Disclaimer : Tous les personnages de Kaamelott appartiennent à Alexandre Astier, à l'exception de l'anonyme OC de ce chapitre.
Avertissement 1 : Cette histoire se passe à la suite de la BD Les sièges de transport. Si vous l'avez lue, alors vous pouvez bien vous tamponner l'oreille de cet avertissement. Pour les autres, deux cas de figure : soit vous ne voulez pas être spoilé parce que vous comptez la lire plus tard, et je ne me vexerai pas de vous voir faire aussitôt demi-tour. Soit vous vous moquez du spoil, et vous voulez lire cette histoire quand même ; déjà, merci de l'intérêt que vous lui portez, ensuite, je pense avoir mis assez d'éléments de rappel pour ne pas être largué. Mais si ce n'est pas le cas, n'hésitez pas à me le signaler, j'ai peut-être du mal à me rendre compte. Dans tous les cas, je vous conseille la lecture de cette bande dessinée, tout à fait dans l'esprit de Kaamelott que nous aimons tant.
Avertissement 2 : Pour tous les passionnés d'histoire, et en particulier de la civilisation viking : ce texte est historiquement incorrect, et j'en ai conscience. Je colle ici à de nombreux stéréotypes du barbare que l'on sait aujourd'hui inexacts ; ce n'est en aucun cas par mépris pour cette riche culture, mais simplement pour ne pas dénoter avec l'ambiance comique de Kaamelot, qui s'assume également comme « historiquement incorrect » et joue sur ces clichés, à considérer avec discernement.
Je n'aime pas les OC.
Prise hors de son contexte, cette phrase peut ressembler à de la provocation gratuite ; attention, mon but n'est pas de me faire des ennemis de tous les auteurs de fanfictions qui en utilisent ! Je ne prétends pas que les OC sont forcément de mauvais personnages, acteurs de mauvaises histoires. Je ne suis pas en train d'accuser la totalité des OC d'être des Mary-Sue insipides, des personnages vides ou des intermédiaires visant à mettre en scène les fantasmes de leurs auteurs. Non, je suis au contraire convaincue qu'un bon auteur peut écrire un formidable OC, en faire un personnage bien travaillé trouvant parfaitement sa place dans une histoire de qualité.
Alors, pourquoi dire que je n'aime pas les OC ?
Pour tout dire, cette constatation vient surtout des raisons qui me poussent à lire une fanfiction. Je sais qu'il y a beaucoup de passionnés qui en dévorent des brouettes, et vont donc multiplier les genres et les fandoms ; en ce qui me concerne, j'en lis assez peu, dans un nombre d'univers réduit. Encore une fois, ce n'est pas par mépris pour les autres, simplement par envie personnelle qui fait que je ne lis que quelques histoires qui m'accrochent particulièrement autour d'un matériau de départ qui me plaît. Et quand une histoire, un livre, un film, ou ici une série me plaît, en général, c'est pour la qualité et la richesse qu'elle exprime en elle-même – qualité et richesse qui ne rendent donc pas indispensable à mes yeux l'ajout de nouveaux éléments ou personnages. Ainsi, quand je vais aller chercher une fanfiction, ma motivation est de voir mis en scène les personnages que je connais et auxquels je me suis attachée. C'est la raison pour laquelle les histoires avec des OC, particulièrement lorsqu'ils occupent la place de personnage central, ne m'attirent pas : pas parce qu'ils sont de mauvais personnages, mais parce que ce n'est pas eux que je suis venue chercher. Par inférence simple, on peut aussi en déduire que je vais préférer les fictions dont le style se rapproche de celui du matériau original.
Mais pourquoi je vous gonfle avec ça alors qu'aujourd'hui, je ne suis pas là pour lire, mais pour proposer une histoire ? Ceux qui lisent en détail la présentation de la fanfiction auront deviné.
Car aujourd'hui, l'histoire que je propose met en scène un OC. C'est par ailleurs ma première fanfiction.
