A la fin de ma fanfiction YOLT, j'avais proposé à mes lecteurs de me donner un scénario d'OS pour pouvoir continuer à écrire sur mes personnages. J'en ai reçu un de la part de Punknichiti-Metalp0ny, me proposant une enquête policière menée par Lila, basée autour d'une affaire de sabotage. Je ne donnerais pas plus de détails sur le scénario proposé, parce que ça spoile le scénario final.

Je sais que c'était supposé être un OS, mais je me suis rendue compte en l'écrivant que ça allait être beaucoup plus long que prévu. Je vais donc le couper en deux ou trois parties, que je publierais au fur et à mesure que je les écris.

Petite note à ceux qui n'auraient pas lu YOLT et veulent lire ce qui suit. Lila Delencre, le personnage principal, est habitée par l'esprit de Salomé Véri, une bibliothécaire originaire de la Terre et fan de Pratchett, qui est mort à la vingtaine et s'est réincarnée sur le Disque. Elles cohabitent toutes les deux dans la tête de Lila et sont capables de discuter et échanger leurs avis par pensées.

Ceci est donc dédicacé à Punknichiti. J'éspere que ça te plaira!

(comme toujours, s'il y a des erreurs de mise en page - ou d'autre-ychose - dites-le moi dans les reviews ou en MP.)

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La lumière au bout du tunnel, c'est les phares du train qui arrive

C'était la première fois que Lila fêtait son anniversaire hors de sa ville natale. Elle avait trente ans et avais voyagé à plusieurs reprises, mais par un heureux hasard elle était toujours auprès de ses proches pour le jour de sa naissance. Cette habitude avait fini par lui laisser à penser que le fêter autrement serait un signe de malchance... Et malheureusement pour elle, elle n'avait pas tort.

La journée avait pourtant très bien commencé. Les locaux de la Gendarmerie de Quirm, qui hébergeait sans problème les agents d'Ankh-Morpork, étaient confortables, et la cuisine de cette ville portuaire était réputée sur tout le continent. La jeune femme n'était pas réquisitionnée au Guet avant l'après-midi, ce qui lui laissait toute la matinée à elle. Et surtout, elle avait l'assurance de pouvoir enfin rentrer chez elle : le travail pour lequel on l'avait envoyé à Quirm était enfin pliée, après deux mois d'enquête et toute une semaine de poursuite. Elle n'était pas fâchée de rentrer, car les agents quirmiens commençaient à lui taper sur le système.

La veille, elle et son équipe avaient finalement réussi à arrêter un duo de malfrats qu'ils suivaient depuis Ankh-Morpork, et qui s'en prenaient aux voies ferrées. La compagnie du chemin de fer était riche et une des plus puissantes des plaines de Sto, et peu de gens s'en prenaient généralement aux trains. Quant aux quelques grags nains qui persistaient à vouloir tout saboter sur leur passage, ils étaient gérés par la « police » naine, qui était bien moins tendre que celle d'Ankh-Morpork. Pourtant, les deux criminels que Lila poursuivait avaient réussi à échapper aux forces de l'ordre pendant une durée inhabituelle, et bien qu'ils n'aient pas fait de dégâts irréparables, ils avaient quand même bien amoché la ligne de chemin de fer. Elle avait été bloquée de nombreuse fois au cours des deux derniers mois, empêchant à la fois le transport des voyageurs et des marchandises, qui avaient donc mis un temps fou à se déplacer en calèche. Et les responsables restaient introuvables. L'équipe de Lila avait finalement retrouvé leur trace près de Quirm, et avait bataillé pour obtenir un permis pour traquer les deux hommes loin de son territoire de juridiction. Lila était donc soulagée d'avoir enfin attrapé les responsables de tout ce grabuge.

C'était sans compter sur le Destin, qui semblait s'amuser à toujours tout compliquer.

La parfaite journée d'anniversaire de Lila s'arrêta donc au moment où elle passa les portes du poste de Guet, qu'elle avait intégré pendant son séjour à Quirm.

