Prologue.
Je n'aime pas les gens qui ont les yeux bleus.
Je suis toujours là, assis à ma table, dans mon resto favori. Cette table, ça fait des années que je m'y assois. Elle est toujours libre. J'attends que la serveuse vienne me voir. Elle est blonde mais elle n'a pas les yeux bleus, ils sont gris. A ses sourcils, je suis sûr qu'elle est brune, au naturel. Ça ne fait pas longtemps qu'elle travaille là. Elle ne me connaît pas, elle ne fait pas encore de favoritisme et ne m'appelle pas Harry. J'aime bien, ça me donne l'impression, à moi, d'être nouveau.
Je bois une gorgée de vin puis m'installe plus confortablement. C'est toujours un peu long, dans ce restaurant. Le cuisinier aime prendre son temps. Moi aussi. Je savoure l'instant. Je suis tranquille et j'observe.
Les clients ne sont pas nombreux. Un couple seulement. Je les observe de ma table qui est dans un coin. Ma table est parfaite pour observer. On y voit tout. Toute la salle, tout le monde. Et personne ne regarde jamais dans ma direction. Alors, tout est parfait pour observer. Je tends l'oreille, mais je n'arrive pas à percevoir ce que se disent les gens. Ils sont un peu trop éloignés. Tant pis. La femme, dont je ne vois que les cheveux bruns au carré et la cambrure du dos, éclate de rire. Toi, l'homme blond qui est en face d'elle, tu esquisses seulement un demi-sourire. Tes gestes sont lents et calculés alors que tu manies ta fourchette pour découper ta viande. Tes cheveux sont un peu longs, ils tombent sur ton front et dans ta nuque pâle.
La serveuse m'arrache à ma contemplation. Elle me sourit, je lui réponds. Elle me demande ce que je prends, je lui récite ma commande par cœur. Elle s'en va.
Je croise ton regard alors que tu t'es rendu compte de ma présence. Tu as les yeux bleus.
Je n'aime pas les gens qui ont les yeux bleus.
Tu me regardes un instant, je tente un sourire auquel tu ne réponds pas. Tu te désintéresses et retourne à la jeune femme qui attire ton attention en te servant un verre de vin.
Je commence à avoir faim, je jette un œil vers les cuisines, comme si ça allait faire accélérer les choses. Vous vous levez, toi et ton amie. Ta fiancée, peut-être ? Je n'ai pas le temps de voir sa main gauche, mais toi tu ne portes pas d'anneau. Qu'importe, elle se pend à ton bras et tu lui souris. Tes lèvres s'étirent étrangement, comme si elles étaient forcées par quelque chose. Tu paies, elle te remercie, vous sortez. Je ne vous vois plus.
La serveuse revient avec mon assiette fumante. Du saumon, comme je l'aime. Quatre autres clients entrent, une famille. Je les évalue du regard, ma fourchette en l'air au dessus de mon poisson. Ils me saluent avant de s'asseoir et ne plus se préoccuper de ma présence. Je termine mon plat en silence. Je paie, la serveuse me remercie, je sors. L'air froid me frappe de plein fouet, je rentre les épaules et je me dirige chez moi en frissonnant. Rien ne m'attend à la maison, mais je n'aime pas le froid.
Une semaine passe, et je te revois. Toi, le blond aux yeux si bleus qu'ils me font froid dans le dos. Tu es accompagné par une autre jeune femme, cette fois-ci, brune elle aussi. Elle a une robe décolletée dans le dos où sa peau est marquée par une multitude de grains de beauté. Tu la fais rire, comme la précédente, la semaine d'avant. Tu m'intrigues un peu, tu as une sorte d'aura magnétique mais tu sembles froid et désintéressé. Comme le bleu de tes yeux. Ce bleu si étrange. Il ressemble à celui d'un océan dans lequel on voudrait s'enfoncer. Ce bleu qui comme un gouffre limpide me tend les bras pour mieux m'étouffer, me noyer. Le bleu est une couleur changeante, jamais sûre. Elle peut être dangereuse. Lorsque le ciel est bleu, ça ne dure jamais longtemps. Tu ressembles à une personne changeante. Où est la jeune fille qui se pendait à ton bras et qui riait à la même place que celle qui est ici, désormais ? Tu t'en serais déjà lassé ? Tu croises à nouveau mon regard qui se fait sûrement trop insistant. Je ne me détourne pas, cette fois un infime sourire glisse sur tes lèvres. Tu es étrange. Remarque, tu as les yeux bleus. Tu rejoues le même scénario que la dernière fois, tu paies et tu t'en vas avec cette brune. Elle te lance des regards admiratifs qui me dégoûtent plus qu'autre chose. Tu as l'air de partager mon point de vue, mais vous disparaissez bien vite au coin de la rue.
