entendre), j'en passe. Un jour, elle a coupé le sifflet au professeur d'Arithmancie (un vieillard si ridé que je me demande parfois si il n'a pas connu la fondation de Poudlard) en lui donnant l'étymologie totale d'un mot lui-même servant à donner l'étymologie de l'étymologie de l'étymologie du mot « moldu ». Vous suivez ? Non ? Moi non plus. Mnémosyne est un génie. Bon d'accord, j'ai dit que je n'avais croisé personne comme elle, mais c'est vrai que le champ de mes relations se limite à mes sœurs.

La dernière, c'est Léto. Son domaine de prédilection est le sport. Elle vole remarquablement bien. Quand nous faisons des matchs de Quidditch en famille, c'est toujours elle l'attrapeuse et capitaine. Personne ne peut la battre. Et elle ne fait pas que ça : ses talents en gymnastique dépassent la limite du possible. En un clin d'œil, même si elle était couchée et profondément endormie deux secondes plus tôt, elle peut grimper en haut d'un lustre suspendu à cinq mètres de hauteur et le détacher comme si elle avait fait ça toute sa vie (remarquez c'est le cas, elle fait ça depuis qu'elle sait marcher). Le temps que le tout tombe et elle est déjà retournée au lit de la manière la plus innocente du monde. Une fois, alors qu'un sadique de professeur nous annonçait la bouche en cœur qu'il avait projeté une interrogation surprise, il a eu l'imprudence de nous tourner le dos cinq secondes. C'était amplement suffisant pour que Léto bondisse et vole les questionnaires (le sortilège d'attraction n'est pas assez rapide).

Bien sûr, comme vous en doutez, dans le tas, il y en a toujours une romantique, une défaitiste, et autre chose du même acabit. Vous voulez savoir qui ?…Désolée, mais il va falloir attendre. Ce n'est pas par sadisme, mais si je vous dit tout maintenant, vous ne serez plus intéressées pas ce que j'ai à vous dire. Vous verrez, ce n'est pas compliqué, ça crève les yeux. Il suffit de nous connaître, et comme c'est moi qui raconte, vous saurez qui est qui. Chanceux ! Les pauvres élèves de Poudlard n'auront pas cette chance.

À nous cinq, vous voyez que nous formons un beau gang. Personne n'a réussi à nous égaler. Le jour où un concurrent se montrerait digne de nous n'était pas encore levé. C'est du moins ce que nous pensions lorsque nous sommes montées dans le Poudlard express, prêtes à semer la pagaille dans une nouvelle école pour notre septième et dernière année d'études.