Bien le bonjour, et bienvenue sur cette page.

Je ne pensais pas spécialement avoir un jour l'envie de me replonger dans l'écriture d'une petite histoire prenant place dans l'univers de Code Lyoko.

Je me rappelle avec beaucoup d'émotion la découverte de ce dessin-animé, une jolie perle sur les écrans de ma petite adolescence.

Et si les heures passées en compagnie des épisodes, trépignant pour attendre la diffusion du prochain me font sourire autant qu'elles m'ont marquées, j'en retiens aussi et surtout quelque chose de plus personnel : la chance assez unique d'avoir participé à l'épique aventure de la construction d'un site de fans, le tout premier sur le sujet, que nous avions élaboré avec l'équipe de . , c'était une petite tribu de jeunes aux talents multiples qui, du fruit de son travail passionné, était parvenue à intéresser les scénaristes de la série eux-mêmes, avec lesquels nous avions eu un certain nombre d'échanges et d'interactions.

J'y exerçais sous le pseudonyme de « Lyokophile » et me rappellerai longtemps de l'accueil incroyablement positif réservé à ma fanfiction « Dans la nuit du Secret », la toute première que j'avais osé poster en ligne, en 2007.

Aussi, voici venue l'occasion pour moi de remercier tout le monde pour l'émotion et la fierté du succès que m'auront valu « Dans la nuit du secret ». Du fond du cœur, merci pour ce piédestal.

J'avais été très surprise (et continue de l'être) par le retentissement qu'eut ce texte auprès des lecteurs.

Entre les commentaires très touchants qu'on m'avait écrits, les rajouts en favorites en en follows (follower un one shot ? ah ouais, quand même…), le nombre de vues, incroyablement élevé …

Et le vibrant hommage par cl_xana qui me couvrait d'éloges bien des années plus tard en inaugurant sur le site une toute nouvelle rubrique « Retour dans le passé » : une initiative qui avait pour principe la mise en lumière de certains textes perdus dans l'épaisseur des archives, histoire de leur redonner en visibilité. « Dans la nuit du secret » avait été choisie pour inaugurer la rubrique. J'ai été très émue de savoir que son souvenir était encore frais dans la tête de certains lecteurs, bien des années plus tard.

On m'a même demandé si je comptais écrire une suite à cette petite histoire, pas plus tard qu'il y a quelques mois.

Avec le recul, je pense pouvoir dire clairement à quoi je dois mon coup de cœur pour le dessin animé français Code Lyoko : pour sa qualité graphique, la créativité de son univers, la force de ses personnages et plus que tout, sa façon d'aborder le thème riche et difficile de la jeunesse.

Aussi, l'envie de me réapproprier les personnages m'a de nouveau taraudée. C'est tout de même curieux, dix ans plus tard.

L'adolescence devait probablement me manquer.

Je vous laisse donc entre les lignes de « Le chant du crépuscule », un nouveau texte de plusieurs chapitres qui peut se lire dans la continuité lointaine de « Dans la nuit du secret ».

Moins de mélancolie, plus d'action.

Plus de maturité. Mais toujours autant de retenue, de peur quant à l'aveu majeur : celui des sentiments.

Bonne lecture,

Et encore merci du fond du cœur.

Lyokophile / L'ombredelalune

Le Chant du Crépuscule

Ulrich Stern n'en menait pas large. Depuis la file d'attente, des dizaines de têtes s'étaient tournées vers lui. Il avait cru que ce serait le nom d'Ishiyama qui serait écorché, soupesé, amputé de ses syllabes sur la carte d'étudiant. Mais le vigile avait préféré s'attarder sur son nom à lui, s'amusant de son patronyme à rallonge.

Ulrich Eugène Richard Albrecht Stern.

L'homme prenait son temps, les lèvres pleines d'ironie, s'appliquant dans la prononciation de tous ses prénoms. Au bout d'un long moment, il lui rendit sa carte, un air goguenard en travers du visage. Et sous le regard noir de l'adolescent, il s'écarta, les laissant passer.

Yumi Ishiyama, qui n'avait rien perdu dela scène, s'engouffra gaiment dans le couloir.

- Wilkomen Albrecht, ironisa-t-elle par dessus son épaule.

- Oh ça va, Yumi Fumiko de Tokyo.

Un coup de coude s'écrasa sur ses côtes, lui arrachant un petit « Aie ! » qu'il n'avait pas vu venir. Les deux amis se dévisagèrent, souriants, à la faveur d'un regard complice.

