L'été était là ; et qui disait été, disait grandes vacances proches. L'air était chaud dès le matin, mais pas encore au point d'être insupportable. Un rayon de soleil dans son œil l'ayant réveillé, Mitobe se leva. Il était l'heure de préparer le petit déjeuner pour toute sa fratrie, incapables de se faire à manger seuls, alors que la plupart avaient atteint un âge où il semblait raisonnable d'être capable de se faire griller un œuf ou cuire du riz. Mitobe soupira ; certains jours cela le fatiguait d'avance de devoir gérer tous ses frères et sœurs même si il les aimait énormément. Mais comme il était l'ainé et qu'il avait le caractère le plus doux et gentil qui soit, il ne se plaignait jamais. Enfilant un bas de jogging - c'était le week-end, il était tranquille - et une sublime paire de tongs qui trainaient dans le coin, il descendit à la cuisine. Une bonne surprise l'attendait ; ses frères et sœurs avaient su se débrouiller et ils étaient en train de préparer le petit-déjeuner dans un bel élan commun.
« Alors ça c'est pas banal. » songea le joueur de Seirin en s'installant à table, ravi. Ce genre d'évènements étant inattendu, Mitobe paria que cette journée allait être riche en rebondissements. Il allait peut-être même neiger.
Plus tard, toutes ses tâches ménagères accomplies, Mitobe flemmarda jusqu'à l'heure de l'entrainement du samedi, qui promettait d'être épuisant, en feuilletant des mangas prêtés par Koganei, qu'il devait retrouver comme à son habitude sur le chemin les menant au lycée. À 14h02, ils avaient rejoint le reste de l'équipe ; ils s'étaient changés en vitesse, étant arrivés en retard après avoir perdu du temps à jouer avec des chats sur le chemin. Mitobe avait fourré ses habits dans son casier sans prendre le temps de les ranger, Koganei s'était contenté de les jeter sur le banc des vestiaires. Riko leur avait fait peur en prévenant que quiconque arriverait en retard aux entrainements aurait un gage ; il leur fallait travailler dur pour réussir leurs prochains matchs.
Leur entrainement fut, comme prévu, difficile mais toujours aussi intéressant ; Mitobe était toujours ébahi de la puissance combinée de Kuroko et Kagami qui leur permettait de gagner en puissance et leur avaient fait vivre des matchs passionnant. Loin d'être jaloux, il adorait le fait de pouvoir ressentir autant d'adrénaline à chaque fois ; à défaut de jouer, il était fier d'encourager son équipe. Il se rendait bien compte qu'il n'était pas de taille face aux rookies, ni même face à Teppei, Izuki et Hyuuga. Cela le déprimait par moments, parce que dans son cas, seul sa grande taille l'aidait à être efficace par moments, mais il s'en remettait assez vite. Son optimisme était assez fort. Et puis, il aurait pu être à la place de Tsuchida… Son ami n'était sur le terrain que lors des entraînements, mais cela ne le dérangeait pas le moindre du monde, les autres joueurs le jalousant malgré tout du fait qu'il soit le seul de l'équipe à être en couple. C'était sa petite victoire personnelle sur le reste des autres joueurs de l'équipe, bourrés d'hormones et de curiosité. Aucun n'avait encore eu de relation sérieuse, et certains ne semblaient même pas s'y intéresser pour le moment - comme Kagami, bien trop occupé à trainer sur les terrains de basket la nuit et Kuroko, beaucoup trop à l'ouest dans tout ce qui touchait à autre chose que le basket.
Mitobe et Koganei, eux, étaient bien plus curieux. Enfin, surtout Koganei, qui n'avait aucune honte à en discuter avec les autres joueurs et à mater des filles lorsque l'occasion s'en présentait. Étant bien plus timide, Mitobe se contentait d'écouter les histoires des uns et des autres, récoltant le plus d'informations possibles. Malheureusement, personne n'avait beaucoup d'anecdotes -croustillantes- à raconter, sauf Tsuchida, même si le bougre restait assez évasif sur ce qu'il faisait avec sa copine, malgré les questions diverses et variées qui pouvait fleurir dans l'esprit des jeunes gens. Mitobe et son ami pouvait passer beaucoup de temps à discuter de ce sujet, du genre comment c'est d'embrasser une fille ou même de sortir avec une fille, avant toute chose. Et que faire après ? Tant de questions sans réponses que les deux joueurs avaient prévu de poser à Tsuchida lorsque l'occasion se présenterait. Rien de tel qu'un témoignage en direct pour se faire une idée de la chose.
