Bonjour/bonsoir à tous et bienvenue sur cette nouvelle fanfiction !

Pour faire simple : not. dead. Comme vous l'aurez donc compris, il s'agit encore d'une fanfiction sur le retour de Sherlock après l'épisode final de la saison 2. Aussi, il commence doucement à avoir faire son temps, puisque la saison 3 a commencé. Cependant, comme c'est un écrit lancé depuis juin, je n'allais pas l'abandonner, oh.

Mais plus important encore : cette fanfiction fonctionne en duo : Le cri du cygne de Yuumi33 va de pair avec Cold Case, puisqu'il s'agit ici d'un point de vue exclusivement centré sur Sherlock, et le sien est centré sur John. Aussi, il est préférable de lire les deux versions de chacun des trois chapitres qui seront présents dans cette fanfiction, puisqu'elle fonctionne sur ce principe de complémentarité et de certains secrets qu'on ne découvre que dans l'une ou l'autre version.

Ca ne veut cependant pas dire que les faits seront répétitifs : si parfois, on se retrouve avec les mêmes actions répétées dans les deux versions, ce qui est tout de même normal, beaucoup de choses se font alors que chacun est de son côté, aussi vous ne vous ennuierez pas à lire les deux versions !

Tout ça pour dire... Bonne lecture à tous, et allez jeter un oeil au Cri du cygne de Yuumi33 !


Cold Case

La lumière qui l'entourait illuminait son allure entière, se reflétant dans ses boucles sombres, et tapait sur son visage pâle, lui donnant un air irréel, voire même vampirique. Ses yeux clairs fixaient sa dernière proie, ligotée au lampadaire, qui tremblait de tous ses membres. Il avait été étonné, presque déçu, que le dernier fidèle à l'organisation ait été un petit jeune, trop effrayé à l'idée de tuer pour représenter un danger. Le jeune homme attendait à présent une dernière chose; que la police vienne le cueillir. Ils entendirent tous les deux les sirènes retentir, peut-être deux rues plus loin; il était temps pour Sherlock de partir. Il était trop tôt pour qu'eux sachent qu'il était toujours là, il fallait tout d'abord qu'il le revoie lui. Il plongea dans l'obscurité d'une ruelle et sortit son téléphone.

Dernier arrêté. J'arrive. SH

Molly était vraiment compréhensive, elle avait joué le jeu ces trois dernières années, et il s'en était trouvé tout à fait satisfait. Il savait bien qu'il pouvait lui donner toute sa confiance, et la preuve avait été donnée pendant tout ce temps. Elle avait été fantastique. Mais à présent, il devait se mettre en route. Tant pis dorénavant, s'il se faisait reconnaître. Il parcourut la ruelle et se posta sur le trottoir, puis héla le premier taxi qui passait. Il donna sa vieille adresse -trois ans qu'il n'y avait plus mis les pieds, grand dieu ça faisait long !- et s'assit confortablement à l'arrière. Ses jambes s'agitaient frénétiquement, alors que les rues passaient les unes après les autres. Il avait l'impression que le chauffeur faisait exprès de rouler lentement, qu'il prenait l'itinéraire le plus long; pourtant, il roulait à la vitesse maximale, et Sherlock connaissait bien assez les rues de Londres pour savoir qu'il ne faisait aucun détour. Il enleva ses gants, les rangea fébrilement dans les poches de son long manteau et serra ses mains. Cela le calma un peu, mais il était encore loin de Baker Street. Abruti comme il était, il avait fallu que le gamin se trouve à l'autre bout de Londres. Son portable sonna, et il y jeta un rapide coup d'œil; Molly, qui lui répondait comme à son habitude par un petit 'ok'. Bon, elle était bien mignonne Molly, mais elle n'était pas obligée de répondre. Il ne se priva pas de le lui rétorquer. Enfin une manière de se défouler un peu. Bon, d'accord, dès qu'il le pourrait, il lui achèterait un petit cadeau pour se faire pardonner. Et pour la remercier, aussi.

Les minutes passèrent, et ce fut une heure plus tard que le taxi s'arrêta enfin devant le 221, Baker Street. Il paya le voyage et sortit, arrangea un peu son manteau –depuis quand se souciait-il autant de son apparence, déjà ?- et prit la petite clé cachée dans une doublure depuis sa prétendue mort. Il ouvrit la porte de l'immeuble, et entra dans le sombre couloir. Au-dessus de sa tête, il entendait quelques éclats de voix qu'il percevait comme faussement joyeux. Il monta l'escalier, marche par marche, et s'arrêta en plein milieu, fixant l'appartement dans lequel il avait vécu avec John. La porte était entrouverte; après tout, hors Mrs Hudson, personne ne vivait dans l'immeuble, ils pouvaient se le permettre. Quelques paroles s'échappaient par là; « Ah, mon pauvre, on peut dire que le sort s'acharne sur toi… » entendit-il de la bouche de sa logeuse, et il continua discrètement sa route vers le premier étage, et ouvrit délicatement la porte qui ouvrait sur l'appartement. A présent, il faisait face au salon grand ouvert. Il n'apercevait que le dos cambré de Molly. Puis il entendit tout le monde se pencher.

- Joyeux Noël ! lança John, suivi de tous les autres, à minuit pile.

Il n'hésita pas plus longtemps, il s'habilla de son expression neutre, se redressa, et entra tranquillement dans la pièce, localisa son violon à l'endroit exact où il l'avait laissé trois ans auparavant et vint le prendre entre ses doigts.

- Joyeux Noël, crut-il tout de même bon de dire en levant la tête vers ses vieux compagnons, s'accordant même un petit sourire.

Oh, il savait qu'il payerait cher cette longue absence. Il savait qu'entrer aussi normalement en ferait tiquer plus d'un. En particulier John. John… qui avait une bague au doigt. John qui était marié. Lorsqu'il vit la main gauche se serrer en un poing, il revint au visage de son colocataire, et vit le sourire le plus menaçant que le blond avait en réserve. Ça allait chauffer. Il clignait un peu trop des yeux, aussi. Un petit tic qu'il avait quand il était énervé. Il déposa délicatement son violon sur son appui et se dressa de toute sa hauteur, fixant toujours John. Mais cela ne lui servit à rien; ce ne fut pas lui, mais Lestrade qui réagit le plus vite lorsque l'homme se jeta sur lui, et le garda fermement serré pour l'empêcher de lui donner le coup de poing le plus puissant qu'il avait pu trouver. Les hurlements qui suivirent le figèrent.

- Sors ! Sors, Sherlock, ne me fais donc pas croire que tu es là, tu es mort, mort ! Comment peux-tu être là ?!

- Ecoute John, je peux tout t'expliquer…

- SORS !

- John, je suis désolé, je…

- JE T'AI DIT DE SORTIR ! hurla-t-il de toute la force de ses poumons, et il réussit à se libérer du commissaire pour attraper le détective par le col. Sors d'ici, ou je te jure que cette fois, je ne louperai ni le nez, ni les dents ! SORS ! acheva-t-il en le poussant violemment.

Sherlock se réveilla enfin de sa léthargie et saisit les épaules de son ami pour le garder en place et inspira.

- Ecoute, John, je faisais ça pour te protéger…

- ME PROTEGER DE QUOI ? MORIARTY EST MORT AVANT TOI, POURQUOI AS-TU SAUTE ? EXPLIQUE-MOI ! POURQUOI T'ES-TU FAIT PASSER POUR MORT ?

- Calme-toi, je vais tout t'expliquer, mais tu dois d'abord cesser de hurler.

Il vit dans les yeux de John passer tout un panel d'émotions : la colère, l'indignation, la colère à nouveau, le mépris pendant un instant, le dégoût, et enfin la résignation. Il souffla, et se dégagea de ses mains pour s'asseoir sur le fauteuil vacant.

- Bien. Vous étiez tous en danger de mort, tant que j'étais vivant. Des tueurs professionnels avaient été placés tout autour de l'appartement, et ils menaçaient vos vies. Il a fallu que je choisisse; c'était moi, ou vous. J'ai donc demandé à Molly de m'aider à faire croire à ma mort, et j'ai pu sauter directement dans un camion, qui m'a emmené hors du champ de vision de n'importe qui, et avant de me montrer à nouveau, il me fallait démanteler entièrement l'organisation Moriarty qui, malgré sa mort, suivait encore ses derniers ordres, et tant que cette histoire n'était pas finie, je ne pouvais tout simplement pas revenir, sous peine de vous mettre une fois de plus en danger de mort.

- Je croyais pourtant que j'étais digne de confiance, grogna John. Tu ne pouvais pas me faire comprendre que tu étais vivant ?

- Non. Je devais en finir seul. Et à ce que je vois, tu n'as pas perdu de temps malgré tout, tu t'es marié à ce que je vois. Ta femme n'a pas daigné se montrer ce soir, pourquoi donc ?

- Elle est morte.

- Oh, comment est-elle morte ? Assassinée, empoisonnée, emportée par la maladie ? Et j'imagine qu'il y a eu un enterrement, où a-t-il eu lieu ?

- Dans le même cimetière que celui où tu es enterré, lui répondit sournoisement le blond, lui lançant à nouveau ce sourire inquiétant. Qui sait, peut-être qu'elle aussi va revenir d'entre les morts, après avoir passé trois ans à se cacher, pour être sûre de me briser le cœur, et va faire comme si tout était normal.

Le silence qui suivit fut glacial. Sherlock ne savait absolument pas comment il était supposé répondre à ça.

- Erhm… Comme j'ai dit, c'était pour vous garder en vie que j'ai fait ça.

- Tu es un idiot, Sherlock. Tu le comprends, ça ? Un idiot ! On ne fait pas subir aux gens un deuil aussi douloureux sous prétexte qu'il y a des criminels en liberté ! Je sais que tu aurais pu nous faire comprendre que tu étais en vie, alors pourquoi ne nous as-tu rien dit ? Molly était dans le coup, elle aurait pu nous le dire si tu l'avais laissé faire !

- Il n'en était pas question. C'était quelque chose que je devais finir seul.

- Ah, c'est donc la raison pour laquelle tu as eu l'excellente idée de me dire que tu as inventé Moriarty pour ton intérêt personnel ? comprit-il, en se levant de son fauteuil. Tu es un abruti fini !

Cette fois-ci, le poing partit vraiment, et Sherlock vacilla sous la force du coup. Il allait avoir un sacré hématome, le lendemain, et sa mâchoire tremblotait un peu.

- Ecoute John, je sais que je l'ai mérité ce coup, mais…

- Alors tout va bien ! le coupa son ami, essoufflé par la rage qu'il contenait. TROIS ANS, Sherlock ! Tu as disparu pendant TROIS ANS ! Comment veux-tu que je réagisse à ton retour ? Tu aurais au moins pu faire ça correctement, pas entrer et prendre ton violon comme si tout était normal !

- Mon violon est désaccordé.

- MAIS QU'EST-CE QUE TU CROYAIS, QU'ON Y JOUAIT, NOUS ? C'était toi le violoniste, pas nous ! Estime-toi déjà heureux qu'on ne s'en soit pas débarrassés !

John fulminait, il tremblait de tous ses membres, ses poings étaient si serrés que le bout de ses doigts devenait blanc. Il fallait que Sherlock arrive à le calmer, mais il savait qu'il n'avait aucune chance. John lui en voudrait encore longtemps. Il tenta une dernière chose, un dernier mot pour finir la discussion. Il s'approcha de son ami, le prit par les épaules une seconde fois et le regarda droit dans les yeux.

- Merci, dit-il, un petit sourire aux lèvres.

Le blond détourna le regard, recula un peu et sourit à son tour.

- Content de te revoir, Sherlock, répondit-il dans un murmure en se rasseyant.

Le détective, à nouveau à l'aise dans cet environnement qu'il connaissait, sourit plus largement, et attaqua un autre problème :

- Au fait, tu sais que t'entendre me qualifier d'humain m'a profondément vexé, moi qui me suis tant appliqué à devenir une machine ?

Blanc. Ah. Il avait eu faux ? Il n'aurait peut-être pas dû dire ça. Peut-être bien que la petite lueur dans les yeux de John n'était pas que de la stupéfaction. A l'instant où il ouvrit la bouche pour inspirer plus bruyamment que jamais, il comprit son erreur; et il la reçut en pleine face lorsque les hurlements de son compagnon retentirent dans la pièce figée.

- PARCE QUE TU ETAIS LA ? TU ETAIS LA A TON PROPRE ENTERREMENT ?! COMMENT AS-TU PU ETRE AUSSI IDIOT, TU POUVAIS VENIR ME VOIR ! ESPECE D'ABRUTI FINI !

Et il sortit presque en courant de la pièce, sortant presque la porte de ses gonds, et ils entendirent tous très distinctement le bois des marches menant à l'étage largement menacé par son pas d'éléphant. Oui, il aurait peut-être dû attendre un peu avant de lui dire ça. Il entendit au-dessus de lui une porte claquer violemment et le plancher crisser un peu, signe évident du lit qui venait de recevoir un poids supplémentaire. A côté de lui, il entendit Lestrade soupirer.

- A ce que je vois, tu ne t'es pas arrangé pendant ces trois ans…

- Pourquoi aurais-je changé ? rétorqua-t-il, sans lâcher le plafond des yeux.

Il entendit bien vite le plancher faire un petit bruit, et fit quelques pas vers la porte, et la rouvrit pour entendre John dévaler les marches.

- John ? demanda-t-il d'un ton légèrement anxieux.

- Ne me suis pas, Sherlock !

Grand dieu –depuis quand jurait-il au nom d'une création des religions ?-, que comptait-il faire ? Il n'allait tout de même pas déjà partir ! Non ! Il avait besoin de le voir !