Ulrich noya les deux billets d'entrée dans la poche arrière de son jeans. L'après midi s'annonçait radieux, un arrière-goût de vacances en bouche.

L'enceinte du bâtiment, richement décorée, forçait l'admiration des visiteurs. L'air semblait se faire plus lourd à mesure qu'ils progressaient dans la galerie. Les murs, glacials, sous-tendaient la hauteur des plafonds, depuis lesquels l'édifice se dressait de toute son allure neo-classique. L'odeur du temps embaumait les lieux depuis le couloir.

Yumi glissait lentement sur le marbre. Ses gestes se mouvaient gracieusement, comme dans du coton. Avec mille précautions, ses talons effleuraient le sol et ne le quittaient que sur la pointe des pieds, comme pour ne pas l'abîmer. Ulrich lui emboitait le pas silencieusement.

En un regard, il sut qu'elle était conquise. Le dallage de marbre blanc, qui s'étalait dans toutes les pièces. La richesse du motif de tapisserie sur les murs. Les fenêtres qui se succédaient au fil d'un ballet de verre. Tout convergeait vers un ensemble de détails d'une beauté à l'harmonie millimétrée.

La jeune fille semblait tout bonnement fascinée. Les vieilleries de style classique ne manquaient jamais de l'impressionner. Il y voyait l'influence de son éducation, si peu française au final, au carrefour entre deux continents. Yumi adorait la griffe vieille Europe.

Au milieu des autres visiteurs, leur duo se distinguait sans qu'il ne sache trop pourquoi. Sans doute la beauté des traits de la japonaise. Plusieurs têtes s'étaient retournées sur leur passage. Ou plutôt son passage. C'était sur elle que l'attention se braquait souvent, il ne le savait que trop bien.

Ulrich sentit son amie se figer dans ses pas. Le dos droit, le menton levé, Yumi ne bougeait plus d'un pouce. Ses yeux s'étaient arrimés au plafond.

- Mais regarde ça… Ohlalalala... s'écria-t-elle, couvrant tout de suite sa bouche, de peur de déranger les autres visiteurs.

La splendeur du lustre en cristal était au moins aussi saisissante que ses dimensions. La pureté de la pierre se déployait dans tout son faste, le long d'une valse de perles hypnotiques.

Ulrich leva les yeux au plafond. Yumi venait de lui attraper le bras, surexcitée.

- T'as souvent vu pareille merveille, toi ? C'est là qu'ils se réunissaient tous, tu te rends compte ? Tu te rends compte ? Balzac, Dumas, Gauthier, Lamartine, et…

Sa voix se perdit brutalement, comme avalée par l'évidence. La jeune fille ferma les yeux. Ulrich se demanda si les visages des grands auteurs français défilaient en ce moment dans sa tête. Elle lui paraissait soudainement lointaine, comme happée dans un songe.

Il la vit s'éloigner simplement, contemplative. Ses gestes immobiles semblaient s'emplir de la présence du lieu, les mains jointes, quelque chose de confus dans le regard.

Il avait compris qu'elle se sentait toute petite dans la maison de Victor Hugo, écrasée par la grandeur de son auteur préféré.

Ulrich ne put s'empêcher de sourire. De la timidité dans les pas de Yumi. C'était bien la première fois qu'il la sentait si craintive.

Son visage radieux s'était éclairé d'une lumière rare, il l'avait bien remarqué. Elle adorait les lieux. Ses yeux photographiaient les murs, fascinés. Chaque cloison se gravait dans sa mémoire : les contours des objets, la finesse des étoffes, l'aspect poli des boiseries…

S'il l'avait su avant. Que le 19ème, le siècle romantique pouvait lui faire tant d'effet.

- Les choses auraient pu être si différentes… souffla-t-il, mélancolique.

Ulrich posa les yeux sur elle. Il la voyait resplendir, s'enrober de cette lumière folle, outrageuse, sensuelle. Incandescente.

Quelque chose remua dans son ventre. Une sensation familière. Hautement familière. Qui lui tenaillait l'estomac, comme toujours.

Yumi poussait des cris de surprise. Ecarquillait grand les yeux. Se plantait de longues minutes devant les bustes sculptés, les tableaux, les lampes, les livres et les bouts de papier. Ses jambes tremblaient d'en voir encore et toujours plus.