Les jeudis suivants, tu reviens. Toujours avec une femme différente. Tu es avec une blonde, cette fois. Oh, elle n'est pas aussi blonde que toi, c'est certain. Tes cheveux sont couleur de lune alors que les siens sont dorés, un peu comme les blés. Tu t'assois encore de façon à ce que je puisse te voir. De façon à ce que nos regards se croisent, que je voie le tien, trop bleu. Je me fais sûrement des films. Je ne sais pas pourquoi tu fais ce manège, ni pourquoi tu viens toujours le jeudi à la même heure ou encore pourquoi tu me fixes d'un air pensif comme tu es en train de le faire en ce moment. Peut-être que je t'ai trop détaillé. Je commence d'ailleurs à connaître tes traits par cœur, c'est là qu'il me faut m'inquiéter. Ton visage pointu, qui te donne un air un peu supérieur, la minuscule cicatrice argentée au coin de tes lèvres, ton sourire à la fois parfait et insincère, tes cils si clairs qu'ils en paraissent transparents et encadrent tes yeux bleus, toujours bleus.
Je n'aime pas les gens qui ont les yeux bleus, mais je ne sais pas si je ne t'aime pas non plus. Je me fais sûrement avoir.
Tu es quelqu'un de fascinant. Je dois être fatigué pour penser à cela. Je ne te connais pas et toi non plus. Tu pourrais quitter ce restaurant à jamais, ne plus venir les jeudis, me laisser à mes contemplations mornes et sordides des autres gens. Je ne sais pas pourquoi je te considère différemment. Je devrais te détester, avec tes grands airs assurés et ce bleu hypocrite qui miroite dans tes iris. Nos regards se touchent à nouveau et s'accrochent, toujours un peu plus longtemps que précédemment. Mal à l'aise, je me lève. Il me faut de l'air. Je passe devant votre table en enfilant ma veste et je sors pour fumer. Je m'y suis remis il y a deux semaines, j'avais arrêté quatre ans auparavant. Je ne sais pas pourquoi l'envie, ce besoin pressant, de nicotine est revenue. J'inspire une bouffée qui m'irrite la gorge et l'étau étrange qui m'enserre la poitrine s'en va peu à peu.
« C'est vous, Harry James Potter ? » entends-je, juste derrière moi.
Je tressaille, j'ai reconnu ta voix veloutée et grave, un peu traînante. Comment me connais-tu ? Nous sommes nous déjà rencontrés par le passé... ? Cela expliquerait mon obsession à te dévisager sans cesse et tes yeux posés incessamment sur moi. Je pivote sur moi-même, prenant soin de ne pas faire attention à tout ce qui remue en moi. Mon cœur qui s'accélère, mes mains qui tremblent un peu, la curieuse sensation qui voltige dans mon ventre, alors que je lève les yeux vers toi. Tout cela est ridicule, je ne te connais même pas. Je me force à prendre un air assuré. Tu fais bien dix centimètres de plus que moi. D'un air calme, tu me tends ma carte vitale alors que je fronce les sourcils. Tu m'expliques :
« Vous l'avez faite tomber, toute à l'heure, quand vous avez mis votre veste. »
Mes joues s'échauffent, je dois avoir l'air con. Je reprends ma carte d'entre tes doigts fins et te remercie sous ton regard pénétrant. Je m'attends à ce que tu retournes à l'intérieur mais non, tu regardes ma cigarette que je tiens encore entre mon index et mon majeur. Merde, elle s'est éteinte, je l'avais oubliée.
