Hotch était penché au-dessus de son bureau. Il paraissait tellement enraciné, tellement perdu dans ses pensées ou sa concentration, que personne n'aurait osé l'interrompre.

Et de ce fait, il était perdu, mais pas dans une zone productive. En vérité, les deux mêmes mots trottaient inlassablement dans son esprit. Cela avait commencé faiblement, sur le vol du retour, en direction de Quantico. A présent, ces mots retentissaient à un rythme qui ressemblait vaguement à une plainte dans son oreille interne.

Hotch était penché sur le dossier qu'il prétendait lire.

Bientôt, ces deux mots terribles se transformèrent en un cri retentissant. Et il ne savait pas s'il serait capable de les tenir à distance, en expulsant sa colère, sa haine et son indignation pour leur proximité.

Nourrir leur élan avec les derniers vestiges de sa maitrise de soi.

Il voulait dénouer sa cravate. Il voulait retirer ses chaussures. Il voulait retirer sa ceinture dans un glissement sec et la déposer sur le sol. Bon sang, je veux me déshabiller et courir nu sous la pluie, jusqu'à ce que quelqu'un m'arrête, dût-il se faire mal.

Sans attirer l'attention des coéquipiers sur les actions excessives du chef de l'unité du BAU. Ou d'une personne à la maison. Vous savez… une personne saine d'esprit.

Il se pencha sur son semblant de travail.

Toutes les minutes il jetait furtivement un regard à l'extérieur de son bureau, à travers les persiennes, au-delà de l'enclos des profileurs. Il y avait une lueur vacillante dans ses yeux sombres que personne ne pouvait remarquer à cette distance. Allez, tiens bon. C'était une longue affaire. Nous sommes rentrés tard. Tout le monde sait que les rapports ne sont pas dus avant demain. Ils vous tous rentrer à la maison. Bientôt…

Hotch était penché sur son bureau, attendant que tout le monde quitte les lieux. Il semblait intensément concentré afin que personne ne s'arrête pour lui dire bonsoir ou lui demander combien de temps il prévoyait rester ou même, si tout allait bien. Parce que justement, tout n'allait pas bien!

Il ne savait pas ce qu'il ferait une fois qu'il serait seul. Sans aucun doute, les deux mots s'échapperaient de son esprit pour éclabousser l'extérieur.

Il ne savait pas à quoi un tel phénomène pourrait ressembler.

Mais il savait une chose. Il ne voulait pas que les membres de son équipe en soit témoin.

Juste… tenir… bon.

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Morgan repoussa son fauteuil et étira ses bras vers le haut, aussi loin qu'il le pouvait, accompagnant son mouvement d'un grognement satisfait. Il laissa tomber son stylo sur la pile de papiers et s'inclina vers l'avant pour éteindre son ordinateur.

- Eh Prentiss, te sens-tu l'envie d'aller quelque part pour te relâcher un peu ?

Il savait qu'elle était son meilleur pari pour une partenaire quand venait le temps de longer les bords de la bienséance et de barbotter dans une activité parascolaire qui faisait justement appel à lui en ce moment. N'importe quoi pour émousser les bords de leur dernière affaire.

- Oui, bien sûr.

Elle jeta son stylo et s'étira langoureusement.

- Toute cette paperasse sera encore là demain matin. Alors ça peut attendre.

Morgan regarda JJ éteindre les lumières de son bureau et descendre les marches de la passerelle. Il savait déjà quelle serait sa réponse à son invitation. Elle préférerait rentrer à la maison, oublier momentanément l'affaire et être en compagnie de sa petite famille. Pendant un moment, il l'envia. Seulement pendant un moment. Il n'envisageait pas de se fixer pour l'instant. Comme l'agente de liaison s'approchait, il se tourna vers un autre partenaire en train de gratter du papier, qui serait susceptible d'accepter.

- Reid ? Tu es partant ?

Pas de réponse. Morgan chiffonna un post-it en une boulette et le lança dans la direction de Reid.

