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La fille du train

1941, Italie

Aro évitait de se mêler des affaires humaines. Il donnait déjà assez dans son propre monde pour se soucier de celui des humains. Le sort des mortels l'indifférait. Durant la première guerre mondiale, il n'avait rien fait. Il n'avait parié sur aucun camp. Il était resté spectateur de ce massacre. Il pensait avec ironie que c'était gâcher de la nourriture. Il avait regardé, impassible, les grandes puissances mondiales s'affronter. Il avait trouvé cette guerre stupide et sans but. Les humains n'avaient pas conscience qu'il existait quelque chose de plus grand qu'eux. Et ce n'était pas Dieu. C'étaient eux : les vampires.

Certains immortels avaient combattu avec les humains durant la première guerre mondiale. Quelle perte de temps.

Cette guerre était différente, cependant.

Que les soldats meurent au combat était une chose. Que les civils soient directement impactés en était une autre. Aro commençait à remuer, incertain, sur son trône. Mussolini se perdait dans la folie meurtrière d'Hitler, tuant son propre peuple. Aro se fichait du destin des personnes qui montaient dans les trains, en direction de l'Allemagne. Il était préoccupé par le fait que ces personnes étaient sa nourriture et celle de ses congénères.

En Mars 1941, il alla exceptionnellement à Rome. Là-bas, il aurait des réponses à ses questions.

Quel était le point commun entre les personnes déportées ? Où étaient-elles déportées ? Que leur arriverait-t-il ensuite ?

Aujourd'hui, il avait rendez-vous avec Giovanni Gentile, un philosophe proche de Mussolini. Aro avait prétexté avoir des questions à lui poser sur son dernier ouvrage. Il lui poserait des questions sur des choses différentes, partant du principe que le philosophe était suffisamment lié au dictateur pour que celui-ci lui confie ses petits secrets.

Il se fraya un passage entre les passants. Les rues étaient un peu chargées. Il arriva à la place Navone, respirant enfin. Il se fit bousculer par les civils et pensa devenir fou. Retenant sa respiration, il traversa la place. Il rentrait dans des personnes sans s'excuser. Les gens prenaient en photo la fontaine. Il leva les yeux au ciel.

Il arrivera en retard à son rendez-vous. Giovanni ne pouvait plus le recevoir. Sa secrétaire demanda à Aro de revenir demain. Son ton arrogant l'énerva, il repartit sans mots.

Il faisait nuit. Le froid avait envahi la ville, mais le leader des Volturi ne le craignait plus depuis longtemps. Les mains dans les poches, une démarche moins noble qu'à l'habitude, il refit le chemin inverse. Les rues étaient vides à présent. Il y avait encore un peu de gens sur la place. Elle semblait plus belle la nuit que le jour. Il resta quelques secondes en admiration devant la fontaine. Neptune le narguait. Il renifla avec dédain en repensant à cet idiot de Giovanni, qui n'avait pas cinq minutes à lui accorder. Aro voulait savoir pourquoi des habitants de sa ville avaient été emportés sans raison et sans son accord. Il détourna les yeux de la fontaine en grommelant quelque chose d'inaudible. Soudain il vit quelque chose à sa droite et il tourna brusquement la tête.

Son regard noir se posa malencontreusement sur une petite forme, inerte, contre l'un des murs de l'église. Son nez se plissa lentement de dégoût. C'était une fillette. Six ans, pas plus. Ses cheveux étaient d'un noir profond et ses yeux d'un vert indescriptible. Elle était maigre et plus petite que les enfants de son âge. Ses vêtements étaient sales et ses joues, creusées. Ses doigts, squelettiques, tâtaient le sol à la recherche de quelque chose.

Aro la fixa quelques instants, sans bonnes ni mauvaises pensées. Il la regarda simplement, chercher quelque chose par terre. Il se demanda brièvement où était sa mère, puis remarqua qu'il s'en fichait. Il quitta la place sans se retourner.