- Idiot, lui lança Lestrade en s'avançant à son tour vers la sortie.

- Aucun de vous ! ajouta le médecin.

Sherlock ne put empêcher un reniflement dédaigneux :

- Ce n'est pas avec tes trois neurones mal accordés que tu vas pouvoir me traiter ainsi, Lestrade.

- Oui, toujours aussi charmant, le bon vieux Sherlock, marmonna le policier en repartant vers sa coupe de champagne, qu'il vida d'un trait.

- J'imagine que c'est à cause de ta femme.

Oh, Sherlock allait se défouler. Pas QUESTION que quiconque autre que John ne vienne lui faire la leçon.

- Sherlock, non… gémit Molly en se ramassant sur elle-même.

Hm, évidemment que c'était un sujet tabou, mais depuis quand respectait-il les tabous ?

- Elle est partie depuis peu de temps chez son amant, si j'en juge l'allure misérable que tu nous traînes en un jour de fête tel que Noël, fit-il sans se soucier des protestations, et il fut loin d'être découragé par le silence écrasant qui régnait à présent dans la pièce. Où habite-t-il ? Tu sais, de nos jours, le divorce n'est pas si mal venu, d'autant que je remarque que tu ne portes plus ta bague. C'est en cours ?

Lestrade lui jeta un de ces regards qui pouvaient lui faire froid dans le dos; quand cela venait de John. Mais il n'était pas John. Aussi, Sherlock se contenta de sourire froidement et de continuer sur sa lancée.

- Il me semble que cela fait…

- Tais-toi, Sherlock. Ce n'est pas le moment.

- Ce n'est jamais le moment pour ce genre de choses, Lestrade.

- Ecoute Sherlock, j'ai cru en toi pendant toutes ces années. Ça te paraît peut-être improbable, mais j'ai cru en toi, tu ne pouvais pas avoir orchestré tous ces meurtres. Mais maintenant, pour une fois, sois reconnaissant et gentil, et ne pourris pas Noël pour la seule raison que John est parti –et il avait de bonnes raisons de le faire.

Il serra les dents, tourna une fois sur lui-même, se prenant la tête entre les mains, puis prit Molly pour cible. A l'instant où ses yeux se posèrent sur elle, il la vit sursauter et trembloter. Il se radoucit et tendit la main vers elle. Après un instant d'hésitation, elle la saisit et il se rapprocha de son oreille.

- Tu as eu beaucoup de courage.

Il n'allait pas remercier deux fois dans la même soirée, voyons. Mais il savait qu'elle le comprenait, même quand il lui parlait ainsi. C'était peut-être la raison pour laquelle il lui faisait confiance. Puis il se redressa et revint enfin à son violon, qu'il voulait absolument accorder. Les trois occupants de la pièce subirent un long moment de supplice auditif; trois ans que ce violon croupissait tout seul sur son appui, sans être manipulé, passant les hivers et les étés, évidemment qu'il serait désaccordé. Puis il atteignit enfin la dernière corde qu'il tendit correctement et joua les notes classiques pour Noël. C'était son cadeau à lui, chaque année; calmer les âmes avec ce morceau.

Mrs Hudson l'adorait, elle se calait toujours confortablement dans son fauteuil et fermait les yeux quand il le jouait; Lestrade se perdit dans le vague, un petit sourire aux lèvres, sûrement de vieux souvenirs qui remontaient; et Molly le regardait. Elle le regardait comme elle le faisait toujours, avec cette petite flamme au fond des yeux, qu'il savait reconnaître mais à laquelle il refusait de répondre. Oh bien sûr, savoir ce qu'elle ressentait pour lui avait été utile à certaines occasions, mais il fallait être terriblement imprudent pour croire en ce que Sherlock Holmes laissait paraître. Et Molly n'était pas imprudente, elle lui vouait tout simplement une loyauté sans faille. Il eut à son tour un sourire en plongeant ses yeux dans les siens, la laissant se perdre profondément dedans. Joyeux Noël, Molly Hooper.

Il joua la dernière note qu'il étira longuement avant de relâcher son violon et de s'incliner face aux applaudissements dont son petit public ne se privait pas.

- Ça t'a manqué, de jouer, n'est-ce pas ? souffla Mrs Hudson quand il se fut rapproché d'elle.

Il la regarda longuement et hocha la tête. Oh oui, ça lui avait terriblement manqué. Il la vit se lever –assez péniblement, sa hanche lui faisait plus mal que jamais- et sentit ses petits doigts prendre ses bras, remonter à ses épaules, et il se pencha un peu pour la laisser lui tapoter gentiment la joue, comme elle aimait le faire parfois.

- Quel bazar tu as créé, Sherlock…

- Oh, j'arrangerai ça, répondit-il.

- Plus de corps humains dans mon frigidaire maintenant ? demanda-t-elle, certainement pleine d'espoir à cette idée.

- Ah, Mrs Hudson, vous en avez été débarrassée pendant trois ans, mais je reprends du service à présent.

Elle eut un long soupir et son poing heurta de la manière la plus douce possible son épaule.

- Sherlock, tu vas me rendre folle… On ne fait pas ça à sa vieille logeuse.

Mrs Hudson, sa logeuse, sa gouvernante occasionnelle –quoi qu'elle dise contre ça- et, surtout, la femme qui se comportait comme une mère avec lui. Il lui sourit largement et entoura ses épaules d'un bras. Ah, comme cela faisait du bien de revenir dans cet appartement.

- On va bientôt pouvoir distribuer les cadeaux, j'imagine… tenta maladroitement Molly.

Oh, super. Il allait pouvoir encore subir ce rituel qui n'avait plus aucun sens pour lui depuis bien des années. La légiste prit son sac plein de cadeaux en main, et commença par Mrs Hudson, à qui elle offrit des gants blancs en laine; puis elle vint à Lestrade, qui ouvrit le paquet aux couleurs excentriques et en sortit un portefeuille noir tout neuf, dont les nombreuses sécurités semblaient avoir été faites pour l'empêcher lui de lui voler ses affaires quand il l'ennuyait. Molly, franchement, il ne fallait pas. Elle déposa celui qu'elle avait pensé offrir à John sur la table du salon, et enfin, elle sortit le dernier paquet, le mieux emballé comme toujours –mais cette fois-ci il se garda de faire le moindre commentaire-, et le lui tendit. Une nouvelle écharpe, violette celle-ci. Elle était plutôt longue, en satin et coton, et pouvait se marier sans difficultés à sa garde-robe pratiquement monochrome. Il sourit légèrement et hocha doucement de la tête.

Puis ce fut au tour de Mrs Hudson, qui laissa un paquet rectangulaire et plutôt mou sur la table, puis offrit à Lestrade une nouvelle lampe de chevet noire et ouvragée, et donna son dernier paquet à Molly, qui découvrit une longue jupe à la coupe très bien adaptée à sa silhouette et aux couleurs qui la définissaient le mieux. Mrs Hudson avait développé du bon goût, ces dernières années.

Il entendit alors une sonnerie provenant de la poche de Lestrade et leva les yeux vers lui. Il fixait son portable, se demandant visiblement s'il devait vraiment répondre.

- C'est…

- Ta femme.

- Ta gueule, Sherlock, lui répondit-il en partant à grands pas vers la salle de bain, se décidant à tout de même lui parler.

S'il partait s'enfermer, comme l'indiqua le verrou qui tourna dans la serrure, cela signifiait que la discussion à suivre risquait d'être houleuse.

- Je vais me coucher, je suis en train de tomber de fatigue, pourrais-tu lui donner le cadeau de ma part Sherlock ? dit Mrs Hudson en s'étirant légèrement.

Il hocha encore une fois la tête, et l'écouta descendre prudemment les marches qui la séparaient de son propre appartement. Oui, décidément, ses problèmes de hanche ne s'arrangeaient pas.

Mais sur ces pensées, il entendit le son très caractéristique d'un moteur qu'il connaissait bien. Il s'empressa de se rendre à la fenêtre et en écarta légèrement le rideau au moment où la porte s'ouvrait. John en sortit, et il s'éloigna. John était de retour ! Il avait sûrement un drôle de sourire aux lèvres, puisque l'air que Molly lui jeta n'était pas très encourageant. La jeune femme s'excusa, prétextant devoir faire du thé. Il secoua un peu la tête et vint ouvrir à John, dont il entendait le pas lourd dans les escaliers.

- Tu es rentré, lança-t-il d'un ton qu'il estima bien trop joyeux pour l'événement.

Evidemment qu'il rentrait, c'était chez lui. John ne se gêna d'ailleurs pas pour le lui faire remarquer.

- Chez nous, ne put-il cependant pas s'empêcher de dire, sentant ses sourcils tiquer. Je ne savais pas du tout où tu étais allé et pourquoi. J'étais inquiet, continua-t-il, sans comprendre exactement ce qui l'avait poussé à dire une chose pareille, et il vit clairement que John était aussi surpris que lui.

- Je suis allé au cimetière voir Mary… et toi… répondit-il en détournant les yeux.

Pourquoi cela le gênait-il donc ? C'était tout à fait incompréhensible, il faisait ce qu'il voulait après tout. Mais il était vrai que se recueillir sur une tombe n'était pas quelque chose qu'il parvenait à saisir.

- J'ai encore du mal. Sentiments ?

- Sentiments, approuva-t-il en souriant, comme amusé.

Puis il alla s'asseoir dans son fauteuil, suivi attentivement des yeux par Sherlock, qui ne savait absolument pas comment continuer la conversation. Il savait bien que tant qu'il n'aurait pas mis certaines choses au clair, une gêne subsisterait encore. Mais comment aborder le sujet ? Il était complètement perdu, il ne savait pas s'y prendre.

- Mrs Hudson n'est plus là ? lâcha John d'un seul coup.

- Elle est partie se coucher, répondit-il sans décrocher de John.

- Je vois… se contenta de répondre le blond, comme pour meubler le silence, en détournant les yeux.

Sherlock n'arrivait tout simplement pas à comprendre son comportement. Pourquoi ne le regardait-il pas ? Tout dans son attitude laissait paraître une énorme gêne. Son retour était-il donc si mal venu, s'était-il vraiment trop mal comporté ? Il était peut-être réellement temps de se réveiller un peu, Sherlock.

- John, je voulais te dire que…

Il fut coupé par Molly, qui annonça d'une voix un poil trop aigue pour être tout à fait sereine que le thé était prêt.

- Ah ! Tu es rentré, John. Tant mieux, Sherlock était complètement déboussolé de te voir partir ! crut-elle bon d'ajouter, au grand agacement du détective, qui pinça des lèvres pour s'empêcher de craquer.

- Molly… la prévint-il.

- J'ai vu ton frère, lança soudain John.

Il le savait très bien, il savait encore reconnaître la voiture de son frère quand il la voyait, enfin ! Il le dit sur le ton d'une telle évidence que cela braqua visiblement son cher colocataire, qui fronça les sourcils, mais ne lâcha pas pour autant le sujet :

- Il n'a pas osé se joindre à nous.

- Cela semble évident puisqu'il est reparti.

- Tu ne peux pas t'en empêcher, hein ? lui demanda-t-il sur le ton du reproche.

Qu'est-ce qu'il avait encore fait ? De quoi parlait-il ? Il était, à nouveau, complètement perdu. Qu'avait-il bien pu dire qui l'ait tant agacé ?

- M'empêcher de faire quoi ?

- D'avoir une attitude si hautaine ! Bon sang, Sherlock, trois ans que je ne t'ai pas vu et tout ce que tu trouves à me dire quand je parle c'est " Je sais. " ?!

Ah, c'était donc là le problème. Il ne comprenait toujours pas, n'avait-il donc pas toujours été ainsi, à répondre au tac-au-tac, et à tout savoir sur tout ? Ça ne le dérangeait pas avant, si ?

- Laisse tomber, ce n'est pas grave, finit-il tout de même par dire.

Sherlock se sentait tout de même mal. John se plaignait peu, vraiment peu quand on estimait tout ce qu'il lui faisait subir à longueur de journée. Non, si le médecin lui faisait cette remarque, elle venait du fond du cœur. Il avait de bonnes raisons de le lui reprocher, surtout après ces trois années de disparition.

- Je suis désolé, John. Pour tout ça… je suis navré.

Comme souvent quand il faisait des aveux, la phrase lui avait échappé. Mais il ne le regrettait pas; il devait le lui dire, il se sentait vraiment navré d'avoir dû recourir à une méthode aussi radicale. Il était peut-être temps de sortir le petit paquet qu'il avait eu le temps de préparer pour Noël et de le donner à John, alors qu'il acceptait ses excuses d'un simple hochement de tête.

- Joyeux Noël, lui dit-il avec un sourire d'abruti; il était décidément bien trop euphorique d'avoir retrouvé John.

- Joyeux Noël, répondit son meilleur ami en prenant le cadeau.

Sherlock se rongerait les ongles, s'il ne se les coupait pas régulièrement. John n'avait toujours pas touché à son cadeau, et ne semblait pas décidé à le faire.

- Tu ne l'ouvres pas ? finit-il par demander, au comble de la tension.

- C'est la première fois que tu m'offres un cadeau, répondit son cher colocataire en regardant son paquet rouge.

- C'est faux, se défendit-il. Au dernier noël que nous avons passé ensemble, j'ai... Ah.

Oui, bien sûr. Il n'avait pas tout à fait été là pour cela. Il avait quelque chose d'autre en tête. Quelque chose de bien plus problématique.

- Oui, sourit le blond. Tu étais trop préoccupé par quelqu'un d'autre. Irène Adler, tu te souviens ?

- Trop bien, dit-il en se pinçant les lèvres.

Il le vit prendre une tasse de thé proposée par Molly et prendre une longue gorgée brûlante, l'impatientant plus encore qu'il ne l'était déjà.