Son pas fébrile multipliait les va et viens entre l'antichambre et le salon rouge. Elle trépignait, bouillonnante, comme une gamine à la curiosité insatiable.

Ulrich ne put réprimer un sourire.

- C'est sur, je l'amène à Guernesey la prochaine fois, se murmura-t-il pour lui même.

Son amour des lettres, il n'y avait jamais vraiment pensé. Il avait fallu attendre l'entrée de la jeune fille en licence 1 à la Sorbonne pour s'en rendre compte. Les mots comptaient pour Yumi. La littérature française la passionnait. Une passion qui tombait à pic. Paris regorgeait de secrets d'alcôves où s'épanchait la vie des grands auteurs. Il n'y avait qu'à remonter leurs pistes à travers les monuments et musées, témoins de leurs passages. Certains auteurs poussaient même le vice jusqu'à exister en dehors des murs de la capitale. Merci Victor Hugo.

Plus loin, la jeune fille buvait les mots sur les cartels, s'enivrait du poids du temps, réfléchissait à toute vitesse, tournait parfois sur elle-même.

L'idée lui trottait en tête depuis quelques semaines. Un week-end avec Yumi, hors de Paris. Avant qu'elle ne s'envole pour le Japon.

Ulrich secoua la tête, chassant les ombres qui venaient lui vriller les yeux chaque fois qu'on mentionnait le prochain départ de la jeune fille.

Plongeant sa main dans sa poche, c'est un bout de papier qu'il en sortit, le dépliant discrètement de ses doigts prudents. Une liste qu'il avait constitué dernièrement, au fil de ses recherches.

Guernesey, Givergny, Chateney-Malabry… Les options touristiques ne manquaient pas. Merci la littérature française.

C'est Guernesey, sa maison d'exil, que préférerait Yumi, à en juger par son amour pour les mots de Victor Hugo. Il en avait la preuve sous les yeux, là, maintenant, tout de suite.

Bon, alors Guernesey. Une île, donc. C'est original ça, pour un week-end. Ça va lui plaire.

Ulrich rassembla ses idées.

Apparemment, la devise là-bas c'est pas l'euro mais la livre. En même temps, au beau milieu de la Manche… Y a de grandes chances que ce soit plutôt british, comme accueil. Ce sera un peu notre tout premier voyage à l'étranger, d'une certaine façon. Je suis sûr qu'elle apprécierait de pouvoir mettre en pratique toutes les heures d'anglais qu'on a pu se taper à Kadik.

Ulrich attrapa son portable, se lançant dans les comptes. £8 la visite. Pas mal. A prévoir en plus le billet de train, les frais pour le ferry, deux ou trois restos, et bien sûr une nuit d'hôtel… 300€ à tout casser, non ? Ça devrait être jouable.

Son doigt s'aventura sur les sites de réservations. défila sous ses yeux, tandis que la vapeur lui montait aux joues.

Quoi ?! 294€ la nuit ? Pour un truc aussi kitch ? Hors de question. Avec tout ce rose, elle va s'enfuir en courant.

Ulrich se massa les tempes. Son beau programme prenait l'eau. La contrariété lui zébra le visage. Ses doigts s'agitèrent sur son iphone.

Bon, on est pas non plus obligés de dormir sur l'île, non ? Y a les villes aux alentours aussi. Cherbourg ? Ce sera juste un peu moins romantique…

- Ulrich ? T'as vu ça !

Le jeune homme leva les yeux. Son amie l'appelait, quelques mètres plus loin. Ni une, ni deux, sa main projeta son téléphone au fond sa poche, avant de s'y engouffrer pour se composer son air nonchalant de toujours.

Yumi, le dos très droit, observait religieusement les reliefs d'un crayonné.

- De sa main à lui, précisa-t-elle.

Ulrich perçut le trait prendre forme sur le papier. Le nez long, les yeux exorbités, une expression ridicule et un corps minuscule : une caricature.

Le jeune homme, qui avait pourtant potassé le sujet Victor Hugo avant la visite, ignorait que l'auteur donnait dans la satyre.

- Il était plutôt bon en dessin, Victor.

Yumi hocha la tête.

- Tu le prends en photo ?

- Pour ce cher Odd, expliqua Ulrich. Qu'il commence à s'inspirer pour l'année prochaine.

Pianotant sur son portable, les doigts du jeune homme composèrent un rapide sms plein d'ironie à l'attention de son meilleur ami.