Le lendemain, elle était toujours là. Il la remarqua immédiatement en entrant dans la place. Tout le monde était en mouvement, mais elle, elle était immobile dans son coin. Il la pensa morte. Mais les battements frénétiques de son petit cœur lui donnèrent réponse contraire à sa pensée. Elle leva la tête vers la foule et Aro crut voir une larme aux coins de ses yeux clairs.

Il quitta la place.

Aro avait eu ses réponses et il était furieux de ne pas y avoir pensé.

Les juifs, bien sûr.

Il marchait rapidement dans les rues de Rome, tentant de se calmer.

Les juifs étaient déportés en masse vers un camp près de Trieste. Là, ils étaient préparés pour être encore déportés vers l'Allemagne. Giovanni n'avait aucune idée du sort des juifs arrivés en Allemagne.

La réponse était tellement nette et évidente pour Aro.

Ils étaient tous massacrés.

Il fit mécaniquement le chemin pour rentrer à son hôtel.

Il traversa à une vitesse folle la place Navone. Il avait l'impression de passer tout son temps sur cette maudite place. Soudain, il s'arrêta. Regardant autour de lui, il examina chaque coin de la place.

Elle n'était plus là.

La petite fille n'était plus là.

Aro se demanda pourquoi il se souciait d'elle. Puis venant à la conclusion que son sort l'indifférait, il reprit sa marche.

Dans une rue bourrée de restaurants, il la retrouva. Elle faisait les poubelles dans une petite ruelle adjacente à un établissement. Il y pénétra en silence, la surprenant sur les faits.

« Cosa stai facendo? » (Ndt : Que fais-tu ?)

Elle sursauta, se retournant à une vitesse folle vers lui. Son air totalement paniqué adoucit le vampire. Il regarda le bout de pain qu'elle avait trouvé dans la poubelle.

« Parli italiano? »

Elle secoua négativement la tête.

« Inglesse ? »

« Français », sa voix était si légère, si basse qu'Aro pensa avoir rêvé.

« Ah...français » soupira-t-il. Il baissa les yeux sur elle, la fixant d'un air qu'il espérait moins effrayant qu'à l'habitude « Pourquoi es-tu là, toute seule ? »

Elle regarda son maigre dîner, le tournant entre ses petites mains. Il crut l'entendre murmurer « J'ai raté le train »

« Et tes parents ? »

« Ils sont montés dans le train »

Il la fixa longuement. « Tu es juive ? », la question était sortie toute seule. Il regretta sa brutalité.

Elle fronça doucement les sourcils, redressant son visage maigre vers lui, « Je ne sais pas »

« Comment t'appelles-tu ? »

« Sarah »

Il hocha vaguement la tête. « Tu as faim ? »

Elle regarda son petit bout de pain. « Oui »

« Viens avec moi »

Il n'attendit pas de réponse et tourna les talons pour sortir de la ruelle. Derrière, il l'entendit trottiner jusqu'à lui. Sarah s'accrocha à lui, saisissant le pan de son manteau de ses petites mains sales. Il baissa brièvement la tête vers elle, avant de la relever d'un air indifférent.

« Comment vous appelez-vous ? »

« Aro »

« Je ne connais personne de ce nom » il ne répondit pas, et elle continua innocemment « Vous êtes quelqu'un d'unique Monsieur Aro »

Il lui paya un dîner dans un grand restaurant. Elle était affamée. Aro l'écouta raconter des banalités sur sa vie. Il apprit que ses parents avaient fui l'occupation allemande en France. Que son père travaillait à l'usine et que sa mère était mère au foyer. Sarah se plaignait de son frère, que sa grand-mère préférait à elle. Elle lui parla aussi de son petit chien, Tom, qu'ils avaient laissé en France.

Il la fixa alors qu'elle finissait sa mousse au chocolat. Ses petits pieds ne touchaient pas le sol.

« Que faisais-tu sur cette place ? »

Sarah leva son petit visage barbouillé vers lui « Je dois prendre le train pour rejoindre mes parents et mon frère »

Aro secoua la tête « Tes parents sont morts »

« Mes parents sont en Allemagne. On nous a dit que notre vie serait meilleure en Allemagne. Qu'on serait tous ensemble pour toujours. Je dois prendre le train »

Le vampire tourna lentement la tête vers la fenêtre.