- Tu ne l'as toujours pas ouvert, fit-il remarquer.

- Bonne constatation, mais j'espérais que vous iriez plus en profondeur, osa répondre effrontément le médecin.

- Tu me punis, lança-il en faisant la moue.

Il se sentait stupide. Oh, bien sûr, il savait que le cadeau allait plaire à John; mais il voulait voir sa réaction au plus vite.

- Pas du tout. Je suis innocent, ricana le blond.

Innocent. Ils disaient tous ça. Innocent. Quelle blague ! Innocent ! Il s'assit sur son fauteuil et prit son visage entre les mains. Innocent ! Mais voyons ! Il se fichait de lui ! Oui, évidemment qu'il se fichait de lui, cela émanait de son attitude, de son petit sourire en coin… Il allait payer cher cet affront. Des éclats de voix retentirent de la salle de bain; tiens, Lestrade avait donc enfin décidé d'en finir avec ces bêtises avec sa femme ? Il releva la tête de ses mains lorsque Molly fit remarquer à John que deux cadeaux l'attendaient sur la table.

- Oh. Je n'ai pas pu donner son cadeau à Mrs Hudson, grommela John, ce qui eut le don de faire sortir Sherlock de son calme contrôlé, il exagérait vraiment !

- Tu auras tout le temps de lui donner demain ainsi que tous les autres jours de l'année, elle n'en sera même pas blessée puisqu'elle est partie se coucher, elle. Brillant, vraiment, brillant, Sherlock. Je sais. Mais voudrais-tu, s'il te plaît, te dépêcher d'ouvrir ces fichus paquets, histoire de pouvoir ouvrir celui que je t'ai déjà donné mais que tu refuses ostensiblement d'ouvrir pour je ne sais quelle raison grotesque visant à me punir pour… pourquoi ? Parce que je suis parti. Mais pourquoi tu es parti Sherlock ? Ai-je réellement besoin de le repréciser ? C'est vraiment nécessaire ? Tu n'as pas de cœur, Sherlock. C'est ce qui se dit mais bon sang que tu en manques aussi, John, c'en est réellement blessant, acheva-t-il en croisant les bras et en se renfermant dans sa bulle.

Oui, il boudait, oui, c'était infantile, et alors ? John lui faisait payer le fait d'avoir passé trois ans à l'éloigner d'un danger de mort ! Il pensait sûrement que cela ne lui avait rien fait, mais il se trompait, lui aussi avait eu du mal ! Il avait envisagé à de nombreuses reprises, à commencer par le jour de son enterrement, de se planter devant John et de lui dire qu'il était vivant, que tout irait bien. Mais non, rien n'allait bien ! Et c'était la raison pour laquelle il avait disparu, n'était-il donc pas capable de comprendre cela ? John s'acharna à le faire attendre, déposant son paquet et prenant celui que Molly lui tendait; rectangulaire, rigide, une boîte ? Gagné, une boîte de rangement pour premiers soins. Il la fixa d'un air mauvais, songeant à son propre cadeau. Quand il le verrait et comprendrait –ce qui risquait fort de durer un peu-, il oublierait tous les cadeaux précédents, il se le jurait. Et voilà que John remerciait brièvement Molly, et tendait la main… vers le pull emballé de Mrs Hudson. Evidemment que c'était un pull. Oui il était joli, mais qu'il se dépêche de prendre le sien, grand dieu ! Il renifla, signifiant clairement combien son paquet était plus important que les autres, et poussant John à enfin s'y intéresser. Allez, qu'il le prenne !

- Molly, le cadeau que je voudrais t'offrir est dans la pièce à côté. Mais avant tout, rassure moi, tu n'es pas allergique à quelque chose en particulier ?

… C'était une blague ? Non ! Non, pas maintenant, il fallait d'abord ouvrir son dernier paquet ! Non ! Mais que voulait donc lui faire payer John ? Qu'il prenne son foutu dernier cadeau avant d'aller chercher celui de Molly, grand dieu !

- Au pollen, répondit-elle simplement.

Oh. Voilà qui allait parfaitement coïncider avec son propre cadeau. S'il découvrait que la petite bestiole était un chien, il songerait sérieusement à se coudre une muselière le temps que la soirée se finisse, l'occasion serait trop belle.

… Deux secondes, où allait-il ?

- John ?

- Je n'ai pas fouillé dans tes affaires, si c'est ce que tu te demandes, répondit son ami en ouvrant la porte de son ancienne –actuelle ?- chambre, où toutes ses expérimentations les plus louches étaient entreposées.

- Non ce n'est pas ce que je... Enfin je n'insinuais pas que... Tu as... parfaitement le droit d'y aller, finit-il par dire, complètement perturbé par la situation.

Bien sûr qu'ils utilisaient sa chambre, sûrement comme dépôt, ou quelque chose dans le genre. John revint vite avec une minuscule boule de poils; un petit chat, mâle, trois mois, qu'il donna à Molly qui plongea dans ses bras, le remerciant gracieusement. Le superbe mouvement de recul qu'eut John le fit rouler des yeux de dépit; qu'est-ce qu'il pouvait être impressionnable par moment, il était pourtant médecin, enfin ! En les voyant encore échanger des mots confus, Sherlock craqua et siffla, espérant gagner enfin l'attention du blond. Gagné ! Enfin il daignait se tourner vers lui et…

- C'est ton tour, dit-il d'un ton amusé.

Oh ! Prendre son cadeau, ça y était, le moment était enfin venu ! Il frotta ses mains de nervosité, sautilla mentalement sur place et observa John enlever minutieusement le papier cadeau –faisait-il exprès de traîner ainsi en longueur ?- pour découvrir ce qui s'y cachait. Il haussa un sourcil.

- Une photo ?

- Une photo, approuva-t-il. Mais pas n'importe quelle photo.

- C'est un chien, fit remarquer le médecin.

Quelque chose lui disait que John n'avait pas tout à fait compris de quoi il retournait. Il se leva et décida de prendre un ton théâtral.

- Exactement ! Comment le trouves-tu ? s'enquit-il tout de même.

- Il est… beau, répondit-il après un rapide silence pendant lequel il avait détaillé la photographie. Il a l'air sympathique, ajouta-t-il même.

- Je trouve aussi, sourit Sherlock. C'est mon cadeau, expliqua-t-il.

- Tu m'offres une photo d'un chien ?

Il était vraiment long à comprendre. Vraiment, cela devenait vraiment dur.

- Je t'offre LE chien, rectifia-t-il à contrecœur. Je ne l'ai pas amené au cas où il ne te plairait pas... Même si j'étais quand même sûr qu'il te plairait. Il est encore chez Molly; on peut dire que c'est un bon timing avec l'arrivée de ce chat.

- Tu m'offres...un chien ? demanda John, manifestement chamboulé. Tu ne repars pas, hein ? ajouta-t-il précipitamment, alarmé, après avoir plongé dans ses pensées, en serrant fort contre lui la photographie.

Quoi ? Bien sûr que non, il n'allait pas repartir alors qu'il venait à peine de rentrer au bercail et qu'il retrouverait enfin le confort d'avoir sa propre chambre, après tout ce temps passé à dormir dans le salon de Molly ! Il vit cependant un éclair de soulagement passer dans l'expression de John; non, cette fois il ne ferait pas de remarque, cela vaudrait certainement mieux pour ce soir. Cependant, remettre en quelques mots la situation au clair aiderait sûrement.

- Je ne t'offre pas ce chien comme un lot de consolation pour partager ta solitude, John. En fait, je pourrais dire que je NOUS offre ce chien...

Puis il réalisa que quelque chose n'avait pas été tout à fait éclairci. Comme quelque chose qui pourrait s'avérer crucial.

- Si tu veux toujours de moi comme colocataire, bien sûr, ajouta-t-il du bout des lèvres.

- Tu en doutes ? lui répondit John en haussant un sourcil.

- Tu m'as frappé, se défendit-il.

- Je t'ai déjà frappé dans le passé.

Ça avait vraiment fait mal, enfin !

- Je te l'avais demandé. John je...

Il regarda un peu partout et s'assura que Molly était retournée dans la cuisine avec le chaton et que Lestrade était toujours dans la salle de bain avant de continuer.

- Je n'ai nul par ailleurs où aller mais si tu ne veux pas que je reste ici... Je peux partir, dit-il simplement.

- NON ! Cria-t-il soudain en se relevant, surprenant grandement le détective. Tu... je... Tu dois rester ici. Je VEUX que tu restes, acheva-t-il en balbutiant.

Il n'en crut pas ses oreilles. Il s'attendait bien sûr à pouvoir revenir sans discuter à Baker Street, mais jamais il n'aurait pensé que John aurait une telle réaction. Il ne put s'empêcher de se montrer heureux à cela. C'était stupide, mais qu'est-ce que ça faisait du bien d'être de retour.

- Je suis toujours en colère contre toi mais ... Ne fais plus jamais ça, le prévint –tendrement ?- John. Ne disparais plus jamais... S'il te plaît.

Il avait du mal à comprendre, à vrai dire. Ces foutus sentiments qu'il était incapable de percevoir. Mais quelque chose lui disait, encore une fois, que c'était un soir où il valait mieux prendre des pincettes et éviter de faire des bourdes; la première fois, il avait vu John partir, et avait eu peur que ce soit pour de bon.

- Tu m'as manqué, Sherlock, ajouta-t-il même après un court silence, concluant leur conversation pour le moment.

Au final, la soirée s'arrêta là, John déclara qu'il était tout simplement éreinté par la journée, et qu'il avait besoin d'aller se coucher à présent. Ce fut cet instant que choisit le chaton pour se faufiler entre ses jambes, s'appuyant à la plus instable, le faisant trébucher et l'obligeant à se rattraper au bras de Sherlock, sans penser un seul instant que si lui avait fait la guerre, c'était loin d'être le cas du détective. Ils s'étalèrent de tout leur long sur le fauteuil qu'il venait de quitter et Sherlock se trouvait écrasé par le poids non négligeable de son ami. Et en voyant que le médecin ne réagissait pas immédiatement, et sentant ses poumons se vider à une vitesse alarmante sans une chance de se reprendre, il décida de lui faire comprendre le petit problème de la manière la plus délicate possible :

- John… John, j'étouffe, dégage ! s'écria-t-il en donnant des coups de pieds dans les genoux de son colocataire qui se réveilla enfin et se releva précipitamment, bredouillant des vagues excuses qui s'étendirent à la vue de Molly, qui s'était élancée vers eux en entendant la chute.

- Je… Je crois qu'il est vraiment temps que j'aille me coucher. Bonne nuit, Sherlock, Molly.

Elle lui répondit joyeusement, presque en pouffant, et Sherlock se contenta de son habituel signe de tête. Nul besoin de parler quand votre meilleur ami savait comment comprendre ce que vous montriez. Il observa d'un regard noir le chaton sauter sur le canapé, à l'autre bout de la pièce, et se rouler en boule, prêt à s'endormir.

- Quelle idée John a donc eu en t'offrant une bestiole pareille…

- Il est absolument adorable Sherlock, et puis maintenant que tu reviens vivre ici, il ne t'importunera pas, tu sais.

- Hm, tant qu'il se tient tranquille maintenant…

« BON VENT ! » entendirent-ils soudain jaillir de la salle de bain. Que s'était-il donc passé pour que Lestrade s'énerve ainsi ? L'inspecteur sortit enfin de la pièce, les rejoignant dans le salon, l'air passablement irrité. La prise sur son portable, le pouce encore sur la touche Raccrocher, l'informa qu'il avait tout simplement raccroché au nez de sa femme. Ses cheveux en épis signifiaient qu'il avait pris un moment avant de hausser le ton, préférant dans un premier temps se tripoter le cuir chevelu pour se calmer; mais les traces d'ongles encore rouges sur sa paume droite, en plus de la trace de coup sur la deuxième phalange de son index révélèrent qu'il avait très vite perdu le calme relatif qu'il avait réussi à garder quelques instants, et qu'il avait certainement dû apprendre des choses bien plus terribles que ce que Sherlock avait pu imaginer en observant son visage une première fois. Evidemment que Lestrade savait qu'elle le trompait, mais qu'avait-elle caché d'autre, qui serait sorti ce soir ? Le soir de Noël, même Sherlock trouvait cela dommage de gâcher une fête par des révélations douteuses.

- Ta gueule, anticipa l'inspecteur. Pour ce soir, ta gueule.

Il ne répondit rien, signifiant son assentiment. Il saurait par le savoir de toutes manières.

- Je suis désolé d'avoir… dérangé le calme de Baker Street.

- Ta femme nous doit certainement davantage d'excuses, ne put s'empêcher de lancer Sherlock.

- Sherlock, je t'en prie… souffla Molly derrière lui.

- Je pense que je vais rentrer, je risque de ne plus être une compagnie très agréable.

- Ai-je été un jour une compagnie agréable ? J'ose espérer que je ne l'ai pas toujours été, et pourtant cela ne m'a pas empêché de m'imposer. Reste donc, Greg, je crois que j'ai besoin de venir aux nouvelles. Comment se débrouille l'industrie criminelle depuis que j'ai disparu des environs ?

- Eh bien, plutôt bien, nous avons fini dépassés à plusieurs reprises, et j'avoue que tu m'as beaucoup manqué à ces moments-là, même si Anderson et Donovan ne semblaient pas se formaliser du fait de ne rien trouver.

- Ces deux abrutis sont encore là ? Vous voilà bien aidés, dis-moi.

- Que veux-tu, ce sont les supérieurs qui décident des équipes et de qui reste ou qui part. Je suis passé à deux doigts du licenciement avec tes conneries, pour m'être bien trop appuyé sur toi.