Vous pourriez me demander, et vous auriez raison, « mais pourquoi pour un coup d'essai, écris-tu justement ce que tu n'aimes pas lire ? »
Question bien légitime ; et je vous répondrais que les OC, parfois, c'est comme les enfants : on aime plus les siens que ceux des autres. Il m'arrive régulièrement de m'inventer mon propre OC dans ma tête, pour un univers ou un autre ; et généralement, il ne quitte pas les parois de mon crâne. Pourquoi ? Parce qu'à mes yeux, ils sont la projection d'une vision très personnelle de l'univers de référence, qui ne sera pas forcément partagée par le plus grand nombre. Pour dire ça plus clairement, parce que j'aurais toujours l'impression qu'ils n'intéresseront que moi.
Je sais pourtant bien que nombre d'autres lecteurs me partagent pas ma vision ; je vois régulièrement des fictions à OC sur ce site, et elles trouvent sans problème un lectorat enthousiaste. C'est la deuxième raison qui m'a convaincue de finalement poster ici. Oui, la deuxième. La première étant bien plus rapide à expliquer : je m'inventais, comme de temps en temps, cette histoire dans ma tête, avec cette fois cependant une envie de la mettre sur papier plus forte qu'à l'accoutumée. Je me suis donc dit : « tiens, chiche, si je trouve une fin acceptable, je l'écris et je la poste ! », tout en étant persuadée que je me serais lassée trop vite de cette histoire pour avoir envie de lui trouver une fin.
…
Donc, me voilà.
Une de ces jours, faudrait que j'arrête de me lancer des défis idiots. Ceci dit, si ce texte pourra contenter certaines personnes ici, ce ne sera pas si idiot que ça, en fin de compte.
Et j'ajouterai à cela que cette fiction ne suit pas non plus le schéma court de l'épisode Kaamelott, que j'aime lire sur ce site. Oui, on peut dire que pour un coup d'essai, je cherche vraiment à me tirer une balle dans le pied. Pourquoi ? Par goût du risque, peut-être. Par manque de discernement, sans doute. Probablement avais-je juste envie d'essayer, moi aussi.
Bref, si vous avez pris la peine de lire jusqu'ici, j'espère que vous allez poursuivre sur le premier chapitre ; je vous souhaite donc bonne lecture, et bien entendu, vos critiques positives comme négatives sont les bienvenues.
Terres du Nord
Chapitre 1 : Quand on se promène en forêt
– Seigneur Léodagan !
Calogrenant pestait et jurait contre les ronces qui s'empêtraient dans sa jupe à carreaux. Il avait certes fini par s'y habituer, après avoir réussi à convaincre les calédoniens que ce choix de tenue officielle était le fruit d'une mûre réflexion ; ce qui n'avait pas été la partie la plus difficile, ceci dit, son peuple approuvant toujours tout béatement. Ça n'en restait pas moins une idée à la con.
— Seigneur Léodagan !
— Calogrenant, on va finir par se paumer, lança Perceval qui suivait avec peine derrière lui – quand bien même lui ne portait pas de jupe.
— On est partis depuis à peine cinq minutes, lui fit-il remarquer en continuant de scruter les arbres, et on a pris plein Nord. On n'aura qu'à marcher vers le Sud pour retrouver le camp.
— Pourquoi ça ? s'interrogea le chevalier de Galles. Si on a pris le Nord, il suffit de le reprendre, mais à l'envers, non ?
— Oui, vers le Sud, donc. Bon, taisez-vous, le coupa-t-il d'un ton impatient, contentez-vous de me suivre et ne vous éloignez pas. J'ai aucune envie de me remettre à crapahuter une heure de plus pour vous retrouver vous aussi.
Perceval referma la bouche en se renfrognant. De toute façon, c'était des conneries, le Nord, le Sud, tout ça. Il l'avait toujours dit, selon comme on est tourné, ça change tout. Résultat, ils étaient paumés.
— Ah, vous voilà enfin ! s'exclama soudain la voix de Calogrenant devant lui. Vous répondez plus ?
