Bonjour à tous !

Petit rappel des faits : Dans mon recueil d'OS "Une nuit pour patiner", dont les OS sont écrits pour la Nuit du FoF et doivent donc être écrits en une heure, j'ai un duo d'OS "Objectif" et "Entretien" qui se suivent directement. Ce texte est ce que j'avais commencé à écrire pour Objectif avant de réaliser que ce serait mille fois trop long pour tenir en une heure, et donc de tout reprendre depuis le début. Plusieurs personnes m'avaient tout de même dit être intéressées pour que je finisse et poste cette version longue, donc je l'ai tout de même finie, et la voilà ! Et comme "Entretien" est la suite directe, elle aura également droit à une version longue à la suite de ce chapitre... Cependant, il n'y a absolument pas besoin d'avoir lu les OS courts pour lire cette fic, au contraire, ça vous spoilera presque la fin et la suite...

Bien sûr, aucun personnage de Yuri! on Ice ne m'appartient !

Bonne lecture à tous !


J-88

Étouffant un bâillement, Yuri allait se diriger vers l'une des dernières valises qu'il lui restait à ouvrir quand il entendit le réveil de Victor sonner depuis leur chambre. Il se retourna vers l'horloge du salon, étonné qu'il soit déjà sept heures. Il n'avait pas vu le temps passer depuis qu'il avait renoncé à l'idée de réussir à dormir et avait préféré se lever pour continuer à déballer ses affaires plutôt que de tourner dans le lit. Cela faisait plus d'une semaine qu'il était revenu du Japon pour s'installer à Saint-Pétersbourg dans l'appartement de Victor et, leurs entraînements ayant repris dès le lendemain, il n'avait pas encore pris le temps de sortir ses bagages des énormes valises qui s'entassaient dans un coin de la pièce. Il s'était pour l'instant contenté de récupérer les choses dedans au fur et à mesure qu'il en avait besoin.

Il esquissa un sourire en sentant derrière lui deux bras musclés passer autour de ses épaules pendant qu'une pluie de baisers était déposée dans sa nuque. Il se retourna pour faire face à Victor qui demanda d'un ton soucieux :

- Tu n'as pas dormi ?

- J'y arrivais pas. Le décalage horaire.

- Tu aurais dû me réveiller, sourit tendrement Victor. J'aurais eu une multitude d'idées pour t'épuiser…

Yuri rigola légèrement et Victor l'embrassa tendrement avant de reprendre :

- Allez, viens au moins prendre un café.


J-81

Victor observait la chorégraphie de Yuri, un sourire satisfait s'étalant sur son visage au fur et à mesure qu'il enchaînait les figures. Le championnat des quatre continents débutait dans près d'un mois et les championnats du monde, dans trois mois. Les deux dernières compétitions de la saison de Yuri. Même s'il n'avait pas la même rage de revanche que pendant le Grand Prix, il sentait la détermination de son élève à remporter haut la main ces deux championnats et à être connu comme faisant parti des meilleurs patineurs au monde. Yuri patinait six jours par semaine, les yeux rivés sur cet objectif, travaillant encore et encore chacun de ses mouvements jusqu'à être totalement irréprochable. Il s'élança pour son dernier saut, tournant quatre fois sur lui-même, mais ne parvint pas à se réceptionner et s'étala sur le sol en laissant échapper un léger cri de douleur.

- Essaye encore, porcelet ! lança Yurio qui s'entraînait un peu plus loin.

Victor ne prit pas la peine de faire taire le jeune patineur et rejoignit Yuri sur la piste.

- Ça va Yuri ? Tu t'es fait mal ?

- Ça va aller, c'est juste le choc, grommela-t-il en se redressant.

Victor l'aida à se relever et ses doigts glissèrent légèrement sur les cernes marqués de son élève.

- Le manque de sommeil commence à sérieusement te jouer des tours… observa Victor. Tu dois dormir plus.

Yuri se contenta d'acquiescer d'un hochement de tête. Si seulement c'était si simple… Victor n'avait jamais eu ce problème là, il lui suffisait de fermer les yeux pour qu'il dorme dans les cinq minutes. Mais, même à présent que l'effet du décalage horaire commençait à s'atténuer, Yuri continuait à crever de fatigue pendant la journée et à être incapable de dormir la nuit. Et il ne pouvait pas se permettre de prendre des jours de repos en plus, les dates des quatre continents et des mondiaux se rapprochaient beaucoup trop rapidement. Victor pressa son épaule dans un geste réconfortant et souffla :

- Allez, refais-moi ta chorégraphie sans les sauts et ce sera tout pour ce soir.


J-74

- Qu'est-ce que tu fais ? demanda Victor.

Yuri sursauta. Il n'avait pas entendu son petit-ami se relever.

- J'arrivais plus à dormir, et je n'ai toujours pas fini de déballer mes affaires.

- Tu te fiches de moi ? s'exclama Victor. Tu as besoin de repos, tu ne tiendras plus longtemps à ce rythme ! Il faut que je t'attache au lit pour que tu fasses une nuit complète ?

- Je…

Sans lui laisser le temps de répondre, son coach lui prit la main et le tira jusqu'à leur chambre. Il le força à s'allonger dans le lit avant de s'installer à côté de lui, lui faisant face. Victor l'attira contre lui et son visage se radoucit.

- Commence par te détendre, souffla-t-il.

Il ponctua sa remarque en déposant un baiser sur sa joue, ses mains caressant délicatement son dos. Yuri enfouit sa tête dans le creux de l'épaule de Victor, les yeux fermés, savourant les caresses et les baisers de son coach. Celui-ci fit remonter l'une de ses mains dans ses cheveux, glissant entre ses mèches d'un mouvement lent et répétitif qui berça le japonais, le faisant sombrer dans le sommeil en quelques minutes.


J-67

Appuyé contre le bord de la patinoire à côté de Yakov, osant à peine respirer, Yuri gardait les yeux fixés sur Victor qui exécutait son programme long. Sa première compétition depuis la saison dernière, les nationaux de Russie, celle qui lui permettrait de décrocher sa qualification pour le prochain Grand Prix. Même après avoir passé près d'un an à ses côtés, Yuri était toujours admiratif lorsqu'il le regardait patiner avec cette grâce et cette aisance qui n'appartenaient qu'à lui. Lorsque Victor exécuta un quadruple flip parfait, clôturant son programme, il explosa de joie et applaudit vigoureusement en même temps que le reste du public. Le patineur les rejoignit et Yuri s'exclama :

- Tu étais magnifique Victor ! C'était impressionnant !

Victor le remercia mais interrogea Yakov du regard, se doutant que son coach serait beaucoup plus objectif et perfectionniste que Yuri, mais celui-ci laissa échapper un sourire :

- Il y aura deux ou trois petites choses à revoir mais pour une première depuis un an, tu peux être fier de toi.

Les résultats furent annoncés, Victor se classant premier temporairement. Il ne put s'empêcher de serrer brièvement Yuri dans ses bras. Il l'avait fait, il avait assuré son retour et sa qualification au Grand Prix, il ne leur restait plus qu'à clôturer la saison du japonais. Il lui avait proposé de rester à Saint-Pétersbourg pour se reposer mais Yuri avait insisté pour le suivre à Moscou et l'encourager. Son élève avait réussi à le convaincre en faisant remarquer que ça lui fera toujours deux jours sans patiner, donc plus reposants que d'habitude.

Il était forcé de constater que Yuri ne tenait définitivement plus le rythme. La fatigue accumulée par son emménagement et le décalage horaire était trop grande pour qu'il arrive à récupérer entièrement et, bien que le japonais n'ait plus de problèmes pour dormir la nuit, il restait fatigué en permanence, ses cernes définitivement ancrés sous ses yeux. Il lui avait plus d'une fois proposé de lever le pied sur les entraînements mais Yuri avait refusé en bloc, bien décidé à lui rapporter le plus de médailles possibles comme il le lui avait promis à la fin du Grand Prix.


