Titre : Erreur d'enfance ?

Auteur : Vyersdra

Disclaimer : X de CLAMP ne m'appartient pas. Encore moins Fûma et Kamui, que j'aurais voulus pour mon anniversaire. J'aurais joué au papa et à la maman avec eux… Hem… A part ça, je ne fais pas de fanfictions pour gagner des sous et si c'était possible, ça se saurait !

Rating : M donc interdit aux mineurs !


Chapitre 1 : Erreurs d'enfants

Mes narines frétillent à l'odeur alléchante qui se dégage de la marmite. Décidément, ma soupe miso sent si bon ! Et elle semble si appétissante, hein, ma chère Tôru ? Tu te souviens de l'époque du lycée, lorsque je t'invitais à dormir chez moi ? Le matin, je te préparais une soupe miso et à chaque fois, tu me disais qu'elle était délicieuse. Et j'ai depuis gardé cette habitude, au point de ne plus pouvoir commencer une journée sans. Kyôgô en prend un bol avant de partir, souvent avec Fûma, d'ailleurs, mon fils aîné est vraiment très matinal puis vient le tour des enfants lorsqu'ils descendent après s'être levés et préparés. Eh oui, même Kamui, qui passe tous les weekends à la maison depuis que vous êtes arrivés à Tôkyô, raffole de mes soupes miso !

Mais Tôru, tu sais, le goût de ma soupe ne rivalise pas avec la saveur, l'onctuosité de ta peau. Crois-tu que je ne me souviens pas de toutes les choses coquines que nous faisions en cachette lorsque tu venais dormir chez moi ? Penses-tu réellement que j'ai oublié tes baisers et tes caresses, tous les "Je t'aime" que tu m'as murmurés ?

J'éteins le feu à l'entente de bruits de pas qui descendent les escaliers quatre à quatre. Trop légers pour être ceux de Fûma, trop lourds pour appartenir à ma fille Kotori. Kamui, donc, vient prendre son petit déjeuner et je pense que mes enfants ne vont plus tarder, sans doute finissent-ils de se préparer. Néanmoins, je suis étonnée que Fûma n'ait pas encore montré le bout de son nez, lui qui est généralement debout bien avant les deux autres, qui mange et ensuite va réveiller sa sœur et Kamui d'où le besoin pour moi de réchauffer un peu la soupe pour les deux plus jeunes après le départ de mon mari. Cela dit, je ne peux pas dire que les enfants fassent la grasse matinée en ce dimanche d'été car il n'est que huit heures trente: quand Kamui est là, ils se lèvent tous avec empressement afin de ne pas perdre ne serait-ce qu'une seconde et de jouer ensemble toute la journée. Et voilà comment mes samedis et dimanches sont emplis de cris, de rires, de chamailleries comme de tendresse. Ces trois-là sont vraiment inséparables…

« Bonjour, tante Saya ! S'exclame Kamui en accourant vers moi. C'est la soupe miso ? Elle est prête ? » Me demande-t-il avec envie.

Ses yeux … si bleus, comme les tiens et ça me fait tellement mal…

« Bonjour, mon garçon ! Tu as l'air en forme ! L'orage d'hier soir ne t'a pas empêché de dormir, à ce que je vois ! Et heureusement, fais-je en me baissant afin de lui caresser la joue, si tu avais des cernes autour de tes si jolis yeux, ta maman m'en voudrait ! »

Ma main, délicatement, descend au creux de son cou. Hein… ? Quelle est cette petite trace rose sur sa peau, près de l'encolure de son tee-shirt ? J'espère que ce n'est… qu'une piqûre de moustique, nous sommes en été, après tout, quoi de plus logique, n'est-ce pas…

« Tiens, ne serait-ce pas Kotori ? » Dis-je en levant la tête vers les escaliers.

Kamui, debout face à moi et donc dos à la porte ouverte de la cuisine donnant sur le salon et l'escalier, se retourne et lève la tête à son tour, me permettant ainsi de voir clairement deux marques sur sa nuque : une sur le côté gauche, d'un rose léger, qui est bien plus large que je ne le pensais et l'autre au milieu. Elles sont certes légères, mais immanquables sur une peau d'une telle blancheur. Et je pense qu'elles ne partiront pas d'ici ce soir. Et ce ne sont pas des piqûres de moustique… Ou plutôt, nous avons affaire ici à un très gros moustique…

« Non, fausse alerte, tu t'es trompée, tante Saya ! Me dit Kamui avec une once de reproche dans la voix. Elle doit encore être dans la salle de bain ! Les filles…

-Eh bien, disons que j'ai mal vu, répliqué-je avec un grand sourire innocent. Tu sais, ma Kotori est si petite, et de là où je suis…

-Et Fûma qui n'est toujours pas levé ! Fulmine Kamui. J'ai dû faire gaffe lorsque je me suis levé pour ne pas faire de bruit, je ne voulais pas le réveiller. Mais quand même ! C'est lui qui me réveille d'habitude ! Ah, tante Saya, tu sais quoi ? J'ai dormi dans son futon hier soir. J'aime pas l'orage… » Avoue-t-il piteusement.

Ah, ah… La piste du gros moustique se confirme, on dirait…

« Moi non plus, tu sais, mon garçon… Je n'ai pas vraiment dormi à cause de ça…

-Moi, je n'ai rien entendu ! Lance ma chère Kotori en descendant les escaliers pour nous rejoindre. Bonjour maman !

-C'est parce que tu t'es endormie tôt, que tu n'as rien entendu ! » Réplique sèchement Kamui.

Ca, ça m'intéresse… Kotori, par réflexe, nous rejoint dans la cuisine, sort les assiettes, les verres, les bols et les baguettes et commence à mettre la table, vite suivie par Kamui qui prend les dessous de plat et les serviettes par dessus. Quant à moi, je me charge de la marmite de soupe.

« Non, à onze heures, je ne dormais toujours pas ! Dit Kotori avec une moue boudeuse. Je lisais un livre.

-Moi, avec Fûma, on a joué aux cartes ! Mais je ne sais pas à quelle heure on est allés se coucher…

-Vous avez joué aux cartes ? » Répété-je en haussant un sourcil.

Rien d'autre, tu es sûr, Kamui ? Tu ne me caches rien ? Kotori, qui passe derrière lui, ne peut cacher un cri de surprise, me donnant un coup de main bien malgré elle:

« Hé, Kamui, tu as deux marques dans le cou !

-Ah bon ? Où ça ? Mince, je peux pas les voir ! Geint-il en essayant vainement de tourner la tête en arrière.

-Maman, c'est quoi ? On dirait des piqûres de moustique, c'est tout rouge, mais il n'y a pas de bouton…

-Laisse-moi voir ça, tu veux ? » Lui demandé-je en déposant la marmite de soupe miso sur un dessous de plat, puis en m'approchant de Kamui.

De nouveau, j'examine, minutieusement en apparence, la nuque de Kamui. Puis j'en conclus à des piqûres de moustique, malgré les protestations de Kotori qui n'arrête pas de me faire remarquer l'absence de boutons sur la nuque de son ami. Mais pas besoin de leur expliquer des choses qui ne sont pas encore de leur âge, à ces deux têtes encore très innocentes. Le plus surprenant est que Kamui lui-même ne semble pas au courant de ce qui lui est arrivé. Et ce n'est pas du tout son genre de raconter des histoires, je pense que je l'aurais remarqué, sinon. Après tout, qui ment inlassablement à tout le monde depuis plus de dix ans à cause d'un amour impossible ? Moi, évidemment…

Je leur demande de s'asseoir pendant que j'apporte l'autocuiseur contenant le riz, ainsi que le poisson grillé sur un plat. Ma fille ne cesse de décrire à Kamui avec force détails les deux stars du jour qui trônent sur son cou, en insistant bien sur le fait qu'il n'y a pas de bouton aux alentours… Soucieuse de mettre fin à ces babillages et surtout de détourner leur attention, je m'installe près d'eux et tout en commençant à leur servir la soupe miso, je déclare d'un ton qui se veut sans appel :

« Kotori, écoute, ce sont des piqûres de moustique, un point c'est tout.

