Yellow : De l'anglais, jaune. Couleur de la vivacité, de la joie mais peut-être aussi associée à la maladie (jaune pâle associé au soufre). Couleur des traîtres.
Ow : Interjection anglaise liée à la douleur.
Yell : De l'anglais, hurler, crier.
Hurler : Émettre des cris violents, sous l'effet de la douleur, de la terreur ou de la colère.
Le brouhaha. La cohue. Une marée humaine. Des vendeurs. Des arnaqueurs. Des collections rares. De la camelote. Des vieillards. Des jeunes enfants.
Ivan se laisse submerger par cet environnement confus, désorganisé et plus ou moins intéressé. Pourtant, il ne s'agit que d'une simple brocante de tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Il en a déjà vu –et il en verra encore, pas de doute là-dessus. Lui-même ne sait pas exactement se qu'il fait là. A cause de la solitude ? Elle a toujours été là. Ironiquement, c'est la seule qui ne l'a pas abandonné après tout ce temps. Et c'est aussi la seule compagnie qu'il fuit.
Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi aujourd'hui ? S'il souhaite vraiment avoir de la compagnie, il n'a qu'à aller voir les baltiques ou Yao.
…Non… Ce n'est pas exactement ça qu'il veut. Il veut juste faire semblant d'être quelqu'un de normal. Juste, être une personne qui marche dans la rue, sans but. Comme ça. Pour voir ce que ça fait. Juste admirer les humains, se mêler à eux et repartir. Comme ça. Sans attirer l'attention. Se fondre dans la masse. Être à la fois entouré et ignoré. C'est tout.
Dans le grand bazar, Ivan laisse son regard glisser sur les diverses étalages. Il y a de tout. Des matriochkas, des vêtements, des vieux jouets d'enfant, des bijoux, des cailloux, des petites sculptures bleues et rouges.
A un moment, il s'extirpe de la foule pour s'en mêler à une autre. Il y a des enchères pour un tableau. Une figure, à moitié coupé par un bord du tableau sur un fond rouge, enlacée d'un cadre or.
- Allez, allez messieurs dames ! Un des plus connus tableaux de Guertena, célèbre artiste japonais pour son goût exotique ! Voici « Worry » et on commence avec le prix très abordable de 5 000 000 roubles !
Des personnes discutent sur le prétendu prix « abordable » du tableau. Une main se lève alors :
- Ah ! Monsieur Komimasa Oota, toujours aussi admirateur de Guertena, n'est-ce pas ?
Le brouhaha continue.
- Une fois !
Des personnes lèvent la tête, hésitent.
- Deux fois !
Silence.
- Trois fois ! Adjugé vendu ! Le tableau Worry est maintenant tout à vous monsieur Komimasa ! Passons à l'œuvre suivante...
Ivan quitte alors la masse humaine d'acquéreurs pour s'intégrer dans une autre. Il finit par tomber sur un chapiteau de cirque. La file d'attente est longue. Pourtant, le jeune homme s'y mêle, toujours dans sa transe. Il achète un billet, prend une place et assiste au spectacle.
Les enfants sont ceux qui s'amusent le plus. Ils rient, crient, gigotent, demandent à leurs parents des sucreries et en sortent le sourire aux lèvres. Cette jovialité apaise un peu la nation. Il ne peut pas vraiment expliquer pourquoi. Peut-être parce que leur bonne humeur est contagieuse? Possible.