J-60

Quand Yuri se réveilla, la première question qu'il se posa était de savoir quel jour ils étaient. Un sentiment de découragement l'envahit quand il réalisa que c'était lundi. Sa seule journée de repos de la semaine était passée à une vitesse hallucinante, lui permettant à peine de récupérer et, à cet instant précis, il se sentait absolument incapable de passer six jours entiers à s'entraîner avant d'à nouveau pouvoir souffler. Pourtant, ce n'était pas comme s'il avait le choix. Victor avait toujours vu en lui l'un des patineurs les plus endurants, il ne voulait pas le décevoir en lui demandant d'alléger le rythme des entraînements. Et il lui avait promis de réussir ces deux championnats.

- Ça va Yuri ? s'inquiéta Victor, qui venait également de se réveiller.

- Oui oui ! assura-t-il. Laisse-moi le temps d'émerger…

Victor déposa un baiser sur sa tempe et se redressa légèrement.

- Reste au lit pendant que je prépare le petit-déjeuner.

- Non, je… Je peux le faire…

- Je t'ai dit de rester ici ! ordonna Victor d'une voix autoritaire.


J-55

Victor observa Yuri réaliser sa chorégraphie. Même si elle était toujours irréprochable d'un point de vue technique, il était forcé de constater que son élève n'était plus que l'ombre de lui-même. Il patinait mécaniquement, son regard éteint, ses jambes légèrement tremblantes. Il était évident que Yuri ne prenait même plus de plaisir à patiner, trop épuisé pour profiter des sensations que la glace lui apportait d'habitude. L'endurance de Yuri continuait à le surprendre, malgré sa fatigue, ses sauts demeuraient impeccables, ses gestes techniques irréprochables. Victor ne lâcha pas son élève des yeux quand Yakov le rejoignit, observant le japonais en même temps que lui.

- Tu voulais me voir ? lui demanda son coach.

- J'aurais besoin d'un conseil, avoua Victor. Pour Yuri.

- Sa fatigue ? devina Yakov.

Victor acquiesça d'un hochement de tête avant de reprendre :

- Je ne sais plus quoi faire pour l'aider à récupérer. Il refuse catégoriquement de lever le pied sur les entraînements, il est déterminé à tenir comme ça jusqu'aux mondiaux mais… J'ai peur qu'il n'y arrive pas. Il aurait besoin de plusieurs jours de repos à la suite mais les quatre continents sont dans dix jours et s'arrêter trop longtemps lui fera perdre le bénéfice de l'entraînement.

- Tu penses qu'il ne peut pas tenir encore dix jours ?

- Si, peut-être. Surtout avec une journée de repos demain et une autre juste avant qu'on parte pour Détroit. C'est les mondiaux qui me font peur.

- Tu aurais dû l'obliger à s'arrêter beaucoup plus tôt, le réprimanda Yakov. Si tu l'avais empêché de patiner le temps qu'il s'installe chez toi et qu'il s'habitue au décalage horaire, il serait en pleine forme maintenant !

- Je sais ! assura Victor. Je sais que c'est ce que j'aurais dû faire mais… Mais ce ne sont pas des regrets qui vont le faire aller mieux. Je pensais qu'il arriverait à récupérer dès qu'il recommencerait à bien dormir, mais il a accumulé trop de fatigue et il s'épuise trop à l'entraînement pour réussir à se remettre. Et je m'en suis rendu compte trop tard… Tu penses qu'il n'y a plus rien à faire ? Rien qui lui permettrait d'assurer quand même ses passages en compétition ?

Yakov réfléchit quelques secondes.

- Les quatre continents devraient passer si tu le ménages. Limite le nombre de sauts dans ses entraînements, pas plus d'un de chaque de sa chorégraphie par jour. Fais-lui porter des bandages de protection aux genoux et aux chevilles pendant vos séances, ça soulagera un peu ses articulations et sa fatigue musculaire. Et oblige-le à faire une pause d'au moins quinze minutes toutes les deux heures. Fais aussi attention à lui quand vous êtes chez vous. Assure-toi qu'il mange bien, ne le laisse pas sauter de repas. Et pas moins de neuf heures de sommeil par nuit. Ça devrait déjà lui faire du bien. Mais si ça ne suffit pas à le faire tenir jusqu'aux mondiaux… Je pense que tu connais toi-même la réponse, Victor. Même si elle ne plaira à aucun de vous deux.

- Il n'acceptera jamais d'arrêter la saison maintenant et comme ça. Il ne voudra pas renoncer à participer aux championnats.

- Tu es son coach, c'est à toi de lever la voix pour l'obliger à t'obéir.

Victor resta silencieux. Yuri n'accepterait jamais de renoncer avant la fin de la saison, mais Yakov avait raison, c'était le seul moyen pour qu'il arrive enfin à récupérer. Tout au long de la semaine, il avait vu son élève devenir de plus en plus pâle, de plus en plus renfermé, l'apercevant même parfois essuyer rapidement des larmes d'épuisement et il ne supportait plus de le voir dans cet état. Il regarda Yuri exécuter un quadruple flip plus que satisfaisant, malgré ses jambes qui tremblèrent légèrement sur la réception, et achever sa chorégraphie. Il resta immobile deux secondes avant de se laisser tomber à genoux sur la glace, essayant de reprendre son souffle. Son corps était saisi de tremblements de plus en plus violents et Yakov et Victor s'engagèrent en même temps sur la glace pour le rejoindre. S'accroupissant à côté de lui, Victor posa précautionneusement une main sur son épaule.

- Ça va Yuri ?

Celui-ci acquiesça d'un hochement de tête.

- Ça va aller, ce… C'est la fin de la semaine, c'est tout. Laisse-moi deux secondes, ça va aller, je te jure !

- C'était tout pour ce soir de toute façon, murmura Victor d'une voix douce. Viens.

Victor et Yakov le soulevèrent délicatement pour le remettre sur ses pieds et l'aidèrent à rejoindre le bord de la patinoire. Après qu'ils l'aient fait s'asseoir sur un banc, Yakov se tourna vers Victor.

- Pense à ce que je t'ai dit, souffla-t-il avant de s'éloigner.


J-48

Yuri acheva son mouvement sous le regard satisfait de Victor qui lui sourit :

- C'était pas mal. Tu m'as l'air prêt pour les quatre continents.

- Tu es sûr ? Je… Je peux essayer de refaire le quadruple lutz ? On l'a pas fait depuis avant-hier et il me fait peur…

Victor dévisagea Yuri quelques secondes. S'il était toujours terriblement pâle, ses cernes faisant désormais partie intégrante de son visage, il semblait plus en forme qu'à la fin de la semaine dernière. Les conseils de Yakov avaient été efficaces, permettant à Yuri de supporter un peu mieux les entraînements et de mieux récupérer lors de ses pauses.

- Un seul, accorda Victor, même si tu le rates. Et on le travaillera un peu plus demain matin.

Yuri acquiesça et repartit vers la piste. Il prit de l'élan avant de sauter en tournant sur lui-même. A l'instant où il retombait, essayant de stabiliser sa réception, il sentit le sol de la patinoire se dérober sous ses pieds, le faisant basculer violemment. Il tomba par terre et posa une main sur sa tête, attendant que le décor autour de lui arrête de tourner. La main de Victor se posa sur son épaule.

- Ça va ? Qu'est-ce qui t'arrives ?

La sensation de vertige qui l'avait saisie disparut rapidement, remplacée par un léger mal de tête.

- Rien, ça va… Je… J'ai pas réussi à garder l'équilibre en me réceptionnant, c'est tout…

Il se doutait que Victor lui interdirait de patiner s'il lui avouait qu'il avait eu un vertige aussi violent sans aucune raison, en plein milieu d'un saut. Il se força à respirer lentement et se redressa pendant que son coach déclarait :

- Allez, on rentre.


J-47

Yuri bâilla en déposant deux tasses de café sur la table. Même si Victor l'obligeait à garder un rythme de sommeil suffisamment important pour l'empêcher de s'épuiser, il était forcé de reconnaître qu'il arrivait de moins en moins à tenir le coup. Le vertige qui l'avait saisi la veille en était la preuve. Et ce n'était pas le moment de flancher, ils partaient le lendemain pour Détroit, où les championnats des quatre continents auraient lieu. Yuri compta rapidement les jours. 47 jours avant la fin des championnats du monde, avant la fin de la saison. Un peu plus d'un mois. Il pouvait tenir. Il devait tenir. Même s'il n'avait plus eu d'autres vertiges après avoir quitté la patinoire, ce qui lui était arrivé lui faisait peur. Qu'est-ce qui s'était passé ? Est-ce que c'était juste un coup de fatigue, ou est-ce qu'il couvait quelque chose de plus grave ? Et si ça se reproduisait pendant un de ses passages ?