- Qu'est-ce que j'y peux, Lestrade ? Moriarty était terriblement doué, il a réussi le tour de force de me faire porter toute la responsabilité de ses crimes.

- … Mais en ce moment, tu pourrais peut-être nous aider. Ce n'est pas une affaire criminelle à proprement parler, mais un événement très étrange qui se produit depuis environ un an; régulièrement, nous retrouvons des criminels accrochés à toutes sortes d'endroits largement repérables, avec la liste de leurs méfaits collée sur eux, et on n'arrive pas à comprendre d'où ils viennent.

Sherlock eut un rictus amusé. Que devait-il faire, laisser Lestrade comprendre tout seul, ou lui dire immédiatement ? A présent qu'il ne restait que le second de Moriarty à évincer –chose qu'il gardait précieusement pour la toute fin, pour son retour, une fois l'appui de la police accordé une fois de plus- il n'avait plus de raisons de ne pas le lui dire. Mais le voir se torturer l'esprit était tout de même drôle à voir. Tant pis, il attendrait un peu avant de tout lui avouer.

- Comme c'est étrange. Il n'y a aucune piste explorable ?

- Aucune.

- Comme c'est dommage. Je vais donc devoir partir à la chasse aux indices, c'est bien ça ? demanda innocemment Sherlock, retenant un sourire suspect qui le trahirait.

- Si tu pouvais, oui.

Lestrade resta encore une petite heure, pendant laquelle il discuta avec Molly, se servant de multiples verres d'alcool; sans aucun doute, il allait craquer une fois arrivé chez lui. Il parvenait à ses contrôler tant qu'il était à Baker Street, mais il n'était qu'une question de temps avant qu'il ne puisse plus supporter son propre état et qu'il fuie la présence d'autrui.

Sherlock décida vite de s'emparer de l'ordinateur de John et de traîner un peu sur internet pour venir aux nouvelles qui lui auraient échappé pendant ces trois dernières années. Un mot de passe; qu'il réfléchisse deux minutes, que pouvait-il bien être ? Sherlock. Mot de passe refusé. Hm, peut-être tout simplement Watson ? Non, toujours pas. Que pouvait-il bien avoir trouvé comme mot de… HA ! Le voilà ! Ridicule, bien trop simple voyons, utilisé à l'époque où il avait réussi pour la première fois à entrer dans son ordinateur. Parfait, il pouvait enfin voyager tranquillement sur le web. L'article s'ouvrit en première page. Hm, intéressant, qu'y avait-il de nouveau ? Rien depuis sa chute ? Rah, ce n'était pas drôle. Curieux, il tenta, avec un franc succès, de rentrer sur le compte du blog, et découvrit une vingtaine d'articles qui n'avaient jamais été publiés.

Il jeta un œil du côté de Molly et Lestrade, s'assurant qu'ils étaient trop absorbés par leur discussion pour faire attention à ce qu'il faisait de son côté, puis commença la lecture du tout premier article, écrit peu après sa disparition.

« Titre : The perfect lie.

Je ne comprends pas encore tout ce qui s'est passé parfaitement. Je sais que tout laisse croire qu'il n'est plus là mais je sais que c'est faux car ce n'est tout simplement pas possible. Sherlock a toujours fait en sorte d'avoir toujours un coup d'avance sur Moriarty. Je ne peux pas croire qu'il soit allé sur ce toit et soit tombé dans le piège que Moriarty avait tissé, je ne peux pas croire qu'il n'ait pas songé à toutes les éventualités parce que... Eh bien parce que c'est Sherlock, tout simplement. Je sais bien que je l'ai vu tomber et je sais que, déboussolé, j'ai pris son pouls et n'ai absolument rien senti. Je sais aussi que Molly m'a appelée pour me confirmer tout cela... Mais je crois en lui. Je crois en Sherlock Holmes et tant que ce sera le cas, je ne pourrai me résoudre à accepter sa disparition. Je ne pense pas publier ce message tout de suite, ni le faire un jour, je pense que ça ne sert à rien car bientôt, très bientôt, je sais qu'il va revenir. Il se moquera s'il voit que j'ai publié ce message... Je le connais. J'aimerais simplement qu'il se dépêche de réapparaître et de tout m'expliquer. Chaque jour je l'attends. Cela fait bientôt une semaine, je me demande ce qu'il attend... »

Hm ! Il n'avait pas été idiot. Evidemment qu'il ne pouvait pas mourir aussi facilement. John était un homme intelligent, il savait bien que Sherlock Holmes avait toujours quelque chose derrière sa manche, en cas de difficultés. Cependant, il trouva presque stupide de sa part qu'il ait espéré qu'il reviendrait une semaine après sa chute, il devait bien se douter que ce ne serait pas aussi simple, n'est-ce pas ? Il sourit et continua sa lecture, voyant aux mots que le médecin utilisait au fil de ses articles qu'il se sentait de plus en plus mal, qu'il devenait malade de peine. « Pourquoi m'abandonne-t-il ainsi ? Pourquoi ne revient-il pas, et s'il doit absolument se cacher, pourquoi ne me fait-il pas de signe, que moi seul comprendrais ? Il doit y en avoir, non ? Peut-être… Je ne sais pas moi, une tête posée dans le frigo, ou pour faire plus sobre, juste une main ? » Il retint à grand peine son rire, ne voulant pas attirer les deux autres auprès de lui. John voulait de ses nouvelles, il savait qu'il était encore vivant.

Il tomba sur un titre qui le fit tiquer : Mary Holmes. Pourquoi donc ce titre ? Mary… qui était-elle ? Pourquoi… Oh, bien sûr, Mary devait être la femme de John.

« Titre : Mary Holmes

Six mois. Six mois ont passé suite à la mystérieuse disparition de Sherlock. Cet idiot ne s'est toujours pas montré, pas le moindre signe à l'horizon, pourtant je suis à l'affût. Rien. Pourtant, je sais, je sens qu'il est quelque part, caché, attendant je ne sais quoi.

Mais ces derniers mois, je tente de reprendre sur moi, d'attendre, tout simplement, son retour. Il reviendra quand il le décidera, aussi j'ai décidé de vivre ma vie. Ce fut dur au début, bien entendu. Je me sentais abandonné par mon meilleur ami. Puis, je l'ai rencontrée, elle. Mary Morstan.

Elle était nouvelle à l'hôpital, plutôt jeune –à peine plus de vingt-cinq ans- et franchement jolie. Mais ce qui m'a véritablement marqué, c'était cette manière de se tenir. Les jambes croisées, plutôt décontractées, mais je voyais que ses yeux sondaient la cafétéria, s'arrêtaient sur des petits détails et revenaient sur la globalité. Je voyais des petits sourires satisfaits, j'avais l'impression de voir Sherlock en pleine enquête. Et le plus impressionnant, ce qui m'a finalement poussé vers elle… fut son café. Noir, deux sucres. Comme lui. Je me suis avancé vers elle, et, d'une voix que je ne me reconnaissais pas, je me suis tout simplement confié à elle pendant tout le temps que dura notre pause. Je lui ai parlé de Sherlock, de ses petites manies, et de sa disparition inexpliquée. Bien sûr qu'elle en a entendu parler, mais elle s'est contentée de hocher la tête en souriant quand je lui ai exposé mon point de vue, lui disant que je savais qu'il était quelque part encore parmi nous. Elle n'est pas comme les autres, elle est douce, et elle me comprend.

Voilà deux mois que nous sommes ensemble, et que je me rends compte de tout ce qui me rappelle Sherlock en elle. Elle est vive d'esprit, m'emmène à toutes sortes d'endroits pour me changer les idées. Et cette manie de courir partout, Mrs Hudson en a eu une larme à l'œil en la voyant lui prendre ses paquets, s'élancer vers le frigidaire et déposer tous les produits frais... et ses expériences à elle se limitent au culinaire, il est franchement appréciable de ne plus retrouver de pouces ou de têtes en ouvrant son frigo.

Elle a un tempérament de feu, je suis sûr que même avec Sherlock autour, elle ne me laisserait pas tomber pour une stupide histoire de compétition. Non, elle lui ferait comprendre qu'il n'y a pas que lui dans ma vie. Du moins tenterait autant qu'elle le pourrait, parce que c'est quelque chose qu'elle aura du mal à accepter; sans Sherlock, je ne suis rien. Depuis qu'il a disparu, je ne suis que l'ombre de moi-même, je sais qu'elle s'en est rendu compte.

A-t-elle conscience de ce qu'il se passerait, si Sherlock revenait ?

Voilà que j'écris 'si'… Sherlock tarde trop. Plus je progresse dans mon écriture de cet article, plus je réalise combien je suis idéaliste. Il est peut-être réellement mort. Mary a la délicatesse de ne jamais me contredire lorsque je parle de son retour imminent, mais je le vois à ses yeux, elle n'y croit pas. Peut-être devrais-je cesser d'y croire, moi aussi. Mais je sais combien cela me ferait mal, peut-être est-ce pour cela que je ne veux pas croire à sa… mort.

Mary est superbement courageuse, supporter l'homme que je suis devenu doit être dur, très dur. Je l'admire réellement. Elle est là pour moi, elle m'aide à me relever. Elle sait que je ne veux pas y croire, et ne dit rien, elle se contente de me soutenir, de m'offrir la canne qui m'aidera à marcher.

Drôle de manière de m'exprimer… ma canne. Depuis son plongeon sur le bitume, ma jambe me fait de nouveau mal. Atrocement mal, il y a des moments où je suis forcé de ressortir ce fichu morceau de métal dont il m'avait débarrassé dès la première nuit que nous avons passée ensemble. Presque toutes les nuits, je rêve de nouveau de mes combats sur le front, et je me réveille en sursaut. Oh, je sais pourquoi. Et je sais aussi que depuis qu'il n'est plus là, qu'il est… mort ? Mes rêves me reprendront, incessants, que Mary soit là ou non. Elle sait calmer leur intensité, mais pas les éteindre totalement comme le faisait le simple fait d'habiter avec Sherlock.

Mary est extraordinaire… mais lui, il l'était plus encore. Lui, il était ma vie. »

Il resta sans voix pendant quelques secondes, et fut à deux doigts de sursauter quand il sentit une main se poser sur son épaule.

- Greg est parti chez lui. Tu ne devrais pas lire ça, tu sais, dit doucement Molly. C'est le privé de John…

- Tu ne devrais pas lire non plus, dans ce cas.

- Sherlock… Je ne lis pas, je n'ai fait que voir où tu te trouvais sur son blog.

Elle vint se poster en face de lui, posant une chaise en face du fauteuil, et l'observant.

- Je sais que tu ne feras pas ce que je te dirai… mais pense à John, quelle serait sa réaction s'il apprenait que tu as lu tous ces articles ? Ne penses-tu pas qu'il y ait des choses qu'il voudrait garder cachées là-dedans ?

- Aucune importance, les choses cachées, on ne les archive pas sur internet.

Et il continua comme s'il n'avait jamais été interrompu dans sa lecture. Mais cette Mary avait l'air d'être une fille bien… sans aucun doute qu'il l'aurait fait craquer en quelques mois, et qu'elle ne serait jamais restée auprès de John s'il avait été là. Aucun doute là-dessus. En revanche, le fait que John renonce lentement, mais sûrement, à l'idée qu'il était vivant le gênait davantage.

Il vit un changement de ton s'opérer au fil des articles, au même rythme que celui où John acceptait qu'il soit mort –grossière erreur ! Plus il avançait, et plus il voyait John s'adresser à lui directement; à vrai dire, cela l'arrangeait bien, puisqu'il avait moins l'impression de fouiner. Après tout, cela lui était adressé, il pouvait donc lire ces articles de manière tout à fait légitime, non ?