-Mais maman…

-Il n'y a pas de " Mais maman" qui tienne. Il arrive que les moustiques ne laissent pas de bouton, mais simplement des rougeurs, surtout si la morsure date d'un long moment. Kamui s'est sans doute fait piquer durant la nuit, pendant son sommeil, c'est tout. Ce n'est pas la peine de faire autant de raffut pour si peu. Maintenant, mangez, sinon, ça va refroidir. »

Kotori, que je ne savais pas si coriace, penche la tête sur le côté, en proie à une intense réflexion. Ecoute, ma fille, même si tu as bel et bien raison, restons-en là pour aujourd'hui, je t'en prie. Ce n'est pas avec toi que je dois avoir ce genre de discussions, mais avec celui dont les pas se font actuellement entendre à l'étage. Je ne peux m'empêcher de laisser échapper un long soupir en pensant à l'interrogatoire qu'il convient de mener. Heureusement que mon mari est au temple…

« Mais c'est drôle que je me sois fait piquer par des moustiques cette nuit… » A commencé Kamui après avoir bien entamé son bol de soupe, couvrant par là-même les bruits de pas qu'il n'a certainement pas entendus.

Kamui, aie pitié de moi, ne remets pas cette histoire sur le tapis… Mais bien sûr, Kotori, suspendue à ses lèvres, attend la suite :

« Cette nuit, j'ai rêvé que je me faisais sucer le sang par un moustique géant ! Continue-t-il avec de larges gestes, pour impressionner Kotori, ce qui fonctionne évidemment. Il m'a attrapé par derrière, et s'en est pris à mon cou. Je me suis débattu, et après, il est parti, je ne sais plus comment… Je n'arrive pas à m'en souvenir… Ajoute-t-il après quelques secondes de silence.

-Ouah ! Moi, je ne me souviens pas de quoi j'ai rêvé cette nuit, je n'arrive jamais à me rappeler de mes rêves », commente Kotori.

Ne t'inquiète pas, ma chérie, lorsque tes rêves parleront de la fin du monde, crois-moi, tu t'en souviendras, mais tu as encore le temps. Un vague à l'âme me prend en pensant au destin de liseuse d'étoile qui attend ma fille dans quelques années, et je l'observe de manière mélancolique. Ma pauvre fille…

« Maman, ça va ?

-Oui, ma chérie, ça va. Je vous laisse, j'ai à faire en haut. N'hésitez pas à vous resservir si vous n'en avez pas assez.

-D'accord ! » Me répondent-ils en chœur.

Je me lève donc et monte les escaliers, le cœur serré. C'est un très gros moustique que je me dois d'attraper. Onze ans à peine... C'est vrai qu'il est précoce et puis, il grandit, j'en ai pris conscience lorsque je me suis aperçue que depuis quelques temps, ça lui arrive de salir ses draps la nuit. Mais cela ne justifie en rien son acte.

S'est-il seulement rendu compte de sa bévue ? Laisser des marques si visibles, croyait-il vraiment qu'elles passeraient inaperçues ? Même mon mari pourrait les voir, il va falloir que je trouve un prétexte pour ramener Kamui chez lui avant le retour de Kyôgô, je n'ai vraiment pas envie de m'expliquer avec lui sur ce sujet et encore moins en présence des enfants.

Vraiment, pourquoi Fûma a-t-il fait ça à Kamui, son "meilleur ami", comme il dit si bien ? Par simple jeu ? Ca m'étonnerait, lui qui est toujours si sérieux dans tout ce qu'il entreprend que c'en est parfois effrayant. Sait-il seulement qu'avec un tel comportement, il risque de perdre son "ami" ? Enfin, il me faut tirer ça au clair et vite. Je vais le surprendre dans sa chambre afin de voir sa réaction. Il sera étonné, certes, mais aura-t-il peur ? Peur en se disant que je sais ce qu'il a fait à Kamui ?

Je fais coulisser la porte de sa chambre et la referme derrière moi. Tout est bien en ordre, ne manquent que les futon à sortir. Sur le bureau à gauche, un paquet de cartes retient mon attention. Celles auxquelles Kamui a fait référence, sans doute. A quoi ça sert de les faire aller se coucher tôt si dès que j'ai le dos tourné, les enfants s'amusent ? Si je leur ai donné à chacun une lampe de poche, ce n'est pas pour ça, mais pour pallier une éventuelle coupure de courant ! Si étourdis, Kamui et Kotori ne se sont même pas rendus compte qu'en abordant ce sujet devant moi, ils ont vendu la mèche… Eux alors… Leur candeur ne me donne même pas envie de les punir…

Ce n'est pas le genre d'erreurs que commettrait leur aîné, si soucieux des détails, si scrupuleux. Je dois avouer que je l'ai pris très rarement en faute. C'est pourquoi je n'en reviens toujours pas qu'il ait fait de tels suçons (parce qu'il faut bien appeler un chat un chat) sur le cou de Kamui. Bon sang, mais ils sont encore à l'école primaire, à quoi pense-t-il, à la fin ? Le sang commençant à me monter à la tête, je respire profondément et m'assieds sur les talons en plein milieu de la chambre, essayant de calmer les tremblements de mes mains sur mon tablier. Et j'attends.

Quelques minutes plus tard, mon fils retourne dans sa chambre, habillé d'un tee-shirt et d'une paire de jeans, et m'y trouve. Il ne cache pas sa surprise, il a dû comprendre que je n'étais pas là pour le réveiller ou pour une inspection de propreté, mais pour lui parler. Il s'agenouille en face de moi avant d'ouvrir la bouche pour simplement me dire :

« Bonjour, maman. »

Il n'y a aucune crainte, aucune panique dans sa voix. Etrange… Se croit-il à ce point au-dessus de tout soupçon ? Je prends ma plus belle voix et lui dédie mon plus joli sourire afin d'entamer la conversation :

« Bonjour, Fûma. Tu as bien dormi ? Il est rare que tu te lèves si tard, Kamui et Kotori n'attendent que toi pour bien commencer leur journée, tu sais ?

-J'étais très fatigué.

-Il paraît que tu t'es couché tard car tu jouais aux cartes avec Kamui. C'est lui qui me l'a dit par inadvertance, lâché-je en jetant un bref coup d'œil au paquet de cartes.

-C'est vrai, reconnaît-il après un silence en baissant la tête. On n'était pas fatigués, alors on a pris une lampe et…

-Ce n 'est rien, ça passe pour cette fois. Ce n'est pas ce que je veux mettre au clair.»

Je le sens se tendre, mais il ne dit rien, il attend. Mon fils n'est vraiment pas bavard, il est même un peu bourru, mais je dois avouer qu'il est obéissant avec son père et moi, en plus d'être d'agréable compagnie avec sa sœur et Kamui qui ne peuvent d'ailleurs pas se passer de lui, que ce soit pour jouer au ballon, faire du vélo, raconter des histoires, jouer à cache-cache, faire les devoirs de classe, dessiner et j'en passe…

« Kamui m'a raconté qu'il avait un peu peur de l'orage et qu'il a dormi avec toi cette nuit, je veux dire dans ton futon puisque vous partagez déjà la chambre quand il est là. Tu confirmes ?

-Oui.

-En le voyant ce matin, j'ai remarqué des marques rouges sur son cou, une sur sa nuque et l'autre sur le côté.

-Des marques rouges ?

-Oui. Pourrais-tu m'expliquer ce qui a causé ces marques ? »

Il hausse les sourcils, semblant réellement surpris. S'il joue la comédie, il peut monter sur les planches dès maintenant, il aurait ses chances.

« Ce ne sont pas des moustiques ? Nous sommes en été, non ? Sinon, je… »

Un court silence, ensuite, durant lequel je le vois pâlir à vue d'œil et c'est d'une voix légèrement plus basse, plus rauque, qu'il continue :

« Je ne vois pas ce que ça peut être.

-Vraiment ?

-Vraiment », me dit-il avec un tout petit peu plus d'assurance.