Victor s'assit à côté de lui et murmura :

- Tu as l'air soucieux…

Yuri réfléchit quelques secondes et garda les yeux baissés avant de murmurer :

- Victor, je voulais te demander… Est-ce que ça te dérange si… Enfin, je comprendrais que tu ne veuilles pas, hein ! Mais… Après les quatre continents… Est-ce que je pourrais m'arrêter deux ou trois jours avant de reprendre l'entraînement pour les mondiaux ?

Victor resta silencieux. Il ne lui avait pas parlé de la discussion qu'il avait eue avec Yakov, il voulait attendre de voir la façon dont Yuri supportait la fin de l'entraînement jusqu'aux quatre continents. Mais le japonais était le patineur le plus endurant qu'il connaissait et, s'il lui demandait lui-même de lever le pied, c'est qu'il était sur le point de s'effondrer. Il ne lui aurait pas fait une telle demande s'il avait pensé avoir la moindre chance de tenir le coup.

- Yuri… Ta saison est finie, après les quatre continents.

- Quoi ?

La réponse de Victor lui avait fait reposer violemment sa tasse, éclaboussant la table de café mais il n'y fit pas attention, son regard incrédule fixé sur son coach qui reprenait :

- Tu n'es pas en état d'aller jusqu'aux mondiaux et tu le sais. Ce n'est pas de deux ou trois jours, dont tu as besoin, c'est de deux ou trois semaines. Je ne te regarderai pas te détruire d'épuisement plus longtemps.

- Ça va aller ! Oublie ce que j'ai dit, je n'aurais jamais dû te demander ça… Je vais tenir le coup, je te jure !

Victor voulut rétorquer mais le regard suppliant de Yuri l'en empêcha. Il n'aimait pas le voir aussi désespéré. Il finit par soupirer :

- Ça ne sert à rien d'en parler maintenant. Tu vas participer – et remporter – les quatre continents. Ensuite, on revient ici et tu te reposes deux jours. Et après ça, on voit comment tu vas. Ça te convient ?

- Oui ! s'empressa-t-il d'accepter. Ça ira, je te jure !


J-43

Les présentateurs du championnat des quatre continents annoncèrent le résultat du programme long de Yuri au moment où ceux-ci s'affichaient sur les écrans, mais le japonais ne les regarda même pas. Il gardait sa tête dans ses mains, ses coudes posés sur ses genoux, cherchant à retenir les larmes de déception et d'amertume qui lui montaient aux yeux. Il n'avait pas besoin de voir ses résultats pour savoir qu'il s'était planté, lamentablement. Le mal au crâne qui le perturbait depuis le matin même, à cause du manque de sommeil, lui avait fait rater son premier saut. En se relevant, la proposition de Victor l'avait hantée. Arrêter la saison après cette compétition. Qu'est-ce que sa proposition cachait ? Victor le considérait comme l'un des patineurs les plus endurants au monde, pourquoi lui avait-il proposé ça ? Est-ce qu'il le considérait trop faible pour continuer, trop faible pour qu'il perde son temps à l'entraîner au lieu de penser à sa propre carrière ? Est-ce qu'il en avait eu marre de vivre avec lui, de patiner avec lui ? Toutes ces questions s'étaient bousculées dans sa tête, l'assaillant de toutes parts, et lui avaient fait perdre ses moyens, l'empêchant de réussir le moindre saut, le faisant chuter systématiquement. Il n'avait plus fait de prestation aussi catastrophique depuis la finale du Grand Prix deux ans auparavant. Victor gardait un bras autour de ses épaules dans une étreinte réconfortante.

- Viens, lui souffla-t-il.

Il sentit son coach l'obliger à se lever et à le guider au travers des couloirs, l'emmenant dans un vestiaire désert. Victor referma soigneusement la porte derrière eux et l'incita à s'asseoir sur un banc, s'accroupissant devant lui.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il d'une voix douce. Tu étais trop fatigué ?

- Non… murmura Yuri. Non, j'étais en forme mais… J'ai paniqué. J'ai repensé à ce que tu m'avais dit, au fait que tu voulais que j'arrête après et… Je sais pas, ça m'obnubilait, j'arrivais pas à me concentrer… Victor, je suis franchement désolé, je te jure !

- Ce n'est pas grave Yuri ! assura-t-il avec cette même voix calme et réconfortante. Ça arrive à tout le monde…

- Pas à toi, grommela-t-il. Victor, je… Si tu veux que j'arrête de patiner pour que tu puisses te consacrer à ton propre entraînement, je pourrais comprendre.

- Ne dis pas ça, il est hors de question que tu arrêtes complètement, Yuri. Et encore moins pour une raison aussi égoïste. C'est de ma faute, je n'aurais pas dû te proposer d'arrêter la saison avant cette compétition, c'était stupide de ma part.

- Ne me cherche pas d'excuses… C'est moi qui me suis planté, pas toi.

- C'est moi qui n'ait pas su te ménager suffisamment. Ça va aller mieux, maintenant. Tu vas te reposer, et quand tu seras sur pieds on commencera à préparer ta prochaine saison, d'accord ?

- Non.

Victor l'interrogea du regard, surpris par sa réponse, et Yuri reprit :

- J'irai aux mondiaux. Je prendrai ma revanche et je t'offrirai cette médaille d'or. Je te le promets.

- Tu penses tenir jusque là ? demanda lentement Victor.

- Oui. Je vais y arriver !

Yuri amorça un mouvement pour se relever mais, au moment où il allait le faire, le vestiaire tangua dangereusement devant lui et sa main agrippa le bord du banc pour se stabiliser, priant pour que Victor n'ait rien remarqué.


J-40

- Tu le laisses participer aux mondiaux, du coup ? s'étonna Yakov.

- Oui. Il était mortifié après son échec aux quatre continents. J'ai hésité, mais… Je commence à le connaître. S'il arrête la saison sur un échec il va passer les six prochains mois à le regretter et il aura encore plus de pression à la saison suivante.

- Et sa santé ?

- Il a l'air d'aller… Tes conseils sur son rythme d'entraînement lui ont fait du bien, il ne finit plus la semaine sur les rotules comme avant. Il est toujours fatigué mais ça n'influence plus ses performances. Il ne reste que cinq semaines, il va tenir.

- Victor…

Yakov semblait chercher ses mots et il reprit lentement :

- Tu fais ce que tu veux, tu es son coach et je n'ai pas d'ordre à te donner. Mais si je peux me permettre un conseil… Arrête de t'inquiéter pour lui et inquiète-toi pour toi-même.

- Pour moi ? s'étonna Victor.

- En tant que coach, tu es responsable de lui. Quand il se plante en compétition, c'est ta réputation qui trinque, je pense que tu l'as déjà remarqué. Mais crois-moi, il y a pire, bien pire que de voir son élève se planter. Tu le connais mieux que personne et j'ai envie de te croire quand tu me dis qu'il tiendra le coup. Mais imagine deux secondes que ce ne soit pas le cas. Imagine deux secondes ce que tu ressentirais s'il se blessait pendant cet entraînement. Qu'est-ce que tu ressentirais si, alors que tu es convaincu qu'il ferait mieux de s'arrêter immédiatement, il se blessait tellement gravement qu'il serait obligé de mettre fin à sa carrière ?

Victor resta scotché par les mots de Yakov qui reprit doucement :

- Crois-moi sur parole. Tu n'as pas envie de vivre avec ça sur la conscience.