- Je le vois déjà en grand artiste toujours les doigts pleins de peinture, s'amusa-t-il en cliquant sur envoyer.

- S'il réussit son bac… ajouta Yumi, espiègle.

Les deux amis échangèrent un regard complice.

- On s'en prend une ? On en a pas beaucoup, des photos ensemble, proposa timidement Ulrich.

La jeune fille hocha la tête, le rouge empourprant ses joues.

Elle lui était reconnaissante de cette audace, qu'elle ne s'autorisait jamais. Un selfie avec Ulrich, c'était toujours un grand moment.

Yumi s'avança près de son ami, qui tendait déjà le bras. A mesure qu'elle s'approchait de lui, l'atmosphère sembla brusquement se tendre. Ils étaient si proches que son souffle lui caressait la joue, faisant naitre des frissons le long de ses bras. Ils ne rentraient pourtant toujours pas dans le champ de l'objectif.Alors Yumi appuya doucement sa tête contre son épaule, de manière à ce que leurs deux visages apparaissent dans le cadre. Ulrich, qui tentait de se départir de son air gêné, immortalisa le souvenir de ses doigts.

- Ça donne quoi ? demanda-t-elle, en profitant pour se dégager de cette proximité difficile.

Ulrich, qui avait regagné composture, lui tendit son téléphone, faisant défiler les images pour elle.

- Elle est vraiment bien, celle-là.

- Je te l'envoie.

- Merci, lui sourit-elle, tandis qu'un SMS de leur deux visages s'affichait déjà sur son propre écran.

Yumi fit mine d'engager ses pas vers les prochaines pièces du musée, avant de se raviser.

- Au fait, tu regardais quoi de si fascinant sur ton portable tout à l'heure ?

- Rien, un spam de Jérémie, mentit-il.

La jeune fille fronça les sourcils.

Merde. Il avait répondu trop vite. L'excuse sentait le bidon. Elle allait comprendre. Il faudrait qu'il avoue tout. Et la surprise Guernesey serait gâchée.

Mais Yumi s'était arrêtée net. Devant elle se dressait le portrait d'une femme.

Ulrich la contourna, pour venir se planter face au cadre : un dégradé de gris duquel surgissait les traits fins d'une très belle femme. Du blanc d'albâtre lui tombait des épaules, venant rehausser les couches noires du crayonné.

- C'est Léopoldine, tu crois ?

La jeune fille secoua la tête.

- Mais non, c'est sa femme. La seconde. C'est Juliette. Juliette Drouet.

Le portrait semblait sourire au visiteur. La jeune femme dessinée, les mains jointes, le regard un peu dans le vide, l'esprit sans doute ailleurs, semblait se tenir loin, très loin des volumes encombrants de sa parure.

- Avec cette robe, tu crois qu'elle pouvait passer les portes ? railla Ulrich, désignant l'étroitesse du couloir qu'ils venaient d'emprunter.

Mais la jeune fille demeurait stoïque, imperturbable, les yeux aimantés sur le portrait de Juliette Drouet.

- Qu'est-ce qu'elle est belle… murmura-t-elle.

L'élégance de sa posture l'avait foudroyée. La beauté du vêtement, la délicatesse de la coiffure tressée, la finesse du mouvement de poignet…

Yumi porta ses mains sur ses tempes, machinalement. Ses doigts dessinèrent les contours en amande de ses yeux, comme déçus de les découvrir bridés.

- T'es plus belle qu'elle, souffla Ulrich sur son épaule, certain qu'elle ne l'entendrait pas.

La peau de la jeune fille s'électrifia. Elle n'en était pas sûre, mais un murmure s'était déposé sur elle, comme un courant d'air. Un chuchotis flou, aussi fragile que tendre.

Quelque chose de doux lui flotta dans le cœur.

Un courant chaud, vigoureux, dangereusement plaisant, qu'elle s'empressa de chasser d'un revers de la main.

Ses pas rattrapèrent ceux d'Ulrich, qui déambulait lentement dans la pièce, promenant son regard sur les murs, gratifiant certains objets d'un coup d'œil expéditif. Yumi l'observa un moment, curieuse, avant de se lancer.

- Et toi t'es pas émerveillé par cet endroit ?

- Si, mais moins que toi.

Ulrich fourra ses mains dans ses poches, pour mieux se donner contenance. Continuer l'explication sembla lui coûter.