Sarah posa sa cuillère sur la table. Jetant quelques coups d'œil aux autres clients, elle était trop petite pour remarquer qu'elle était la seule personne de ce restaurant à être si négligée. Sa seule réflexion fut que tous ces gens étaient très beaux et très élégants. Elle admira les plafonds peints, et les belles tapisseries qui ornaient les murs. Elle n'avait jamais vu quelque chose d'aussi beau. Dans sa contemplation, ses yeux tombèrent naturellement sur l'homme en face d'elle. Elle était assez grande pour comprendre qu'il était préoccupé, mais trop petite pour deviner par quoi. Il n'était pas comme les autres hommes. Sarah n'avait jamais vu une peau aussi blanche et aussi parfaite.

Quand les yeux noirs de l'homme rencontrèrent les siens, elle sursauta.

« Je vais te conduire à l'orphelinat » dit-il d'un ton monotone.

Elle avait compris le sens des mots. Elle avait compris ce que cela signifiait pour elle. Elle le dévisagea longuement quand il se levait et s'éloignait payer l'addition. Il était le plus élégant de tous les gens ici. Il était le seul homme à avoir les cheveux longs.

Sarah considéra ses dernières paroles avec attention. Elle envisagea une autre possibilité. Elle aurait souhaité lui dire merci, mais il était trop tard à présent.

Quand Aro se retourna vers la table qu'il avait laissée il y a une minute, celle-ci était déserte. Il resta quelques secondes, choqué, à scruter la place vide où avait été Sarah. Quand il comprit qu'elle était partie, il se jeta sur la porte et sortit. Il crut s'entendre l'appeler. Mais elle ne répondit jamais. Il oublia d'être fâché contre elle quand il comprit qu'elle, une toute petite fille, avait réussi à échapper au vampire le puissant du monde. Il tenta vainement de la retrouver par l'odeur. Mais son odeur n'était plus dans l'air, comme si elle n'avait été qu'une illusion depuis le début.

Intéressant

Elle était inaudible, inodore et invisible.

Et elle était partie.

Aro soupira.

Il flâna une bonne partie de la nuit dans les rues de Rome, sans but. Il ne la recroisa pas. Il ne la reverrait peut-être plus jamais. Quand les premiers rayons du soleil apparurent, il rentra dans son hôtel. Il y passa toute la matinée et une bonne partie de l'après-midi.

Vers la fin de la journée, il se décida à profiter une dernière fois de Rome avant de rentrer à Volterra. Ses pas étaient guidés par une force intérieure qui le conduit naturellement sur la place où il avait vu pour la première fois Sarah. Elle n'était pas là, évidement.

Il inspira profondément avant de lever la tête vers la fontaine. Ses réflexions étaient parasitées par les conversations des humains qu'il pouvait entendre, même quand celles-ci étaient à voix basses.

L'une de ses discussions en particulier capta son attention.

« Mon voisin a été arrêté ce matin » cracha une vieille femme, « Lui et toute sa famille ! C'est honteux ! »

« Que vont-ils faire des enfants ? »

« Ils partent pour l'Allemagne avec les parents, penses-tu ! J'ai entendu dire que leur train partait cette nuit. Ils ne reviendront jamais. »

Aro avisa l'horloge de l'Eglise. Il quitta la place dans une rage qu'il ne souhaitait pas maîtriser.

Durant le trajet, il insulta Sarah de tous les noms. L'insulte qu'il répétait et qu'il préférait était « sale petite morveuse ». Il ne savait pas, et ne voulait de toute façon pas savoir, pourquoi il se souciait d'elle. Peut-être était-ce à cause de sa fâcheuse manie de disparaître sans laisser aucune trace. Peut-être était-ce la promesse d'un don futur. Il ne lui manquait que quelqu'un pour l'aider à développer ce don.