En sortant du cirque, Ivan s'apprête à rentrer chez lui, le crépuscule n'allant pas tarder à apparaître. Mais son attention est captée par un objet, un peu mis de côté, à l'abri des regards. Un tableau. Un tableau gris dans un cadre en bois à première vue. Mais le russe se rend compte qu'on voit quelque chose lorsqu'on s'en approche assez. La couleur gris s'efface pour laisser place à un fond brun et bleu marine. Mais le plus impressionnant est qu'une personne est clairement distincte au centre même de la peinture. Une petite fille, blonde aux yeux bleus et au visage angélique, sourit tout en se tenant les mains derrière le dos. Elle porte une robe verte un peu vieillotte mais Ivan trouve qu'elle lui va bien. L'homme blond remarque rapidement que l'axe dans lequel on observe la peinture peut faire apparaître ou non cette charmante image. Le plus propice pour révéler la véritable nature du tableau est d'être près et bien en face de ce dernier. Si on s'en éloigne de trop ou qu'on le regarde trop obliquement, la fillette disparaît.
Ivan s'amuse un moment à tester le tableau avant de s'assoir en face de lui, fasciné. Il n'a jamais été un très grand amateur d'art... Mais il doit avouer que celle-ci a un charme très particulier.
- Elle est incroyable cette peinture, n'est-ce pas?
Le jeune homme blond lève la tête et aperçoit un homme brun, à peu près la quarantaine. La couche de maquillage blanc et ses vêtements extravagants font deviner à Ivan qu'il s'agit d'un clown.
- C'était la préférée de mon grand-père, continue-t-il, beaucoup pensent que sa dernière œuvre était "Mary" mais en réalité c'est celle-ci... "The mirror or Mary in the fabriqued world".
Ils restent silencieux un moment.
- Comment s'y est-il prit pour faire cette illusion d'optique? Demande brusquement Ivan.
- C'est une bonne question. Je ne peux pas vous répondre malheureusement, il ne me l'a jamais dit et... Il est mort il y a bien longtemps maintenant.
- ...
Ivan reporte son regard sur la peinture, se noyant dans les yeux de la petite blonde. Puis, il erre sur la toile et tombe sur le nom de l'artiste, écrit en noir et à peine lisible:
Guertena.
Il n'a pas à chercher longtemps dans sa mémoire pour se souvenir de l'enchère qu'il y avait lieu il y a peine quelques heures.
- Vous avez les autres tableaux de votre grand-père ?
- Il n'a pas fait que des tableaux... Mais pour répondre à votre question, j'en ai encore quelques-unes. Cependant je me suis débarrassé d'une bonne partie pour les fonds du cirque... Pourquoi?
- Vous auriez dû vendre celui-ci aussi. Je ne suis pas expert mais vous auriez pu gagner une fortune avec celui-là...
- C'est vrai. Mais... Je n'ai pas le sentiment que c'est ainsi que cette œuvre doit finir...
Silence. Le russe regard le clown avec intérêt.
- Croyez-vous au destin? Je veux dire, le fait que certaines choses dans nos vies se produisent irrémédiablement même si on tente de les empêcher?
Ivan a un sourire mi-amusé mi-amer auquel il répond:
- Oui. Oui je crois à ce genre de choses. Pourquoi?
- Je pense que ce n'est pas un hasard si nous sommes tous les deux en train de discuter de ce tableau. Je pense... Que vous devriez l'emmener chez vous.
- ... Quoi? S'interloque le jeune homme blond.
- Je vous donne ce tableau, répète son interlocuteur sur le ton le plus sérieux du monde.
- Je-je ne peux pas accepter! Bafouille-t-il alors, nous ne nous connaissons même pas et puis je ne suis pas vraiment un grand amateur d'art...
- Raison de plus. Alors que ce genre de chose ne vous intéresse pas d'habitude, vous êtes resté plus d'un quart d'heure à le contempler. Prenez-le. C'est de bon cœur.
Ivan prend la tête d'un enfant étonné. Complètement déconcerté, il se relève et s'avance vers l'œuvre, tendant timidement la main vers ce dernier.
- Vous en êtes sûr? Murmure-t-il faiblement.
- Certain. Il est à vous.
Ses doigts se saisissent alors du cadre en bois et soulève le tableau. Subitement, un terrifiant sourire éclaire son visage infantile.
C'est à lui maintenant.