Et en me laissant estomaquée. Mais mon fils ne sait évidemment pas que question mensonge, peu de personnes peuvent rivaliser avec moi : Tôru, une amie d'enfance… Kyôgô, l'homme que j'aime et que j'ai voulu épouser… Tout cela, ce ne sont que des histoires à dormir debout que je vous fais avaler depuis dix ans, sans honte aucune. Et c'est bien le pire ! On n'apprend pas à un vieux singe à faire des grimaces, Fûma… Ne comprend-t-il pas que je l'ai déjà démasqué ? Oui, il le sait sans doute. Alors pourquoi faire semblant de ne rien savoir..? Calme-toi, Saya, du calme, n'oublie pas que tu as une santé fragile et que le stress comme la colère sont très mauvais pour toi… Respire un bon coup… Là, c'est bien… continuons :

« Tu ne l'aurais pas embrassé dans le cou, à tout hasard ? Alors qu'il dormait à tes côtés ?

-Comment…

-Comment je le sais ? Non, ce n'est pas Kamui qui est venu "rapporter". Il m'a dit qu'il a rêvé s'être fait piquer par un moustique géant… Rien à voir avec toi, évidemment… » Asséné-je avec force.

Là, j'ai mis mon fils K.O. Maintenant, je vais pouvoir savoir ce qui lui est passé par la tête la nuit dernière. Mais avant, je lui dois quand même quelques explications :

« A dire vrai, tu n'as pas seulement embrassé Kamui dans le cou, tu as sucé la peau de sa nuque, suffisamment fort pour que ça laisse des marques similaires aux bleus que l'on se fait lorsqu'on se blesse, dû à l'afflux de sang qui remonte sous la peau. Tu ne le savais pas, c'est ça, que ça laissait de telles marques ? » Lui demandé-je en voyant son air abasourdi.

Il secoue lentement la tête, hébété. Je vois…

« Rassure-toi, j'ai fait croire à ta sœur et à Kamui que c'étaient de simples piqûres de moustique. Car comme Kamui ne connaissait pas l'origine de ces… marques, et vu le rêve qu'il m'a raconté, j'ai des raisons de croire que tu as agi pendant son sommeil. Son rêve a dû prendre en compte ce qu'il ressentait physiquement et ça s'est traduit par l'attaque d'un moustique géant et tout. Ca arrive parfois… Je t'avoue que même Kotori a eu du mal à croire cette histoire de piqûre, et ne pense pas que ça va échapper à ton père lorsqu'il rentrera. Maintenant, j'espère que tu as de bonnes raisons à me fournir, Fûma. »

Nerveux, les mains et les lèvres tremblantes, il ferme les yeux un long moment. Je dois avouer que je ne suis pas plus calme que lui, je pense. Il déglutit et lorsqu'il commence ses explications d'un "Je" hésitant, sa voix se brise. Je lui laisse le temps nécessaire afin qu'il rassemble le courage qui lui reste et qu'il me raconte :

« Hier soir, il y avait l'orage, alors je lui ai proposé de venir dormir près de moi parce qu'il avait un peu peur et qu'il n'aime pas l'orage, mais… Je jure que je n'ai pas voulu, mais… Sa peau, elle… sentait bon, il était collé contre moi et ses cheveux touchaient mes lèvres et… et… Alors… Ils sentaient bon, et je ne savais pas qu'ils étaient aussi doux et soyeux, alors je… Je les ai touchés et ma main est descendue dans son cou, c'était chaud… et doux, alors… »

Alors tu as cédé à la tentation qui se présentait à toi, cette parcelle de chair offerte, comme suppliant tes lèvres de la toucher, un peu. Un "un peu" qui a évolué en un "encore", en un "beaucoup". Tu as goûté à un fruit certes défendu, mais tellement enivrant que tes sens étourdis n'ont rien voulu entendre. Résultat, tu as voulu toucher, juste toucher… Tu as goûté, mordillé, sucé cette nuque qui te faisait tant envie. Puis-je t'en blâmer ? Je sais combien Kamui ressemble à sa mère. Les mêmes yeux bleus envoûtants, les mêmes cheveux de jais, lisses comme de la soie. Le même grain de peau et je devine sans mal les mêmes lèvres tendres, la langue appétissante et… Crois-moi, mon fils, tu es encore loin d'avoir découvert tous les trésors que doit receler le corps de Kamui. Mais je m'égare, là…

« Tu as aimé ?

-Comment ?

-La peau de Kamui… Tu l'as aimée ?

-Je… Oui », reconnaît-il après un silence.

Je sais que je m'avance en terrain glissant, mais je dois absolument savoir jusqu'à quel point Fûma est conscient de son désir envers Kamui.

« Cette nuit, ou plutôt très tôt ce matin quelqu'un est allé aux toilettes. Je ne dormais pas… C'était toi ? »

Mon fils me regarde comme un poisson hors de l'eau. Oui, j'ai bien conscience qu'une mère n'a généralement pas ce genre de discussion avec son fils, mais…

« Je… suis allé aux toilettes faire pipi. »

Bien joué. Mais bien trop prévisible…

« Et alors ? Me demande-t-il, méfiant. Mais quoi, à la fin ? Insiste-t-il devant mon mutisme.

-Fûma, dis-je alors dans un soupir, je suis ta mère et je suis assez grande pour savoir ce genre de choses, ce que tu as ressenti en présence de Kamui et la manière dont ton corps y a réagi. »

Surtout, je t'imagine sans peine dans ton futon humer l'odeur de Kamui, goûter chaque centimètre carré de peau accessible, te frotter, te presser doucement, mais longuement contre lui et serrer les dents pour ne pas le réveiller avec tes gémissements. Tes mains ont-elles caressé son flanc, son ventre sous son pyjama, sont-elles allées sur ses hanches, se sont-elles même perdues plus haut, plus bas ? Auquel cas, Kamui a le sommeil vraiment lourd…

Pas étonnant qu'avec une nuit aussi riche en émotions et sensations, Fûma n'ait pas réussi à fermer l'œil. Et puis, comment faire l'impasse sur une tentation pareille ? Ce serait refuser un cadeau le jour de Noël… Je suis mal placée pour lui faire des reproches, je le sais, je le sais bien… Mais au nom de Tôru, je ne peux pas tolérer un tel comportement et il doit le savoir. Moi, au moins, j'étais au lycée quand j'ai commencé à jouer de la sorte avec ma Tôru et sa peau de nacre…

Et lui… Onze ans. Onze ans à peine et on en est déjà là. Qui l'aurait cru ? Je soupire bruyamment en me prenant la tête entre les mains. Et ce ne sont encore que des enfants ! Enfin, après cet événement, pourrai-je encore considérer mon fils comme tel ? A ce train-là, qu'est-ce que ce sera en 1999, en pleine adolescence et lutte pour la fin du monde ? Je ne serai plus là, Kotori non plus et je n'ose même pas imaginer ce que ça donnera…

« Fûma, je vais prendre des mesures, lui dis-je finalement en relevant la tête le plus dignement possible.

-Des mesures ? Répète-t-il, interloqué.

-Tes marques ne sont pas du tout discrètes. Kotori les a remarquées et j'ai eu du mal à lui faire croire à des piqûres de moustique. Kamui, lui, ne m'a pas posé de complications particulières, je pense que c'est parce qu'il ne les avait pas vues. Mais tu comprends bien que lorsque Tôru viendra récupérer son fils ce soir, elle me demandera des comptes et je ne pourrai pas lui mentir, elle non plus n'est plus une enfant. Idem pour ton père qui rentrera en fin d'après-midi à la maison, continué-je face à mon fils qui a rivé ses yeux au sol. Cependant, je t'avoue que je n'ai pas envie de m'expliquer avec lui à ce propos. Par conséquent, je renverrai Kamui chez lui plus tôt que prévu, dans l'après-midi. Je prie pour que tes marques disparaissent d'ici à demain, mais je conseillerai à Tôru de mettre un pansement dessus pour les cacher au cas où. »

Je prends une pause, avant de continuer :

« J'espère que tu mesures bien les conséquences de ton acte irréfléchi. Je m'arrangerai pour qu'il n'y ait pas de deuxième fois. Connaissant Kamui et la profonde amitié qu'il a envers Kotori et toi, ce serait criminel de lui interdire l'accès à chez nous. Il pourra même dormir ici. Cependant, il dormira dorénavant dans la chambre de ta sœur.