« Vous... Vous en voulez une ? » Je bégaie, maladroitement.
Tu t'appuies contre le mur et tu me souris. Je prends ça pour un oui. J'ouvre le paquet avec mes doigts malhabiles et te le tends pour que tu te serves. Tu coinces la cigarette entre tes lèvres pâles et je te l'allume avec mon briquet. Je me sens gauche. Tu te recules à nouveau et tu fermes les yeux. Plus de bleu. Tu ressembles à un acteur avec tes manières élégantes et un peu trop poussées à mon goût. Moi, j'écrase ma clope à moitié consumée, je n'ai plus envie de fumer. Je frissonne, il ne fait pas chaud dehors. La serveuse passe sa tête à la porte. Elle me sourit et m'annonce que je suis servi. Tu as rouvert les yeux et tu recraches la fumée blanche qui a empli tes poumons alors que je cherche quoi dire.
« Bon, ben... J'y retourne.. Heu, merci pour ma carte... Monsieur. » j'ajoute piètrement.
Je me sens lamentable. Tu souris encore. Ouais, tu fais bien partie de ces gens-là, devant lesquels chaque geste que je fais parait pitoyable.
« Je m'appelle Draco Malfoy. Et c'est tout à fait normal pour votre carte, vous auriez fait pareil, j'en suis certain. Bon appétit. » tu me réponds, ensuite.
Tes yeux me transpercent de part en part alors que je sens que mes jambes vont me lâcher. Je m'enfuis à l'intérieur, voilà que je réagis comme une pauvre adolescente bourrée d'hormones. Comme si c'était la première fois qu'un homme séduisant venait me parler.
Je m'assieds devant mon assiette dont l'odeur me met l'eau à la bouche. Mon regard se porte automatiquement sur la porte vitrée. Tu fumes encore, doucement, tranquillement. Je me rends compte que tu m'as dit que tu t'appelles Draco. Pourquoi me dire cela ? On ne se connaît pas, pourquoi vouloir donner cette proximité nouvelle en me donnant ton nom ? Peut-être voulais-tu rendre justice au fait que toi tu connaisses le mien. Mais qu'est ce que cela pouvait bien faire ? Je me prends la tête pour pas grand chose. Tu vois, tu as les yeux bleus, tu me troubles, me déranges dans ma vie. Ma vie était tranquille, avant que tu viennes ici. Je ne te vois que depuis trois semaines et déjà, je me rends compte que la plupart de mes pensées se tournent vers toi. Je ressens malgré tout une petite satisfaction à savoir comment tu t'appelles. C'est un nom étrange et original. Je suppose qu'il te définit à la perfection.
Tu reviens à ta table où la jeune femme t'attend patiemment. Je fuis ton regard, je me concentre sur ma purée. Je n'ai plus vraiment faim, mais je me force. Après tout, depuis le temps que je viens, je n'ai jamais gaspillé, je ne compte pas faire une entorse à la règle. D'autres personnes viennent, s'assoient devant moi, je ne peux plus te voir et toi non plus... Ce n'est pas grave, ce bleu troublant qui éveille en moi des choses que je ne pensais plus ressentir ne me manquera pas. Je crois.
Vous finissez par vous en aller, je ne sais pas si tu le fais exprès, mais tu me souris. Je n'y réponds pas, feignant de ne pas t'avoir vu. Je m'oblige à terminer mon plat, puis je me lève. J'ai hâte d'être jeudi prochain, je ne devrais pas, je le sais.
Je n'aime pas les gens qui ont les yeux bleus, mais tu pourrais bien être l'exception.
Et oui, c'est encore moi ! C'est très rare que je poste, je sais :') Je vous présente ma petite dernière ! Cette fiction est écrite au présent, ce qui ne me facilite pas la tâche mais une fois qu'on y goûte.. J'ai du mal à me détacher de ce fichu présent maintenant !
Bref, je tiens à vous dire qu'avec le bac, je serai irrégulière. Sachant que déjà en temps normal je ne suis pas irréprochable T_T Bref, si vous aimez assez pour vous armer de patience, sachez que je vous en serai reconnaissante ! Je tâcherai de ne pas vous décevoir !
Merci encore :)
Onirybrius.
