Ce jour-là, je me suis réveillée un quart d'heure avant mon réveil. Il était 7h15, et j'avais l'estomac noué. J'ai reçu un appel d'une Dorothy extatique : il fallait que je la rejoigne dès que possible devant le manoir.
A contrecœur et pétrie d'angoisse, je me suis apprêtée et je l'ai rejointe. J'avais la nausée. Quand Dorothy est d'une telle humeur, c'est que le sang a été versé. A voir sa joie sans limite, cela devait être au moins une déclaration de guerre ou un bombardement allié. Il faisait froid dehors.
A ma grande surprise, nous n'avions pas de chauffeur : elle m'attendait dans une vieille voiture de marque allemande, et me conduisit elle-même dans un quartier résidentiel de la ville. Là-bas, une maison était cerclée de policiers, de voisins en doudounes et de badauds curieux. Je me sentais mal.
Dorothy gara la voiture devant une sortie de garage et me prit par la main. Je ne comprenais rien à cette scène dont je me sentais simple spectatrice.
J'arrivais devant cette foule quand on me reconnut. Un homme beaucoup plus grand que moi, l'air hagard derrière sa moustache mal taillée, me salua et me conduisit au milieu d'un groupe d'hommes en uniformes, Dorothy sur mes talons. Ils sortaient de l'habitation, livides. On me reconnut à nouveau, et je ne trouvais pas de mot pour justifier ma présence. Dorothy annonça au groupe que j'étais venue reconnaître les corps, et je devins réellement spectatrice du spectacle.
On m'annonça que « les corps » allaient être rapatriés à la morgue et qu'il fallait que je « les » suive là-bas, ce que je fis. Mon cerveau avait cessé de fonctionner dès lors que j'avais aperçu cette agitation au loin, et je refusais à tout prix qu'il se relance.
On m'installa dans une salle où il faisait très froid, malgré la présence de deux radiateurs en fonte. Ils étaient glacés, et je regrettais de n'avoir pris que mon manteau. Dorothy m'apporta un café brûlant, mais je ne pus en boire qu'une gorgée avant d'aller vomir.
Finalement la suite est assez floue : je me souviens d'un homme en blouse, de ce long couloir qui m'a amené dans une pièce glacée, puis de m'être réveillée à l'hôpital.
J'avais très chaud, puis très froid. J'avais sommeil mais je ne parvenais qu'à rêver de ce jour où Lady Une a tué mon père. Je ne comprenais rien.
Au bout de trois jours, Dorothy vint me rendre visite dans ma chambre et alluma la télévision.
« L'enquête concernant l'assassinat de trois anciens pilotes de Gundam peine à démarrer. En effet, la police scientifique n'a pour le moment... »
Je n'entendis jamais la fin de cette phrase, noyée dans mon chagrin.