J-33

Yuri ferma légèrement les yeux, se laissant enivrer par la sensation de la glace sous ses pieds. Le froid mordant de la patinoire l'aidait à rester éveillé et concentré sur sa chorégraphie et son corps exécutait mécaniquement cette danse qu'il faisait depuis bientôt un an. Il connaissait son programme court sur le bout des doigts et était capable de le danser sans même y penser. Pourtant, en ce moment, il y avait un élément sur lequel il était obligé de se concentrer. Après son premier saut, il prit de l'élan et contracta ses muscles pour effectuer son enchaînement de pirouettes. S'élevant en équilibre sur une jambe, le reste de son corps totalement parallèle à la piste, il commença à tourner sur lui-même. Quasiment aussitôt, une sensation de tournis l'envahit et le gêna pour se concentrer sur ses mouvements. Cette fois, il s'y attendait et réussit à garder son équilibre, les yeux fixés sur le sol pour ne pas voir le décor autour de lui tourner violemment. Prenant une lente inspiration, il effectua un léger saut pour changer de jambe et recommencer à tourner dans l'autre sens. Il avait effectué plus d'un tour quand la glace sur laquelle il gardait le regard fixé bascula sous lui, le déstabilisant et l'obligeant à fermer les yeux. Le changement de sens lui avait donné l'impression que son cerveau était secoué de toutes parts à l'intérieur de son crâne. Une violente envie de vomir l'envahissait au moment où il finissait sa pirouette, repartant en ligne droite pour préparer sa prochaine figure. Il inspira lentement et savoura la sensation de l'air glacé qui lui balayait le visage pendant qu'il prenait de la vitesse, atténuant légèrement sa sensation de malaise. Il réussit à finir sa chorégraphie en laissant échapper un soupir de soulagement. En rejoignant Victor près de la sortie de la piste, il remarqua que celui-ci avait un regard inquiet.

- Tu vas bien ? s'inquiéta-t-il. Tu es devenu pâle pendant ta pirouette…

- Ça va ! mentit-il avec assurance. Je… Tu veux bien me laisser cinq minutes ? Je reviens tout de suite…

Victor acquiesça en consultant sa montre.

- C'était l'heure de ta pause, de toute façon.

Yuri se dirigea le plus naturellement possible vers les vestiaires. Lorsque la porte fut soigneusement refermée derrière lui, il s'effondra avant même d'avoir pu atteindre un banc. Appuyé dans un coin du mur, le front dans ses mains, apaisé par le contact froid du carrelage, il s'efforça de respirer lentement en attendant que la sensation que sa tête explosait se dissipe un peu.


J-25

Une légère sonnerie arracha Victor du sommeil dans lequel il était plongé. Il étouffa un grognement de protestation, la tête toujours plongée dans l'oreiller, espérant que son réveil se tairait tout seul. Bien sûr, ce ne fut pas le cas et, une minute plus tard, le volume de celui-ci augmenta considérablement, résonnant dans toute la pièce. Victor se força à ouvrir les yeux mais mit encore une bonne minute à trouver la force de sortir un bras du lit pour appuyer violemment sur le réveil, le faisant taire. Il se redressa légèrement et son regard se posa sur Yuri, allongé à côté de lui, encore profondément endormi. Le vacarme causé par le réveil ne l'avait absolument pas dérangé.

Victor tendit la main vers lui pour le réveiller mais il stoppa son geste au moment où il allait toucher son épaule. Le fait que Yuri n'ait pas été réveillé par le bruit strident était une preuve supplémentaire qu'il avait désespérément besoin de sommeil. L'état de son élève avait depuis longtemps dépassé la simple fatigue. Son teint pâle, ses jambes tremblantes, sa consommation excessive de café et de boissons énergisantes, ses cernes, ses larmes qu'il tentait de dissimuler à partir du milieu de la semaine, ses journées de repos qu'il passait cloué au lit pour essayer de récupérer, tout en lui hurlait que son corps avait atteint ses limites. Victor avait plusieurs fois essayé d'aborder à nouveau le sujet avec lui mais la réponse de Yuri ne changeait pas : il ne voulait pas renoncer aux mondiaux, il tiendrait le coup. Victor compta les jours. Encore 25 jours avant la fin de son programme libre, avant qu'il ne puisse se reposer aussi longtemps qu'il en aurait besoin. Un peu moins de quatre semaines.

L'avertissement de Yakov continuait à lui trotter dans la tête mais, à chaque fois qu'il laissait entendre à Yuri qu'il avait peur qu'il se blesse, celui-ci lui assurait que c'était quasiment impossible. Les protections qu'il l'obligeait à porter l'empêchaient de faire de faux mouvements et il ne répétait ses sauts qu'en début de matinée, quand il était sûr d'avoir suffisamment de forces pour se réceptionner correctement. Quand Yuri n'était pas là ou qu'il dormait, il se décidait presque à suivre le conseil de Yakov et à forcer son élève à arrêter de s'entraîner, qu'il soit d'accord ou non. Mais, dès que les yeux du japonais accrochaient son regard, il sentait sa volonté s'effondrer, remplacée par sa confiance en l'endurance et les capacités de Yuri. Et par l'envie de le voir lui ramener cette médaille qu'il convoitait tant, la médaille d'or des mondiaux, cette récompense ultime qui lui ferait obtenir le titre de meilleur patineur au monde. Yuri la méritait, plus que n'importe qui d'autre. Dans 25 jours, toute la fatigue et la difficulté de l'entraînement disparaîtraient, remplacés par la fierté que Yuri éprouverait à avoir réussi à aller jusqu'au bout et à rafler ce titre.

Victor esquissa un sourire affectueux en laissant ses doigts glisser dans les cheveux noirs de son fiancé. Dans 25 jours, il serait champion du monde. Mais pour l'instant, s'il voulait atteindre cet objectif, il avait largement plus besoin de repos que d'entraînement. Victor attrapa son téléphone, envoyant un rapide SMS à Yakov pour le prévenir qu'ils ne viendraient pas aujourd'hui, avant de se rallonger à côté de Yuri qui, sans se réveiller, se blottit immédiatement contre lui.


J-18

Yuri s'appuya contre la barrière de la patinoire, buvant par petites gorgées dans sa bouteille de boisson énergisante. Il avait encore dix minutes de pause avant que Victor ne le laisse recommencer à s'entraîner et il en profitait pour observer Yurio, qui s'entraînait au quadruple flip sous la surveillance de Yakov. Il était forcé de reconnaître que le jeune russe avait mis les bouchées doubles sur son entraînement depuis la fin du Grand Prix, décidé à battre son propre record du monde du libre. Il regardait le patineur répéter encore et encore le saut, motivé par la menace de Yakov qui le faisait sortir de la patinoire pour faire des séries de pompes à chaque fois que son mouvement n'était pas irréprochable. Depuis qu'il s'entraînait à Saint-Pétersbourg, il comprenait comment Victor avait pu être quintuple champion du monde, comment Yurio avait pu remporter l'or de son premier Grand Prix. L'entraînement de Yakov avait beau être efficace, il n'en était pas moins violent et épuisant. L'espace d'un instant, il se fit la réflexion que, dans son état actuel, il ne tiendrait pas une seule journée d'entraînement sous sa coupe. Yurio, lui, supportait ça depuis plus de dix ans.

- Quelque chose te tracasse ?

Il sursauta en se retournant vers Victor. Il ne l'avait pas entendu le rejoindre. Il hésita quelques secondes avant de murmurer à demi-mots :

- Je peux pas gagner.

- Quoi ?

- Je peux pas gagner ! répéta Yuri. Il suffit de regarder Yurio ou Georgi s'entraîner pour le savoir… Je ne gagnerai pas dans mon état, je ne fais plus le poids face à eux. Rien que sur le nombre de sauts qu'ils casent dans leurs programmes, je ne peux plus rivaliser !

- Tu… Tu veux arrêter de t'entraîner ? demanda lentement Victor. Laisser tomber les mondiaux ?

- Non, mais…

Yuri sembla chercher ses mots avant de reprendre :

- Si tu veux que j'y aille pour te ramener l'or, alors ce n'est pas la peine, je n'y arriverai pas. Autant arrêter tout de suite. J'aimerais quand même y aller, au moins pour rattraper le fiasco des quatre continents. Je me doute que je ne ferai pas de miracle, mais j'arriverai peut-être à faire une prestation correcte et à rafler la troisième ou quatrième place. Mais si ça ne te suffit pas… Je pourrais comprendre.

Victor resta silencieux quelques secondes avant de le prendre par l'épaule.

- Viens t'asseoir, ordonna-t-il doucement.

Ils se laissèrent tomber sur un banc avant que le russe ne reprenne :

- Yuri, je ne te le cacherai pas, je rêve de te voir remporter cette médaille d'or. Mais ça fait quelques jours que je réalise également que tu n'y arriveras pas dans ton état. Je peux comprendre que tu veuilles quand même y aller, mais je m'inquiète pour toi. Tu ne tiens plus le coup, ton corps ne tient plus le coup. Tu as besoin de repos, ça crève les yeux. Je ne veux pas te forcer à t'arrêter. Mais j'aimerais que tu le fasses. S'il te plaît.