Il releva le nez et regarda à droite et à gauche – ou l'inverse – pour essayer de voir à qui pouvait bien parler son collègue, vu qu'en toute logique, ça ne devait pas être à lui. Il en douta cependant lorsqu'il s'avéra qu'il ne voyait personne d'autre ; jusqu'à ce qu'il eut la présence d'esprit de simplement regarder devant lui, dans la direction où était tourné Calogrenant.
— Ah ben c'est vous, Léodagan ! lança-t-il joyeusement au chevalier qu'un épais taillis dissimulait à moitié à leur vue. Ça c'est marrant, on vous cherchait, justement !
— Et vous avez franchement rien d'autre à foutre de vos journées ? lui rétorqua le chevalier en ne lui jetant qu'un coup d'œil par-dessus son épaule, sans même daigner bouger de sa place. Remarquer je sais pas pourquoi je pose la question, c'est pas comme si vous vous cachiez pour glandouiller.
— En attendant, à défaut de glandouiller, nous vous attendons depuis une bonne demi-heure au camp, nous, répondit Calogrenant avec humeur. Vous pourriez au moins répondre quand on vous appelle !
— Pourquoi faire ? Vous m'avez trouvé, non, alors à quoi ça sert que je m'égosille ? Oh, et puis je suis pas votre clébard, hein, ajouta-t-il avec un geste impatient en direction des deux autres chevaliers, mais toujours sans leur accorder un regard. Je marche pas au sifflet.
Calogrenant laissa tomber. Il connaissait assez bien le roi de Carmélide pour savoir qu'il était impossible d'avoir le dernier mot avec lui quand il avait décidé d'être buté, c'est-à-dire sans arrêt, de jour comme de nuit. Rares étaient ceux suffisamment opiniâtres pour encore aujourd'hui essayer de débattre avec lui : sa femme – sûrement la seule capable de réussir l'exploit – Lancelot, Arthur… Encore que le roi, ce n'était pas tant par entêtement que par le fait qu'il était son supérieur et qu'il se devait d'affirmer sa position face à lui. Une obligation que ne lui enviait pas du tout Calogrenant…
Il se rendit compte à ce moment-là que Léodagan, de derrière son taillis, ne se contentait pas de les ignorer ; ça, c'aurait été normal. En réalité, le regard de son confrère chevalier semblait captivé par quelque chose par terre, hors de sa vue.
— Qu'est-ce que vous fixez comme ça ? lui demanda-t-il, à présent mû par la curiosité.
— Venez voir, lui répondit-il avec un signe de la main sans détacher son regard du sol. Vous avez votre arme ?
— Bien sûr, pourquoi ?
— Juste au cas où.
Calogrenant enjamba prudemment un petit fossé, songea brièvement qu'il aurait dû avertir Perceval en entendant un bruit de chute derrière lui avant de s'immobiliser devant ce que contemplait le roi de Carmélide.
— Ah ben merde.
— Comme vous dites.
— Il est mort ?
Le corps étendu aux pieds de Léodagan était parfaitement immobile, mais ses lèvres n'étaient pas cyanosées et il ne semblait pas souffrir de rigidité cadavérique, et il ne présentait en sus aucune blessure visible. Selon toute vraisemblance, il devait être encore vivant.
— Non, lui confirma-t-il sans le quitter des yeux. Il respire.
— Assommé ?
— Chais pas. Je l'ai trouvé comme ça.
— Drôle d'endroit pour faire la sieste, remarqua Perceval qui avait réussi à se tirer de son trou.
— Un envahisseur ?
— Sans aucun doute.
— Ah…
Calogrenant attendit une réaction, une remarque, qui ne vint pas. Il se décida donc à poser la question
— Et… Si c'est un envahisseur, pourquoi est-il toujours en vie ?
— Qu'est-ce que j'en sais ? Je vous ai dit que je l'avais pas touché.
— J'ai compris, s'agaça Calogrenant. Ce que je veux savoir, c'est justement pourquoi vous l'avez pas touché si vous pensez que c'est un ennemi. Vous allez pas me dire que c'est le fait de frapper un homme à terre qui vous contrarie ?
— Ah ben non, tout de suite, répondit-il sans prêter attention à l'ironie dans ses propos.