« Titre : The last things to do

Sherlock,
Cela fait longtemps que je n'ai pas écrit... Plusieurs mois en réalité. J'ai été très occupé par le mariage, tous ces trucs, tu sais ? Le déménagement aussi... Cela a été le plus dur, je crois. Partir de Baker Street. Mais je ne pouvais certainement pas dire à Mary d'emménager ici. Non pas que ce soit trop petit ou quoi que ce soit mais Mary ne se sent pas à l'aise dans cet appartement. Elle sait pertinemment ce qu'il me rappelle, ce qu'il provoque chez moi. Elle ne pouvait jamais rien toucher sans que je ne m'énerve et c'était insupportable, autant pour elle que pour moi. Mais le déménagement fut rapide, je n'ai emmené que quelques habits et livres. J'ai laissé l'essentiel ici, peut être qu'un jour je reviendrai les chercher... Je ne sais pas. Lorsque je suis parti, j'ai laissé ma canne dans la chambre. Je m'étais résigné à remarcher avec lorsque tu es mort, mais c'est fini. Je veux tourner la page sur cette époque maudite, et Mary aussi. J'ai donc laissé tout cela en état et suis parti. Cela fait plusieurs semaines aujourd'hui. En un sens, c'est une excellente chose car je pense que cela m'a aidé à passer à autre chose. Ma vie est avec Mary à présent, elle ne t'appartient plus, tu comprends n'est-ce pas ?
Mrs Hudson et Lestrade étaient présents lors du mariage, mais Molly n'est pas venue. Elle a prétexté être très occupée en ce moment mais sa voix sonnait faux...Si tu étais là, tu pourrais déduire en quelques secondes ce qu'elle cache. Je t'enviais cela, Sherlock, énormément. Cela semblait si simple lorsque cela sortait de ta bouche, si limpide... Souvent, pour m'amuser, j'essaye de faire comme toi mais je sais très bien que ce n'est pas du tout toi et je m'arrête. Cela amuse tout de même Mary qui me reprend souvent pour me corriger.
Ne crois pas que la raison pour laquelle je n'ai pas voulu qu'elle emménage ici soit parce que je crois que tu vas revenir. Je sais maintenant que tu ne reviendras pas, tu sais ? Je crois que ça rassure un peu Mary dans un sens, que je n'y croie plus. Elle a toujours pensé - à juste titre en fait- que la place que tu occupais dans mon cœur était plus grande que la sienne. Savoir que j'ai accepté ta mort doit sans doute la soulager même si elle n'en dit pas un mot.
Depuis quelques jours, elle a attrapé froid je crois. Elle a passé ces deux derniers jours au lit et je lui apportais de la soupe. M'occuper d'elle m'a rappelé de bons souvenirs que j'avais avec toi, ça m'a mis de bonne humeur même si la pauvre Mary n'arrêtait pas de geindre. Elle était mignonne.
Je me demande parfois comment tu aurais réagi en apprenant que je vais me marier. Tu m'imagines marié ? Et pourtant je le suis. Je ne pensais pas franchir le pas un jour, pas avec quelqu'un d'autre. En fait, j'avais renoncé à toute relation engagée depuis deux ans.
Donc voilà, je suis marié. Qu'en dis-tu ? M'en aurais-tu empêché ? Mary est vraiment une femme extraordinaire, tu sais. Je pense que tu l'aurais beaucoup aimée.
Je ne pense pas pouvoir te réécrire avant un bon moment, j'ai des tas de choses à organiser, à faire... Une nouvelle vie à commencer.
Je ne suis pas non plus allé devant ta tombe depuis un bon moment mais j'essayerai prochainement si je peux.
Je dois aller me coucher, je travaille demain matin.
Bonne nuit Sherlock.
John. »

Il sentit, à la fin de la lecture de cet article, un profond malaise, mais plus important, une petite pression au creux de sa main. Il baissa les yeux de l'écran et vit les doigts de Molly enroulés autour des siens, alors que son pouce caressait tendrement le dos de la main. Il toussota légèrement et revint au blog de John. Ce qu'il disait dans cet article était plutôt alarmant; John s'était donc marié plutôt vite. Il avait dû penser, à juste titre, que Mary serait sans doute la seule à l'aimer avec son terrible handicap. Avec ce trou qu'il avait dans son cœur, comme il le disait si bien. Les mots glissaient devant les yeux de Sherlock, mais il avait toujours du mal à assimiler ce qui se disait. L'attachement, l'amour et d'autres choses qui pervertissaient l'esprit lui échappaient. Il serra un peu la main qui était à sa disposition. Il ne devrait sûrement pas faire ça, Molly risquait bien trop d'espérer que quelque chose se fasse avec lui. Tant pis pour le moment, il aurait encore le temps de rectifier le tir. Il continua sa lecture, et parvint enfin au dernier article en date, qui avait été écrit une semaine auparavant.

« Titre : Her name in the graveyard

Sherlock,

Promets-moi que tu sauras prendre soin de Mary. J'ai été un mauvais mari pour elle, tu sais. Je pense constamment à toi, à ce que tu aurais dit dans certaines situations, et à ce trou béant que tu as laissé lors de ta disparition. Elle a à peine su en recouvrir le fond, et pourtant elle n'a jamais désespéré de me sortir de là. Mais cette saleté l'a emporté sur elle avant qu'elle n'y arrive, et aujourd'hui, je suis plus perdu que jamais, sans elle, et sans toi surtout. Ton intelligence me manque cruellement.

Là où elle va, elle te retrouvera, j'en suis sûr, et tu la rencontreras enfin. Et moi, que dois-je faire à présent ? Une semaine que je suis en congé -la mort d'un proche est une raison valable pour bénéficier d'un congé prolongé apparemment, j'ai jusqu'après Noël d'après l'autorisation- et je tourne en rond.

Ma jambe me fait mal de nouveau. Tu me dirais sûrement que c'est psychosomatique, qu'il faut vaincre la douleur, mais je n'en ai plus la force. Je n'ai presque pas dormi depuis sa mort, mes nuits sont remplies de cauchemars où je te revois sauter. Pourquoi as-tu fait cela, Sherlock ? Tu m'as détruit, tu étais la seule personne en qui j'accordais une confiance totale, bien que tes nombreuses expériences me prenant pour sujet m'aient fait mal. Et tu sais pourquoi, n'est-ce pas ? Je me suis trop attaché à toi, et ta… mort m'a anéanti. Je suis veuf, Sherlock. Pas depuis une semaine, non; depuis trois ans.

Mary me manque terriblement, mais toi, c'est pire encore. C'est viscéral, je veux te retrouver. Mais tu sais, je n'ai pas ton courage, je ne peux pas faire ce que tu as fait. Sauter. Sur ce toit, tu n'as pas hésité à faire ce qu'il fallait. Tu as tout simplement sauté, et je sais, je sens que tu l'as fait pour me sauver. Mais ça m'a anéanti. Tu m'as brisé, Sherlock.

Je dois paraître bien égocentrique. Mais peu importe, c'est mon article, il n'est destiné qu'à toi, et tu n'es même pas supposé pouvoir le lire. Je ne peux pas, je ne pourrai jamais faire ton geste, même en pensant que je pourrais te retrouver de l'autre côté. J'ai bien trop peur… de ça.

Sherlock, tu me manques.

John. »

Eh bien, il était de retour. Heureusement que John avait trop peur de la mort, sinon Sherlock aurait eu l'air bien fin en revenant. Plus de John ? Non, inimaginable. Il eut un étrange sourire. Il était… heureux. Il avait tellement manqué à John que… bon, il était peut-être temps d'arrêter Molly, ses caresses se faisaient peut-être un poil trop amoureuses.

- Hm… Molly.

Elle leva enfin les yeux de sa main et le regarda attentivement.

- J'aurais sûrement mieux fait de te le dire depuis longtemps, Molly, mais je pensais que tu renoncerais toi-même. J'imagine que ta cohabitation avec moi n'a pas dû aider. Il faut que tu m'oublies, Molly.

Elle sourit. Un petit sourire triste, l'invitant à continuer sur sa lancée. Il n'avait pas envie, enfin ! Elle avait très bien compris ! Mais il vit dans ses yeux qu'il lui devait bien ça; voilà plusieurs années qu'il se servait de ce petit –énorme ?- faible qu'elle avait pour lui.

- Je ne suis absolument pas le genre d'homme qui tombe amoureux, et continuer à t'accrocher va seulement te faire du mal, donc abandonne et passe à autre chose.

Hm, parler de ce genre de choses à quatre heures du matin n'arrangeait pas sa diplomatie. Il ferma l'ordinateur et observa la réaction de Molly. Elle continuait de sourire, avec des larmes qui montaient lentement dans ses yeux. Elle semblait pourtant aller bien, dans l'ensemble. Il pensa que c'était sûrement le fait de l'entendre de sa bouche qui lui faisait du mal. Il était certain qu'elle tentait déjà de penser à d'autres choses qui ne soient pas en lien avec lui, ou peu.

Il lui laissa un peu de temps, dégageant sa main et se levant pour se remplir un verre du fond de bouteille qui restait. Crémant, plutôt bon d'ailleurs, un substitut acceptable du champagne suite à la célébration du Réveillon.

Molly resta longtemps plantée à la même place, puis elle enfouit son visage entre ses mains, et quand elle se releva, les yeux un peu gonflés et les joues marquées, elle semblait d'une bonne humeur à nouveau.

- … Tu dois aller chercher le chien chez moi, non ? Et moi, je dois emmener mon chaton. Tu veux qu'on y aille ?

Il haussa un sourcil à sa proposition; il était encore tôt. Mais de toutes manières, il n'était pas fatigué, il n'allait pas dormir de la nuit, et sûrement des deux prochains jours, comme c'était parti.

- Très bien, répondit-il en saisissant son manteau. Range le chat dans sa caisse, en attendant je vais attraper un taxi.

Elle hocha la tête, et il sortit de l'appartement, se rendant à la porte d'entrée et hélant le taxi qui passait exactement à cet instant, et le fit s'arrêter sur le côté en attendant que Molly arrive avec la caisse qui miaulait abondamment.

- Je déteste les chats, grogna-t-il, son regard noir figé sur le petit animal paniqué.

- Alors ça tombe juste bien que tu reviennes à Baker Street, rigola-t-elle en réponse.

Il resta silencieux pendant tout le trajet, et quand ils descendirent juste devant chez elle, il fourra ses mains dans ses poches, bougon, alors qu'elle payait le trajet.

- Il est quatre heures et demi… tu veux tout de suite prendre le chien et partir, ou tu veux rester prendre un thé ?

- Un thé, merci. Il est trop tôt, le chien pourrait réveiller John en aboyant. Et le chat aura juste à se cacher dans ta chambre, tiens.

- Euh… très bien, rentre alors… tenta Molly, interloquée.

Ils retirèrent leurs vestes, et la jeune femme se rendit dans sa cuisine pour faire bouillir de l'eau, alors que Sherlock partait dans les toilettes. Il revint juste à temps pour voir la théière dans laquelle infusait du thé de Noël se poser sur la table basse. Il partit chercher deux tasses, et s'assit aux côtés de Molly. Elle remplit les deux tasses de thé, puis de lait, et il ajouta deux sucres au breuvage avant de le siroter.

- C'était dur... commença-t-elle, hésitant sur chaque mot à employer. … trois ans avec toi. Tu n'es pas facile à vivre, même si tu m'aidais un peu sur la fin. John... John sera sûrement ravi de te retrouver, mais tu ne penses pas qu'il pourrait ne plus supporter de te voir avec ton comportement habituel ?

Sherlock ne comprenait pas où elle voulait en venir. Comment ça, ne plus le supporter ? John, qui l'avait attendu trois ans, pourrait toujours le supporter, enfin, ils étaient faits pour s'entendre, il ne pouvait plus le lâcher maintenant, alors qu'il venait de revenir !

- ... Tu... Tu m'as utilisée, continua-t-elle, les joues un peu rouges, et n'osant pas le fixer dans les yeux, préférant regarder le fond de sa tasse. C'est ça que je veux dire. J'ai été contente de le faire, mais... c'est déconseillé d'utiliser les gens qui te font confiance. Tu l'as fait aussi avec John, il a été blessé, tu sais... préféra-t-elle-même préciser, espérant sûrement créer une réaction chez lui. Si tu veux qu'il garde sa confiance en toi intacte... fais ce qu'il faut.

Ça avait marché. Maintenant, il se sentait mal. Pire, il ne se sentait plus à sa place dans cet appartement. Il devait partir de là, et vite.

- ... Molly, je dois y aller, je pense. Quelque chose à faire avant de... enfin, je dois promener le chien. Vas te coucher, tu as des cernes monstrueuses, acheva-t-il pour la dissuader de l'accompagner.

Il attrapa sa veste, la laisse du chien, l'attacha autour au collier de l'animal et sortit, souhaitant une bonne nuit à Molly, qui lui répondit d'une voix étonnée de bien rentrer. Et voilà. C'était fini. Il allait enfin vivre à nouveau à Baker Street. Avec John et le chien. Il tira doucement sur la laisse, et ils descendirent ensemble dans la rue, où il tourna à gauche, et ils marchèrent longuement à la lumière des lampadaires, jusqu'au cimetière où il avait été enterré –quelle ironie. Il détacha l'animal et le laissa se promener un peu, alors qu'il cherchait sa tombe dans la pénombre. Il la trouva cependant assez vite, à côté d'une autre, beaucoup plus récente, à la pierre blanche comme le marbre et sur laquelle était écrit le nom de Mary Morstan. Voilà donc la femme de John.

Sherlock mit un genou à terre, et observa le sol autour de lui. La tombe de Mary avait été visitée sûrement tous les jours, d'après les marques sur l'herbe et le temps qu'elle avait passé dans ce cimetière. Sa tombe à lui avait été bien plus visitée encore, les traces étaient étendues; John s'était souvent agenouillé devant son nom, et s'il interprétait correctement les légères et anciennes traces d'ongles présentes sur la pierre, il avait souvent craqué et laissé libre cours à ses larmes, allant jusqu'à griffer l'édifice. Il caressa lentement les traces et avisa le bouquet devant lui. S'il n'avait pas été déposé le soir même, John s'en était sûrement occupé la veille, mais pas plus tard; les fleurs avaient à peine perdu leur éclat. De l'autre côté, sur la tombe de Mary, se trouvait un autre bouquet, autour duquel plusieurs autres fanaient depuis déjà plusieurs jours; ce qui signifiait d'après ses observations que ce qu'il pensait était juste, John était passé au cimetière quelques heures auparavant pour déposer un bouquet devant le nom de sa femme, mais n'avait plus jugé utile de remplacer celles qui ornaient son cercueil à lui. Il vit aussi un petit collier aux deux cœurs entrelacés entre les bouquets et sourit; John était un véritable sentimental, il ne pouvait pas s'empêcher d'offrir ses cadeaux, même aux morts.

- J'imagine que je devrais te remercier pour ce que tu as fait à John. Du moins, c'est ce qu'un autre être humain ferait. Mais… je vais simplement te dire de reposer en paix. Je suis de retour.

Puis il se leva, siffla le chien et sortit du cimetière. A présent, alors que les lumières commençaient à faiblir, il regarda l'heure sur son portable; déjà six heures trente. Il pourrait peut-être vite rentrer à Baker Street avant que John ne s'aperçoive de son absence. Il en aurait pour une bonne heure de marche, mais il n'avait pas envie de prendre le taxi, surtout avec l'animal qui jappait à ses pieds.