-Mais… »

Puis plus rien. Mon fils ne pipe mot. Je laisse planer un long silence et je l'observe commencer à trembler. De plus en plus. Quelqu'un ne connaissant pas mon fils aurait pu s'attendre à une réplique cinglante et outragée ou encore à un départ avec force et fracas. Mais mon fils n'a jamais été du genre capricieux, ni forte tête. Il joint ses mains sur le sol, y pose son front, ferme les yeux et me dit d'une voix calme:

« Je garderai le secret, maman. Je le jure, personne ne le saura et je ne recommencerai plus. Je promets, alors… Alors je t'en prie, laisse Kamui dormir avec moi. Je t'en prie, maman…

-Mais Fûma, lorsqu'on y réfléchit calmement, qu'est-ce que ça change ? Tu continueras à le voir, à jouer avec lui comme avant. Il n'y aura aucune différence. »

Notable. Cela ne fait aucune différence pour des enfants tels que vous, du moins, si on y réfléchit avec sa tête et non avec son cœur.

« Si, il y en a une», dit-il en relevant la tête.

Je retire ce que j'ai dit. Tu n'es vraiment plus un enfant, Fûma…

« Et laquelle ?

-C'est le seul moment où on est seuls tous les deux, dit-il les yeux baissés. On discute et on s'amuse…

-Tu aimes ces moments intimes, visiblement, dis-je attendrie par les paroles de mon fils vivant son premier amour. Pourtant, Fûma, je serai catégorique, ajouté-je avec un sourire, triste il est vrai.

-Mais pourquoi ? Demande-t-il en braquant ses yeux sur les miens. Je n'ai rien fait de mal, maman, je le jure ! Je ne recommencerai pas !

-Veux-tu que Kamui sache ce que tu lui as fait la nuit dernière ?

-Non ! Proteste-t-il alors avec panique.

-Tu vois, tu sens que ton acte envers lui n'est pas blanc comme neige et tu en éprouves de la culpabilité et de la honte, au point de vouloir le lui cacher.

-Mais…

-Mon fils, écoute-moi…

-Non ! Je veux continuer à dormir avec Kamui, maman ! Puisque je te dis que je ne lui ferai rien ! »

Ne fais pas de promesse que tu n'es pas sûr de tenir, Fûma… Dire que l'innoncence de Kamui me paraît plus en sûreté si celui-ci dort avec ma fille plutôt qu'avec mon fils… Je peine encore à y croire…

« Tu as fauté une fois, je ne peux plus te faire confiance.

-Mais je veux dormir avec Kamui !

-Fûma, c'est non !

-Je veux dormir avec lui ! Maman, je te promets, je ferai tout ce que tu voudras, mais je veux dormir avec lui ! Me dit-il d'une voix forte, autoritaire, mais dispersant dans cette pièce close des paroles désespérées.

-C'est non !

-Je veux dormir avec lui !

-Non !

-Mais pourquoi ? Pourquoi ? »

La vision de mon fils, si effacé d'ordinaire, me tenant tête en tapant du poing avec une telle férocité m'aurait laissée pantoise si je n'avais des impératifs à remplir. De sérieux impératifs concernant la fin du monde.

« Tu as fauté, Fûma, je ne peux pas prendre le risque de te voir recommencer !

-Mais je ne le referai plus !

-Je ne te crois pas.

-Mais puisque je te le promets ! Crie-t-il en éclatant en sanglots et en continuant à frapper le sol de ses poings. Qu'est-ce que je dois faire de plus pour te convaincre ? Je suis désolé, je ne voulais pas faire ça et je ne recommencerai plus ! Qu'est-ce que tu veux de plus ? Dis-moi et je le ferai ! Je ferai tout ce que tu veux, mais laisse-le dormir avec moi !

-J'ai dit non et je ne reviendrai pas dessus !

-Mais pourquoi ? Pourquoi tu veux me l'enlever ? »

Que… ? Quelles sont ces paroles, que j'entends de la bouche même de mon fils aîné ? Comprend-t-il seulement la signification, le sens de ses derniers mots ?

« Pourquoi tu veux me l'enlever, tu n'as pas le droit ! Tu n'as pas le droit de m'enlever Kamui, maman, tu n'as pas le droit ! Tu n'as pas le droit, je te déteste ! Tu n'as pas le droit de faire ça ! Tu n'as… pas le droit… Personne… n'a le droit…» Continue-t-il difficilement en toussant.

Il enfouit son visage dans le creux formé au sol par ses bras et reste là, par terre, à pleurer bruyamment. Moi, me mordant les lèvres pour ne surtout pas l'imiter, touchée par sa douleur que je ressens comme étant la mienne, je le laisse donner libre cours à sa souffrance. Selon la volonté de Tôru, je dois à tout prix éviter un trop grand rapprochement entre Fûma et Kamui qui peut s'avérer néfaste pour l'avenir, mais je me demande s'il n'est pas déjà trop tard… Fûma est amoureux de celui dont il est l'étoile jumelle. Ses sentiments viennent donc s'ajouter à son lien fatal avec Kamui… Comment parvenir à le détacher de son "ami" ? La tâche me paraît immense, si tant est qu'elle soit encore possible…

Ces larmes que Fûma verse pour Kamui me rappellent celles que j'ai versées au lycée lorsque Tôru m'avait expliquée que pour la Terre, elle devait mettre au monde un fils, "Kamui". Pour moi, cela n'avait qu'une seule signification : elle allait s'unir charnellement à un homme. Que ce soit pour le bien de la Terre ou pour autre chose n'avait aucune espèce d'importance, je ne supportais pas d'imaginer Tôru dans les bras de quelqu'un d'autre que moi. Je ne tolérais aucune intrusion entre elle et moi. Personne n'avait le droit de me l'enlever. Personne. J'étais dévorée par la jalousie et jusqu'à maintenant, bien que mariée et mère de famille, je considère Tôru comme étant mienne, puisque ce mariage que j'ai contracté avec Kyôgô afin de mettre au monde l'épée divine, je l'ai fait pour nous lier à jamais Tôru et moi. Si mon fils ressent ce que j'ai ressenti à l'époque, et ça m'a tout l'air d'être le cas, je ne suis pas sortie…

Fûma s'est calmé. Toujours le visage à même le sol, il essuie ses larmes comme il peut. Ce n'est qu'après un long moment, ses sanglots s'atténuant naturellement, qu'il se redresse. Me faisant face, le visage défait, il me demande alors d'une petite voix qui ne lui ressemble pas :

« C'est parce que je suis un garçon, c'est ça ? Si… si j'étais une fille, comme Kotori, est-ce qu'il aurait pu dormir avec moi ? »

Je ne peux m'empêcher de soupirer en me pinçant l'arête du nez. S'il n'y avait que ça, Fûma… Ce serait bien plus simple et ta véhémence, ta fougue m'auraient convaincue depuis belle lurette. Quel que soit votre sexe à toi et Kamui, je ne me serais pas mis entre vous deux, je n'aurais tout simplement pas pu.

« Et qui te dit que Kotori ne fera pas la même chose avec Kamui ? Parce que c'est une fille ? Me demande-t-il un brin provocateur, ce qui lui ressemble encore moins lorsqu'il est en ma présence.

-Kotori est Kotori et tu es toi. Elle ne fera pas ce genre de choses à Kamui, parce qu'elle est elle.