Un des agents sous ses ordres se précipita vers elle, suivit de près par un représentant de la Compagnie du Chemin de Fer Hygiénique d'Ankh-Morpork et des Plaines de Sto. La jeune femme était un peu perdu. Manifestement, l'homme venait déposer une plainte. Pourtant, l'affaire était réglée, non ?

L'agent ne lui laissa pas le temps de se poser plus de question.

« On a un problème, caporale. Un nouveau sabotage, un peu au sud de Quirm, sur la ligne vers Ankh-Morpork. »

Lila s'arrêta net.

« Ils se sont déjà échappés ? Mais c'est pas possible, ça ! Qui est-ce qui garde les cellules ici ?

-Personne ne s'échappe jamais des cachots de Quirm. Et on a vérifié, ils sont toujours là, ajouta-t-il devant l'air dubitatif de la jeune femme.

-Vous êtes donc en train de me dire qu'ils ont des complices ? fit Lila, incrédule.

-Soit des complices, soit c'est simplement quelqu'un d'autre. Rien ne nous dit qu'ils sont liés à ceux qu'on a arrêté. »

La jeune femme se dirigea d'un pas vif vers les locaux qui avaient étés alloués aux agents morporkiens.

« Vous avez un rapport ? demanda-t-elle.

-Non, mais ça ne devrait pas tarder, répondit l'agent en jetant un regard à l'envoyer de la compagnie ferroviaire.

-On ne peut rien faire tant qu'on n'a pas d'informations sur ce qui s'est passé, lança Lila à l'homme, qui semblait s'apprêter à se lancer dans une diatribe sur le manque de fiabilité du Guet. Dites nous ce qui s'est passé, on va envoyer un agent jeter un coup d'œil aux lieux en question, et on verra quelle partie du Guet est responsable de cette affaire. »

Deux heure plus tard, Lila avait déjà un début de dossier. Le mode opératoire semblait être le même, comme si le même duo de saboteurs avait agit... et pourtant, ils étaient en prison. Cela semblait suggérer la piste d'un complice. Serait-ce la raison pour laquelle la première bande s'était éloigné d'Ankh-Morpork pour rejoindre Quirm ? La jeune femme avait supposé qu'ils fuyaient simplement les forces de l'ordre, mais il pourrait y avoir un motif plus complexe. Ce qui signifiait encore plus de travail pour elle. Elle soupira.

« Pourquoi je me suis engagée dans le Guet, déjà ? »

Il lui restait une chose à faire avant de devoir se remettre activement au travail. On ne savait pas si le nouveau saboteur venait bel et bien d'Ankh-Morpork, comme les deux qu'elle venait d'arrêter. Il fallait donc qu'elle s'enquiert des ordres de ses supérieurs – restés au pays : avec un peu de chance, l'affaire tombait entièrement sous la juridiction de Quirm, et elle pourrait rentrer chez elle. En emmenant les deux malfrats qu'elle avait attrapé et en les mettant en prison à Ankh-Morpork, bien entendu.

Elle passa donc un moment à la tour clic-clac du Guet pour envoyer un bref message au QG, en profitant pour leur donner quelques détails sur l'affaire. Après quoi elle retourna dans la salle commune et entreprit de mettre en parallèle les deux dossiers, histoire de voir s'ils avaient vraiment un lien.

La réponse du Guet morporkien ne se fit pas attendre : une heure et demi plus tard, on l'informa que deux messages l'attendaient au sémaphore.

Le premier s'avéra être de la main de Moite von Lipwig. Lila ne fût pas étonnée : le responsable de la communication de la compagnie ferroviaire lui avait personnellement demandé de le maintenir au courant de l'avancement de l'enquête. Bien que la jeune policière n'ai pas encore envoyé de message clac à Lipwig, il avait probablement été prévenu du nouvel incident par la succursale de Quirm.