À la fin de l'entrainement, pour les punir de leurs deux minutes de retard, Riko demanda à Mitobe et Koganei de rester pour ranger la salle tandis que les autres joueurs partaient sur une dernière blague, hilarante comme toujours dans l'esprit de Mitobe, bien trop bon public, d'Izuki.
Il leur restait deux semaines de cours avant les vacances d'été que les joueurs de Seirin avaient prévu de consacrer à un entrainement intensif dans un camp gardé secret par Riko. Ça sentait le plan louche à plein nez, mais cela faisait des vacances à moindre coût entre amis. Personne n'avait osé refuser, trop heureux d'avoir une bonne occasion de voyager et de s'améliorer (et de questionner Tsuchida tant qu'à faire).
Parti pour se changer, une fois le terrain nettoyé, Mitobe ouvrit son casier.
Ramassant la pile d'habits qui était tombée à ses pieds, punition pour les avoir précédemment fourrés en boule dans ledit casier à cause de son retard, il eut la surprise de découvrir une enveloppe fermée par un autocollant fleuri dissimulée dans un repli de son jogging - il avait eu la flemme de mettre un vrai pantalon pour sortir de chez lui, et puis ce jogging lui allait finalement plutôt bien - tentait-il de se persuader. En ramassant la lettre, il eut la surprise de sentir un délicat parfum s'en dégager. Assez fleuri, avec des notes d'agrumes peut-être - pas l'effluve préférée du joueur de Seirin, mais pas désagréable pour autant.
« Qu'est-ce qui se passe ? C'est quoi ça ? »
Voyant que son ami était encore plus silencieux qu'à son habitude, Koganei, qui avait à moitié fini de se changer, arriva torse nu vers son ami et se colla contre son épaule pour lire avec lui, non sans ajouter un « Oh oh, une déclaration amoureuse ? » assorti d'un petit rire d'excitation. Mitobe décacheta l'enveloppe, non sans montrer en souriant la fleur qui la fermait, et sorti la lettre, soigneusement pliée en 4, tandis que des pétales de cerisier s'échappaient et voletaient doucement jusqu'au sol.
« Voilà qui est assez cliché », jugea Koganei - ce que Mitobe approuva d'un hochement de tête - avant qu'ils ne se lancent dans la lecture des mots roses qui ornaient la page, rose elle aussi.
Mitobe-kun (oserais-je un jour écrire ton prénom ?),
Je t'observe, le cœur battant, depuis longtemps,
Dans la cour et les couloirs du lycée,
Ou lors des matchs, sur le terrain...
Dès le début, j'ai été totalement subjuguée
Par tes immenses…
Mais délicates mains
Ta grande taille de mannequin et tes mollets musclés...
Tout ton corps est taillé pour le basket
Et pour bien d'autres sports j'espère...
Lorsque je te vois, mon cœur est en fête,
Je suis prête à tout pour te plaire.
Cela fait deux ans maintenant,
Que chaque jour tu m'éblouis
Que je suis prête à tout
Pour voir ton regard bienveillant et ton sourire si doux.
Je rêve de m'envelopper dans ton silence
Et je nous vois déjà,
Toi me préparant de délicieux petits plats
Et moi me prélassant sur ton lit…
Un petit cœur terminait la lettre - d'autres étaient éparpillés partout sur la feuille, assortis de pâquerettes mal dessinées. Classe. Pas de prénom, pas de signature, exception faite des multiples dessins. Koganei et Mitobe échangèrent un long regard plein de questions. Ils relurent le texte plusieurs fois, et Koganei fut le premier à briser le silence - bien évidemment.
«Voilà une sacré histoire ! Je me demande qui est ton admiratrice secrète... ?»
