Les baguettes sifflaient dans l'air à chaque sort lancé, les combattants essayant de prendre l'ascendant sur l'autre à tout prix. A mesure que le combat se déroulait, les sortilèges devenaient de plus en plus puissants, de plus en plus dangereux, de moins en moins précis. Ce qui aurait pu paraître rassurant provoquait en réalité d'effroyables explosions lorsque les sorts venaient frapper les rochers qui explosaient en poussière si fine qu'elle s'envolait avec la brise.
Lorsque le rocher qui la surplombait vola en éclats sous le coup d'un sortilège de la mort, Jeanne reçut une pluie de petites pierres sur la tête et une lame de roche taillée par le sortilège vint la frapper au visage sur le côté droit. Elle avait le front blessé et une profonde entaille barrait sa joue.
Un peu sonnée, Jeanne mit un instant de trop à contrer le nouveau sortilège que lui lançait son adversaire. Elle se sentit tomber quand une lumière jaunâtre la heurta, puis sa gorge se serra, deux mains invisibles l'étouffaient sans qu'elle puisse rien y faire, elle sut que l'air se faisait rare dans ses poumons. Et ce n'est que lorsque de petites mouchetures apparurent devant ses yeux qu'elle sut comment procéder. Pour sauver sa vie, elle allait devoir tuer.
Jeanne pointa sa baguette sur son adversaire et lança un sortilège imprononcé.
Mais lorsque la pâle lumière verte qu'elle était parvenue à produire frappa l'homme qui la regardait mourir, il se contenta de sourire plus largement encore.
Elle avait échoué.
Refusant de se laisser submerger par la panique, Jeanne rassembla ses esprits malgré la douleur et la suffocation. Elle mit toute sa volonté, toute la haine qu'elle éprouvait envers cet homme dans ce sortilège, et, avec l'énergie du désespoir, visa à nouveau son adversaire, qui ne prit même pas la peine de bouger d'un pouce tellement il méprisait sa victime, la croyant incapable de retourner ses propres armes contre lui.
Avant même qu'elle ait songé à la formule, Jeanne sentit un désagréable fourmillement dans les doigts alors qu'une lumière verte jaillissait de sa baguette, forte et vive, cette fois-ci. Ne laissant pas le temps à sa cible de réaliser ce qu'il se passait, la boule de lumière émeraude le frappa en pleine poitrine. Il s'écroula sur le sol, lâchant sa propre baguette, au moment précis où Jeanne put à nouveau respirer.
Elle resta là un moment, haletante, une main sur la poitrine, savourant l'air qui entrait et sortait librement de sa gorge. Le soleil de fin d'après-midi caressait sa peau et elle fixait intensément le ciel tellement clair et dégagé qu'il en était bleu pâle.
Puis elle ressentit un grand vide au fond d'elle, quelque part entre sa poitrine et son estomac. Elle venait d'ôter la vie à un homme, elle en avait le pouvoir et elle le sentait.
- Facile... Murmura-t-elle entre ses lèvres closes.
Jeanne ignorait comment elle devait se sentir. Elle éprouvait à la fois un grand malaise et un sentiment de puissance tel qu'elle n'en avait jamais éprouvé. Jeanne n'était pas fière de ce qu'elle venait de faire mais après tout, elle avait fait le nécessaire pour sauver sa propre vie. Cet homme n'aurait pas hésité un instant avant de la tuer, c'était ce qu'il était venu faire, c'était la raison pour laquelle il était venu se perdre dans la campagne de Conrwall en cet après-midi du mois d'août.
Jeanne se leva et tenta d'épousseter ses vêtements avant de réaliser qu'elle y étalait la terre plutôt que de l'en ôter. Elle les remit néanmoins en ordre et fit un pas vers le corps étendu près de ses pieds.
En tendant le bras lorsqu'elle était couchée par terre, elle aurait pu toucher sa main, se dit-elle.
Malgré elle, malgré la vague d'écœurement que cela lui inspira, elle poussa son bras inerte du bout de sa chaussure, tremblant à l'idée qu'il ne se réveille en hurlant pour lui sauter à la gorge.
Mais rien ne se produisit. La main de l'homme reprit sa place et sa position initiales dès que Jeanne eût ôté son pied. Elle se retint de soulever la manche de sa chemise ou de cracher au sol et se força à tourner les talons, abandonnant le cadavre du mangemort aux animaux sauvages.
Sur le chemin de retour vers le foyer où elle vivait, Jeanne fit son possible pour ne pas penser au mangemort qui avait tenté de la tuer et à qui elle venait de régler son compte, mais c'était peine perdue, elle tournait et retournait sans cesse la situation dans sa tête sans parvenir à penser à autre chose. Ce qui la terrifiait par-dessus tout n'était même pas la mort qu'elle avait infligée au mangemort mais l'usage qu'elle avait fait d'un sortilège impardonnable. Elle était toujours soumise à la Trace, et si les innombrables sortilèges qu'elle avait lancés pouvaient passer inaperçus puisqu'un adulte – qui tentait en l'occurrence de la tuer – était juste à côté d'elle, le sortilège de la mort, lui, n'allait certainement pas passer à la trappe auprès de la bande de vieux rats du Service des usages abusifs de la magie.
