Les regards qu'il m'adressait étaient étranges. Je ne comprenais pas l'étincelle qui brillait dans ses yeux, ni la flamme qui embrasait ses pupilles lorsque mes prunelles se posaient sur son visage d'albâtre.

Pourquoi me regardait-il ainsi, alors que nous n'étions que des ennemis ?

Pourquoi me regardait-il ainsi, alors que nous ne nous étions jamais autant haïs ?

Je l'ignorais, mais je ne pouvais m'empêcher de lui rendre ses regards enfiévrés. Et le choc de nos yeux se répercutait dans mon corps entier, vibrant dans mon corps comme une lueur d'espoir.

Nous unissions nos âmes dans un seul regard, plus intense que n'importe lequel des contacts physiques.

Ses yeux gris se heurtaient aux miens avec violence, frappant mes pupilles mordorées avec une haine dévastatrice. Et pourtant, il y avait cette douceur dissimulée, cette tendresse refoulée.

Il tentait de me le cacher, mais je le discernais avec la plus grande des clartés.

Et je savais qu'il distinguait la même chose dans l'océan de mon regard.

Nous n'ignorons pas que la folie vers laquelle nous tendions nous était interdite, nous savions parfaitement que le gouffre auprès duquel nous jouions si ostensiblement était plus dangereux que nous ne voulions le penser.

Pourtant, nos regards ne pouvaient se détacher. Ancrés l'un dans l'autre, ils fusionnaient, parfaits reflets de consciences torturés, miroirs de nos âmes égarées.

Semblables en tout point, nous étions pourtant aussi différents que le feu et la glace. Aussi mortels l'un pour l'autre que la lumière à l'obscurité.

Pourtant, nous nous obstinions. Nous ne pouvions renoncer à ces regards que nous échangions, ces moments devenus indispensables dans nos vies tourmentées.

Personne ne comprendrait, et nous ne voulions pas que les gens comprennent. Ces instants, ils n'appartenaient qu'à nous. Ils étaient l'oxygène de nos existences chaotiques.

Lorsque la lumière de ses prunelles anthracites éclairait mon être, mon cœur ne battait plus, et mes yeux reflétaient alors l'émotion qui m'envahissait.

Je ne l'ignorais pas, mais je la laissais dégouliner de mes pupilles, voler jusqu'à lui, lui offrant ce qu'il me restait. Et lorsque la flèche d'acajou atteignait ses deux perles d'argent, je savais qu'il comprenait.

Vint le jour où nos regards dérapèrent. Ses yeux plongèrent dans les miens, mais une lueur différente les animait. Ce jour là, je sentis mes lèvres s'étirer lentement, et former le doux sourire qui n'aurait jamais du apparaître sur mon visage. Ce jour là, je vis sa bouche s'illuminer à son tour, et l'ivoire de ses dents me susurrer mille promesses. Ce jour là, je compris que nous étions perdus. Ce jour là, nos regards s'étaient transformés en sourires, nos sentiments avaient éclatés. Ce jour là, nous nous étions révélés, nous nous étions abandonnés.

Nous courions à notre perte, et nous avons continué.

Car nous comprenions.

Nous nous aimions.