Mitobe ne savait pas quoi répondre, ni même comment réagir. En découvrant la lettre, son cœur avait fait un bond dans sa poitrine ; il n'avait encore jamais reçu de déclaration d'amour, et surtout rien d'aussi explicite. La plupart du temps, il semblait être plutôt transparent et les filles n'avaient pas l'air de lui prêter beaucoup d'attention - la réciproque étant également vraie, il ne les regardait pas non plus. Si il avait prêté plus d'attention à ce qui se passait autour de lui, aurait-il remarqué cette mystérieuse admiratrice, dissimulée derrière les rangées de casier, fouillant dans ses affaires, sentant ses habits de sport, volant ses chaussettes ? Voilà qui était excitant, quoiqu'un peu bizarre, et il était ravi de mettre un peu d'action dans sa vie.
D'un commun d'accord, Mitobe et Koganei avaient filé chez ce dernier pour convenir de la marche à suivre et discuter dans un endroit un peu plus accueillant que les vestiaires du lycée. Installés sur la terrasse avec des glaces à l'eau, pour se donner l'impression qu'il faisait une chaleur écrasante et que l'été était bel et bien là, ils relurent une énième fois le poème. Koganei était étrangement surexcité par cette lettre, et échafaudait déjà des plans d'avenir radieux pour son ami et celle qu'il avait déjà surnommée, avec beaucoup de goût et d'originalité, «la mystérieuse admiratrice». Ils listèrent tout ce qu'ils savaient de l'auteur(e) présumé(e) de la lettre :
1) Du rose, des cœurs, des fleurs, du parfum sucré. De toute évidence c'était une fille, et qui devait lire beaucoup de shojos et de romans à l'eau de rose. Et elle devait aimer écrire des poèmes, mais si elle n'était pas vraiment douée pour ça les rimes n'étaient pas exceptionnelles et les vers mal organisés – pourquoi diable avaient-ils noté ça ? Cela n'aidait guère l'enquête, songea Mitobe en rayant la dernière phrase.
2) Elle l'observait depuis deux ans, selon ses propres dires : elle devait donc être en deuxième ou en troisième année, même si la deuxième année leur semblait plus plausible selon la simple idée reçue que les filles ne s'intéressent pas aux garçons plus jeunes. Ou alors, la femme du concierge avait sérieusement craqué sur son physique de rêve.
3) En parlant de physique, elle devait être totalement sous le charme pour le détailler à ce point. Et l'avoir beaucoup suivi pour savoir qu'il ne parlait pas et qu'il était doué en cuisine… Ce dernier point était d'ailleurs surprenant, ils avaient eu quelques cours de cuisine mais les élèves des autres classes n'avaient pas les cours en même temps qu'eux.
4) Elle semblait également très à l'aise avec sa sexualité puisque les deux joueurs pensaient deviner un subtil rentre-dedans à base de « d'autres sports » et « dans ton lit ». Mitobe était assez gêné à cette idée, puisqu'il ne connaissait pas grand chose au sujet. Et puis les filles, dans sa tête, ne faisaient pas ça de façon aussi directe, non ? Et puis, ON NE S'INVITE PAS DANS LE LIT DES GENS COMME CA.
«Pourquoi tu l'as écrit aussi gros, ça prend toute la place sur la feuille… », fit remarquer Koganei.
A ce point de l'enquête, Mitobe commençait à craindre légèrement pour sa sécurité, de peur de retrouver une inconnue en petite tenue se roulant dans son lit en lui réclamant des sushis faits maisons. Heureusement, le reste du poème tempérait un peu les déclarations enflammées et étaient un peu plus mignonnes, ce qui était un peu plus rassurant que l'idée de rentrer un soir pour découvrir une fille chez soi.
5) Les vacances d'été étaient dans deux semaines, ils devraient mener l'enquête assez vite si ils voulaient découvrir l'identité de cette personne…
6) Pour la découvrir, ils allaient devoir surveiller attentivement leur environnement. La fille n'avait pas indiqué qu'elle était dans leur classe, et rien ne le laissait penser. Elle disait le regarder dans les couloirs et lors des matchs, pas dans la salle de cours. Elle devait donc être dans la classe de Hyuuga ou d'Izuki. Ils pourraient les mettre à contribution.