-Mais elle aussi, elle l'aime… C'est injuste… Totalement injuste ! S'exclame-t-il soudainement. Comment tu peux savoir qu'elle ne lui fera jamais ça? »

Parce qu'en te voyant agir et parler ainsi, j'ai l'impression que mes deux enfants renferment chacun une partie de mon âme et qu'ensemble, vous êtes moi. Toi, Fûma, tu représentes ma passion effrénée, insoutenable, entière pour ma chère Tôru. Comme moi, tu veux saisir envers et contre tout quelque chose qui ne t'est pas destiné. Tu es rebelle sous tes airs tranquilles, comme moi, et ce n'est que maintenant que je vois à quel point on se ressemble, toi et moi. Pourquoi ne l'ai-je pas vu plus tôt… ? Quant à Kotori, elle a hérité de moi son sens du sacrifice et ses pouvoirs de liseuse d'étoiles. Comme moi, elle mourra pour la personne qu'elle aime le plus. Et Kamui, lui, n'est autre que Tôru, selon toute vraisemblance… Kotori aime certes Kamui et ça crève les yeux, mais elle n'a pas ta fougue. Son amour s'exprime différemment, moins passionnément, moins physiquement surtout. Et puis, elle est si innocente, je l'imagine mal avec ce genre d'idées dans la tête… Cependant, je suis incapable de dire que ses sentiments sont moins forts que les tiens. Je trouve d'ailleurs cette question impertinente, tout compte fait. Finalement, seul Kamui sera en mesure de décider lequel d'entre vous aura sa préférence.

« Si le fait d'être un garçon ou une fille n'a pas d'importance, alors c'est vraiment injuste, ce que tu fais… Tu n'as aucun droit de faire dormir Kamui avec Kotori, sous prétexte que c'est Kotori…»

Fûma recommence à pleurer une fois ces paroles dites, mais en silence cette fois-ci, ou plus précisément, les larmes coulent comme animées par une volonté propre. C'est comme par hasard en ce moment plutôt tendu que ma fille fait irruption dans la chambre de son frère, Kamui sur ses talons. Je ne les ai même pas entendus monter.

« Grand frère ! Tu es réveillé ? Si tu es prêt…

-Dégage…

-Viens mang… Quoi ?

-Je t'ai dit de dégager, tu es sourde ? Lui crache-t-il à la figure. Toi aussi, je te déteste, c'est à cause de toi si Kamui…

-Fûma, ça suffit ! »

Kami-sama… Fûma s'est mis debout en un clin d'œil face à sa sœur et il a fallu me réveiller, transcender cette scène complètement surréaliste pour me lever à mon tour et le tenir prisonnier contre moi avant qu'il ne commette un acte malheureux. Kotori, choquée par l'attitude et les paroles de son frère envers elle, est statufiée sur place; Kamui, bouchée bée juste derrière elle, a bien sûr tout entendu. Mon fils pleure de nouveau à chaudes larmes, mais dans mes bras cette fois-ci et moi, le cœur battant contre son dos, les yeux fermés, je prie pour que la situation ne me file pas entre les doigts.

« Rendez-le moi toutes les deux… »

La voix de mon fils me parvient tel un murmure soufflé par le vent, un murmure que je croirais presque irréel. J'ouvre les yeux et je me redresse lentement sans desserrer mon étreinte. J'ai la tête qui tourne un peu. Ni Kotori, ni Kamui ne semblent avoir entendu l'injonction de Fûma et c'est tant mieux : ma fille, qui n'a toujours pas bougé d'un pouce, pleure maintenant en silence. Soudain, son visage se crispe, ses lèvres se retroussent dangereusement, ses dents se serrent douloureusement. Oh, oh…

« Moi aussi, je te déteste ! Tu n'es plus mon grand frère ! Et je ne veux plus te voir non plus, tu es méchant ! »

Kamui, complètement sonné et moi, lasse de toute cette histoire, n'avons même pas le réflexe de la retenir et elle s'enfuit en pleurant à l'autre bout du couloir, dans sa chambre dont elle fait coulisser la porte avec une rare, très rare violence. Kamui se retourne en direction du couloir, comme s'il allait la rejoindre, puis hésite et reporte son regard douloureux sur Fûma dont les larmes se sont atténuées. L' "ami", si je puis dire, de mes deux enfants est atterré par la situation qui le dépasse et dont il ne comprend sans doute pas grand-chose. Pour la première fois, il assiste à un conflit ouvert entre deux personnes auxquelles il tient énormément. Qui consoler, qui soutenir, dans ce cas ? Fûma a tort de prime abord, mais il semble contrit par la douleur. A-t-il agi ainsi par pure méchanceté ? Tu sais bien que non, tu le connais trop bien pour ça, pour toi, il est comme un grand frère et je sais combien tu lui fais confiance… Kotori, elle, n'a rien fait de mal et se retrouve injustement sur le banc des accusés. Elle ne mérite pas un tel traitement de la part de son grand frère qu'elle adore.

Kamui recule de quelques pas, encore en direction du couloir, pourtant, il n'arrive pas à détacher son regard de Fûma. Tu hésites, Kamui ? Mes enfants t'aiment, mais toi, lequel veux-tu ? Kotori ou Fûma ? Fûma ou Kotori ? La douceur d'une fleur ou la chaleur des flammes ? Tes yeux complètement perdus m'indiquent que tu ne sais visiblement pas. Tu n'as pas de préférence, vraiment ?

« Kamui, va voir Kotori dans sa chambre », lui ordonné-je calmement.

Il acquiesce d'un hochement de tête, me laissant de nouveau seule avec mon fils aîné après avoir refermé la porte de la chambre. Fûma essuie ses dernières larmes, avant de se retourner afin de me faire face.

« Rends-le-moi, me dit-il calmement. Je ne demande rien d'autre. De toutes les façons, je n'ai besoin de rien d'autre…

-C'est non, lui réponds-je sur le même ton.

-Mais pourquoi ? S'insurge-t-il de nouveau. Je ne lui ferai rien !

-Tu t'entends parler depuis tout à l'heure? Tu parles de Kamui comme s'il s'agit d'un objet en ta possession. Mais il n'est pas un objet et il ne t'appartient pas, de même qu'il n'appartient pas à Kotori. Il décide seul de ce qu'il veut. De qui il aime. Ta sœur ne traiterait jamais Kamui comme toi tu le fais.

-Kamui n'est pas un objet ? Mais ça, je le sais ! Il ne m'appartient pas, mais… Mais… »

Mais tu aurais voulu que ce soit le cas, afin que vous ne soyez jamais séparés, afin qu'il reste à tes côtés. Tu as peur qu'il ne t'échappe un jour, n'est-ce pas ? Tu l'aimes vraiment comme moi j'aime Tôru…

« Même un objet que tu chéris peut se faire dérober… Ou tu peux le casser par inadvertance… Tu as beau posséder quelque chose, celle-ci peut disparaître sans crier gare, Fûma… Garder une personne pour soi est encore plus hasardeux.»

Il soupire, les larmes de nouveau au bord des yeux, puis me dit :

« Laisse-moi tranquille.

-Bien. »

Ses paroles sonnent comme une injonction, mais je ne suis pas là pour mettre de l'huile sur le feu. Je me lève lentement et quitte sa chambre en refermant la porte pour tomber nez à nez avec Kamui, en larmes lui aussi, recroquevillé près des escaliers et reniflant pitoyablement. Je m'assieds donc à ses côtés et lui demande :

« Kamui, qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi n'es-tu pas avec Kotori ?

-J'ai voulu la voir, mais elle m'a dit qu'elle ne voulait pas me voir… parce que c'était de ma faute… de ma faute si Fûma est fâchée contre elle. Parce qu'il n'a jamais été fâché avant, même quand on faisait des bêtises et…

-Mais non, Kamui, Fûma n'est pas fâché contre Kotori et ce n'est pas de ta faute, tu n'as rien fait.

-Si, il était fâché, il a crié sur elle !

-Ecoute, mon ange, lui dis-je en me rapprochant de lui et en le serrant dans mes bras pour le consoler, ne pleure pas, écoute-moi…

-Kotori est en colère contre moi, et Fûma aussi, il était en colère… Ils ne m'aiment plus ! Conclut-il en pleurant de plus belle. Ils ne m'aiment plus, ils ne veulent même plus me voir ! Ils ne voudront plus jouer avec moi et je serai encore tout seul! Pourquoi ? Qu'est-ce que je dois faire, tante Saya ? Ils ne m'aiment plus…

-Mais bien sûr que si, ils t'aiment toujours, Kamui… »

Si tu savais à quel point, mon garçon, et c'est bien là le problème… Oui, si tu savais combien ils sont tous les deux dingues de toi, je pense que cela te ferait peur même à toi…

J'attends patiemment que Kamui cesse de pleurer en le cajolant avec toute la tendresse dont je suis capable et en lui répétant encore et encore qu'il n'est pas fautif dans l'affaire, qu'il n'y est pour rien. Une fois ses larmes taries, je le laisse deux secondes afin de prendre un mouchoir dans ma chambre pour lui essuyer les joues et lui moucher le nez, puis je pose le fils de Tôru sur mes genoux dans le but de lui parler, sans rien dévoiler d'important, toutefois. Tâche ardue, je vais devoir me montrer convaincante, mais bon, après, il ne s'agit que de Kamui…

« Ecoute ce qui s'est passé et tu verras que ce n'est pas de ta faute, d'accord ?