Le second message était très laconique. Il provenait du capitaine Carotte, et lui disait de rester sur place pour enquêter. Lila s'était plus ou moins attendu à cette réponse. Malgré son empressement à rentrer dans sa ville natale, elle avait un sens aigu du devoir – surtout en ce qui concernait le Guet. Si on lui demandait d'enquêter, elle n'aurait de cesse que de trouver le responsable.

oOoOoOoOo

Plastron serré. Bottes fermée. Son casque sur la tête et son épée dans son fourreau... Lila jeta un coup d'œil à son reflet dans le miroir. Ça va, elle n'oubliait rien. Elle accrocha avec fierté sa plaque d'agent sur son armure, et sortit dans la rue, où l'attendait un des sergents quirmiens. Elle avait insisté pour patrouiller dans la ville, mais la Gendarmerie refusait de la laisser faire sans un chaperon : apparemment, les agents morporkiens ne connaissaient pas assez la ville pour être efficace. Lila l'admettait, mais elle avait néanmoins du mal à avaler qu'on la traite, selon elle, comme un bébé.

Depuis l'emprisonnement des deux premiers saboteurs, et le nouvel incident, la jeune caporale avait demandé à patrouiller en priorité de nuit et autour de la voie ferrée. Même si elle n'avait attrapé personne jusqu'à présent, elle avait bon espoir que la présence de policiers près des rails dissuade tout acte de sabotage – et en effet, une semaine plus tard, aucun autre incident n'avait été reporté. Peut être qu'il s'était simplement agit d'un acte isolé, et pas d'un crime à répétition, finalement.

Le sergent Levrac, qui devait ce soir là faire la ronde avec elle, lui jeta un rapide coup d'œil pour s'assurer qu'elle était prête, puis s'éloigna d'un pas vif. Lila le rattrapa rapidement avant de calquer son allure sur la sienne.

« La voie ferrée est de l'autre côté, sergent » fit-elle remarqué à son supérieur.

Levrac ne daigna pas tourner la tête vers elle.

« On fait un détour par le poste nord, répondit-il. On doit prendre un des agents à l'essai là-bas. »

Lila hocha la tête. Maintenant qu'elle y réfléchissait, le sergent lui en avait sans doute déjà parlé.

« On pourrait se séparer. Les voyous ne vont pas nous attendre.

-Non. Personne ne fait de patrouille seul. Si ça peut aider à te convaincre, c'est monsieur Vimaire qui nous a appris ça. »

Lila se renfrogna mais n'insista pas. « Vimaire l'a dit » était un argument auquel il était difficile de résister.

« Je t'ai connue plus prudente... » railla une voix dans sa tête.

« Oh, ça va, toi. La sécurité, c'est bien, mais faire son travail, c'est mieux.

Et faire son travail dans la sécurité, c'est encore mieux » insista Salomé.

Salomé était l'esprit secondaire qui habitait la tête de Lila. La jeune femme avait découvert sa présence un peu plus de dix ans auparavant. Salomé était morte des années plus tôt, et vivait autrefois dans un autre monde qu'elle appelait la « Terre ». Elle avait eu la chance de se réincarner sur le Disque-Monde, un lieu qu'elle avait toujours cru fictif mais rêvait néanmoins de découvrir. Depuis, elle aidait Lila grâce à ses immenses connaissances du monde dans lequel elles vivaient. Mais même si Salomé commentait souvent et donnait son avis et ses conseils, c'était néanmoins Lila, au finale, qui prenait les décisions.

Une fois le stagiaire, nommé Etienne, ayant rejoins le petit groupe, ils se dirigèrent à nouveau vers le chemin de fer, en bordure de la ville. Lila et le sergent Levrac tentaient de rester le plus silencieux possibles, mais la jeune femme avait l'impression que leur jeune compagnon était aussi bruyant qu'un troupeau de pachydermes. Le but des policiers n'était pas de faire fuir les voleurs et autres malfrats, mais de les attraper. Néanmoins, les rues de Quirm étaient remarquablement calmes – du moins du point de vue de Lila, habituée à l'agitation nocturne des rues morporkiennes.

