« Alors, vous manipulez le métal ? Ma mère, elle a connu un type comme ça. »
Erik est loin d'être stupide. Il a des tendances obsessionnelles, certes, et celles-ci l'aveuglent souvent au point que le sens commun et la raison s'envolent par la fenêtre. Mais il n'est pas un idiot.
Il est certain que le garçon aussi sait, ou du moins se doute fortement de quelque chose. Mais il ne dit rien. S'il a des soupçons, il ne les partage pas – une marque de retenue plutôt surprenante chez ce garçon si impulsif, qui dit tout ce qui lui passe par la tête, qui fait ce qui lui chante dès que l'idée s'en présente.
Peut-être qu'il est effrayé, et Erik ne parvient pas à lui en vouloir. Rien que la perspective le terrifie, l'idée qu'il a sans le vouloir, sans même le savoir – et ça, c'est peut-être le pire, parce que l'existence d'un enfant ne mérite pas ce genre de négligence – craché sur une responsabilité aussi cruciale que celle de veiller sur une vie toute neuve.
Bon, maintenant, c'est un peu tard : le garçon est devenu un homme, il est capable de se débrouiller tout seul. Il a appris à se débrouiller tout seul – alors qu'il n'aurait pas dû. Alors qu'il aurait pu avoir de l'aide, mais la personne nécessaire n'était pas là.
Le dommage est fait, et Erik sait depuis Auschwitz que peu importe à quel point on aimerait les cacher ou les réparer, les dégâts ne disparaissent jamais complètement. On peut juste apprendre à vivre avec, dans le meilleur des cas. C'est long, c'est dur et la moitié du temps, on n'a pas la moindre idée de comment s'y prendre.
D'accord, c'est probablement injuste et très peu approprié de comparer ce summum d'ignominie à l'expérience d'un parent, mais aux yeux d'Erik c'est tout autant cataclysmique, c'est cette même impression que le monde vient de s'arrêter et de réécrire les règles du jeu sans le prévenir.
Il ne sait pas comment gérer ce cataclysme-là, et le garçon – Peter – n'en sait rien non plus, ça crève les yeux. Jolie paire de bras cassés, tiens. Et ça se prétend Homo superior ?
Alors rien, aucun mot ne passe entre eux. Juste le silence. Et le maigre espoir qu'un jour, l'un ou l'autre osera commettre le premier pas – et que tout se passera bien. Peut-être.
C'est toujours une possibilité.