Ils se promenèrent tranquillement, empruntant des ruelles sombres, des avenues désertes, traversées de quelques taxis seulement, Sherlock se fit aborder par une prostituée à un tournant, et la rembarra si bien qu'elle courut de l'autre côté de la chaussée, scandalisée, et bientôt, la porte du 221B Baker Street fut devant eux. Sherlock sortit ses clés du fond de sa poche, et ouvrit au chien en lui ordonnant d'abord le silence. Il s'agissait là de ne pas réveiller le médecin à une heure trop matinale. Ils montèrent ensemble tranquillement les marches, et il poussa la porte de l'appartement, tombant sur John, déjà réveillé –au moins il n'avait plus à s'inquiéter de ce problème-, et visiblement sortant d'une crise de larmes. Sherlock fronça les sourcils. John avait cru qu'il avait rêvé; il n'avait pas laissé de marques de sa présence suffisamment visibles. Quel idiot, John aurait dû savoir qu'il n'avait pas rêvé ! Cependant, il réussit à contrôler sa voix, la menant à l'absence d'émotion totale, quand il exposa ce qu'il avait observé :

- Tu as cru que tu avais rêvé.

- Non, je…

Sherlock le coupa de son regard perçant.

- Oui, finit-il par admettre.

Ah, tout de même. Cependant, cela ne lui plaisait pas.

- Je suis là, John. Je ne vais pas partir, je te le promets, ajouta-t-il en plongeant ses yeux profondément dans ceux de son meilleur ami.

- Tu n'as pas dormi, comprit enfin le médecin.

- Je n'avais pas sommeil, se contenta-t-il de dire. Vers sept heures je suis sorti pour aller chercher le chien.

Ses yeux se posèrent sur le chien aux pieds de Sherlock.

- Il a un nom ? Lui demanda-t-il.

- Non, je l'appelle LE chien.

- Ça ne m'étonne pas de toi, soupira-t-il.

Sherlock sentit ses sourcils se froncer. Pourquoi cette réponse ? En quoi… oh, et puis peu importait.

- Qu'as-tu fait de ta nuit ? finit par demander John.

- J'ai lu ton blog, répondit Sherlock d'un ton normal.

- Tu as lu mon... Je n'ai plus posté mes articles depuis... Depuis ce jour-là, lui dit-il sans comprendre.

- Je sais, admit-il. J'ai fouillé dans tes articles non postés sur ton ordinateur et je les ai lus, continua-t-il sans grande honte.

- Sherlock... C'est privé ! s'énerva John en posant sa main sur son front.

Où était le problème, enfin ?

- Ca me concerne ! Protesta-t-il.

- Ce sont MES...Ce sont de mes sentiments dont il s'agit, chuchota presque le blond.

- Des sentiments qui me concernent, dit-il sur le même ton en le fixant longuement.

John lâcha son regard et partit vers la cuisine. Sherlock entendit l'eau bouillir, et vint le rejoindre. Ce comportement, il le connaissait vraiment trop bien.

- Tu es fâché ? demanda-t-il d'un ton presque rhétorique.

- Bien sûr que je suis fâché ! rétorqua son colocataire, comme il le pensait.

Cependant, il ne comprenait pas en quoi cela le contrariait tant. Il s'assit sur la table de la cuisine et pianota la table de ses longs doigts. Ce qu'il avait lu était peut-être les sentiments de John, mais enfin, rien de honteux n'en était vraiment sorti, ou alors, et il était probable que ce soit le problème, il était un tel handicapé des sentiments qu'il n'avait pas compris certains sous-entendus dans les articles. L'eau bouillante fut déposée sur la table, et John disparut presque instantanément derrière un journal datant de plusieurs années. Rah, il fallait qu'il trouve un moyen de le dérider un peu. Visiblement, apprendre qu'il avait fouiné dans ses articles l'avait quelque peu énervé.

- John… tenta-t-il. Je suis touché et… plutôt flatté de tout ce que tu as pu écrire, avoua-t-il.

- Tu ne devrais pas l'être. Tu n'aurais jamais dû avoir accès à ces informations, grogna le blond sans se détourner de son journal.

- Si des gens écrivent sur des personnes ce n'est pas pour que les personnes concernées aient un jour accès à ces écrits ? s'étonna-t-il.

- Pas toujours, et pas dans ce cas-là, répondit-il sèchement.

C'était incompréhensible. Bien sûr, il était supposé être mort quand John avait écrit ces articles, mais il les avait écrits à son intention, en particulier les derniers, dans lesquels il lui demandait même directement de prendre soin de Mary, si ce n'était pas destiné à lui, alors il ne comprenait plus rien.

- Tu as tout lu ? demanda finalement John.

- Oui, déclara-t-il sans y penser.

Un immense soupir le fit regretter un instant d'avoir répondu ainsi. Peut-être aurait-il mieux valu ne pas avouer qu'il avait bel et bien tout lu. John devait considérer certains articles comme particulièrement gênants. Il pourrait tenter quelque chose pour rectifier son erreur…

- Non, c'est faux. Je n'ai lu que quelques articles et j'ai dit ça pour voir ta réaction, pour voir si je devais oui ou non lire le reste. J'ai ma réponse, sourit-il.

- Tu n'as pas changé, lui dit-il, très clairement soulagé, en baissant enfin son journal.

Alors, il avait eu raison de changer sa réponse. Il valait sûrement mieux qu'il ne sache pas. Il se serait peut-être éloigné de lui, par gêne, s'il ne l'avait pas fait.

- Je sais, répondit-il. Que peut-il y avoir de si gênant à propos de moi ?

- Ne cherche pas à savoir, l'intima-t-il. S'il te plaît... ajouta-t-il même d'une voix mielleuse qu'il n'utilisait toujours qu'en ultime recours.

Eh bien, il ne tenait vraiment pas à ce que certains articles soient lus. Il lui faudrait réfléchir plus longuement sur la question. Il mordilla sa lèvre et hocha la tête; autant continuer à faire croire à John qu'il ne connaissait pas le contenu de tous ses articles. Le médecin fronça très légèrement les sourcils, puis servit le thé qui avait fini d'infuser. Oui, cela valait mieux ainsi. John… n'avait pas à le savoir. Pas pour le moment du moins, il avait d'abord besoin de comprendre ce qui le dérangeait tant.

- Il faudrait quand même trouver un vrai nom à ce chien, sourit-il finalement.

- Tu crois ? "Le" chien, je trouvais que ça sonnait plutôt bien, dit Sherlock d'une voix songeuse.

- Je ne me vois pas sortir dans la rue et l'appeler comme ça, lança-t-il en soupirant.

- Tu prêtes trop attention à ce que les gens peuvent bien penser, John.

- Et toi, pas assez. Tu n'as même pas pensé à informer toi-même ton frère de ta miraculeuse réapparition, lui reprocha-t-il avec un petit sourire aux lèvres.

- Comme si ça t'importait, répondit Sherlock en haussant un sourcil. Il aurait fini par le savoir d'une manière ou d'une autre de toute façon !

- Il n'y a pas que lui, c'est simplement que...

- Que quoi ? Coupa-t-il.

- Comment as-tu survécu ? Je t'ai vu tomber, tout le monde t'a vu tomber et lorsque j'ai pris ton pouls, je n'ai absolument rien senti ! Tu étais là, devant moi, mort ! J'ai cherché mille raisons qui auraient pu faire en sorte que tout cela n'engendre pas le fait que tu sois réellement mort, réellement... plus là. Mais en vain ! Comment as-tu fait, Sherlock ? Comment as-tu réussi ce... miracle ?

Sherlock sourit. C'était donc là que ça coinçait. John voulait savoir. Mais il n'estimait pas le moment approprié pour lui avouer la manière dont il s'y était pris; les petites aides à la mascarade n'étaient pas toutes honorables, et il préférait l'épargner des visions qu'il en tirerait s'il lui disait tout.

- C'est un peu trop long et ennuyeux à expliquer et cela ferait perdre toute la magie à la chose, tu ne crois pas ? éluda-t-il.

- Non, répondit fermement John.

- Ah John, soupira-t-il. Est-ce que c'est réellement important ?

- Pour moi, ça l'est. Je ne t'ai pas vu pendant trois ans, convaincu que je n'allais plus jamais te revoir. Je ne dis pas que je ne suis pas heureux de te voir, je n'ai jamais été plus heureux, mais je n'arrive tout simplement pas à comprendre.

Son cœur manqua un battement. John venait de dire une chose que Sherlock n'aurait jamais soupçonné le toucher autant. Il en avait une boule dans la gorge, et il se sentait tout simplement heureux.

- Jamais été plus heureux ? demanda-t-il pour être certain d'avoir bien compris, ce n'était presque pas concevable pour lui qu'il ait dit une chose pareille.

- Jamais, confirma le blond, les joues rosissant.

Voilà, il se sentait véritablement heureux. Il garda ses yeux dans ceux de John, tentant de percer le mystère de ses joues un peu rouges et des pupilles dilat… non, non, ce n'était pas possible. Ce n'était probablement que la joie de le revoir, après tout ce temps, ces choses provoquaient de drôles de réactions parfois…

- Moi non plus, ajouta-t-il simplement en déviant enfin ses yeux.

Il avait lancé ça sans réfléchir, et il devait bien s'avouer que c'était très embarrassant.

- Je te demande pardon ? osa encore demander son meilleur ami.

- Tu m'as très bien entendu, John, se renfrogna-t-il.

Oui, il avait très bien entendu, et le dire une fois était déjà trop pour lui, s'il le répétait il deviendrait aussi rouge que lui, et ce n'était même pas envisageable.

- Et si je partais, là, maintenant ? demanda soudain John.

Quoi ? Pourquoi ? Qu'avait-il encore fait ? Pourquoi ? Pourquoi partirait-il ? Grand dieu non, c'était impossible qu'il fasse une chose pareille !

- Pourquoi le ferais-tu ? s'étonna-t-il d'une voix mesurée, mais la lèvre tremblante.

- Je n'ai jamais dit que je te pardonnais, rappela-t-il alors.

- John, protesta-t-il. Je-

Il se coupa lui-même. Ah non ! Non, non, non ! Il n'avait pas le droit ! Il ne pouvait pas… pas lui ! Non, non, non ! Mais quel… quel enfant, c'était scandaleux, comment pouvait-il seulement lui faire un coup pareil ? Rah, il exagérait, enfin !

- C'est immature, lui dit-il en sortant de sa bataille mentale. Surtout de ta part !

- Quoi donc ? Demandai-je avec une voix fluette teintée d'innocence.

- Tu mens. Tout dans ton comportement d'hier soir suggérait que tu ne voulais pas que je parte. Pourquoi partirais-tu, toi ? Oh bien sûr, tu as encore l'appartement que tu partageais avec ta défunte épouse, mais toi comme moi savons que tu n'y as pas mis les pieds depuis plusieurs jours et que ça ne risque pas de changer, du moins dans les prochains mois. Comment je le sais ? A cause de ta barbe mal rasée et des légères coupures que tu t'es fait qui indiquent que tu n'utilises pas ton rasoir habituel depuis plusieurs jours déjà, à cause du pyjama que tu portes qui a été acheté récemment - curieuse envie de faire du shopping juste après le décès de sa femme ? Soyons sérieux, et enfin plusieurs relevés qui se trouvent dans la poche de ton blouson et qui indiquent des notes d'hôtels pour les derniers jours. Autrement dit, c'est soit ici, soit l'hôtel. Mais quelque chose te retient ici et c'est moi. Car je t'ai manqué, John, et c'est pour cela que tu m'as presque supplié de rester hier soir, dit-il à nouveau d'une traite.

Et voilà, tout était dit. John ne pouvait plus le cacher, il ne partirait pas. Il ne partirait jamais. Pas vrai ? La voix douce de Molly résonna dans ses oreilles, chantonnant un léger 'Si tu veux qu'il garde sa confiance en toi intacte, fais ce qu'il faut.' en boucle dans sa tête. Puis il vit que John avait la bouche entrouverte, un regard perplexe et époustouflé à la fois planté dans les yeux, et il ne put s'empêcher de sourire, flatté de sa réaction. Cela lui avait bien manqué.

- Et le fait que tu veuilles me faire paniquer n'est sans doute qu'une raison de t'assurer que tu m'as manqué aussi et que je ne veux pas que tu partes, ajouta-t-il en se concentrant sur la théière, n'osant plus le regarder dans les yeux pour sa dernière réplique. La réponse est oui.

- Oui ?

- Ne me force pas à le dire, se plaignit-il en le regardant encore dans les yeux.

John ouvrit à peine la bouche que le chien jappa dans le salon, et Sherlock, trop heureux de pouvoir s'échapper de cette situation, se leva précipitamment, et l'appela pour sortir un peu.

- Je m'en charge !

- Attends ! Sherlock ! Tu ne m'as pas répondu pour ce que je t'ai demandé ! Sherlock ! Appela John dans une dernière tentative désespérée.

- Tu en es sûr ? demanda-t-il, faussement étonné. Ce n'est pas mon genre, je suis monsieur réponse-à-tout par excellence, non ? lui sourit-il. A plus tard, John !


John se frappait le front du poing lorsque Sherlock revint avec le chien en nage. Lorsque le blond s'aperçut de sa présence et de son regard plus qu'intrigué, suite à son appel soucieux, il se reprit vite, mais Sherlock avait juste eu le temps de voir une lueur de culpabilité dans ses yeux. Le temps de réaccorder les données acquises depuis son retour, et il comprit bien vite ce qui le tourmentait. Mary. John lui avait lui-même dit qu'il n'avait jamais été aussi heureux que ce jour-ci, alors que sa femme était morte depuis peu. Il y avait de quoi culpabiliser… il le supposait du moins, parce que lui-même se fichait de ce genre de sentiments.

- Tout va bien, tenta le blond, un faux sourire aux lèvres qui le fit tiquer. Il faut… Il faut que…

- Que ? demanda-t-il, perplexe.