Pourtant, au bout de deux heures de patrouille le long de la voie ferrée – et après avoir croisé un autre couple d'agents près de la gare ferroviaire – Lila remarqua une faible lumière à une certaine distance le long des rails. Elle consulta le sergent, qui lui confirma qu'aucune maison ne se trouvait dans cette direction, ou du moins pas à proximité. Comme elle était trop faible pour être celle d'un train, et trop basse et stable pour être celle des sémaphores clignotants, ils jugèrent rapidement le phénomène suspect. Etienne voulu se précipiter vers l'endroit, mais ses deux supérieurs durent lui expliquer qu'il n'arriverait qu'à effrayer et faire décamper les personnes qui s'y trouvaient.

« Fermez vos lanternes » chuchota Levrac, malgré l'impossibilité qu'on les entende d'aussi loin.

« Ça pourrait très bien être des mécaniciens, intervint Lila.

-Ça pourrait très bien être ma grand mère, répliqua le sergent, et pourtant je doute que ce soit elle. Les mécaniciens ne viennent pas à cette heure de la nuit, mais tôt le matin » expliqua-t-il en voyant la tête que faisait sa subalterne.

Lila acquiesça, et ferma le battant de sa lanterne, tandis que les deux autres l'imitaient. Levrac sortit son épée.

« Ne sortez pas la votre tout de suite, prévint-il. Uniquement si je vous le dis. »

Ils arrivèrent rapidement à proximité de la lumière, qui se précisa. Il s'agissait en fait de deux lanternes posées sur le sol. Leur propriétaire n'était pas visible. Levrac s'approcha lentement, après avoir fait signe à Etienne de rester en arrière. Lila, après une courte hésitation, décida de le suivre.

A cet endroit, les rails effectuaient un virage pour éviter un empilement de rochers qui semblait marquer la limite entre deux champs de choux.

Le sergent jeta un coup d'œil aux deux lanternes.

« C'est pas du matériel de mécanicien, ça, chuchota-t-il. Et ça n'appartient pas non plus à ma grand-mère. » Il fit un clin d'œil à Lila, qui sourit malgré elle. Puis il fit signe à Etienne de s'approcher, avant de lui désigner les rochers. Le jeune agent acquiesça, et entreprit de contourner l'obstacle.

« Je reste de ce côté. Va voir de quoi il en retourne, et si il s'agit bien d'un sabotage, tu appréhende le suspect. Si il résiste, on viendra en renfort. »

Lila hocha silencieusement la tête, l'air grave, puis contourna les rochers dans la direction opposée à Etienne. Le sergent aurait normalement dû s'occuper de l'arrestation, mais elle n'allait sûrement pas cracher sur une occasion de faire ses preuves.

Les deux lampes étaient posées de part et d'autre de la voie ferrée, de manière à illuminer tout un tronçon de rail. En s'approchant, Lila aperçu une silhouette debout de l'autre côté de la voie.

« Etienne ? » songea la jeune femme.

« Probablement pas » répliqua Salomé dans sa tête. « Soit prudente, il a l'air d'avoir remarqué qu'il n'était pas seul. »

En effet, l'homme se tenait immobile et tournait la tête d'un côté et de l'autre. Il tenait à la main une longue barre en métal, que Lila devinait être un pied-de-biche, ou un autre objet similaire.

Alors qu'elle s'approchait lentement de l'homme, quelques cailloux roulèrent sous ses pieds. Elle pesta intérieurement en voyant le suspect attraper soudain une des deux lanternes et la lever devant lui, s'approchant vers elle.

Foutue pour foutue...

« Halte ! Vous êtes en état d'arrestation ! » cria Lila en sortant de l'ombre dans la lumière de la lanterne. Le faisceau l'aveuglait partiellement, et elle ne pouvait pas voir le visage de son vis-à-vis, mais elle prit bien garde à ne pas le montrer.

Elle le vit paniquer et regarder frénétiquement autour de lui, effectuant quelques pas en arrière. Pourtant, bien qu'il ai largement l'espace pour s'enfuir, et que Lila semblât être seul, il se reprit vite et lui fit face.

« Et pourquoi donc ? répliqua-t-il d'un ton véhément. Il n'y a pas de couvre-feu à Quirm, aux dernières nouvelles. »

Lila entendit le sergent Levrac donner un petit coup dans le rocher derrière elle, suivit d'un faible sifflement. Elle reconnu le signal, et attendit donc qu'Etienne soit sorti du couvert derrière l'inconnu pour répondre.