Yuri resta scotché par les paroles et le regard de son coach. Jusqu'à présent, il refusait catégoriquement d'envisager l'idée de s'arrêter, mais l'inquiétude qui transparaissait clairement chez Victor le choqua. Il baissa les yeux et réfléchit. Il mourrait d'envie de s'arrêter, de pouvoir enfin souffler… L'espace d'un instant, il envisagea de le faire, imaginant ce qui se passerait s'il prenait cette décision. Et il comprit qu'il en serait incapable.

- Je le regretterai trop, murmura-t-il en secouant la tête de droite à gauche. Je… Je te l'ai dit, je n'attends pas grand-chose de cette compétition, mais je m'en voudrais de rester sur les quatre continents comme dernière performance de la saison. Et… Je veux pas que ça ait servi à rien. Je meurs d'envie de m'arrêter, je te le jure, j'en peux plus ! Mais ça fait plus de deux mois que je crève d'épuisement, et il reste à peine trois semaines… Je ne veux pas que tu me dises que tout cet entraînement, toute cette fatigue, n'a finalement servi à rien.

- En tant que coach, je serais censé te dire que ça n'a pas servi à rien, que c'est toujours ça de pris pour ta prochaine saison… commença Victor. Mais en tant que patineur, je peux tout à fait comprendre.

Il laissa ses doigts courir sur la joue de Yuri dans un mouvement affectueux avant de murmurer :

- Fais attention à toi, s'il te plaît.


J-11

Yuri bâilla longuement en sortant de la salle de bains, portant déjà son pyjama, ses cheveux encore humides de la douche. La semaine d'entraînement était enfin terminée et il avait appris à savourer ces veilles de journée de repos, ces soirées qu'il pouvait passer à se reposer en sachant qu'aucun réveil ne viendrait l'arracher au sommeil le lendemain. Il rejoignit Victor dans la pièce principale de l'appartement et fut surpris de le voir préparer le dîner.

- Je t'avais dit que je m'en occuperai… s'étonna-t-il.

- Repose-toi, souffla Victor. Je sais que mes talents culinaires te font peur mais je pense ne rien risquer avec de simples pâtes bolognaise.

Yuri laissa échapper un léger rire. Peu de temps après qu'il ait emménagé chez lui, Victor avait été obligé de lui avouer qu'il n'avait quasiment jamais touché une casserole de sa vie, se contentant de plats tout préparés ou de traiteurs à emporter lorsqu'il vivait seul. Yuri avait souvent essayé de lui apprendre mais sans grand succès, leurs expériences finissant régulièrement par une odeur de cramé qui envahissait l'appartement. Le japonais se rapprocha des placards de la cuisine pour mettre la table pendant que Victor finissait de préparer le repas.

Après avoir disposé les assiettes et les couverts, il revint prendre deux verres avant de se diriger à nouveau vers la table. Il allait l'atteindre quand un vertige plus violent que tout ce qu'il avait déjà connu le saisit. Sa vision se troubla subitement, achevant de lui faire perdre toute notion d'équilibre, et il entendit plus qu'il ne vit les deux verres qu'il tenait éclater sur le sol. Son cœur accéléra brusquement, le sang tambourinant contre ses tempes, pendant que son front se couvrait de sueurs. Il tenta d'agripper le bord de la table pour garder l'équilibre mais ses jambes se dérobèrent sous lui, incapables de le porter, et il s'effondra. Deux bras puissants le rattrapèrent juste avant qu'il ne percute le carrelage. Tout en le gardant serré contre lui, Victor le souleva dans ses bras et le porta jusqu'au canapé, l'allongeant délicatement dessus. Le contact frais du cuir et la position allongée le soulagèrent presque instantanément et il parvint à ouvrir les yeux. Victor s'était agenouillé à côté de lui, son regard tremblant d'inquiétude.

- Ça va Yuri ? Qu'est-ce qui t'arrives ?

- Je sais pas… Ça va déjà mieux… Je… Désolé pour les verres…

- Je me fiche des verres, soupira Victor, j'ai cru que tu tombais dans les pommes… Reste allongé, j'appelle le médecin de l'équipe.

- C'est pas la peine ! assura-t-il. Ça devait être qu'un coup de fatigue !

- Je préfère en être sûr, trancha Victor en pianotant sur son téléphone.


J-9

- Bon, la journée de repos vous a fait du bien, apparemment.

Le médecin fit signe à Yuri qu'il pouvait se rhabiller et revint vers son bureau. Quand Victor l'avait appelé le samedi soir, il s'était déplacé immédiatement et avait conclu que Yuri avait eu une grande chute de tension. Il lui avait ordonné de se reposer tout en gardant un tensiomètre autour du bras et de passer le revoir dès le lundi matin, avant qu'il ne reprenne l'entraînement. Victor avait pris ses instructions au pied de la lettre, interdisant à son élève de se lever plus de quelques minutes lors de sa journée de repos, et l'avait conduit en voiture à son cabinet le lendemain. Le médecin vérifia les données du tensiomètre qu'il venait de lui enlever et reprit :

- Votre tension est encore faible, mais stable. Elle a même commencé à remonter un peu depuis hier soir.

- Donc je peux reprendre l'entraînement ? demanda Yuri.

- Ce n'est pas franchement prudent. Vous auriez encore besoin de repos pour récupérer complètement…

- Mais il ne reste qu'une semaine ! protesta Yuri. Neuf jours exactement avant la fin du libre. Je peux tenir, je vous le jure ! Il ne reste plus rien, désormais, je m'arrêterai aussi longtemps qu'il faudra juste après !

Le médecin grimaça légèrement et réfléchit avant de demander :

- Comment vous supportez cette fatigue, le reste du temps ? Vous n'avez pas d'étourdissements, de vertiges ou de pertes d'équilibre ?

Yuri réussit à cacher la surprise sur son visage en entendant le médecin énumérer tout ce qui lui arrivait de plus en plus souvent depuis près de deux mois.

- Non. Je vais bien, mentit-il avec assurance.

- Bon. Alors vous devriez pouvoir tenir jusqu'aux mondiaux. Continuez à vous ménager lors de vos entraînements. Je vais également vous prescrire des vitamines, ça ne fera pas de miracle mais ça vous soulagera un peu. Niveau énergisants, je ne peux pas vous donner grand-chose d'autre qui ne soit pas considéré comme dopant. Et revenez me voir après les championnats du monde. Si, d'ici là, vous commencez à avoir l'un des symptômes dont je vous ai parlé, même si c'est léger, vous vous arrêtez immédiatement, c'est bien compris ?

Yuri acquiesça d'un hochement de tête.


J-6

Yuri appuya sa tête contre la fenêtre de la portière en fermant les yeux pendant que la voiture de Victor quittait le parking de la patinoire. Il avait l'impression que sa tête explosait et était obligé de fermer les yeux pour ne pas perdre toute notion d'équilibre. Des larmes d'épuisement lui montaient aux yeux mais il se força à les ravaler. C'était déjà un véritable miracle que Victor n'ait rien remarqué pendant leur séance, il ne voulait pas l'inquiéter si proche du but. Dans six jours, tout serait fini, il pourrait se reposer aussi longtemps qu'il le voudrait. Étrangement, cette durée lui parut soudainement inatteignable. Le médecin lui avait clairement dit que ses symptômes auraient dû l'obliger à s'arrêter deux mois auparavant et il lui avait menti uniquement parce que la durée qui le séparait de la fin des mondiaux lui avait semblé ridicule. Mais, aujourd'hui, à peine trois jours après, il se sentait absolument incapable de tenir encore une semaine dans cet état. Il était pourtant hors de question qu'il abandonne, pas maintenant. Une semaine, qu'est-ce que c'était à côté des trois mois depuis lesquels il s'efforçait de tenir bon ?

Il sentit la voiture s'arrêter et il ouvrit les yeux pour constater qu'ils étaient arrivés devant chez eux. Il s'efforça de décoller son front de la vitre et, aussitôt, il eut l'impression de voir le décor autour de lui tanguer. Victor était déjà descendu et avait contourné la voiture pour lui ouvrir sa porte. Il l'aida à descendre et lui prit son sac de sport en demandant :

- Ça va ? Tu n'as pas l'air bien…

- Comme d'habitude, murmura Yuri, je suis juste fatigué. Ça va aller.