- Tu sais, ça ressemble un peu à chez moi, hésita-t-il. Peut-être pas la console Louis XVI ni les vases chinois, mais l'ambiance vieille France romantique c'est exactement ce que tu peux trouver dans le salon de mes parents.

Yumi se tut, comme frappée par la foudre. Il ne les mentionnait jamais. Ses origines aisées. Ulrich, si simple. Sa fortune familiale pesait pourtant lourd.

Elle avait tendance à l'oublier.

- J'ignorais que la famille Stern collectionnait les titres de noblesses, railla-t-elle, pour se redonner contenance.

- Je te l'avais dit pourtant, siffla-t-il, goguenard. T'es l'une des seules à qui j'ai parlé du manoir.

Il lui avait lancé ça, l'air de rien. Au prix d'un sourire désarmant.

Yumi déglutit, masquant mal sa nervosité.

Qu'elle le veuille ou non, ces piqures de rappel finissaient toujours par dresser un mur entre Ulrich et elle. Clairement, ils ne venaient pas du même monde.

Ulrich avait senti le malaise la gagner et se maudissait pour ses paroles. Le scénario se répétait toujours. Inlassablement. Avec tout le monde. Dès qu'il mentionnait le manoir.

Le jeune homme soupira, agacé.

Il avait cru qu'il leur était possible d'en rire. Il s'était trompé. Ses pas s'engagèrent à la suite de son amie, qui s'était tue, pensive.

Les images qui lui venaient s'enracinaient dans son esprit, semblant soudain créer un gouffre entre eux. Elle fixait le plafond, contemplative.

Ulrich serra les poings.

- T'as grandi là-dedans espèce de veinard, murmura-t-elle, désignant la beauté du lustre en cristal.

- Les banques et l'armée, Yumi. Pas les arts ni les lettres. Ça change tout, niveau ambiance.

- Mais pas niveau patrimoine, souffla-t-elle.

- On s'en fout, du patrimoine, maugréa-t-il entre ses dents. Puis je suis pas même pas sûr qu'il me reviendra. Mon père a menacé de me déshériter si j'avais pas mon bac cette année.

La jeune fille étouffa un rire.

Ulrich respirait mieux, content d'avoir désamorcé la gêne.

- Tu pourras faire un musée toi aussi dans ton manoir, pour, je sais pas moi, exposer les titres de noblesse de ta famille, quand tu seras vieux et bedonnant.

- Hé ! Je serai jamais bedonnant, est-ce que c'est compris ?

Yumi observa son ami. Sa silhouette élancée, qui la dépassait d'une bonne tête. Sa musculature, athlétique, objet de trouble chez toute la gente féminine. Les yeux bruns, la mâchoire sensuelle, le corps de rêve de l'homme renversant qu'il était devenu.

- Non, aucune chance, sourit-elle, les battements de son cœur soudainement fébriles.

Ulrich l'avait devancée, s'engageant dans la pièce attenante au salon. Un groupe d'adolescentes s'étaient retournées sur son passage. Des messes basses à son sujet fusèrent entre les murs.

- Non mais t'as vu ce mec ?

- Qu'est-ce qu'il est beau…

Yumi soupira. Elle ne s'y habituerait jamais.

Le groupe de filles échafaudait déjà des plans, tergiversant sur laquelle d'entre elles irait l'aborder. Yumi pariait sur la bimbo de droite.

On peut pas te laisser 5 minutes, toi… râla-t-elle.

Il fallait qu'elle s'impose, avant qu'une des filles ne tente une approche. D'un pas décidé, elle se hâta de rejoindre son ami, sans un regard pour la basse-cour.

Il s'était planté bien en face d'une statue grecque, les sourcils froncés, en pleine expectative.

La jeune femme se mordit la lèvre. Si la moitié des filles de ce monde savaient qu'en plus il était riche, s'en était fini de leur tranquillité. Les origines bourgeoises, ça marchait sur tout le monde. Même sur elle, malheureusement.

- Dis… Si je croise la famille Stern au détour d'un bouquin, tu crois qu'éventuellement ça pourrait désigner la tienne ? glissa-t-elle, l'air de rien.

- Yumi, tu te crois drôle ?

- Quoi, je sais pas moi ! Vous étiez peut-être des gens super importants…

Vous l'êtes peut-être encore maintenant. Ce serait le cas que tu ne me le dirais même pas, j'en suis sûre, rajouta-t-elle en pensée, non sans une certaine amertume.