« Pour ça » fit-elle en désignant le pied-de-biche, puis la portion de rail éclairée par la deuxième lanterne, et qui était déjà à moité arrachée. « Ça s'appelle du sabotage, et ce n'est pas autorisé à Quirm, aux dernières nouvelles. »

L'inconnu, s'il avait d'abord cru pouvoir s'en sortir se justifiant, semblait avoir perdu cet espoir, et il se retourna pour courir... droit dans les bras d'Etienne. Le jeunot failli reculer en voyant l'homme foncer sur lui, mais se contint et bouscula le fuyard, tentant de le renverser au sol. Ce dernier lui flanqua un coup de bar en fer sur le tibia, qu'Etienne évita de justesse.

« Et voie de faits sur un agent dans l'exercice de ses fonctions » ajouta Lila, avant de se jeter dans la mêlée et de plaquer l'homme à terre.

« C'est d'la putain de légitime défense ! » grogna l'homme, pendant qu'Etienne le maintenait au sol et que Lila cherchait un paire de menottes.

« Vous aviez raison, sergent » commenta Lila une fois l'homme menotté et ses affaires embarquées par Etienne et sa collègue. « C'était pas votre grand-mère. »

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Assise à son bureau, Lila se frotta les yeux avant de jeter un coup d'œil par la fenêtre. Le soleil était déjà en train de se lever. Elle bâilla largement, tout en pestant contre son métier qui l'obligeait à avoir des horaires de travail aussi barbares.

« Sauf que tu ne quitterait le Guet pour rien au monde » fit remarquer Salomé, malicieusement.

Lila acquiesça sans un mot, et sourit. Puis elle commença à rassembler les fiches sur son bureau. La table était couverte de papiers provenant des deux dossiers de sabotage, des notes prises sur son calepin, et son dernier rapport d'interrogatoire.

Ah, oui, l'interrogatoire...

Félix Blin, puisque c'était son nom, avait semblé se montrer assez conciliant, jusqu'à ce que les policiers touchent une corde sensible dont ils ne soupçonnaient même pas l'existence. Il avait fallu du temps avant que Lila puisse demander si il avait un quelconque rapport avec les deux saboteurs attrapés une semaine auparavant, mais elle ne se doutait pas que l'homme était en réalité lié à bien plus que deux simple malfrats.

Félix Blin n'avait pas rechigné à décliner son identité, et avait d'abord argué être venu à la demande de la compagnie du train, pour vérifier l'état des rails. Personne n'avait été dupe : le récit ne concordait ni avec la pseudo-excuse qu'il avait donné lors de son arrestation, ni avec le réflexe de fuite qu'il avait eu dès que Lila avait essayé de l'arrêter à la manière forte. Il avait même produit un papier d'identité apparemment délivré par la compagnie, mais qui s'était bien vite avéré être faux. Tout ceci constituait déjà un motif d'emprisonnement suffisant, mais ce qui intéressait vraiment Lila était l'affaire du sabotage.

« Pour quelle raison détruisiez-vous les rails ? » demanda la caporale une nouvelle fois, après qu'il ai déjà réfuté à trois reprises. « Nous vous avons pris sur le fait, et vous n'êtes manifestement pas un agent d'entretien, nous avons contacté la compagnie ferroviaire à ce sujet » ajouta-t-elle en brandissant un clac qu'elle venait juste de recevoir. « Ça ne sert strictement à rien de le nier. Vous ne faite que nous faire perdre notre temps, et notre patience – et croyez moi, c'est rarement bon d'être confronté à un agent à bout de patience. »

L'homme baissa les yeux.

« Ce n'était pas mon initiative... souffla-t-il.

-Ah, on avance. Avez-vous des complices ? Un patron ? »

Il resta silencieux. Lila retint un soupir de frustration, et demanda :

« Êtes vous liés aux deux hommes que nous avons arrêté il y a une semaine ? Vous avez sûrement dû entendre parler de cette affaire. »

Félix releva la tête vers elle.