-Oui, me dit-il essuyant une dernière larme qui s'était perdue, ce qui m'arrache un sourire : si mignon, Kamui…

-Fûma a fait une bêtise. Une grosse bêtise.

-Quoi ?

-Tu voudrais que je dise à tout le monde que tu faisais pipi au lit jusqu'à l'âge de quatre ans ? Lui demandé-je en le taquinant.

-Non, surtout pas ! S'exclame-t-il, paniqué. C'est maman qui t'a dit ça ?

-Tu en as honte, n'est-ce pas ? C'est pareil pour Fûma, il ne veut pas que d'autres sachent… Mais il a fait une bêtise, alors quand je l'ai découvert, qu'est-ce que j'ai fait, à ton avis ?

-Tu l'as puni ?

-Tout à fait.

-Mais, cette bêtise… C'est à cause de moi qu'il l'a faite ?

-Non, pas du tout, tu n'es responsable de rien.

-Mais, Fûma, il ne fait jamais de bêtises.

-Si, il en fait. Rarement, mais il en fait, comme tous les enfants. Mais je dois reconnaître que c'est un fils modèle. Toi aussi, tu es plutôt sage. Kotori aussi, et c'est bien pour ça que je vous adore !

-C'est vrai ?

-Bien sûr ! Lui dis-je le plus gaiement possible en frottant ma joue contre la sienne pour le faire rire, ce qui fonctionne. Donc voilà, Fûma a été puni. Mais comme personne n'aime être puni, il s'est fâché… Et comme il était fâché, il s'en est pris à Kotori. Et elle, agressée, s'en est pris à toi. Tu comprends l'enchaînement ? Comme une spirale de violence.

-Oui, je vois, approuve-t-il doucement. C'est pour ça que Fûma était si triste et pleurait… Je ne l'avais jamais vu pleurer avant, tante Saya.

-Fûma est un dur à cuir…

-Tu es sûre qu'il ne m'en veut pas ?

-Sûre et certaine, affirmé-je. Il faut le laisser se calmer, Kotori aussi. Ca leur passera. Toi aussi, il t'arrive de bouder, non ?

-Oui, c'est vrai. Mais pas souvent… Depuis qu'on est arrivés ici avec maman, c'est vraiment mieux !

-Tu as tes deux amis avec toi, c'est pour ça.

-Mais toi aussi, tu es très gentille avec moi, tante Saya ! Et oncle Kyôgô aussi ! Me dit-il en m'enlaçant et en plongeant ses magnifiques orbes bleus dans mes yeux.

-Mais comment pourrait-on ne pas t'aimer, Kamui ? Lui réponds-je. Tu es si adorable et c'est tellement agréable de t'avoir à la maison… Ca te dit de passer le reste de la matinée avec moi ? Ensuite, on va préparer le déjeuner, et on va retourner les voir pour leur dire de descendre manger. Tu vas voir, on va faire quelque chose de tellement bon qu'ils ne vont pas hésiter une seconde ! » Dis-je avec enthousiasme en faisant mine de retrousser des manches que je n'ai pas, puisque je porte une robe à manches courtes sous mon éternel tablier blanc décoré de lapins.

Kamui fait une petite moue, signe qu'il hésite à me suivre. C'est sûr qu'il s'amuse bien plus avec mes deux enfants, mais je m'efforcerai de rendre le temps que nous allons partager le plus agréable possible. Moi non plus, je ne suis pas habituée à la présence de Kamui, dès qu'il est là, il disparaît avec Kotori et Fûma et je ne les vois que pour les repas. J'entends des rires, rarement des pleurs et généralement, ceux-ci ne durent pas plus de dix secondes car il y en a toujours un pour consoler l'autre. Souvent, quand il fait beau, ils partent et jouent dehors, sur le terrain vague près d'ici, ou plus simplement dans les rues du quartier. Et seul leur ventre les rappelle à l'ordre. Plus inséparables que ces trois-là, impossible à trouver… Et pourtant, avec les événements de ce matin, je me suis rendue compte que cet équilibre était plus fragile que ce qu'on pouvait penser.

« C'est d'accord, me dit-il finalement.

-C'est bien mieux d'être avec moi que tout seul, non ?

-Sûr ! »

Il se lève et me tend les mains pour m'aider à me relever à mon tour. Mais alors que je me redresse, une violente migraine me foudroie et je retombe lourdement contre le mur. Gémissant, je me masse les tempes, tandis que Kamui, paniqué, me demande ce qui m'arrive. Je crois tout simplement que j'ai eu beaucoup trop d'émotions pour la matinée… En plus, avec ma petite santé…

« Je vais bien, ne t'inquiète pas.

-Vrai ?

-Vrai, regarde, je vais me lever… »

En m'appuyant sur ses épaules et en le regardant, l'air confiant, je me redresse à nouveau et parviens à me mettre debout. Mais j'ai encore mal à la tête et je sens qu'elle tourne. Kamui, pas rassuré du tout et avec raison me tient une main et c'est en agrippant l'autre au garde-corps de mon escalier que je descends les marches une par une.

Une fois dans le salon avec lui, je découvre l'état de la table, que Kotori et Kamui n'ont pas débarrassée après avoir fini leur repas, puisqu'ils étaient montés chercher leur aîné. Avec son aide, je nettoie tout, fais la vaisselle et range le salon et la cuisine. Ensuite, je lui propose de faire des origamis, ce qui le ravit. Il monte prendre des feuilles de papier dans ma chambre et rien que cette petite activité nous occupe plus d'une heure. Ensuite, pause télé, devant des dessins animés, bien entendu. Il m'aide à trier le linge pour la lessive, m'accompagne pour les courses et c'est sur le chemin que nous décidons du déjeuner : un bon toridon !

Nous rentrons et nous nous mettons aux fourneaux. Kamui ne rechigne pas à m'aider, au contraire, il est vrai qu'il semble plutôt aimer les travaux manuels, ce qui est rare chez un garçon. Bientôt, midi et demi s'affiche à la pendule, et le repas est fin prêt. Alors que je prends les dessous de plat pour les poser sur la table, Kamui me tire la ceinture du tablier pour me demander une feuille et un stylo : afin d'enterrer la hache de guerre avec mes enfants, son idée est de se dessiner sur la feuille. Ensuite, d'inviter Kotori et Fûma à en faire de même et d'inscrire leur nom afin de sceller leur amitié. Approuvant son initiative, je lui accorde la permission de prendre le nécessaire. Il s'installe ensuite à la table et dessine, me cachant des mains son chef-d'œuvre lorsque je me penche par-dessus son épaule afin de voir. Haussant les épaules, je lui explique que de toutes les façons, ce n'est pas moi qu'il faudra convaincre avec ce dessin, mais ses "deux amoureux d'en haut". Il grimace au mot "amoureux" et croyant réellement que je blague, il me tire la langue avant de monter les escaliers, rétorquant qu'en plus, Fûma ne peut pas être son amoureux puisque c'est un garçon. Une fois Kamui hors de ma vue, je soupire en me dirigeant vers la cuisine afin de mettre la table. Si tu savais, Kamui, mais si tu savais…

Ce n'est qu'une fois que le toridon et l'autocuiseur contenant le riz sont sur la table que je me rappelle l'état dans lequel j'ai laissé Fûma un peu plus tôt. Peut-être sera-t-il sourd à la demande de "réconciliation" de Kamui… Je décide donc de monter voir ce qu'il en est. Une fois en haut, j'entends depuis la chambre de ma fille Kamui s'exclamer sur la mocheté que lui dessine Kotori. Celle-ci se rebiffe, puis éclate de rire en entendant qu'elle est bien plus belle en réalité. Ce qui est sans doute vrai… Une bonne chose de faite pour ces deux-là, en tout cas.