Ils entrèrent dans l'immeuble et Victor appuya sur le bouton de l'ascenseur. Yuri haussa les sourcils de surprise mais en fut tout de même soulagé. D'habitude, ils passaient par l'escalier, mettant moins longtemps à monter jusqu'au premier étage qu'à attendre l'ascenseur. D'une manière ou d'une autre, Victor avait dû deviner qu'il était incapable de monter les marches sans s'effondrer dessus.

Une fois dans leur appartement, Victor proposa :

- Va te coucher tout de suite, je te réveillerai dans deux ou trois heures pour manger. Ce n'est pas le moment d'accumuler de la fatigue.

Yuri acquiesça, profondément soulagé par la proposition de son coach. Il se déshabilla rapidement et s'effondra sur le lit. Plongeant le front dans l'oreiller, il sentit ses vertiges s'atténuer doucement et savoura cette sensation. Il ferma les yeux et se laissa glisser lentement dans le sommeil.


J-4

- Yuri ?

- Gnmmh ?

- Réveille-toi, mon amour, souffla doucement Victor. On arrive.

Yuri ouvrit les yeux et étira ses bras et ses jambes autant qu'il le put dans l'espace restreint. Il avait l'impression que ça ne faisait que deux ou trois minutes que leur avion avait décollé de Saint-Pétersbourg. Pourtant, un coup d'œil par le hublot lui confirma qu'ils venaient d'atterrir à Helsinki, où les championnats du monde auraient lieu. Il se redressa dans son fauteuil et Victor sourit :

- Je ne comprendrai jamais comment tu peux dormir dans ces sièges… Tu as réussi à te reposer ?

- Un peu…

L'avion s'arrêta sur la piste d'atterrissage et les passagers se levèrent pour sortir. Yuri allait les imiter mais Victor le retint.

- Attends ! souffla-t-il. Enlève tes lunettes.

Yuri obéit, intrigué, pendant que Victor fouillait dans le sac du japonais pour en sortir ses lunettes de soleil.

- Pourquoi tu as insisté pour que je les prenne ? demanda Yuri.

Victor les plaça délicatement sur le visage de son petit-ami, couvrant entièrement ses yeux, avant de répondre :

- Même si je te trouve toujours aussi magnifique que d'habitude, ça risque de ne pas être le cas des journalistes ou de tes fans, sourit-il tendrement. Je ne tiens pas à ce qu'ils inventent des rumeurs stupides sur ta santé en voyant tes cernes.

Yuri acquiesça lentement. Il était forcé de le reconnaître, n'importe qui pouvait lire sur son visage à quel point il était épuisé. L'espace d'une seconde, il pensa que les rumeurs en question ne seraient peut-être pas si stupides que ça. Ses vertiges et sa chute de tension étaient la preuve que sa fatigue commençait à peser sérieusement sur sa santé. Il inspira lentement avant de se lever de son siège en même temps que Victor. Il attaquait la dernière ligne droite, désormais.

Victor passa un bras autour de ses épaules avant qu'ils ne sortent de l'aéroport. Aussitôt, des cris hystériques et des flashs d'appareils photos résonnèrent de toutes parts. Des dizaines de fans étaient massés devant la sortie, criant leurs noms, se mettant sur la pointe des pieds pour mieux les voir. Victor les salua de son bras libre avec un sourire resplendissant, et Yuri parvint à l'imiter plus timidement. Le russe resserra légèrement son étreinte sur l'épaule de son petit-ami pendant qu'ils avançaient pour rejoindre leur taxi, laissant les fans les prendre en photo. Ils atteignirent la voiture sans que personne ne se soit interrogé sur la raison pour laquelle Yuri portait des lunettes de soleil, sans que personne n'ait remarqué que ses sourires étaient plus pâles que d'habitude. Sans que personne ne se soit douté que le bras de Victor autour de ses épaules était surtout destiné à s'assurer qu'il ne s'effondrerait pas en public.


J-2

Appuyé sur le bord de la patinoire, Victor regardait Yuri s'entraîner pour cette dernière journée avant son programme court. Il lui avait interdit de faire le moindre saut et le fait que son élève lui ait obéi sans discuter l'avait inquiété. Il connaissait suffisamment le japonais pour comprendre qu'il lui cachait des choses sur son état de santé, sans qu'il n'arrive à deviner quoi. Depuis que sa chute de tension l'avait fait s'effondrer dans leur appartement, il luttait contre l'envie de lui interdire strictement et catégoriquement de patiner, mais, à chaque fois qu'il s'apprêtait à le faire, il se décourageait en imaginant ce que lui-même ressentirait si on lui imposait une telle décision. Il savait à quel point il pouvait en coûter à un patineur de renoncer à une compétition et il ne voulait pas faire subir ça à Yuri. Et ce n'était pas comme si son élève n'avait pas la moindre chance de l'emporter. Yuri mettait tout son cœur dans ses pas, dans chacun de ses mouvements, et Victor était persuadé qu'il était capable d'atteindre le podium même en limitant le nombre de sauts dans ses chorégraphies.

La plupart des patineurs quittaient la piste pour aller manger. D'un signe, Victor indiqua à Yuri de revenir vers lui et indiqua :

- C'est tout pour ce matin. Reprends tes affaires.

- On ne revient pas s'entraîner après manger ? s'étonna Yuri.

- Peut-être en fin d'après-midi si tu es en forme. Mais tu as besoin de te reposer, ça ne sert à rien de t'épuiser à l'entraînement maintenant.

Yuri acquiesça en baissant la tête. Il était forcé de le constater, depuis qu'il s'était effondré, Victor ne voyait plus en lui qu'un patineur trop faible pour réussir la moindre performance dans ces championnats. Soudainement, les interrogations qui l'avaient saisi aux quatre continents l'assaillirent de nouveau : Qu'est-ce qui lui arrivait ? Qu'est-ce que Victor voyait en lui ? Est-ce que ce n'était qu'un coup de fatigue passagère, ou son corps était-il bel et bien en train de le lâcher ? Est-ce qu'il récupérerait facilement après la fin des mondiaux ou était-il condamné à prendre sa retraite après cette saison ? Et surtout… Victor connaissait-il la réponse à toutes ces questions ?

Ils rentrèrent dans la chambre d'hôtel et Yuri se laissa tomber sur le lit. Victor s'installa à côté de lui et murmura :

- Yuri… Je te l'ai déjà dit l'année dernière et je te le répète, tu n'as rien de faible.

Il releva la tête, surpris que son coach ait aussi bien interprété son silence et ses angoisses.

- Ça arrive à tout le monde d'avoir des moments de fatigue plus importants que d'habitude, certains sportifs sont même obligés de prendre une saison entière de pause. Ce n'est pas ton cas, d'ici deux semaines tu seras complètement sur pieds.

- Ça fait vingt ans que tu patines à haut niveau et tu n'as jamais eu besoin de t'arrêter, fit remarquer Yuri d'un ton amer.

- Oh si, assura Victor. Ça ne m'a jamais fait rater une compétition, mais c'est uniquement parce que Yakov est un excellent coach – bien meilleur que moi. Il m'obligeait à m'arrêter dès que les premiers signes de fatigue ou de surmenage apparaissaient, et ça m'évitait de devoir faire une pause trop longue. C'est ce que j'aurais dû faire aussi, rien de tout ça ne serait arrivé si je t'avais interdit de patiner dès ton arrivée, le temps que tu t'habitues au décalage horaire.

- Ce n'est pas de ta faute, ce qui m'arrive…

- Bien sûr que si. Mais ça ne sert à rien d'en discuter. Après-demain, on fêtera la fin des mondiaux ensemble et tu te reposeras le temps qu'il faudra. Mais pour l'instant, fais une sieste. Tu dois être en forme demain.

Sans lui laisser la possibilité de répondre, Victor l'attira dans ses bras, l'obligeant à se blottir contre lui en fermant les yeux.


J-1

- Et maintenant, mesdames et messieurs, place au représentant du Japon, Yuri Katsuki !