- Que j'aille faire les courses ! acheva précipitamment son colocataire en bondissant de sa chaise.

Il mit un petit instant à réagir, ne comprenant pas immédiatement le sens de ces paroles, puis il se réveilla un peu.

- Oh ! dit-il alors. Oui tu as raison, le frigo est vide... Il faudrait que j'aille faire des courses aussi, acheva-t-il, rien que pour tester les capacités de réaction de son colocataire –en combien de temps comprendrait-il le sous-entendu ?

- Bien, très bien… marmonna le médecin d'un air absent, avant de voir son sourire s'étendre, où il réagit au quart de tour. PAS DE TÊTE ! hurla-t-il en attrapant son manteau.

- Cela ne dépend pas de moi ! dit la voix enfantine et enjouée du brun, ravi de revoir le John qu'il avait connu.

Dès qu'il entendit la porte d'entrée claquer, il bondit dans le salon, attrapa le chien qui s'était couché sur le fauteuil et l'embêta de tout son soûl, lui attrapant les babines, titillant ses oreilles, grattant son ventre et sa tête.

- La vie ici va être fantastique ! lança-t-il, bourré d'enthousiasme.

- Oui, elle deviendra certainement beaucoup plus mouvementée à partir de maintenant, lui répondit une voix de femme enrouée.

Il se retourna et rejoignit Mrs Hudson en deux pas pour lui faire un baiser sur le front.

- Vous ne vous rendez pas compte ? Tout a changé, et pourtant, j'ai l'impression que tout est comme avant. Vous n'avez absolument rien bougé ici. Ça fait du bien de revenir ici, lui avoua-t-il, alors qu'elle lui caressait maternellement le bras droit.

- Si tu savais combien tu nous as tous manqués… soupira-t-elle, les larmes aux yeux. Tu… Tu es parti si longtemps Sherlock, je…

Il la prit tendrement entre ses longs bras, la serrant contre son abdomen. Il espérait qu'il n'aurait pas à parler de cela, mais elle aussi lui avait terriblement manqué.

- Veux-tu un thé, Sherlock ? demanda-t-elle quand il l'eût relâchée.

- J'en ai assez eu pour l'instant, merci Mrs Hudson, dit-il avec un sourire aux lèvres.

Oui, assurément, la vie dans cet appartement reprenait, et s'annonçait splendide ! Il ne comptait pas regretter son choix, quelles que furent ses hésitations. Il se souvenait vaguement de l'année passée, quand peu avant le vingt-cinq décembre, il avait disparu de chez Molly, la laissant avec un message sur son portable de quelques mots lui disant qu'il risquait de ne pas revenir, selon la situation dans laquelle il serait. Il la soupçonnait d'avoir passé le pire Noël de sa vie, en compagnie de John, Lestrade et Mrs Hudson et tentant malgré tout de sourire.

Puis, il était revenu un bon mois plus tard, une balafre lui déchirant la joue, qui par chance avait facilement cicatrisé, et un trou dans le ventre qui lui avait fait mal un bon bout de temps. Il ne lui avait jamais expliqué ce qui avait causé cette terrible blessure. Comment expliquer à la jeune femme qu'elle était qu'il s'était retrouvé au milieu d'Edimbourg à se battre à l'épée sur la place centrale de la ville ? Non, il préférait garder ces choses pour lui. Il sourit encore, et alla s'allonger sur son canapé, alors que Mrs Hudson redescendait, toute guillerette.

Il se releva bien vite, lorsque John revint, chargé comme un bœuf, et appela à l'aide. Il lui adressa un énorme sourire, et s'empara des deux énormes sacs de courses, s'inquiétant, plus par habitude qu'autre chose, du nombre de condiments qu'il avait pris.

- Tu aurais dû me dire que tu allais prendre autant de choses. Je serais venu avec toi pour t'aider.

- Je te demande pardon ? Qu'est ce qui t'es arrivé durant ces trois ans ? Tu t'es transformé en... un gentil ? plaisanta le blond s'asseyant dans son fauteuil.

- Vivre avec Molly doit avoir certains avantages je suppose... ça créé de nouvelles habitudes, expliqua-t-il en rangeant les courses. Je lui devais beaucoup et cela aurait paru inconvenant de ne pas faire tout ce que je pouvais pour l'aider en retour...

- Mais encore ? Tu ne m'as toujours pas expliqué comment tu avais fait... Que dois-tu à Molly exactement ?

- Ma vie, répondit-il simplement en baissant les yeux.

Ce fut le silence, et Sherlock rangea les dernières bouteilles qui traînaient au fond des sacs, puis vint à la rencontre de John, se planta devant lui, l'observa un peu. Il avait l'air contrarié, et livré à une bataille intérieure qui dépassait son entendement, aussi il décida de continuer un peu plus loin sa route et de s'emparer de son violon. Il se tourna à nouveau vers son ami.

- A quoi réfléchis-tu ? lança-t-il enfin après quelques minutes.

- A la meilleure façon de te faire avouer des explications, lâcha le blond, sans que Sherlock n'en croie un mot, le regard qu'il avait vu n'était pas interrogateur, mais bien torturé.

- Dans ce cas, j'aimerais en avoir aussi, dit-il alors d'un ton nonchalant, le laissant en paix avec ce problème pour le moment.

- A propos de ? lui demanda John, l'air étonné.

- Mary Morstan.

- Tu te rends bien évidemment compte que je n'ai absolument aucune idée d'où tu veux en venir ?

- Je crois que si. A propos de ça, et aussi à propos de tes articles non publiés.

- Je refuse de parler de ça, répondit-il sur un ton définitif.

- Pourquoi pas ? s'étonna-t-il; il fallait bien se l'avouer, il ne comprenait toujours pas en quoi cela le gênait tant de parler de choses pareilles.

- En trois foutues années tu n'as toujours pas compris qu'il y a des choses qui se font et d'autres qui ne se font pas ?! dit alors le blond en haussant le ton.

Il leva les yeux au ciel et haussa les épaules en redéposant son violon sur son support. Non, il n'avait pas compris, ou plutôt il s'en fichait, il allait où il voulait s'il le voulait, John devait tout simplement trouver un moyen plus original de faire ses mots de passe.

- Elle me ressemblait, insista-t-il.

- Je ne veux pas le savoir, coupa-t-il.

- Mais tu le sais déjà, c'est toi qui l'a écrit.

- Je ne veux pas parler de ça.

John était fébrile, il le voyait très bien. Quelque chose de très mauvais s'était produit. Quelque chose qu'il ne se pardonnait visiblement pas. Et Sherlock était bien décidé à le découvrir, d'une manière ou d'une autre. Il le regarda une dernière fois, et, tout d'un coup de fort méchante humeur, il partit se réfugier sur son canapé, dos à la pièce. Pourquoi John devait-il tout compliquer ainsi ? Il ne lui faisait donc pas confiance ? Que craignait-il en lui parlant de Mary ? Si tu veux qu'il garde sa confiance en toi intacte, fais ce qu'il faut. Non, non, il fallait qu'il se sorte cette phrase de sa tête, elle ne faisait qu'embrouiller ses idées.

Mais pourquoi, pourquoi John lui cachait-il cette histoire ? Même en lisant tous ses articles non publiés, il n'avait trouvé aucune explication, hormis le fait qu'il s'en voulait terriblement pour quelque chose qui s'était produit, et qu'il ne faisait qu'évoquer, sans même mentionner de quoi il était question, mais simplement des excuses à son égard. Rien. John ne faisait confiance à personne, à rien même, puisque ses écrits eux-mêmes n'hébergeaient rien qui explique ce qui s'était passé. Il ne comprenait pas…

- On fait un marché ? lança alors son ami, à l'autre bout de la pièce.

Il tendit une oreille en grognant un semblant d'interrogation non intéressée.

- Si tu m'expliques comment tu as fait pour survivre dans les moindres détails, je te dirai ce que tu veux savoir à propos de Mary et de votre ressemblance, proposa-t-il alors.

- Donc elle me ressemblait vraiment, souffla-t-il après un moment de réflexion.

Bien sûr qu'elle lui ressemblait, il avait lu sa description. Mais il n'avait tout simplement pas envie d'y croire. John… John avait trouvé la personne qui lui convenait, tous ses bons côtés à lui renforcés par d'autres qualités encore. Il sentait une contraction dans son estomac qui le mettait plutôt mal à l'aise. John avait trouvé mieux que lui. Pourquoi restait-il ici, dans ce cas ?

- Tu n'avais pas l'air d'en douter tout à l'heure, lui remarquer le blond en haussant un sourcil d'étonnement.

Il haussa une fois de plus les épaules, et ne répondit pas. Il n'était vraiment pas prêt à dire le petit secret de sa survie… et les inquiétudes qui avaient suivi. Ce n'était vraiment pas nécessaire.

- Tu t'es finalement décidé ? demanda-t-il d'une traite pour changer de sujet.

- De quoi tu parles ?

- Pour savoir si tu restais ici ou si tu retournais chez Mme Morstan.

- Mary, Sherlock, Mary. Comment diable peux-tu être au courant de ça ?

Ben voyons, c'était évident ! Il ouvrit la bouche pour faire ses explications, mais se fit couper par un signe de la main qui lui indiquait clairement qu'il n'avait pas à se donner cette peine.

- J'avais oublié à quel point c'était agaçant de t'avoir comme colocataire, dit simplement John.

Pardon ? Pardon ? Il osait lui dire une chose pareille à un tel moment ?! Bon sang, mais il ne comprenait donc pas par quoi il passait ? Bien sûr que non, John était loin d'être un génie, comment pourrait-il seulement comprendre ? Il se leva brusquement et alla se cacher dans sa chambre.

- Heu… tout va bien ? tenta le médecin, de l'autre côté de la porte encore entrouverte.

- Je vais bien, répondit-il froidement en claquant la porte et en la fermant à clé.

Comment pouvait-il lui dire une chose pareille ?! Il savait bien qu'il était loin d'être parfait, mais enfin, s'il était si agaçant, alors pourquoi exactement John avait-il dépéri ainsi, hm ? Et s'il ne lui convenait pas, il n'avait plus qu'à repartir vivre dans son autre appartement, il ne le retenait pas ?

'Abruti.' pensa-t-il en donnant un coup de pied dans son pied de lit. Plus jamais il ne referait ça. Plus jamais, ses orteils le lui interdisaient formellement. John l'énervait au plus haut point. Mary n'était plus là, alors pourquoi John culpabilisait-il autant que le montraient ses yeux désespérés ? Il entendit vaguement les grattements et gémissements du chien, mais il s'en fichait. John le trouvait agaçant. Agaçant. Il tournait en rond depuis plusieurs heures, puis il tendit l'oreille; pas un bruit. Il ouvrit la porte doucement, la referma et jeta un œil dans le salon; John dormait sur le fauteuil dans une position qui n'avait pas l'air très confortable.

Il aurait sûrement souri, s'il n'était pas aussi énervé contre lui. Il jeta un œil au paquet de thé qui traînait sur la table, le renifla un instant, et s'éloigna; cette odeur de fleurs et d'amandes lui était très désagréable, un mélange tout simplement imbuvable.

- Sherlock, entendit-il d'une voix qu'il n'avait plus entendue depuis longtemps.

Il se tourna face à son frère –qui avait encore pris du poids depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. Il fit un signe de tête vers l'étage du dessus, lui indiquant qu'aucune discussion ne se ferait en présence du blond endormi. Mycroft le laissa passer devant lui, et le suivit dans la chambre du dessus. Lorsque Sherlock eut fermé la porte, il prit la parole.

- Qu'y a-t-il Mycroft, pourquoi viens-tu jusqu'ici aujourd'hui ?

Son frère eut un léger sourire et baissa les yeux sur ses doigts manucurés.

- J'ai été… surpris d'entendre parler de ton retour. J'aurais peut-être dû faire un peu plus attention, lorsque tu apparaissais sur les caméras, tu étais plutôt reconnaissable par moments… Mais je ne suis pas ici pour parler de cela.

- Crache le morceau Mycroft, je ne veux pas y passer la journée.

- Moran. Voilà ce qu'il se passe.

- Quoi, Moran ? Il n'y a aucun problème avec Moran, il se cache, il ne se passera rien, répondit Sherlock, les sourcils froncés, sans comprendre où son frère voulait en venir.

- Comment peux-tu en être aussi sûr, Sherlock ?

- J'ai la situation bien en main, ajouta-t-il en croisant les bras, se fermant à toute contestation de Mycroft, qui insista pourtant.

- Non, Sherlock, tu ne l'as pas en main, et tu le sais aussi bien que moi. Si tu l'avais bien en main, tu ne serais jamais revenu ici, tu aurais continué tout seul à chercher le dernier membre de l'organisation ! Allez, que se passe-t-il ? Tu sais ce qu'il vaut, il faut que tu bouges !

- Je te répète que tout est sous contrôle, Mycroft ! s'énerva Sherlock, qui ne supportait pas que cet abruti vienne lui dicter sa conduite, alors que c'était avant tout sa faute s'il avait été obligé de disparaître tout ce temps.

- Il est plus qu'évident que tu avais la situation bien en mains mais tout le monde sait que tu es de retour à présent, Sherlock.

- Et alors ? s'écria-t-il en faisant un pas agressif en avant. Tu crois sérieusement qu'il va risquer de s'en prendre à moi maintenant ? Mon retour l'aura pris au dépourvu, il doit d'abord établir un plan et cela prendra du temps, il le sait, je le sais et tu le sais aussi Mycroft !

- Et combien de temps crois-tu qu'il lui faille ? Ce n'est pas n'importe qui, Sherlock, ne le sous-estime pas comme tu sous-estimais Moriarty, lui répondit son frère avec une voix teintée de quelque chose qui semblait s'approcher de l'inquiétude.