A ce point de l'enquête, ils se sentaient comme Sherlock Holmes accompagné de son fidèle Watson, persuadés d'être sur une bonne piste pour leur enquête, et continuèrent encore leur liste, pour ne rien oublier.
7) Le parfum sur la lettre. Il fallait s'en souvenir pour renifler discrètement les filles qui passeraient. Sur ce point, Mitobe était sceptique - il est très dur de sentir sans se faire prendre. L'imagination de Koganei s'emballa un instant, et il imagina son ami, reniflant bruyamment les lycéennes qui auraient le malheur de croiser son chemin, allant jusqu'à les poursuivre dans le couloir pour les bloquer dans un coin avant de fourrer son nez dans leur cou, pour finalement repartir avec un regard dédaigneux en cas d'échec. Une fois leur fou rire calmé, ils écrivirent la dernière étape du plan.
8) Se procurer la liste des élèves de deuxième année, pour pouvoir travailler par élimination, tel une partie de « Qui-est-ce ? » géant. Là encore, ils auraient sûrement besoin de l'aide des autres joueurs de deuxième année de Seirin.
Faire cette liste les avait bien occupés. Mitobe resta à trainer chez Koganei comme à son habitude, sauf que cette fois-ci leur sujet de discussion était encore et toujours le même. L'impatience et la hâte d'être déjà lundi les avaient gagnés, et Mitobe rentra chez lui encore troublé de cette aventure inattendue. Il avait pris la liste avec la lettre, et relu cette dernière de nombreuses fois au cours de la soirée. C'était tellement surprenant qu'il avait du mal à y croire. Cette mystérieuse fille qui avait su le remarquer malgré son extrême discrétion, et à qui il avait réussi à plaire sans rien faire, devait être incroyable. Le soir venu, allongé dans son lit sans pouvoir trouver le sommeil, Mitobe se faisait des films et dans son esprit bien trop joyeux, il s'imaginait reconnaître sa mystérieuse admiratrice d'un coup d'œil, et, après un long regard passionné, il tomberait sous le charme et ils vivraient heureux pour toujours. En gros. Après avoir déroulé plusieurs versions du même film dans sa tête, il fini enfin par s'endormir.
Son optimisme à toute épreuve ayant pris le dessus sur l'appréhension, c'est le cœur rempli d'espoir et la liste dans sa poche avec la lettre qu'il se rendit au lycée le lundi matin, après un dimanche passer à rêvasser et à échanger des messages avec Koganei, qui avait l'air aussi excité que lui à l'idée de mener une enquête. Comme à leur habitude, ils se retrouvèrent sur le chemin et firent une petite danse stupide de la joie à l'idée que l'Action et l'Aventure avaient fait irruption dans leurs vies et que quoiqu'il se passe, ils allaient sûrement bien s'amuser. La famille des chats qui les avaient mis en retard la dernière fois était toujours là, et ils perdirent encore du temps à jouer avec eux ; ce n'était pas comme ça qu'ils allaient pouvoir surveiller les filles sur le chemin du lycée…
Après une marche rapide, pour rattraper le temps perdu, ils arrivèrent au lycée juste à temps pour le début des cours pas le temps pour eux de commencer leur travail d'investigation à leur grand regret. Échangeant des regards de frustration, les deux amis durent attendre l'heure de la pause, le stress devenant de plus en plus présent chez Mitobe, qui gribouillait dans la marge de son cahier pour s'occuper l'esprit.
Enfin, la sonnerie retentit.
Faisant craquer ses jointures, et regrettant de ne pas avoir de lunettes de soleil à poser sur son nez, Koganei sortit dans le couloir, bras tendu et doigt pointé vers une direction totalement aléatoire, en claironnant un bien trop joyeux « En route ! », suivit d'un Mitobe un peu mal à l'aise, observant les alentours d'un air vaguement détaché qui ne convainquait à vrai dire personne.
Leur enquête débutait, et cela promettait d'être chaud.