Des applaudissements retentirent pendant que Victor soufflait ses derniers conseils à son élève. Face à face, séparés par la barrière de la patinoire, Victor laissa ses doigts s'emmêler à ceux de Yuri en lui murmurant :

- Séduis-moi avec tout ce que t'as.

Yuri acquiesça d'un hochement de tête déterminé. Il resserra légèrement sa main sur celle de Victor avant de le lâcher pour s'élancer sur la patinoire et de se positionner au milieu.

- Yuri Katsuki, sur De l'amour : Eros, annonça le présentateur. Chorégraphie de Victor Nikiforov.

Séduis-moi avec tout ce que t'as. La voix de Victor résonna à ses oreilles. Les premières notes de la musique retentirent et il laissa ses bras glisser le long de son corps, reproduisant les mouvements sensuels et aguicheurs qu'il s'était entraîné à faire. Sur la fin de l'introduction, sa tête tourna d'un quart de tour et son regard accrocha celui de Victor, lui adressant un léger clin d'œil provocateur au passage. Il aperçut son coach esquisser un sourire amusé et captivé avant d'entamer la suite de sa chorégraphie. Mettant dans chaque geste sa volonté de garder le regard de Victor rivé sur lui, il prit de l'élan pour son quadruple flip, qu'il réalisa aisément. Au moment où il se réceptionnait, le léger choc sous ses pieds se propagea comme une vague dans son corps, réveillant le mal de crâne qui l'assaillait de plus en plus souvent. Il grimaça légèrement et, priant pour que le jury n'ait rien remarqué, continua sa chorégraphie.

Comme toujours depuis quelques semaines, sa combinaison de pirouettes accentua sa migraine et fit naître une sensation de tournis qu'il parvint à ignorer pour finir sa figure. Il s'obligea à respirer lentement pendant qu'il reprenait de la vitesse, l'air frais qui lui fouettait le visage l'apaisant légèrement. Tout en exécutant ses mouvements, il réfléchit à la suite de sa chorégraphie. Il avait encore trois sauts à placer, dont deux dans la seconde partie. Est-ce qu'il tiendrait jusque là ? Est-ce qu'il arriverait à garder suffisamment de forces et à lutter contre le malaise qui l'envahissait de plus en plus pour sauter après autant d'efforts ? Il ne savait pas. Qu'est-ce qu'il devait faire ? Sentant la panique le gagner, il se força à réfléchir calmement. Son prochain saut était un triple axel, sa spécialité. Celui-là, il pouvait le faire, il en était persuadé. Il reprit de la vitesse et l'exécuta facilement, malgré ses jambes qui tremblèrent violemment sur sa réception.

Il fatiguait vite, trop vite par rapport aux figures qu'il lui restait encore à faire. Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas réalisé cette chorégraphie intégralement avec tous les sauts à l'entraînement, Victor cherchant à le ménager le plus possible, et il réalisait à ce moment là qu'il n'était absolument pas sûr de pouvoir la finir. Que devait-il faire ? Que lui conseillerait Victor s'il avait pu lui demander son avis à cet instant précis ? Je me demande si on ne devrait pas garder qu'un seul quadruple, tu n'as pas besoin de plus pour gagner. La conversation qu'ils avaient eue plus d'un an auparavant lui revint en mémoire. Oui, il savait ce que Victor lui aurait dit : Ne saute pas. Garde tes forces pour finir ta chorégraphie avec tout ton cœur, tu n'as pas besoin de sauter pour gagner. Il avait encore deux sauts à placer. Il pouvait renoncer au premier et, en fonction de l'énergie qu'il lui resterait à quelques secondes de la fin du morceau, décider ou non de faire le deuxième.

Sa chorégraphie touchait à sa fin et il réalisa qu'il avait pris la bonne décision en ne sautant pas. Même en économisant ses forces, il se sentait absolument incapable de faire encore le moindre saut et il se serait probablement effondré s'il avait essayé de les faire. Il acheva son programme sur les dernières notes de musique et, après s'être immobilisé quelques secondes, se laissa tomber à genoux, cherchant à reprendre sa respiration. Il resta un instant sur la glace avant de trouver la force de se relever et de rejoindre Victor qui l'attendait à la sortie de la piste. Celui-ci écarta ses bras et, dès qu'il fut sorti de la patinoire, le serra contre lui.

- Tu étais parfait, souffla-t-il d'une voix douce. Je suis tellement fier de toi…

Yuri savoura les compliments sans pour autant être dupe. Victor restait le plus exigeant des perfectionnistes et il savait qu'il avait sans doute beaucoup de remarques à lui faire. Ses compliments étaient juste sa façon de le récompenser de son choix de ne pas sauter et de garder ses forces. Pendant qu'il se laissait aller à l'étreinte de son coach, un doute l'envahit. Il avait l'impression d'avoir puisé jusqu'à la dernière miette d'énergie qu'il avait pour finir ce programme court. Qu'est-ce que le libre, qui durait trois fois plus longtemps, donnerait le lendemain ?


Jour J, H-15

Yuri se retourna une énième fois dans son lit. Il tremblait d'épuisement et ses yeux le brûlaient, mais il restait incapable de s'endormir. Après l'annonce des résultats du court, il avait été agréablement surpris de constater qu'il avait été classé quatrième, un résultat plus que satisfaisant compte-tenu de son état. Pour la première fois, il réalisait qu'il était capable de gagner ce pari fou, celui d'atteindre le podium des mondiaux dans son état. Victor, lui, n'avait pas paru surpris. Il savait qu'il était capable de le faire, c'était l'unique raison pour laquelle il l'avait laissé participer.

Malgré son excitation et sa satisfaction, il ne pouvait s'empêcher d'angoisser pour le lendemain. Est-ce qu'il arriverait à réaliser son programme libre correctement ? Celui-ci était beaucoup plus physique que le court, il aurait besoin d'encore plus d'énergie. Il se doutait qu'il ne pourrait pas réaliser tous ses sauts, mais combien devrait-il en sacrifier pour finir son programme ? Arriverait-il à en garder suffisamment pour faire un score correct ? Et les autres concurrents, que feraient-ils ? Est-ce qu'il avait la moindre chance de les dépasser, même en allégeant son programme ? Et qu'est-ce qu'il ressentirait s'il se plantait ? Qu'est-ce que Victor dirait ? Est-ce qu'il lui en voudrait d'avoir autant insisté et puisé dans ses dernières ressources juste pour une performance ratée ?

Un bâillement l'arracha à ses pensées. Il était épuisé, il fallait qu'il dorme, absolument. Pourtant, dès qu'il fermait les yeux, ses angoisses l'assaillaient de plus belle, le rendant incapable de rester immobile. Il se retourna sur le dos, fixant le plafond. Demain il pourrait se permettre de se poser des questions, de faire des nuits blanches… Demain, tout serait fini, il pourrait se reposer aussi longtemps qu'il le voudrait. Il attendait ce moment depuis tellement de temps, il avait l'impression que ça faisait une éternité qu'il traînait cet épuisement partout avec lui sans réussir à s'en débarrasser… Demain.


Jour J, H-6

- Tu n'as pas dormi ? s'inquiéta Victor.

- Si ! Un petit peu…

Un coude posé sur la table du petit-déjeuner, Yuri gardait la tête dans sa main pour atténuer le mal de crâne que la nuit lui avait laissé. Il n'avait pas réussi à s'endormir complètement, comatant quelques dizaines de minutes avant de se réveiller, plus inquiet et angoissé que jamais.

- Tu aurais dû me réveiller ! le réprimanda son coach. Bon sang, tu t'es regardé ? Tu ne tiens même plus debout !

- Ça va aller… murmura-t-il. Laisse-moi le temps d'émerger, j'ai juste besoin de café…

Avant qu'il n'ait pu amorcer un mouvement pour se lever, Victor lui avait pris son plateau et était parti le re-remplir au buffet de l'hôtel. Il revint en déposant la multitude de plats devant lui.

- Café, fruits, céréales, fromage blanc et œufs brouillés, énuméra-t-il. Prends ton temps pour manger mais tu finis tout. Tu vas avoir besoin de prendre des forces.

Yuri acquiesça et murmura un remerciement avant de se redresser pour s'emparer de ses couverts. Dès l'instant où sa tête se décolla de sa main, une sensation de tournis l'assaillit et il ferma les yeux pour essayer de l'apaiser. Lorsqu'il les rouvrit, il remarqua que Victor le dévisageait avec un regard brûlant d'inquiétude.