Yumi croisa les bras.

- Dis-moi la vérité. Je peux croiser ton nom dans les bouquins que je dois lire pour mon cycle de littérature ce semestre oui ou non ?

- Non, je crois pas. Ils ont rien fait de très spécial mes foutus ancêtres, à part se battre.

La jeune fille fronça les sourcils. Il ne lui avait pas tout dit. Elle le sentait, à la façon qu'il avait de fuir son regard.

Ulrich enfonça ses mains dans ses poches, l'air renfrogné.

- Disons juste que dans un musée comme celui-là, je serais pas surpris un jour de tomber sur le portrait de mon arrière-arrière grand oncle en train de serrer la main de Napoléon. Ou de lui faire la guerre, je sais pas trop.

Yumi étouffa un rire. Ce n'était pas tant son air contrit, ses sourcils bougons ni sa grimace agacée. Mais le trait d'humour était tout simplement irrésistible.

Leurs yeux se rencontrèrent. Ulrich esquissa un sourire. Quelque chose de solaire émanait définitivement de ce garçon. Yumi s'arracha à ses rêveries, brisant l'œillade, au grand regret de son ami.

- Et toi, tes ancêtres ? questionna-t-il en la rattrapant. A part les champs d'Okinawa et le fier samouraï de l'ère Meiji?

- J'en sais pas plus. Tu sais moi j'ai pas vraiment connu mes grands-parents. Hormis ce que veut bien m'en dire mon père, je sais vraiment peu de choses sur mes racines.

- Nous on a un arbre généalogique brodé à même la tapisserie… bredouilla Ulrich, à mi-chemin entre l'exaspération et le dégoût.

- Ah ouais ? Je trouve ça hyper cool.

- Ben t'es bien la seule.

- Albrecht tu sais de qui ça vient, du coup ?

- Ouais. L'arrière-arrière-arrière-arrière grand père. Un grand général. Royaliste. A bousillé la vie de plein de gens. Une brute épaisse, en somme. Du coup, on a tous Albrecht à la fin de nos noms. Mon père, mon oncle, mon cousin… Enfin, tous les mecs Stern, quoi. La fierté de la famille, grinça-t-il entre ses dents.

Yumi s'était enfermée dans un silence songeur.

Ulrich regrettait déjà ses aveux. Ses yeux se fermèrent, anxieux. Aborder le sujet le mettait toujours dans un tel état de malaise. Il n'était pas rare qu'une colère sourde finisse par l'accompagner.

La jeune fille le fixait, un air perdu en travers du visage. Jusqu'à ce qu'un rictus malicieux ne se peigne sur ses lèvres.

Ulrich fronça les sourcils.

- Quoi ?

- Alors comme ça on descend d'une lignée de puissants généraux ?

- Mmh. Je vois vraiment pas ce qui y a de si drôle, se vexa-t-il.

- Ta tête en ce moment.

Elle avait dit ça très simplement, quelque chose de bienveillant dans le regard. Ulrich tenta de se radoucir.

- Ecoute elle est compliquée l'histoire des Stern, commença-t-il.

- Je sais que tu détestes en parler mais… Je t'ai jamais demandé d'où vous êtes originaires. Je veux dire, en Allemagne.

- De Frankfurt.

- T'y es déjà allé ?

- Quand j'avais 5 ans, une fois. J'étais trop petit, je m'en rappelle pas.

- Et il date de quand le moment où vous avez définitivement tourné le dos à vos origines allemandes ?

- Mais j'en sais rien moi, Yumi. Bien avant la première guerre mondiale.

La jeune fille leva les yeux au ciel.

- Je comprends pas que ça t'intéresse pas, l'histoire de ta famille.

- Tu dis ça parce que t'as jamais rencontré mes parents.

Ulrich enfonça ses mains dans ses poches, son air grognon plus que jamais porté en bandoulière. Son amie l'observa sous cape, entre tendresse et désapprobation, en pleine bataille avec elle-même quant au risque de prononcer les mots qui allaient suivre. Finalement, la jeune fille se lança.

- Tu sais…bredouilla-t-elle. Ça me dirait bien un jour, de les voir en chair et en os, tes parents. Depuis le temps que tu m'en parles…

- Ouais ben ça c'est pas prêt d'arriver.

Yumi fronça les sourcils. Cette remarque beaucoup trop cinglante l'avait piquée.La jeune fille croisa les bras, quelque chose de raide dans le pli de la lèvre.