- Eh ! Reid !

- Euh… quoi ?

Les grands yeux miel ambré du jeune agent regardaient tout autour de lui, comme s'il se trouvait dans un environnement inconnu. Il cligna des yeux, le regard confus.

- Focus, le génie. Tu veux venir avec Prentiss et moi ? Descendre quelques bières ? Ou un autre poison de ton choix ?

- Oh… euh… merci, les gars… hmm…

- Spence… fit la voix douce de JJ, sachant qu'il se dépêtrerait dans des excuses maladroites.

Reid éprouvait certains problèmes avec l'interaction sociale. JJ lisait clairement en lui. Il veut de la compagnie, mais pas celle d'un bar bruyant. Et il ne veut pas noyer les cellules de son magnifique cerveau dans l'alcool. Cela n'affectera pas sa mémoire de la manière que cela nous affecterait. Il aura à sa disposition chaque détail ou chaque nuance. Mais il veut surtout que les autres se rendent compte combien il apprécie qu'on lui ait demandé. Parce que peu gens l'acceptait dans leurs rangs.

Les trois agents observèrent JJ avant qu'elle ne continue.

- Spence, tu veux que je te raccompagne ?

Peut-être que c'était ce dont il avait besoin. Ils le savaient tous.

- Donc c'est entre toi et moi, Prentiss, dit Morgan. Une partie à deux.

Son regard s'égara sur la passerelle où deux bureaux étaient encore occupés.

- Tu penses que Rossi nous accompagnerait ? Ou Hotch ?

Le reniflement de Prentiss ajouta une certaine profondeur à son opinion. Tous les yeux convergèrent vers le bureau situé en angle de la passerelle. Les voix se turent, le temps de quelques battements. Ils examinaient la silhouette qui semblait absorbée dans son travail.

- Il était silencieux sur le vol du retour.

- Ça été difficile pour lui. Je peux comprendre pourquoi.

- Parce que tu es un parent toi aussi, JJ.

- Oui, mais je n'y étais pas. Ce que je voyais c'était les photos. Assez horribles. Mais ce n'est pas la même chose que… vous savez… être là…

- L'expérience… et les impressions olfactives sont l'une des plus fortes et des plus durables. Elles s'impriment dans notre subconscient… et bien…

- Merci pour ta perspicacité, gamin. Je vais tout de même demander à Rossi s'il veut venir. Vous pourriez vous encanailler pour faire changement. Et peut-être qu'il a quelques impressions sur le grand patron.

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Normalement, Hotch aurait quitté les lieux pour rejoindre son fils.

Même si le garçon était endormi, il se serait penché tout près de lui, pour inhaler son odeur d'enfant, se laisser transporter vers un lieu de confort et d'amour. Il aurait posé son menton sur le bord du lit et laisser ses yeux le contempler, longuement et profondément, jusqu'à diluer les choses horribles qu'il avait vues aujourd'hui ; au nom du devoir.

Mais pas cette fois.

Les enfants sont perspicaces. Hotch ne voulait pas que Jack détecte la tempête qui faisait rage dans l'âme de son père. Il ne pouvait prendre le risque de laisser ces yeux innocents voir la tragédie dans ceux de Papa.

Et il ne pouvait pas se leurrer en se disant que le garçon ne détecterait pas la lueur de sauvagerie qu'un monde brutal avait déposé sur son père, en laissant des traces comme une odeur persistante qui prenait de plus en plus de temps à se dissiper chaque fois que Papa revenait à la maison.

Ses yeux convergèrent à nouveau vers l'enclos, pour vérifier ce qui se passait. La plupart des membres de l'équipe étaient réunis autour du bureau de Morgan.

Bien. Ils sont sur le point de partir.

Hotch se mordilla la lèvre. Les deux mots le tourmentaient plus que jamais, atteignant un crescendo intolérable.

Partez. Je vous en prie. Dépêchez-vous et partez. Vite… vite… vite…