- Yuri… commença-t-il doucement. Si tu ne te sens pas bien, ça ne sert à rien d'y aller.

- Tu plaisantes, je ne vais pas abandonner maintenant…

- Je préfère ça plutôt que tu te blesses !

- Je te dis que ça va aller ! protesta Yuri.


Jour J, Heure H / (Yuri)

Yuri leva les yeux vers Victor qui répéta ses derniers conseils :

- Tu sais comment gérer ta fatigue. Si tu t'épuises trop vite, n'hésite pas à ne pas faire tes sauts ou à les simplifier, le plus important c'est que ton interprétation et tes autres figures soient correctement réalisées. Et aie confiance en toi. Tu restes le patineur le plus endurant que je connaisse. Prouve-le nous.

Yuri esquissa un pâle sourire, revigoré par le compliment de son coach. Son petit-déjeuner lui avait rendu ses forces et Victor lui avait fait boire à petites gorgées une bouteille de boisson énergisante une heure avant son programme. Cela n'avait pas suffi à faire complètement disparaître son mal au crâne créé par le manque de sommeil mais, au moins, il se sentait capable de réaliser son programme libre.

Il s'avança sur la patinoire et fit un tour de piste en saluant le public avant de se mettre en place.

- Yuri Katsuki, sur la musique Yuri on Ice.

Les premières notes de piano résonnèrent et ses bras glissèrent lentement le long de son corps. Il pouvait le faire, il pouvait réaliser cette chorégraphie pour la dernière fois. Il pouvait se venger du fiasco des quatre continents. Il s'élança sur la piste dans une série de mouvements fluides avant d'amorcer son premier saut, une combinaison quadruple et boucle. La composante la plus difficile de son programme, volontairement laissée en début de chorégraphie pour être sûr qu'il aurait la force de la réaliser. Il prit de la vitesse et sauta, tournant impeccablement sur lui-même. Il parvint à se réceptionner à la fin de son quadruple et à amorcer son double aussitôt mais, en retombant, ses jambes tremblèrent et ne supportèrent pas son poids. Il tomba violemment, sa tête percutant la glace de plein fouet.

Il se releva par automatisme et continua sa chorégraphie, malgré la douleur lancinante de son front. Il sentait le sang pulser à l'endroit où il s'était cogné et il lutta contre l'impression que des vagues douloureuses se propageaient dans son corps depuis sa tête. Heureusement, il connaissait suffisamment son programme pour le réaliser mécaniquement, sans même avoir besoin de se concentrer dessus. Il avait déjà renoncé à un saut qu'il avait placé lors de la finale du Grand Prix, il devait en faire au moins un autre. Le prochain était un quadruple flip. La signature de Victor, qu'il s'était appropriée en clin d'œil à son coach, pour lui faire comprendre sa volonté de patiner à ses côtés. Il voulait le faire, absolument. Ce serait le dernier saut de la première partie, peut-être même le dernier de sa chorégraphie en fonction de son état, et il lui rapporterait suffisamment de points pour pouvoir se permettre de se passer des autres. Il devait le réussir.

Un dernier saut, un seul avant de souffler et de se concentrer sur les figures moins physiques. Si seulement il arrêtait d'avoir l'impression qu'un marteau tambourinait violemment contre sa tempe… Sa vision se troublait et il était persuadé que ce n'était pas uniquement à cause de l'absence de ses lunettes ou de la sueur qui lui coulait sur les yeux, il y voyait encore moins que d'habitude. En effectuant une alternance de chassés croisés et de roulés, une sensation de vertige apparut mais il tenta de la repousser. Il ne pouvait pas se permettre d'avoir la tête qui tournait avant même de commencer son saut. Il inspira profondément, cherchant à regrouper toutes les forces qu'il lui restait, avant de reprendre de la vitesse. Il effectua un demi-tour qui accentua brusquement son tournis, lui donnant l'impression que la patinoire tournait violemment autour de lui pendant que sa tête explosait. Essayant de ne pas y faire attention, il amorça son saut d'une pression de la jambe.


Jour J, Heure H / (Victor)

Victor grimaça furieusement lorsque Yuri chuta sur la réception de son double, son front cognant violemment la glace. Il fut soulagé de voir son élève se relever aussitôt mais, rapidement, ce soulagement se transforma en inquiétude. Yuri continuait à réaliser sa chorégraphie mécaniquement, mais il était devenu pâle. Est-ce qu'il s'était blessé en se cognant la tête ? Ses gestes techniques restaient plus que satisfaisants mais il était évident qu'il souffrait. Ses yeux mi-clos, ses tremblements, son visage qui se couvrait de sueur beaucoup trop rapidement par rapport à l'effort qu'il faisait… Il ne se sentait pas bien, ça crevait les yeux.

Il ne fut pas surpris lorsque son élève n'essaya même pas de faire le triple axel qui était prévu. Il réalisa correctement sa série de chassés et de croisés avant de reprendre de la vitesse en ligne droite. Il n'allait tout même pas sauter dans son état ? En se souvenant que le saut suivant devait être un quadruple flip, Victor eut sa réponse. Yuri ne voudrait renoncer à celui-ci pour rien au monde. Il aurait presque voulu lui hurler de ne pas le faire, mais il savait qu'il ne le pouvait pas – et que ça ne servirait de toute façon à rien. Il ne pouvait qu'espérer qu'il ne chute pas sur sa réception et qu'il ne saute plus sur le reste de sa chorégraphie.

Yuri effectua un demi-tour et son teint acheva de perdre les couleurs qu'il lui restait. Les yeux de Victor s'écarquillèrent de frayeur. Il se souvenait trop bien de la dernière fois qu'il avait vu Yuri devenir subitement aussi pâle, il réentendait presque le bruit de verre brisé qui lui avait fait relever la tête pour voir Yuri s'écrouler. Le patineur amorça son saut d'une pression de la jambe, s'élevant à une hauteur convenable et commençant à tourner sur lui-même. Une fois, deux fois. Alors qu'il amorçait le troisième tour, la trajectoire de son corps se modifia et il commença à perdre de la vitesse et de la hauteur, comme s'il ne maîtrisait plus son mouvement. Comme si tous ses muscles s'étaient brusquement relâchés. Emporté par son élan, le corps de Yuri se retourna vers lui. Ses yeux étaient fermés. Pas mi-clos comme lorsqu'il luttait contre la fatigue, pas plissés par la concentration de ses mouvements. Fermés.

- YURI !

Son hurlement d'horreur résonna dans tout le complexe mais le patineur ne réagit absolument pas. Son corps inconscient continua à tomber avant de s'effondrer sur la glace dans un craquement sinistre qui recouvrit les cris choqués ou inquiets du public. Il resta immobile et étendu contre la glace pendant que les organisateurs arrêtaient sa musique pour demander au micro une équipe médicale. Victor, lui, s'était déjà élancé pour atteindre l'entrée de la piste. Il n'attendit pas les secours pour s'engager sur la patinoire, parvenant sans trop de difficultés à se laisser glisser jusqu'à lui, même sans patins.

Il tomba à genoux à côté du corps toujours inconscient de son petit-ami, étendu le visage contre la glace. Il le prit précautionneusement par les épaules et le retourna sur le dos, posant délicatement sa tête et le haut de son corps contre ses propres jambes pour le protéger du contact gelé de la piste. Ses yeux s'embuèrent de larmes en observant le visage pâle, cerné et épuisé de son fiancé. Pourquoi ça ne le choquait que maintenant ? Ça faisait trois mois qu'il regardait ce visage tous les jours, trois mois qu'il le voyait se détruire d'épuisement, puiser dans ses moindres forces pour atteindre cet objectif. Trois mois que Yuri s'entraînait en étant brisé de fatigue, pour finalement atteindre ce résultat, le seul résultat possible de tant d'obstination, tant d'acharnement, tant d'inconscience : Yuri s'était évanoui d'épuisement au milieu de son programme libre.


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J'essaye de ne pas traîner à poster la version longue de l'OS "Entretien", qui en est la suite directe. Et pour ceux qui suivent "In Memoriam", la suite arrive bientôt aussi !

En espérant que ça vous ait plu !