Prudemment, je fais coulisser la porte de la chambre de mon fils aîné. Je le trouve assis contre la porte de son armoire, le regard dans le vague. Il ne tourne même pas la tête à mon arrivée. Son accueil se résume à cette phrase :

« Laisse Kamui dormir avec moi.

-Fûma, nous en avons parlé, c'est non, répliqué-je en refermant la porte.

-Alors je n'ai rien à te dire, tu peux partir », me dit-il froidement.

D'ordinaire, je pense que je l'aurais tancé pour sa manière irrespectueuse de m'adresser la parole. Mais d'ordinaire, il ne m'aurait pas adressé la parole ainsi. Compréhensive, je m'agenouille près de lui et lui dis :

« C'est l'heure du déjeuner, tu sais ?

-Je n'ai pas faim.

-Fûma, tu n'as rien mangé ce matin.

-Je n'avalerai rien tant que tu ne reviendras pas sur ta décision.

-Je ne te savais pas si têtu, mon fils… Ne fais pas ta forte tête et viens manger, s'il te plaît.

-C'est non. Je veux que Kamui dorme avec moi comme avant.

-Fûma…

-Non, je ne mangerai pas tant que tu n'auras pas changé d'avis !

-Tu sais que Kamui sera triste si tu ne manges pas avec lui?

-Je m'en moque !

-Et que si tu ne manges pas, tu mourras ?

-Et alors ?

-Et que si tu meurs, Kamui sera encore plus triste ?»

Cette idée le fait réfléchir profondément.

« Je préfère encore cette situation plutôt que toi et Kotori me l'enleviez. »

Mon espoir de l'ébranler aura vécu une poignée de secondes… Mon fils n'a vraiment pas froid aux yeux. Déterminé comme moi, égoïste comme moi… Physiquement, il est le portrait craché de son père, mais en ce qui concerne le caractère, il me ressemble vraiment beaucoup… Tu aimes ton cher Kamui, hein… et ce ton, cette lueur dans ton regard… Tu ne reculeras pas. Tu es bien mon fils, tu es bien la "vérité scellée" (1) au fond de mon coeur…

« Faisons un marché. Comme tu le sais, j'en parlerai à Tôru, puisque je ne peux pas faire autrement. Je lui demanderai ce qu'elle en pense, et si l'idée que son fils dorme avec toi ne la dérange pas. Nous verrons ce qu'elle décidera et nous nous plierons à sa volonté quelle qu'elle soit. Qu'en penses-tu ? En échange, fais la paix avec ta sœur, et va la rejoindre, ainsi que Kamui, en bas, pour le déjeuner. Autre chose : que tout ceci reste entre nous, je ne veux pas que tu en parles, ni à Kamui et Kotori, ni à ton père. »

Il se retourne et me regarde longuement. Les mêmes yeux noisette que les miens. Le même regard implacable, qui sonde chaque recoin de ma pensée, à la recherche d'une faille dans mon raisonnement ou d'un piège que j'aurais tendu. A ce moment, je ne suis plus très sûre de faire face à mon fils, j'ai comme l'impression qu'il a grandi en une demi-journée à peine. Mais ma proposition est honnête, équitable et j'ai confiance en son jugement.

« D'accord », me dit-il finalement en se levant.

Je me lève à mon tour et à notre grande surprise, c'est pour l'enlacer contre moi : oui, je suis étonnée par cet élan de spontanéité de ma part. Peut-être dû au fait que je me rends clairement compte de tous nos points communs. Sa tête contre ma poitrine, il ne dit rien. Je me baisse à nouveau et toujours contre lui, je murmure à son oreille :

« Je veux que tu te comportes comme si la nuit dernière et cette matinée n'avaient pas existé. Personne ne doit savoir, continué-je en lui tenant le menton et en dardant mes yeux dans les siens. Personne. Tes sentiments envers Kamui ou envers ta sœur, tu oublies. Tes désirs, pareil. Je veux que tu restes pour eux un grand frère modèle, quoiqu'il advienne. Tu m'as bien entendue ?

-Pourquoi ? Me dit-il doucement, la voix troublée.

-Parce que tu ne dois pas t'éprendre de Kamui. Je te l'interdis formellement.

-Mais pourquoi ? » Insiste-t-il.

Parce que tu es son étoile jumelle et que Tôru et moi, enfin, surtout Tôru… Nous ne voulons pas que votre bataille pour décider de l'avenir des hommes soit entachée d'amour passionnel qui vous entraverait inutilement. Parce qu'auquel cas, vous souffrirez comme jamais auparavant. Parce que Kamui doit décider et que son jugement envers l'humanité doit rester impartial et neutre. Parce que Kamui et toi êtes "Kamui". Parce que…

« Parce que c'est comme ça, dis-je d'une voix soudainement lasse. Ne m'en demande pas plus, je… Je ne veux simplement pas que tu en souffres plus tard.

-Pourquoi j'en souffrirai plus tard ? Et même, moi, je veux l'aimer … Me murmure-t-il en réponse à l'oreille. Tes menaces ne me font pas peur.

-Je te l'interdis… Tu n'as pas le droit. Tu ne sais pas à quoi tu t'exposes…

-Mais même…

-Non… Ne rends pas les choses plus difficiles…

-Entre ne pas souffrir et l'aimer, je veux l'aimer, maman.

-Je sais. Je le sais bien, Fûma… »

Comment pourrais-je ne pas le savoir ? J'ai dit les mêmes choses à Tôru il y a si longtemps. Moi aussi, je l'aime au point d'avoir enchaîné ma destinée à la sienne. Certes, je ne suis pas heureuse et le bonheur familial dont je bénéficie n'est pas celui auquel je rêvais. Ma vie, elle était avec Tôru. Mais j'ai préféré un mariage sans amour et un décès précoce plutôt que d'avoir à affronter la mort de Tôru en face. J'ai sacrifié ma vie afin qu'elle puisse vivre plus longtemps la sienne avec Kamui. J'ai fait mon choix. Comme toi, tu viens de faire le tien et je ne peux pas y faire grand-chose. Mais, Fûma, sais-tu ce qu'un tel choix implique ? Tu souhaiteras mille fois ne jamais être venu au monde tant ta souffrance sera immense. Voir tous les jours celui que tu aimes passionnément sans pouvoir le toucher, sans pouvoir lui dire "Je t'aime", vivre dans son ombre, comme un fantôme, ne pas être celui qui le rend heureux, ne pas recevoir ses plus beaux sourires, ses gémissements lascifs…

Je sens les larmes me monter aux yeux en repensant à ces toutes ces années passées loin de ma Tôru et à ce que j'ai pensé quand je l'ai vue revenir avec ce fils, celui né pour la Terre. Ce fils que je lui aurais volontiers donné si seulement j'avais été un homme. Je crois que je n'ai jamais autant détesté ma condition de femme que lorsque j'ai posé les yeux sur Kamui pour la première fois. Je me mors les lèvres et serre le tee-shirt de Fûma, de rage et de dépit.

Et voilà comment après avoir consolé tout le monde à tour de rôle, je me mets à pleurer comme une enfant contre mon fils qui m'entoure de ses bras. Pathétique… Mais percevant la douleur de mon fils comme étant la mienne propre, je ne peux faire autrement. Vraiment pas… Puisses-tu me pardonner un jour, Fûma…

« Maman, pourquoi tu pleures ?

-Promets-moi, Fûma… Je sais que tu l'aimes… Oh oui, je le sais, mais promets-moi…

-Mais tu pleures…

-Promets », lui ordonné-je en faisant taire mes sanglots.

Je lève des yeux mouillés de larmes sur lui et nos regards s'affrontent. Je ne céderai pas d'un pouce. Il n'en est pas question, pas sur ce point primordial. Au bout de quelques secondes, il baisse le regard et ferme les yeux.

« D'accord. Je promets.