« C'était des collègues. Je ne sais pas grand chose sur eux. »

Lila fronça les sourcils. Comment pouvait-il ne pas connaître ses propres complices ?

« Et qui était votre employeur ? » intervint le sergent Levrac derrière Lila.

La mâchoire de l'homme se contracta.

« J'ai pas d'employeur ! Je travaillais avec ces deux là... c'est tout. »

« Évidemment ! Des collègues qu'il ne connaît pas... ils devaient forcement être liés par quelqu'un d'autre. Un employeur.

Ou bien justes des associés de fraîche date.

Peu probable. »

« Vous vous êtes trahis tout seul, monsieur Blin, fit Levrac. Vous ne connaissez pas les gens avec qui vous dites travailler. Le matériel que vous utilisiez est de trop bonne qualité pour un saboteur solitaire. Dites-nous juste de qui il s'agit. Ça pourrait améliorer un peu votre cas, qui sait.

-Je ne connais pas son identité, répondit Félix Blin après un court silence. Je sais juste qu'il est haut-placé. Ou elle, franchement j'en sais rien. »

Lila griffonna frénétiquement dans son calepin, avant de demander à son tour :

« Peu importe son identité pour le moment. Que faisait cette personne, quel était son rôle ?

-Il nous indiquait les endroit où le chemin de fer devait être détruit, et nous prévenait des rondes des agents de sécurité de la compagnie ferroviaire. Et nous rémunérait.

-Donc le matériel que vous aviez, c'est bien vous qui vous l'êtes acheté ? demanda Lila, suspicieuse.

-Oui... avec l'argent qu'il m'a a donné. »

« Un saboteur minutieux, donc... pas seulement un petit voyou qui fait le travail vite-fait pour remporter le magot et aller boire un coup.

Ça me paraît bizarre. Un employeur, du travail minutieux, du matériel de qualité... ce n'est pas un amateur. »

« Mais comment obteniez-vous ces informations de votre employeurs, si vous ne le voyiez pas ? releva Levrac. Les clacs peuvent être décodé par n'importe lequel des opérateurs.

-La poste, répondirent Félix Blin et Lila en même temps.

-Vous ne connaissez pas l'identité de votre employeur, rappela la caporale. Connaissiez vous celle de vos... collègues, avant qu'ils ne soient arrêtés ?

-Non, ils ont étés attrapés juste après que je sois recruté. Je sais juste qu'ils sont affiliés à la même personne qui les payait.

-Savez-vous combien d'autres personnes il emploie ?

-Aucune idée, répondit Félix en secouant la tête. On a aucun contacte les uns avec les autres. »

« Des collègues inconnus, un employeur haut placé qui donne des instructions... tout ça ressemble à une organisation criminelle de grande envergure » songea Lila une fois rentrée dans son bureau.

« D'une certaine envergure » corrigea Salomé. « On ne sait pas combien de gens ils ont.

Au moins trois... ce qui m'étonne, c'est que cet ''employeur'' ai engagé Blin avant que les deux autres ne se fassent attraper. Coïncidence, ou prévision ?

On ne peut pas le savoir sans trouver ce fameux employeur. Et des gens haut-placé qui n'aiment pas la compagnie des trains, il y en a sans doute pas mal...

Tu en connais ?

Non, à part les grags, je ne vois personne. Je sais qu'à l'époque de la création du chemin de fer, pas mal de gens étaient assez sceptiques, voir hostiles aux trains, mais aujourd'hui on est trop loin au delà de la fin de l'histoire pour que quoi que ce soit soit certain. »

En relisant le compte-rendu d'interrogatoire, Lila retrouva un détail qui l'avait chiffonné sur le coup, mais qu'elle avait ensuite oublié :

« C'est un saboteur minutieux, qui achète lui-même son matériel – d'une qualité plutôt bonne, d'ailleurs – l'employeur prend toutes ses précautions pour ne pas être identifié, et pour que ses employés ne se dénoncent pas les uns les autres... Tout ça fait penser à un travail assez professionnel. Pourtant, Blin n'avait strictement aucun alibi, il a essayé de s'enfuir, puis à nouveau de se justifier, et ses faux papiers étaient visibles à dix kilomètres. Et ça, ça fait plutôt penser à de l'amateurisme.