Ce don présumé embêta cependant bien Aro quand il arriva à la gare. Celle-ci était tellement pleine que sa mobilité était contrariée. Encore une fois, il tenta de la retrouver par l'odeur et encore une fois, il échoua. Ses yeux noirs balayaient frénétiquement la gare. Des soldats faisaient monter des civils dans le train. Si elle était déjà dedans, elle était perdue et Aro ne pouvait plus rien pour elle. Cette pensée lui serra le cœur, comme si son destin lui importait finalement. Il l'appela. Il questionna des gens et même les soldats pour savoir s'ils n'avaient pas vu une petite fille aux cheveux noirs et aux yeux émeraudes. Il n'obtint aucun résultat.

Un sentiment qu'il n'avait pas connu depuis longtemps se logea au fond de son cœur. C'était un mélange surprenant de désespoir et de tristesse.

Puis soudain, ses yeux se posèrent sur un soldat qui avait une petite fille aux cheveux noirs et aux yeux émeraudes dans les bras. Elle criait et se débattait, comme si elle venait de prendre conscience de ce qui l'attendait. Aro bouscula les gens qui le séparaient du soldat et de Sarah. Quand il arriva à leur hauteur, l'homme était sur le point de faire monter la fillette dans le train.

« Lâchez-la immédiatement »

L'homme se retourna vers Aro, arquant un sourcil dédaigneux « Vous la connaissez ?»

Sarah tourna la tête vers le vampire à ce moment. Elle cessa brusquement de pleurer.

« Il s'agit de ma fille » répondit rapidement l'immortel.

Le soldat le détailla, puis regarda l'enfant « Elle ne vous ressemble pas »

« Elle tient tout de sa mère »

L'homme n'avait pas l'air convaincu « Comment s'appelle-t-elle ? »

« Amelia »

Le soldat renifla, regarda la fillette à l'allure si négligée puis le père tellement élégant, il demanda « Pourquoi est-elle si sale ? »

La respiration d'Aro se bloqua brusquement. Ses yeux rencontrèrent pendant un millième de seconde ceux paniqués de Sarah. « C'est une enfant » dit-il d'une voix froide, « Les enfants traînent partout et ils se salissent »

Sarah semblait particulièrement intéressée par l'échange, bien que ne comprenant pas l'italien. Elle jeta un coup d'œil a ces familles, que l'on forçait à monter dans le train. Elle réalisa brusquement qu'elle ne voulait plus les suivre, qu'elle ne voulait plus être seule. Elle gigota dans les bras de l'homme. Elle commença à pleurer, de peur et un peu de fatigue.

Le soldat la réajusta dans ses bras en reniflant avec dédain, « Où est la mère ? »

Je vais le tuer, fut la seule pensée qui traversa l'esprit du Volturi.

« Cela ne vous regarde pas »

« A la vérité, si, ça me regarde. J'ai trouvé votre fille, seule, dans un coin de la gare. Et quand je lui parle, elle ne répond pas- »

Il fut coupé par la voix froide et cassante de l'immortel, « Donc a la place de chercher ses parents, vous avez essayé de la faire monter dans ce train. C'est une façon de réagir assez étrange. Elle nous a échappé ce matin, quand nous visitions la ville. Je suppose que c'est à partir de là qu'elle est devenue si sale. Maintenant je vous prie de bien vouloir me redonner ma fille »

Le soldat le regarda d'un air hautain, mais soupirant, il tendit l'enfant au vampire qui s'empara immédiatement d'elle. Sarah se pencha à son oreille et murmura de sa petite voix fluette « Il est méchant, il faut partir »

« Je vous remercie » lâcha rapidement Aro.

Comme il semblait sur le point de s'éloigner, le soldat le rappela « Monsieur ? »

Sarah se crispa dans les bras d'Aro. « Il va nous faire monter dans le train » dit-elle d'un air paniqué « Il va nous faire monter. »

Le vampire se retourna une énième fois vers l'homme. Il songea à le tuer. Mais il y avait trop de monde.

« Puis-je vous demander quelle religion vous pratiquez ?»