— Alors quoi ?
— J'ai deux raisons. La première, c'est la curiosité.
Calogrenant fronça les sourcils.
— La curiosité de quoi ?
— Je me demande d'où il vient.
Il baissa les yeux sur l'homme étendu au sol et l'examina en détail pour la première fois. Bonne question en effet, maintenant qu'il y regardait d'un peu plus près.
— À première vue, je dirais romain, déclara-t-il après quelques instants. Bon, ça fait cliché, mais les cheveux noirs, c'est à ça que ça me fait penser en premier. Ses vêtements, par contre…
— Moi en tout cas, j'ai jamais vu un romain fringué comme ça, affirma Perceval.
— Ah ben si c'est le cas un jour, vous m'appelez. Parce que ça, c'est des froques vikings.
— Viking ? s'exclama Calogrenant. Vous êtes sûrs ?
— Du notable viking, précisa-t-il. Pas les trouducs qu'on a l'habitude de voir en première ligne.
Le roi de Calédonie se pencha à nouveau sur l'envahisseur inconscient ; ah oui, les pendentifs, là, ça représentait des dieux nordiques ou quelque chose comme ça. En or, les pendentifs. Tout comme le torque à son cou, les larges bracelets qui enserraient ses poignets et la fibule ouvragée qui fermait sa cape. Une vraie fortune ! Joli à voir, mais curieux néanmoins : les vikings ne trimballaient pas tant de bordel, d'habitude. En particulier les hommes. Sa tunique et son pantalon semblaient en revanche bien de coupe viking ; leur teinture noire et les fines broderies qui couraient sur les bords constituaient également un signe de richesse évident – donc de statut social.
— D'accord pour ses fringues, admit Calogrenant. Mais ça m'étonnerait quand même que ce soit un viking.
— Pourquoi pas ? intervint Perceval, resté silencieux depuis trop longtemps.
— Il a pas une tête de viking.
— Ça a quelle tête un viking ?
Léodagan souffla en détachant pour la première fois les yeux du « viking ».
— Vous pouvez m'expliquer pourquoi vous avez traîné ce boulet avec vous ?
— Ce sont les instructions du roi, rétorqua le roi de Calédonie. Quand on se déplace hors du groupe, pas plus de cinq minutes et toujours à deux minimum !
— Oh, mais vous voulez que je vous dise où vous pouvez vous les carrer, vos règles ?
— Non, merci, j'ai ma petite idée.
C'était pourtant bien les instructions laissées par Arthur lorsque tous deux étaient partis en repérage en forêt, accompagnés de Perceval, Caradoc – qu'il ne voulait pas emmener au départ mais le roi avait fortement insisté sous prétexte de les former, bien que Calogrenant le soupçonnât fortement d'avoir juste voulu les éloigner – et Bohort. S'il avait feint sur le moment de bien avoir compris, le roi de Carmélide lui avait dit bien clairement ce qu'il en pensait alors qu'il avait décidé de se séparer d'eux – et des bavardages de Perceval – quand son collègue chevalier avait eu le malheur de le lui faire remarquer. Bohort s'était outré devant cette démonstration d'homophobie, Calogrenant n'avait pas réagi, habitué qu'il était, de même que Perceval et Caradoc, mais plus probablement parce qu'ils ne connaissaient probablement pas la signification exacte de ce mot.
— Pourquoi vous avez pas plutôt amené Bohort ? demanda Léodagan avec humeur. Il est chiant, mais lui au moins il comprend ce qu'on lui dit !
— Caradoc était en train de lui expliquer les trente règles de la tourte au fromage, et il voulait pas s'arrêter en plein milieu. Et du coup ça a quelle tête un viking ? insista Perceval.
— Si vous veniez au combat un peu plus souvent, vous en auriez déjà vu.
— Mais on me colle toujours à la surveillance des chevaux, c'est quand même pas ma faute !
— En général, plutôt des gars grands et costauds, intervint Calogrenant pour couper court à une conversation déjà trop ressassée. Avec la plupart du temps la peau pâle et les cheveux blonds.
