Entre deux villes sans nom, la dernière voiture volée, un monstre américain des années 80 dont Dean n'a même pas pris la peine d'identifier le modèle, avale les kilomètres sur une nationale éclairée de lampadaires intermittents, de panneaux fluorescents, agressifs. Sam s'est endormi une heure plus tôt. Toutes les deux, trois minutes, le regard de Dean quitte la route et se pose sur lui. Il n'est pas inquiet, pas plus vigilant que d'habitude, mais il n'a jamais su conduire autrement que les yeux tournés vers son frère plus de la moitié du temps. Les sièges de cette voiture anonymes sont incomparablement plus confortables que ceux de l'Impala, pourtant Sam n'a pas réussi à s'endormir avant d'avoir pendant de longues minutes, tourné, bougé, remué. Il est calme à présent, apaisé. Son sommeil est une ressource rare ces derniers mois, Dean apprécie chaque minute de repos comme une victoire.

Ils traversent les grandes plaines de l'Oklahoma vers le sud en direction du Texas. Bientôt, ils rejoindront l'autoroute et s'enfonceront dans la nuit totale, loin des éclairages publics, dans la seule lumière des phares. L'horizon disparaîtra, et tout le reste avec. Pour l'instant, dans cette zone péri-urbaine, Dean parvient encore à distinguer les traits de Sam.

La pluie a commencé à tomber. Une averse d'automne, lourde, dense, d'une lenteur violente, un présage de tempête. Elle s'écrase avec fracas sur le pare-brise, le ballet frénétique des essuie-glaces parvenant à peine à la canaliser. Sur les vitres latérales, elle s'étend en trainées longues, obliques, dont l'ombre se reflète sur le visage de Sam en larmes noires. C'est absurde, Dean le sait, mais cette vision le dérange. Il voudrait que le ciel se calme, que les vitres sèchent, que les traits de Sam retrouvent leur pâleur de marbre. Le ciel s'en fout. Vingt kilomètres encore et Dean n'y tient plus. Il tend sa main droite vers son frère et à deux doigts déloge une longue mèche brune rejetée derrière son épaule, la ramène le long de sa joue. Voilà. Les fausses larmes ont disparu.