-Bien, fais-je en séchant mes larmes. Descends manger, alors. »

Il acquiesce et ouvre la porte. Quelle n'est pas sa surprise en découvrant, sur le palier de sa chambre, une feuille pliée en quatre ! Le dessin de Kamui, sans aucun doute… Il se baisse pour ramasser le papier et le déplie. Curieuse, je sèche mes larmes, me lève et vais regarder par-dessus son épaule. A l'extrême gauche, un bonhomme bizarre avec une tête plutôt grosse et en-dessous, le nom de Kamui. A côté, une fille aux cheveux blonds et bouclés lui tient la main. Ma fille… Il reste de la place, à l'extrême droite, pour un dernier bonhomme, mais cela n'est pas évident pour Fûma, qui retourne la feuille, intrigué. Au verso sont inscrites les instructions : il doit se dessiner et mettre son nom en bas. Mais en faisant cela, il s'engage à jouer avec eux toutes les fois où ils seront ensemble, à tout partager, à les aider dans leurs devoirs, à ne plus se fâcher. Eux s'engagent à s'amuser avec lui, à lui obéir et à le consoler toutes les fois où il sera triste pour ne pas qu'une matinée comme celle que nous avons vécue revienne. En bref, rien de nouveau sous le soleil et pourtant… Pourtant quelque chose a définitivement changé entre eux. Alors que la discussion animée entre Kamui et Kotori se fait entendre depuis le salon, j'enlace mon fils par derrière et lui dit tendrement :

« Il y a des gens qui t'aiment et qui te veulent près d'eux et Kamui en fait partie. Ne le déçois pas. Tu perdrais un ami précieux, mon fils…

-Je ne peux vraiment pas… être plus que son ami ? Me demande-t-il à voix basse.

-Ce n'est pas possible. La meilleure chose que tu pourras avoir de lui est son amitié, fais une croix sur tout le reste. Pour votre bien à tous les deux. »

Nous restons un long moment immobiles. Puis doucement, il se détache de moi et descend rejoindre sa sœur et Kamui qui, à sa vue, remonte la moitié des escaliers à la vitesse de l'éclair pour se précipiter dans ses bras. Les bras rassurants d'un grand frère qui lui avaient manqué durant toute une matinée et qu'il retrouve avec une joie non dissimulée… Fûma, déséquilibré, se retrouve assis sur une marche en plein milieu, se fait escalader par Kamui qui prend ses aises en s'agenouillant à califourchon sur ses cuisses et qui se pelotonne contre lui. Je les contourne afin d'atteindre le rez-de-chaussée depuis lequel, attentivement, j'observe. J'observe comment les bras de mon fils s'enroulent autour de son jeune ami, comment il ferme les yeux et savoure le contact. Sa manière de lui caresser les cheveux, de lui dire que tout va bien et qu'il n'a jamais été fâché contre lui et que non, il ne les déteste pas lui et Kotori, au contraire et que oui, il allait faire le dessin, mais une fois qu'il pourrait se lever… Oui, pourquoi ai-je été si aveugle ? Pourquoi n'ai-je pas vu les sentiments de mon fils plus tôt, plus distinctement surtout… ?

« Maman… Tu peux venir ? »

La voix de Kotori, basse, me fait sursauter et je m'approche de ma fille qui, toujours attablée, baisse la tête. Je m'assieds à ses côtés et elle me demande :

« Dis, maman, grand frère n'est plus fâché, hein ?

-Non, il va mieux. Toi aussi, il t'arrive de te fâcher, non ? Même si ce n'est pas souvent… Sais-tu que lorsque tu étais petite, tu te mettais dans des colères noires?

-Je ne m'en rappelle pas…

-C'est normal, Kotori, c'est normal… Mais ton frère va mieux, tu peux aller le voir… Il t'aime toujours, rien n'a changé, d'accord ?

-D'accord ! S'exclame-t-elle en se dirigeant vers l'escalier où se trouvent les garçons, enfin debout, qui s'apprêtaient à remonter. Grand frère, attends-moi ! Pardon d'avoir été si vilaine !»

Ma si frêle Kotori grimpe les marches quatre à quatre pour se jeter à son tour dans les bras de son frère. Je ne peux manquer cette scène de réconciliation et me suis levée afin de les voir tous les trois se jurer qu'ils s'adorent toujours comme avant et que tout est toujours pareil, que rien ne changera jamais. Kotori en pleure même d'émotion et de joie. Toujours dans les bras de son frère, elle se fait enlacer par derrière par Kamui lui demandant de sécher ses larmes et c'est main dans la main qu'ils se rendent tous les trois dans la chambre de Fûma afin de sceller leur pacte. Un sourire éclaire mon visage, attendrie de les voir ensemble, si unis. Mais je ne suis pas dupe : combien de temps ce fragile équilibre sera-t-il maintenu ? Durant combien de temps mon fils acceptera-t-il cette mascarade ? Je ne sais pas… Moi, ça fait plus de dix ans que je joue la comédie, mais lui…

Je m'installe à la table et m'occupe du service en les attendant : un bol de riz pour chacun d'entre eux, une portion en plus pour Fûma qui n'a pas mangé ce matin et qui doit avoir faim, une part plus modeste pour Kotori qui a un appétit d'oiseau (2). Puis la viande, en quantité proportionnelle au riz dans le bol. Je me sers bien entendu en dernier et ferme les yeux ensuite : je me sens épuisée…

C'est au bout d'une dizaine de minutes qu'ils se décident à descendre et à venir manger. Ils s'installent, se saisissent de leurs baguettes et nous voilà partis pour un déjeuner en présence de Kamui, c'est-à-dire un repas durant lequel mes enfants parlent bien plus qu'ils ne mangent. Kamui raconte les dessins animés qu'il a regardés ce matin, ainsi que les origamis que nous avons fait ensemble. Fûma propose un planning d'activités pour tout l'après-midi et obtient mon accord pour jouer dehors sur le terrain vague. A chacune de ses propositions, Kamui et Kotori, se prenant pour des seigneurs du siècle dernier, donnent leur avis avec un vocabulaire ancien qu'ils jugent raffiné, même s'ils font des erreurs inévitables, et manifestent leurs désaccords avec leur aîné en faisant mine de taper sur la table avec un éventail. Ils sont si drôles, si agréables et m'offrent un spectacle si distrayant ! Mais pour combien de temps ? Combien de temps encore avant que ce bonheur ne se brise ?

Le téléphone se met à sonner, coupant court un bref instant à leurs babillages autour de leur bol maintenant vides. Je me lève, mais mes jambes me lâchent et je retombe lourdement sur mon coussin. Kami-sama, que m'arrive-t-il ? Est-ce que j'ai atteint ma quantité maximale d'émotions ce matin ? J'ai la tête qui tourne… Mais je me lève cependant, refuse d'un geste de la main le verre d'eau que ma fille, inquiète, me tend, rassure d'un sourire Kamui et Fûma et me dirige, empressée, vers l'entrée, où se trouve le téléphone. Vite, je décroche avant que la sonnerie ne s'arrête. Mon visage s'illumine à la voix grave, mais féminine qui me parle :

« Bonjour, Saya ? C'est Tôru… Comment vas-tu ?

-Ca va bien et toi ?

-J'étais en centre-ville et je viens de rentrer… Les enfants vont bien ? Kamui n'a pas été embêtant ?

-Non, mais j'ai à te parler à son propos, et puis… Et puis… »

J'ai vraiment le tournis… Une sensation dans la poitrine, oppressante…

« Saya ? Saya, ça va ?

-Oui… Non… »

Un coup de barre soudain, violent, qui s'abat sur moi… Je perçois la voix paniquée de Tôru, mais je ne sais pas ce qu'elle dit. Je ne sais plus… Je ne comprends pas… Tôru… Ma Tôru, viens me chercher… Il faut qu'elle vienne…

« Tô… ru… »

Puis je sombre entièrement dans l'inconscience.


(1) Le nom Monô Fûma est composé des caractères « vérité » et « sceau ». On peut le traduire par « sceau véritable », « sceau de la vérité » ou encore « vérité scellée » selon l'interprétation que l'on en fait

(2) Le prénom de Kotori signifie « petit oiseau »