Le long d'un regard soucieux, Ulrich sut qu'il l'avait froissée.

- Tu voudrais plus me fréquenter après ça, crois-moi. Ce sont des bêtes sauvages avides de sang coagulé. Ils le récoltent sur leurs proies qu'ils assomment d'ennui à coup de litanies interminables sur l'honneur, l'ambition, le travail et l'argent.

- N'importe quoi, Ulrich…

Un petit sourire indulgent pendait sur ses lèvres. Elle avait compris. Ulrich en soupira d'aise, la cherchant de nouveau du regard.

Un groupe de touristes s'étaient glissés entre eux, appareil photos en main et grands chapeaux extravagants sur la tête.

Tiens, des japonais… remarqua-t-il.

Depuis le temps qu'il côtoyait Yumi et Hiroki, il lui était devenu facile de reconnaître les traits nippons. Plus que par les formes du visages, c'est par l'attitude que le groupe se distinguait : il y avait d'ailleurs un petit quelque chose de la famille Ishiyama dans leur façon de se tenir. Les visiteurs semblaient pris dans une discussion animée. Le sujet leur tenait visiblement à cœur, piquant la curiosité d'Ulrich.

- Du coup tu comprends tout ce qu'ils disent ?

Yumi hocha la tête.

- Ouais. Ils parlent de toi.

- Hein, de moi ?

- Ils sont surpris qu'on se parle tous les deux.

- Bah, pourquoi ?

- D'après toi ? souffla-t-elle. Barrière culturelle.

Son ami, la dévisagea, interdit.

- Et la fille te trouve très beau, lâcha-t-elle d'un ton sec en s'éloignant.

Ulrich fit volte face. Il n'avait même pas remarqué de fille. Du haut de son bon mètre vingt, une petite japonaise pianotait pourtant sur son portable. Ulrich leva les yeux au ciel.

- C'est une gamine, elle doit avoir 12 ans…

La jeune fille s'était réfugiée dans un silence boudeur, en proie à l'agacement. Si même ses compatriotes et les gamines s'y mettaient, elle n'en verrait décidément jamais le bout. Ulrich accéléra le pas pour arriver à sa hauteur.

- Hé ! Faudrait que tu me donnes des cours un de ces jours !

Mais Yumi avait perçut l'éclat de la nouveauté au détour d'une porte et brûlait déjà de s'y rendre, feignant l'indifférence. Ulrich soupira. Tenter de désamorcer ses sautes d'humeur, c'était peine perdue. Les mains dans les poches, il s'enfonça le long d'un silence bougon, marmonnant d'amertume, s'engageant dans les pas de la japonaise.

- Wouah… laissa-t-il échapper en pénétrant la nouvelle pièce à la suite de son amie.

Laques et porcelaines embrasaient les murs, le long d'une symphonie rythmée par les couleurs caractéristique du mobilier d'Asie. L'immense lustre en forme de lanterne qui pendait au plafond lui décrocha la mâchoire.

- Et donc Victor Hugo s'est installé un salon chinois dans sa maison parce qu'il était … fan de la Chine et du Japon ? Ça nous fait un point commun, dis donc.

- Non, le japonisme c'était juste à la mode à cette époque là, expliqua-t-elle.

- Le japonisme ?

- Ouais. C'est le nom d'une sorte de courant artistique. En fait, à cette époque c'était la mode de collectionner les objets qui venaient du Japon. Van Gogh, Zola, Victor Hugo… Tous les grands peintres, écrivains, musiciens l'ont fait. On appelle japonisme l'influence qu'on eut tous ces objets sur l'art français, notamment dans la peinture. Le cerné noir de Cézanne, il vient directement des estampes japonaises.

- Tu sais vraiment tout, toi, siffla Ulrich.

Yumi lui rendit son sourire enjôleur.

C'était toujours elle qui détournait les yeux la première. Fuyante, face à son regard sans doute un peu trop appuyé. Ulrich avait mis des années pour oser lui lancer ces yeux-là. Cette audace ne lui venait pas de nulle-part. Il l'avait appris, patiemment, au prix parfois d'un bras de fer. Avec William. Entre autres.

Aussi, pour lui l'arrivée d'un nouveau rival dans le paysage ne passait jamais inaperçu. Surtout pas dans un musée.

Grand, ténébreux, nonchalant. Il avait la stature idéale du poète maudit, appuyé contre la rambarde.