Aro le regarda avec un mépris non-dissimulé. Il voulut hurler de rire en s'imaginant croyant.

« Je ne crois pas en Dieu. »

« Donc...vous n'êtes pas juif ? »

« Ai-je l'air de l'être ? »

Le soldat haussa ouvertement des épaules « Alors circulez »

Aro se jura que cet homme serait son prochain repas. Il ne répondit rien à cet être infâme et tourna les talons vers la sortie. L'enfant toujours dans les bras, il traversa les rues à une vitesse folle pour mettre le plus de distance entre Sarah et tout ceci.

Quand il fut assez loin, il se calma un peu.

Sarah le regardait avec intérêt.

« Pourquoi est-ce un problème d'être juif Monsieur Aro ? »

« Ça ne l'est pas. Ces gens sont stupides. », il remarqua brusquement qu'il pouvait sentir son odeur maintenant. Et celle-ci n'avait rien de plaisant. « Tu ne sens vraiment pas bon »

« J'ai dormi à côté d'une poubelle. »

Il leva ouvertement les yeux au ciel, « Tu as décidé de commettre un attentat et de tous nous asphyxier ? »

« Ça veut dire quoi ? »

Elle le regarda et il la regarda. Il se moqua d'elle et de son innocence avant de la poser à terre.

« Quel âge as-tu ? »

Elle bomba fièrement le torse « J'ai cinq ans »

« Donc presque une femme. »

« Je ne veux pas être une femme. Cela a l'air très compliqué comme métier. »

« Cela ne l'est pas tant que ça. Tu sais ce que font beaucoup de femmes ? »

« Non »

« Elles prennent des bains. »

« Et pas les hommes… ? »

« Non, les hommes sont des êtres très sales. »

« Donc, vous ne prenez pas de bains ? »

« Je ne suis plus tout à fait un homme. »

« Alors vous prenez des bains ? »

Il lui jeta un coup d'œil amusé « Cela m'arrive. », il lui prit la main « Viens, nous rentrons. »

« Où allons-nous ? »

« A l'hôtel pour te laver. Je t'aime bien mais tu me fais un peu honte. »

« Vous me faites un peu honte aussi. Vous avez des cheveux très longs, on dirait une fille. »

Il fut sidéré par son insolence. « Tu es vraiment une sale petite morveuse. »

« Merci »

« Ce n'est pas un compliment. »

« Vraiment ? »

« Oui »

Elle avisa un pigeon qu'elle trouva mignon et oublia de répondre. « Ensuite, que ferons-nous ? »

« Je t'emmène avec moi. »

« Vraiment ? »

« Oui. »

« Et mes parents et mon frère? »

Il s'arrêta brusquement et elle aussi. Elle le regarda avec un intérêt disproportionné quand il s'agenouilla face à elle. Il semblait sincèrement triste et elle se demanda comment elle pouvait lui remonter le moral.

« Cher cœur, je suis navré. Tes parents sont morts. »

Sarah ne répondit rien à sa confession. « Pourquoi êtes vous si triste ? » dit-elle en posant ses petites mains sales sur les joues de l'homme.

Il se rendit brusquement compte qu'elle ne comprenait pas le sens de ses mots.

« Sarah...tes parents sont partis sur la lune »

Les petites mains disparurent brusquement de son visage. Elle le regardait d'un air horrifié à présent « Non, vous mentez ! Ils ne seraient jamais partis aussi loin sans moi ! »

« Je suis navré. » dit-il sincèrement.

Elle pleura, naturellement. Il ne savait pas vraiment comment réagir à ça. Il n'était pas doué pour réconforter les gens. Alors il lui frotta doucement le dos, attendant simplement que ses pleurs cessent. Quand son chagrin fut chassé, elle se tourna vers lui et lui agrippa le bras « Vous, n'allez jamais sur la lune. Ne me laissez pas toute seule à nouveau.»

« Je t'ai trouvé, je ne te lâche plus, cœur pur »

Elle hocha la tête, rassurée.