- C'est hors de propos, ragea-t-il. Ça n'a absolument rien à voir et je n'ai pas envie de me mettre à sa recherche immédiatement. Cette conversation est close !

Il se dirigea vers la porte, bien décidé à sortir, quand Mycroft le prit au dépourvu.

- Pourquoi donc ? Est-ce que ton retour ne s'est pas fait comme tu l'avais prévu ? Qu'est ce qui peut te retenir d'agir tout de suite ? D'habitude, tu ne laissais pas des ordures comme lui vagabonder en liberté ainsi...

Il resta un moment silencieux, figé avec la main sur la poignée, puis la relâcha doucement, en soupirant encore pour la forme. La raison, c'était John. Pour le moment, il ne voulait pas s'embarrasser d'affaires –le réaliser était très étrange pour lui-, il ne voulait que retrouver l'endroit où il se sentait chez lui. Mettre en travers de son chemin l'affaire Moran… non, pour l'instant, il ne voulait pas. Il revint en arrière, et quand il fut suffisamment proche à son goût de son frère, il dit doucement :

- Je dois d'abord régler certaines choses.

- Est-ce que ça a quelque chose à voir avec John ? demanda alors son frère, un sourire amusé aux lèvres.

Cette fois, il n'hésita plus. Il s'élança vers la porte, et l'ouvrit violemment, furieux, pour repartir s'enfermer dans sa propre chambre. Pas question qu'il voie encore qui que ce soit aujourd'hui, tout le monde s'était passé le mot pour l'exaspérer, il allait craquer si ça continuait comme ça.

Deux bonnes heures plus tard, pendant lesquelles des voix résonnaient dans la chambre de John, des coups furent donnés à la porte. Il resta silencieux, allongé en boule dans son lit, dos au monde, le nez dans son oreiller. Pas question qu'il laisse encore quiconque l'énerver. Les coups reprirent, et John l'appela doucement, lui demandant de lui ouvrir. Non ! Non, il n'allait pas faire plaisir à cet idiot alors qu'il était si agaçant ! Qu'il se débrouille sans lui ! Mais il savait se montrer patient; il prenait son temps entre chaque appel, et finit par menacer de défoncer la porte s'il n'ouvrait pas. Pourquoi ne pouvait-il pas le laisser tranquille ?! Qu'il vive donc sa vie sans lui, ce n'était pas nécessaire de continuer comme ça ! Il soupira d'exaspération, et sortit lentement du lit.

- Tu l'auras voulu, idiot ! s'énervait de l'autre côté de la porte le blond. Un, deux, tro - Aïe ! s'exclama-t-il quand il percuta de sa main le corps de Sherlock, qui avait enfin ouvert. En quoi sont faits tes abdominaux ? En béton ? gémit-il en se massant les doigts.

En os en fait, il avait touché ses côtes.

- Je suis là, soupira-t-il. Qu'est-ce que tu veux, John ? continua-t-il, ne désirant que retourner se cacher dans son coussin, et éventuellement réussir à se reposer un peu.

- Je... heu...te parler... Si tu veux bien, répondit John, clairement pris au dépourvu.

- Pour le bien de cette porte et de toutes celles qui me sépareront de toi, je ne crois pas avoir le choix à ce stade, grogna Sherlock en s'appuyant au cadran de sa porte.

Il regarda John fermer les yeux, agacé –si cela l'énervait tellement, pourquoi le déranger ?- et marmonner avant de se lancer :

- Quel est ton but, au juste ? Pourquoi m'avoir averti que tu étais vivant si c'est pour mettre autant de distance entre nous deux ? demanda-t-il d'une traite.

La question laissa Sherlock sans réponse un instant. Et voilà qu'il s'emportait à nouveau. Pourquoi était-il revenu, si… oui, pourquoi, alors que John le supportait beaucoup moins bien qu'avant ? Si tu veux qu'il garde sa confiance en toi intacte, fais ce qu'il faut.

- Je me le demande, marmonna-t-il.

- Pourquoi est-ce que tu ne m'as tout simplement pas laissé vivre sans toi ? lui demanda alors John du tac au tac, et cela lui porta un coup dur.

Alors voilà. Trois ans qu'il s'était coupé de tous ses liens affectifs pour s'occuper de l'organisation Moriarty, il ne lui restait plus que Moran, il avait prévu de s'en charger avant de rentrer; pourtant il ne l'avait pas fait. Pourquoi ? Parce que plus le temps passait, et plus le fait de ne plus voir John lui pesait. Il était rentré beaucoup plus tôt que prévu, et pour quoi ? Pour se faire jeter ? Il n'arrivait même pas à comprendre pourquoi John lui disait une chose pareille; quelques heures auparavant, il disait encore qu'il n'avait jamais été aussi heureux.

- Je... commença à nouveau le blond, l'air coupable.

- Je l'ai fait, le coupa-t-il. Pendant trois ans. Mais tu as raison, je suis revenu... Ce n'était pas dans le plan. Je ne devais plus jamais revenir. Je devais disparaître de ta vie, expliqua-t-il, les yeux brillants, ne pouvant pas contenir son amertume. Et ça aurait dû être facile, je sais me détacher facilement. Ma vie aurait dû être construite ailleurs et je n'aurais jamais dû avoir de contact avec toi, t'informer que j'étais vivant. Tout aurait dû se passer de cette façon.

- Mais ? tenta l'autre, qui ne comprenait pas grand-chose à ce qu'il lui expliquait.

Il fronça les sourcils, mais quelque chose dans le regard de John le fit réaliser; ce n'était pas qu'il ne voulait pas de lui, mais simplement qu'il n'était plus habitué à son comportement. Il tenait toujours autant à lui, du moins c'était ce qu'il voyait là. John ne voulait pas le perdre encore une fois. Aussi, il ravala sa réplique cinglante, qui lui aurait cloué le bec pour de bon, et évita ainsi d'avouer pour qui exactement il était revenu, et préféra énoncer les faits.

- Mais rien du tout. Ce ne sont que de simples constatations. Le reste, tu le vois comme quiconque, je suis à présent devant toi.

- Je pensais plutôt à la raison qui t'avait poussé à revenir, insista-t-il encore.

Sherlock se tendit, ferma la porte, changea vite fait de tenue, alors que John s'inquiétait et toquait, puis la rouvrit.

- Qu'est-ce que…

- Sortons prendre l'air, décida-t-il d'un ton impérieux.

- A cette heure-ci ? s'étonna John.

- On peut aller manger quelque part, si tu veux, répliqua-t-il en prenant ses clés posées sur le bureau du salon.

En entendant le bruit des clés, le chien, qui était resté calmement allongé sur le canapé depuis l'incident avec Mycroft, se redressa et courut vers eux en remuant la queue et en gémissant.

- Tu connais un restaurant qui accepte les chiens ? A moins que la réponse soit oui, nous allons devoir sortir la bête avant d'envisager d'aller autre part.

- Hm, se contenta-t-il de répondre en hochant la tête.

- Je ne comprends pas tellement tes changements de comportement depuis hier soir, lança John après une dizaine de minutes de marche.

Sherlock resta silencieux, fixant le chien qui tirait à la laisse qu'il tenait à la main. Ses changements de comportement étaient dus à son retour, au fait que John lui fasse des réflexions, et surtout… surtout à cette maudite phrase qui lui tournait toujours dans la tête. Il savait que Molly, quand elle avait quelque chose sur le cœur, disait des choses très justes; et ce qu'elle lui avait dit le mettait très mal à l'aise. Il avait l'impression de ne plus être à sa place, même aux côtés de John, qui pourtant faisait tout ce qu'il pouvait pour l'accueillir à nouveau dans sa vie.

Mais John avait vécu un mariage pendant que Sherlock stagnait depuis trois ans, sa vie se réduisant à la poursuite des fidèles de Moriarty. Et ce nom qui était apparu… Sebastian Moran. Le nom qui était au bout de toutes les langues, dans l'ombre de tout. Il était heureux d'être revenu, et pourtant il craignait la suite des événements; et si… et s'il avait fait une erreur ? Mycroft l'avait bien assez soulevé, il fallait retrouver Moran au plus vite.

Mais le problème était que Moran était caché dans l'ombre. Avant de le trouver, il faudrait affronter des dangers qu'il ne pouvait plus se permettre à présent. Il ne regrettait absolument pas d'être revenu au bercail, mais il n'avait plus le droit de vagabonder comme ces trois dernières années, sans prendre en compte les dangers qu'il ferait courir à ses proches. Il était vivant, et cette information allait tourner à une vitesse record. Si une personne dans le monde de la criminalité était mise au courant, alors tous seraient bientôt au courant. Il ne voulait, ne pouvait plus partir alors que John lui avait dit combien il était heureux de le savoir vivant. Il ne le lui pardonnerait pas s'il disparaissait à nouveau. Oui, John était heureux… et pourtant, il s'en voulait pour Mary, le comparait à Mary, le…

- Désolé de ne pas être le colocataire idéal. Mary devait sans doute être beaucoup plus facile à vivre. D'ailleurs elle était meilleure que moi dans presque tout, si j'ai bien compris ? Moi, en mieux. Je comprends que tu sois à ce point déçu de retomber dans du bas de gamme, acheva-t-il d'une voix morne.

Cela le touchait beaucoup plus que cela ne le devrait. Mais ce qu'il avait fait pour John… son ami réalisait-il seulement ce que cela signifiait, de se faire passer pour mort ? Connaissait-il la frayeur que c'était de sauter, et de penser que la moindre petite erreur de calcul serait fatale ? Et la balle, passée à quelques millimètres de son oreille, alors qu'il atterrissait sur le camion… Il avait été terrifié, ce jour-là. Mais il l'avait fait. Pour lui. Parce que Moriarty lui avait laissé sa chance. Il était désemparé, et probablement triste aussi, de voir que John ne comprenait pas tout cela. Et qu'il préférait penser à Mary plutôt qu'à sa vie qui reprenait.

- Il faut croire que le temps où j'admirais ton intelligence est terminé, le railla le blond.

- Pourquoi continuer quand tu sais qu'il y a tellement plus fascinant et mieux que moi, effectivement, dit sa voix rauque.

Il n'en pouvait plus, pourquoi fallait-il que John soit si difficile à comprendre ?

- Tu...Sherlock...

- Inutile de te justifier. Je comprends... Enfin j'essaye. Si tu veux, je ne t'embêterai plus, acheva-t-il sincèrement.

Il continua sa route sans vraiment réaliser que John s'était arrêté et qu'il était le seul à marcher encore, puis il sentit une traction à son poignet, et il fit tiré dans une ruelle où il le poussa violemment contre le mur; il eut un hoquet de surprise douloureuse, et planta ses prunelles dans celles de John, qui avait l'air réellement en colère. Qu'avait-il encore fait ?

- Tu crois ... As-tu ... Comment as-tu pu croire, ne serait-ce qu'une seule seconde, que quiconque sur cette maudite planète pourrait t'égaler, te surpasser et te remplacer ? cria-t-il à son attention.

Cela lui paraissait pourtant évident; tout le monde avait des défauts, et il avait d'excellentes raisons de croire qu'il était l'une des personnes les plus insupportables de Londres; après tout, il faisait tout pour donner cette impression. Cependant, cette phrase lui fit du bien; John ne voulait définitivement pas le laisser tomber alors qu'il venait de le retrouver.

- Tu, commença-t-il en le pointant du doigt. Tu n'as... aucune idée, vraiment aucune...Tu ne sais rien de ce que j'ai pu endurer durant ces trois ans ! RIEN DU TOUT ! Tu... Tu m'as tué de l'intérieur, Sherlock !

Ses sourcils formèrent un arc étrange; donc, John avait bel et bien eu quelque chose qui s'approchait de sa propre détresse. Mais lui, il n'avait jamais eu la tentation de revenir à lui, comme cela avait été le cas pour Sherlock. Lui, il ne savait pas que c'était bien plus simple que cela pouvait le paraître. Pendant trois ans, Sherlock aurait pu soudainement franchir le pas de la porte et se planter devant John, avec un sourire, une tête ou une lance à la main. Moins il aurait attendu, plus la réaction de John aurait été un sourire, un petit sourire de contentement en voyant l'habituel.

- La seule chose qui m'a permis de ne pas devenir fou, c'était de penser que quelque part, tu n'étais pas mort, que tu pouvais encore vivre à travers moi, à travers les souvenirs que j'avais de nous ! C'est pour cela que Mary me faisait me sentir bien ! Elle me rappelait toi ! Je..., déglutit-il. Je suis un monstre ! Je ne l'ai jamais aimée pour elle, je ne l'ai aimé que parce que je pouvais t'ai... il se coupa et se reprit. … t'atteindre à travers elle !

Il ferma les yeux et sembla plongé dans un immense conflit. Sherlock commençait à comprendre pourquoi il se sentait si coupable. Il n'arriverait jamais à saisir la difficulté d'une telle situation, mais il comprenait mieux. Il resta appuyé contre le mur dans son dos pendant que son meilleur ami se remettait de ce qu'il venait d'avouer. Le chien gémit à côté d'eux, placé entre leurs pieds, et ce fut là que tout bascula dans la tête de Sherlock.

- JOHN ! hurla-t-il alors qu'il le voyait s'effondrer, le regard éteint.


Et voilà.

Alors, qu'en avez-vous pensé ?

N'oubliez pas d'aller lire, si ce n'est déjà fait, Le cri du cygne de Yuumi33 ! Et si vous voulez bien prendre un instant pour dire ce que vous en avez pensé, ce qui vous a plu, moins plu, carrément dérangé ou ce que vous avez trouvé tout simplement génial, dites-moi tout !