Perceval examina à son tour l'homme toujours inconscient, un air d'intense concentration peint sur le visage.
— Grand et pâle, ça va, déclara-t-il après un instant de réflexion. Par contre, les cheveux et le reste…
— Ouais, approuva Léodagan. Pas très convaincant, je vous l'accorde. Mais je reste quand même sur mon idée.
— C'est peut-être un demi-viking ? suggéra le chevalier de Galles.
— Oh, s'il vous plaît, commencez pas avec vos conneries !
— Je suis pas convaincu, rétorqua Calogrenant. Ça pourrait tout aussi bien être un germain, peut-être même un romain…
— Parce que vous lui trouvez des airs de romain, vous ?
— Mais attention, les avertit Perceval, si les critères ne sont pas d'égale importance, il faut calculer en tenant compte du prorata appliqué aux différents critères. Par exemple, si le prorata des cheveux et des muscles sont supérieurs à ceux de la taille et de la peau, alors là ça fera moins d'un demi-viking. Mais si ce sont des critères moins importants, donc comptant à un prorata inférieur, alors il en aura au contraire une plus grande part.
Léodagan resta un instant sans réagir, hochant machinalement la tête aux paroles du chevalier, avant de quitter pour la deuxième fois sa trouvaille des yeux qu'il tourna vers le gallois :
— Quoi ?
Perceval ouvrit la bouche pour répondre, mais le roi de Carmélide fut épargné d'une explication comme lui seul en avait le secret par des craquements soudains dans les broussailles et des éclats de voix.
— Oh, les mecs ! Ohé, vous êtes où ?
— Super, manquait plus qu'eux pour que la réunion des glandus soit au complet, grogna Léodagan sans se soucier d'être entendu.
— Ah ben c'est vous ! s'interrompit Perceval en oubliant ses théories. Qu'est-ce que vous faites là ?
— Bah, Bohort commençait à être inquiet, répondit Caradoc en écrasant bruyamment les fourrés sous ses bottes sans visiblement s'inquiéter de laisser une jolie trace pour les saxons qui, mine de rien, traînaient peut-être encore dans les environs. Du coup on est venus voir !
— Attendez, intervint à nouveau le roi de Carmélide, vous êtes en train de nous dire que vous êtes partis en promenade comme ça, au hasard, sans carte en espérant nous tomber dessus au détour d'un bosquet à fraises… ? Vous seriez pas un peu cons ?
— Eh bien, cela commençait à faire un long moment depuis votre départ… Tenta maladroitement Bohort qui, contrairement au chevalier de Vannes, se rendait compte après-coup du caractère téméraire de leur démarche. Ne vous voyant pas revenir, nous avons craint qu'une fâcheuse mésaventure ne vous soit arrivée… Et dans l'urgence…
— Vous avez trouvé un truc ? l'interrompit Caradoc qui s'était arrêté à « bosquet à fraises » et tendait à présent le cou pour vérifier si, effectivement, leurs compagnons avaient fini par tomber sur quelque chose de comestible dans cette forêt pleine de ronces.
— Y'a Léodagan qui a trouvé un viking, résuma assez efficacement Perceval.
À ces mots, toute couleur s'échappa du visage de Bohort et son sourire s'y figea.
— Un vi… viking ? répéta-t-il sans même desserrer les lèvres.
— Ou un demi viking si on applique pas de prorata sur les muscles et sur les cheveux.
— Calmez-vous, Bohort, le rassura aussitôt Calogrenant. Il est dans les pommes, et Léodagan s'est occupé de le désarmer.
— Non.
— Comment ça, non ?
— Je l'ai pas désarmé, moi.
— Quoi ? Mais… mais vous êtes des déments ! s'écria Bohort qui venait de retrouver ses esprits en plus de sa mobilité – dont il usa allègrement en gesticulant frénétiquement dans une vaine tentative de s'éloigner le plus possible du corps qu'il venait d'apercevoir aux pieds du roi de Carmélide.
Tentative rapidement contrecarrée par l'épaisseur des ronces et des fourrées qui s'agrippèrent à sa cape jusqu'à l'y faire tomber la tête la première.