Aro se leva et lui reprit la main, « Viens à présent, nous rentrons »

oOo

Aro regardait les paysages italiens défiler à toute vitesse sous ses yeux. Son coude reposait sur l'accoudoir de son siège et son menton était dans sa main. Il semblait profondément ennuyé. Il y avait bien ce journal, posé en face de lui, qu'il avait tenté de lire. Mais les nouvelles qu'il contenait l'avaient agacé.

Sarah était quelque part dans le wagon à embêter un garçon qui travaillait dans le train. Elle avait décidé qu'elle l'épouserait car il était gentil. Après une intense réflexion de deux secondes, Aro avait remarqué qu'elle avait une fâcheuse tendance à demander en mariage toutes les personnes qui étaient gentilles avec elle. Il avait eu le droit à une déclaration d'amour passionnée hier. Il avait eu du mal à lui expliquer qu'il était déjà marié. Elle avait déclaré quelque chose comme « Vous n'avez qu'à divorcer ! » avant de partir bouder. Elle avait oublié d'être fâchée cinq minutes après. Il repensa à elle et un sourire traître se dessina sur ses lèvres.

Il avait eu quelques difficultés à lui expliquer que le train ne menait pas à la lune mais à Volterra et qu'elle ne craignait rien.

Caius allait être hors de lui, bien sûr. Mais personne n'oserait toucher à un cheveu de Sarah tant qu'elle était sous la protection d'Aro. L'avenir de celle-ci restait cependant incertain. Il devrait la convaincre de bien vouloir être transformée. Il avait cependant quelques années pour parfaire son argumentation et tout lui déballer à ses dix-huit ans.

Des bruits de pas le sortirent de ses pensées. Ses yeux abandonnèrent les paysages et revinrent à la réalité du train. Sarah revint s'asseoir à ses côtés en hurlant de rire, une tasse de chocolat chaud dans les mains. « Marc m'a donné un cookie »

« Il en faut peu pour te satisfaire »

« Ne soyez pas jaloux. Vous êtes celui que j'aime le plus »

Il leva les yeux au ciel « Merci, vraiment. En même temps, je t'ai sauvée, je t'ai nettoyée et je t'ai habillée. Et là, je te conduis très loin de ces barbares et je t'offre une nouvelle vie. Tu ne peux que m'aimer.»

Sarah tourna la tête vers lui « Dieu vous le rendra, cher cœur »

Il allait lui faire la remarque que le surnom « cher cœur » n'était pas approprié pour sa personne quand ses yeux se posèrent sur une tache sur le jupon de Sarah.

« C'est une plaisanterie j'espère ! J'ai payé cette robe une fortune et tu la tâches en deux secondes ? »

« Ce n'est pas vraiment de ma faute, papa, je tenais mon chocolat chaud et un monsieur m'a bousculé. »

« Je vais le tuer, qui est-ce ? »

« Je ne sais pas. »

Il la regarda boire son chocolat et s'en mettre partout autour de la bouche. Là, elle mima de lui faire un bisou.

« Hors de question » dit-il d'une voix fort aiguë.

Elle rit de lui avant de reprendre une gorgée de chocolat.

Aro retourna la tête vers la vitre. Ses émotions étaient en contradiction les unes avec les autres. Il détestait la vulnérabilité dont il était victime, liée au fait qu'un si petit être possédait son cœur mort entre ses mains minuscules, le fait qu'elle puisse le briser à tout moment et le blesser. Quand il pouvait la sentir, ce qui arrivait de plus en plus, son sang chantait pour lui. C'était une sensation étrange en y repensant. Une attraction qu'il n'avait jamais connue avant. Pourtant, il n'avait pas envie de la tuer, aussi exaspérante était-elle. A vrai dire, il la détestait pour le rendre si faible. Mais il l'aimait car elle était la seule personne qui ne le voyait pas comme un monstre. Il ne savait pas ce qu'il adviendrait d'elle. Une chose était sûre cependant, elle était déjà une figure indispensable à sa vie...même si elle resterait à jamais pour lui une…

« Sale petite morveuse. »

END