Peut-être que l'employeur est doué, mais pas les employés. Et puis, être un travailleur minutieux ne veut pas dire être capable d'échapper à la police.

Pas faux, mais si quelqu'un est employé par une organisation criminelle, il n'a probablement pas une morale très élevée, ce qui suggère qu'il n'en est pas à sa première incartade... et donc qu'il devrait savoir comment se débrouiller avec la police.

Pas nécessairement. Ça pourrait très bien être un simple troufion sans le sous, qui a sauté sur l'occasion de se faire un peu d'argent, et qui a voulu faire de l'excès de zèle en se procurant des outils de qualité. Du bon matos n'implique pas un bon travailleur. »

Malgré l'absence flagrante d'informations sur le véritable responsable, Lila considéra que l'affaire avait bel et bien progressé. Elle savait maintenant qu'elle avait affaire à une vraie organisation, et pas à un ou deux saboteurs isolés comme elle l'avait d'abord pensé. En journée, d'autres policiers viendraient interroger Félix sur les détails de son contrat, comment l'employeur l'avait contacté, et la manière dont il recevait l'argent, ce qui pourrait apporter des indices utiles pour la suite de l'enquête. En attendant, Lila comptait bien prendre un peu de repos – elle n'avait absolument pas prévu de faire une nuit blanche – et dès qu'elle en saurait un peu plus, elle se remettrait en chasse et retrouverait le vrai responsable.

oOoOoOo

Trois semaines avaient passées. Trois semaines remplies jusqu'à ras-bord d'enquêtes, de patrouilles, de perquisitions, d'arrestations et d'interrogatoires. Trois semaines qui avaient vu six nouveaux sabotages. La preuve d'une organisation criminelle n'était plus à trouver : deux des crimes avaient étés commis la même nuit, à des endroits diamétralement différents. Heureusement, quatre d'entre eux avaient étés remarqués à temps, mais le cinquième avait fait déraillé un train de marchandise, interdisant l'approvisionnement de Quirm en de nombreux produits manufacturés d'Ankh-Morpork, et l'accident du sixième avait fait une vingtaine de morts. L'affaire de sabotage s'était d'un coup transformée en meurtre, et Quirm avait également dépêché des agents entièrement dévoués à l'affaire. Le Guet morporkien et la Gendarmerie quirmienne faisaient donc la course pour attraper le premier les responsables, derrière un masque d'apparente coopération. Les agents des deux villes se transmettaient les informations et les indices sans rechigner, mais avec une fierté évidente.

Le groupe de policiers menés par Lila fut néanmoins celui qui mena une perquisition chez un artisan quirmien qui semblait jouer un rôle important dans le réseau. L'information quant à l'implication de cet homme, du nom de Romain Guéror, avait été donnée par un suspect interrogé par la Gendarmerie, qui l'avait attrapé après qu'il ai fait explosé une partie de la voie ferré et tenté de s'enfuir. D'après cet informateur, Romain Guéror semblait être, non le responsable du réseau, mais un intermédiaire très proche du – ou des – véritable responsable.

L'homme ne s'attendait pas vraiment à une visite de la police, et avait été lent à réagir : il fût arrêté sans trop de problèmes, et s'il tenta d'abord de résister, il entendit rapidement raison : résister à une arrestation n'est jamais une bonne idée. Mais Romain Guéror n'était pas tout ce que les agents avaient trouvé. En fouillant dans les placard, Lila et un jeune agent avaient trouvé une liasse d'enveloppes, n'affichant aucun nom d'expéditeur. Leur contenu était entièrement codé. Le rapport avec l'enquête n'était pas certain, mais ces lettre étant plutôt suspectes, il décidèrent de les emmener au poste pour les analyser.

« Caporale Delencre ! Un visiteur pour vous, caporale ! » lança un agent à travers la salle commune allouée aux policiers morporkiens.