— Hé oh ! Vous me laissez finir un peu ? s'impatienta Léodagan. Figurez-vous que je ne l'ai pas désarmé parce qu'il avait pas d'armes. C'est quand même pas ma faute, si ?
— Un viking sans armes ? releva Calogrenant, sceptique. Ça devient de moins en moins crédible, votre histoire.
— Ou alors ils sont de plus en plus cons et ils les oublient sur leur banquise, proposa Léodagan en éclatant de rire, vite rejoint par l'autre roi en présence. Allez, je vous parie quatre piécettes que c'en est un !
— Tenu. Je parierai plus sur un romain, à défaut d'autre chose…
— Mais qu'est-ce que vous faites des paris ! s'offusqua Bohort qui s'était relevé et tâchait à grand-peine de retirer le plus vite possible un maximum d'épines de sa tunique et de sa peau. Fuyons tant que nous le pouvons encore au lieu d'attendre sagement qu'il revienne à lui !
— On vient de vous dire que c'était peut-être pas un viking, Bohort, commencez pas à faire votre femme, le rabroua Léodagan. Même si je le pense. Il est définitivement pas fringué comme un romain, ajouta-t-il à l'intention de Calogrenant.
— C'est peut-être romain déguisé ? suggéra Perceval.
— Un espion ? s'exclama le roi de Calédonie, sincèrement impressionné. Mais c'est que c'est pas con du tout, ça ! Imaginez, il aurait pu se faire choper et avoir réussi quand même à s'enfuir. Ça expliquerait qui soit pas frais…
— Un espion ? répéta Perceval sans comprendre. Non, moi je pensais juste à une petite fête déguisée.
Calogrenant soupira en levant les yeux au ciel. Ouais, il se disait bien, aussi.
— Vous en pensez quoi, Léodagan ?
— … Que ce serait bien le genre de ces lopes de romains d'envoyer un espion, déclara-t-il après un instant de réflexion. C'est des méthodes de vicelard, ça, je l'ai toujours dit. Mais je vois pas bien pourquoi ils voudraient espionner les vikings. Ils sont cons comme des meules, pas besoin de les espionner pour connaître leurs plans d'attaque.
— Mais surveillez-le, au lieu de bailler ! les sermonna Bohort, indigné de tant de négligence, tout en cherchant une dérisoire protection derrière la cape bleue et crottée de Perceval.
— Ah Bohort, s'il vous plaît, s'impatienta Léodagan que ces cris d'orfraie commençaient sérieusement à agacer, que vous soyez un péteux, c'est une chose, mais de là à avoir les jetons d'un mec déjà à moitié cané…
Mais il ne put achever ses reproches, un soudain froissement de feuilles mortes étant venu se mêler à ses derniers mots : en effet, c'était justement l'instant qu'avait choisi l'homme aux origines mystérieuses pour se mettre à remuer, ses sourcils noirs se fronçant alors qu'il s'apprêtait à ouvrir les yeux.
— Mon dieu, nous sommes perdus, gémit Bohort d'une voix suraiguë, les yeux prêts à rouler hors de leurs orbites mais sans visiblement oser s'enfuir seul.
Les créatures hantant les forêts étaient-elles moins dangereuses qu'un viking ? Quel cruel dilemme !
— Au moins, on va être fixés, déclara un Léodagan brusquement concentré, qui avait tiré son épée d'un geste vif avant de la pointer droit sur le front de l'étranger qui revenait doucement à lui.
Lorsqu'il parvint enfin à ouvrir les yeux, la première chose qu'il vit en lieu et place de la canopée de la forêt dans laquelle était venu se perdre fut la pointe menaçante d'une épée d'acier ; la seconde, lorsque ses yeux eurent fini de loucher dessus pour remonter le long du fil acéré, fut l'expression dure et vide de toute pitié du roi de Carmélide. Les yeux susmentionnés, dont la couleur bleu ciel jurait étrangement avec le reste de sa physionomie, s'agrandirent d'horreur lorsque le lien se fit entre son cerveau et sa fâcheuse situation ; sa bouche s'ouvrit et se ferma plusieurs fois, mais aucun son n'en sortit.