Dans les allées fleuries du foyer, les autres enfants, souvent plus jeunes qu'elle, la fixaient en se poussant du coude pour attirer discrètement l'attention des autres, ce qui lui rappela la rancœur qu'elle ressentait envers la plupart des enfants de l'établissement.
- Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Vint lui demander une fille de son groupe avec qui elle ne s'entendait pas trop mal.
- Fiche-moi la paix ! S'exclama-t-elle malgré elle, tout à coup furieuse contre le monde entier et contre elle-même.
Jeanne se précipita alors en courant dans les escaliers du pavillon pour regagner sa chambre.
Devant le miroir de la salle de bain, elle comprit pourquoi Stacy s'était inquiétée. Une bosse enflait sur son front, un hématome apparaissait peu à peu autour de son œil droit et la blessure sur sa joue avait saigné abondamment. De plus, de la terre avait coloré sa peau et de l'herbe et des feuilles mortes s'étaient emmêlées dans ses cheveux.
Un instant, elle eut envie de briser le miroir pour ne plus se voir. Mais cela n'aurait rien résolu, ni guéri ses blessures, ni arrangé son cas auprès du ministère, se dit-elle. Aussi lança-t-elle ses vêtements crasseux dans la corbeille de linge sale avant de se glisser sous l'eau froide de la douche.
Tout en se savonnant de la tête aux pieds, Jeanne songea avec impatience à la rentrée de septembre, d'ici dix jours, où elle reverrait enfin son école, ses professeurs et où elle pourrait être elle-même. Enfin. Et là-bas, se dit-elle en étouffant sa peur, personne n'allait tenter de l'attaquer.
En observant la terre filtrer à travers la grille de la bonde et les morceaux de feuille y rester coincées, elle se dit que même si elle n'y avait que quelques amis, tout valait toujours mieux que les moldus qu'il y avait ici. Elle était heureuse de retourner à Poudlard pour la sixième année consécutive. Ici, personne ne savait qui elle était vraiment, ni ce qu'elle valait réellement. Ce qui encourageait encore et toujours les sales petites pestes et les grands idiots à la malmener, à la provoquer et à l'insulter sans cesse. Mais Jeanne savait se montrer patiente et bien plus intelligente que les autres. Lorsqu'elle avait appris qu'elle était une sorcière, elle s'était réjouie de tout son cœur et avait pensé enfin pouvoir écraser les autres et leur faire peur à son tour. Mais bien vite, elle avait appris qu'il valait mieux ne révéler à personne sa véritable nature et que la plus grande des satisfaction serait de quitter cet orphelinat avec un bel avenir devant elle, un avenir bien différent de celui des autres, que personne n'aurait même osé espérer, ici.
En sortant de la salle de bain, toute la colère de Jeanne avait disparu et, bien qu'elle fût encore particulièrement anxieuse, elle se sentait bien mieux qu'à son retour.
Enroulée dans une serviette, ses cheveux gouttant dans son dos, elle s'approcha de son bureau en métal et en ouvrit un tiroir dont elle sortit une enveloppe de papier kraft. A l'intérieur se trouvait, précieusement dissimulé au regard des autres jeunes, son relevé de note de ses examens de BUSE.
Elle se rappelait l'avoir reçu au matin du 8 juillet, le hibou envoyé par l'école l'avait déposé sur son lit en passant par la fenêtre ouverte alors qu'elle prenait le petit déjeuner en-bas, avec les autres. En apercevant l'enveloppe, Jeanne avait cru qu'elle allait s'évanouir avant d'avoir pu l'ouvrir.
À nouveau, Jeanne souleva l'angle qui fermait l'enveloppe et en sortit un parchemin plié en quatre. Elle l'ouvrit et contempla mélancoliquement les neuf magnifiques O qu'elle avait obtenus. Elle avait décroché la note maximale à toutes les épreuves, des soins aux créatures magiques à la métamorphose en passant par les potions.
Se dire qu'elle allait peut-être avoir étudié toutes ces années pour rien, qu'on allait sûrement briser sa baguette sous ses yeux, que jamais plus elle n'apprendrait une leçon à l'ombre d'un arbre dans le parc de Poudlard... Tout cela lui était insupportable. Sentant qu'elle allait en pleurer si elle y pensait trop, Jeanne entreprit de faire les cents pas à travers sa chambre, jetant régulièrement un coup d'œil à travers la fenêtre pour voir le crépuscule tomber peu à peu.
Lorsque onze heures fut passée sans qu'aucun hibou ne s'engouffre dans la chambre, portant une lettre du ministère, Jeanne décida d'aller se coucher malgré tout. Si elle devait être renvoyée de l'école, se dit-elle les yeux rivés au ciel parsemé d'étoiles qu'elle apercevait depuis son lit, son sort était déjà scellé et il l'était même depuis le moment où elle avait décidé d'user de la magie pour se défendre.