La jeune femme termina le rapport qu'elle était en train de rédiger, jeta un coup d'œil à sa montre, puis se leva pour se diriger à grands pas vers l'entrée. Le Guet attendait un expert venu d'Ankh-Morpork pour décoder les documents, mais au bout de deux jours il n'était pas encore arrivé. Lila espérait le trouver dans le hall principal de la Gendarmerie, aussi elle fût surprise de voir à sa place un homme à l'air soucieux et fatigué, de taille moyenne et dont elle ne parvenait pas à placer le visage. Ce qui importait peu, au final : son costume doré scintillant l'annonçait à des kilomètres à la ronde.

« Monsieur Lipwig ! s'exclama-t-elle en s'avançant pour lui serrer la main. Pourquoi êtes vous ici ? Je vous croyais à Ankh-Morpork.

-J'y étais il y a peu de temps encore, répondit Moite, mais avec toute cette affaire qui patine, j'ai préféré venir voir par moi-même ce qui se passe.

-L'affaire ne patine pas, monsieur. On a énormément avancé. Je vous ai pourtant prévenu par clac, à propos de ces lettres codées qu'on a trouvé chez Guéror. Il est certain qu'il est la clé de voûte de cette organisation, mais nous ne savons pas encore qui est celui qui tire les ficelles dans l'ombre.

-Guéror aurait dû vous en informer, non ? Vous ne l'avez pas interrogé ?

-Si, ça fait deux jour qu'il est en cellule mais il refuse de parler. Et bien sûr, on n'est pas autorisés à se servir de méthodes aussi archaïques que, disons... le soda au gingembre. Ça ferait certes avancer l'enquête, mais ça ferait aussi très mauvaise figure auprès de la population. Et vous connaissez mieux que personne l'importance de l'image.

-En attendant, on ne connaît toujours pas le responsable.

-En attendant, les sabotages ont cessé. Ça fait, quoi... cinq jours que le chemin de fer n'a pas été attaqué ? Un record, non ? » railla Lila .

Moite soupira et passa une main lasse dans ses cheveux.

« En effet, l'enquête a avancé, et la situation s'est calmée. Je suppose qu'en tant que haut-placé dans la compagnie, je m'inquiète facilement de toute perturbation... je ne me considérerais satisfait que quand cette affaire sera classée.

-Même chose pour moi. Et j'ai l'impression que ça ne devrait pas tarder. »

Le cryptologue arriva dans l'après-midi, mais ne commença pas le travail avant qu'on lui ai expliqué les détails de l'affaire. Apparemment, les journaux n'avaient pas relaté toute l'histoire, et il voulait en particulier connaître les circonstances de découverte des documents.

Le Guet insista pour qu'un agent reste présent dans le bureau pendant que l'expert travaillait sur les lettres. Lila et un de ses collègues se relayèrent, recevant également de temps à autres la visite de Moite von Lipwig, qui tenait à être mis au courant des progrès dès qu'ils étaient faits. Briser le code prit deux journées à l'expert, mais arrivé au soir de son troisième jour à Quirm, il avait terminé de décrypter entièrement la première lettre. Ce n'était qu'un petit avancement, car il n'était pas certain que toutes les autres soient codées de la même manière, mais la lettre apportait un élément important : elle était signée. De plus, le cryptologue avait découvert une partie de la lettre qui semblait avoir été imprimée avec de l'encre sympathique. Une fois révélée, celle-ci causa un profond émoi parmi les personnes présentes dans la salle : il s'agissait blason d'Ankh-Morpork, et du sceau du palais. Lila en déduit immédiatement que quelqu'un au palais travaillait contre la ville, ou peut-être dans ce qu'il croyait être les meilleurs intérêts de la ville, mais s'avérait néfaste. D'après Salomé, ce ne serait pas la première fois : c'était déjà arrivé à l'époque où Lupine Wonse était secrétaire principal au palais.

Pourtant, l'apport de la touche finale à la lettre, la signature, jeta un froid sur la petite assistance. Il s'agissait seulement de deux lettres.

H.V.