— Toi, là, l'invectiva brutalement Léodagan avec un coup de pied en prime, tu piges ce qu'on te dit ?
L'agression, aussi minime fut-elle, eut au moins le mérite de rendre sa mobilité au viking-romain qui tenta précipitamment de s'éloigner du pied et de la lame en rampant sur le dos. Sans grands succès, vu que les deux le suivirent de près. Quant à sa question, le roi breton avait commencé à penser que la réponse devait être « non », étant donné son silence ; il se répéta néanmoins, un peu plus fort, juste par acquis de conscience, mais cette fois, un hochement de tête précipité lui répondit. De toute évidence, il était trop terrifié pour parler distinctement.
En règle générale, Léodagan se délectait de la sensation de peur qu'il avait le don d'inspirer à ses ennemis – et à une part non négligeable de ses alliés. Mais là, ça commençait à faire beaucoup de péteux au mètre carré, et à haute dose, les dégonflés, ça lui donnait de l'urticaire. Il tâcha de passer son agacement en envoyant un autre coup de pied dans le tibia de sa victime, et d'écourter cette situation en allant droit au but :
— D'accord, alors dis-nous ton nom. Et grouille !
L'étranger semblait trop effrayé pour réfléchir au pourquoi de cette question inattendue, son instinct lui soufflant de ne pas contrarier celui qui se trouvait du bon côté de l'épée. Après quelques recherches, il parvint enfin à retrouver sa langue :
— Hag… Hagenson, balbutia-t-il d'une voix blanche. Snorri Hagenson.
Léodagan afficha un sourire victorieux tandis que Calogrenant, beau joueur, haussa les épaules.
— Ouais, bon, d'accord, y'a pas plus viking comme nom, admit-il. Je vous dois quatre piécettes. Bon, ben, à vous alors…
Il fit un vague signe de la main vers le viking désigné et tétanisé, qui pâlit un peu plus lorsqu'il comprit ce que signifiait le geste du roi de Calédonie. Maintenant qu'ils avaient leur réponse, ils n'avaient plus besoin de lui. Mais la lame de Léodagan ne bougea pas.
— Vous avez de la corde ? demanda celui-ci à Calogrenant.
— Oui, pourquoi ? Vous voulez le pendre sur place ?
— Juste l'attacher. Je sais qu'il est pas armé, mais on sait jamais, hein.
— L'attacher ? répéta Bohort que la menace d'une telle idée avait réussi à arracher de derrière la cape de Perceval qui l'avait à peine remarqué, tout occupé qu'il était à rajouter mentalement le paramètre « nom » à ses proratas. Ne me dites pas que vous voulez le ramener avec nous ?
— Prisonnier ? comprit Calogrenant, moins terrifié mais au moins aussi surpris. Vous devenez miséricordieux, maintenant ?
— Z'êtes pas ouf, non ? s'offusqua Léodagan. Vous me prenez pour Arthur ? Non, souvenez-vous tout à l'heure, j'ai dit que j'avais deux raisons de pas le buter.
— Et vous comptez me les dire un jour ? s'agaça le chevalier en kilt qui commençait à en avoir sérieusement marre de jouer aux devinettes.
— Vous seriez un peu moins con, vous auriez deviné tout seul, répliqua-t-il. Qu'est-ce que je pourrais bien vouloir faire d'un viking, à votre avis ?
— Le cramer ?
— D'un notable viking, précisa-t-il avec un regard évocateur en direction des bracelets et colliers d'or qui brillaient aux bras et au cou de sa prise.
Quelques secondes s'écoulèrent avant que la lumière ne se fasse dans l'œil de Calogrenant.
— Oh, je vois, comprit-il. La rançon.
Ça, ça lui ressemblait déjà plus.
De Bohort ou du viking, qui les dévisageait tous à tour de rôle avec les yeux d'une souris acculée dans un coin de la cuisine par dame Séli, difficile de savoir lequel était le plus terrifié.