- Pile son genre, en plus… s'énerva Ulrich.

L'inconnu, désinvolte, feignait de lire les cartels, des fringues très stylées et surement une anthologie des Contemplations de Victor Hugo au fond du sac.

Il n'avait pas fallu plus de six secondes pour qu'Ulrich l'ait dans le collimateur.

Il avait bien remarqué son petit manège. La jolie japonaise lui plaisait, et il ne se gênait pas pour la reluquer. D'une pièce à l'autre, il se débrouillait pour l'avoir toujours bien en face de son champ de vision. Son regard insistant se promenait bien trop librement sur elle.

Le jeune homme, qui brûlait d'aller lui montrer sa façon de penser, se contenta de le toiser d'un air mauvais lorsque leurs yeux se croisèrent.

Yumi s'engouffra dans la pièce suivante, Ulrich sur ses talons.

Une déferlante de rouge vint leur taper la rétine. L'avalanche cinabre enveloppait les murs. Les deux amis clignèrent des yeux. La lumière avait changé. Et l'atmosphère, tamisée, annonçait la teneur plus personnelle du lieu.

- Sa chambre… murmura-t-elle.

Ulrich détourna le regard. En face d'eux, le grand miroir dessinait leurs silhouettes côte à côte, le long d'un secret d'alcôve dense, contenu et si bien gardé, qu'il ne semblait n'exister pour personne, à jamais prisonnier d'un timide aveu.

La jeune fille avait posé ses yeux sur le lit à baldaquin. L'élégance de ses courbes, la richesse de sa tenture l'avaient frappée de stupeur.

- J'ai plus envie de dormir sur un futon, déclara Yumi.

Ulrich éclata de rire.

Plutôt que Yumi, il imaginait davantage Aelita se pavaner derrière les rideaux du baldaquin. Ou pire, Sissi.

Mais si les lits princiers lui plaisaient… L'information était bonne à prendre. D'ailleurs, la chambre de Guernesey disposait d'un baldaquin. Dommage qu'il était rose, comme tout le reste de la pièce…

Ulrich secoua la tête. Ses hormones lui jouaient des tours.

Son amie contemplait la table, au centre de la pièce. Ou plutôt le bureau personnel d'écriture de Victor Hugo. Son visage s'était illuminé, enrobé d'un air serein. L'émotion qui s'en dégageait fit sourire son ami.

- Y a pas de chaise ? remarqua Ulrich.

- Non, Victor Hugo écrivait debout.

- Sérieux ?

- Ouais, c'est pas commun chez les écrivains.

- Très cool.

Ulrich croisa les bras derrière sa nuque.

L'intimité de la pièce n'était pas faite pour le mettre à l'aise. Les murs s'étaient rapprochés, les forçant à évoluer dans un espace restreint.

Yumi demeurait pensive, les yeux fixés sur la plume blanche et son encrier, qui trônaient sur le bureau. Il la sentait en proie au doute, méditant le long d'un sujet qui avait tout l'air de la rendre mélancolique.

Ulrich cherchait une vanne, un trait d'esprit à balancer, pour désamorcer la lourdeur du silence. Sans succès. Si Odd avait été là, il aurait sauté les cordages de sécurité et se serait emparé de la plume, pour faire l'intéressant aux yeux de la fille qu'il convoitait. Lui n'avait pas cette audace.

- C'était la dernière pièce, signala Yumi.

- C'est déjà fini ?

- On dirait bien…

Les deux amis se sourient, circonspects.Ulrich planta ses yeux dans les siens.

- Je t'offre un truc à la boutique ? proposa-t-il, étonnamment sûr de lui.

- Je crois pas qu'il y ait de boutique, ici, murmura-t-elle, passablement gênée. Mais merci, t'es adorable.

Ulrich enfonça ses mains dans ses poches, déçu.

Son amie le guidait vers la sortie, qu'il emprunta, à contre cœur.

Le soleil brillait haut dans le ciel. Les bruits de l'agitation de Paris refaisaient surface.

Yumi prit une dernière photo, cette fois-ci hors des murs de l'enceinte, cadrant loggias et colonnades dans l'objectif.

- Bon, t'es contente de ta visite ?

- Mais tellement ! Je comprends pas pourquoi on l'a pas fait plus tôt.

Yumi s'empourpra, sur le coup de l'émotion qu'elle n'avait pas su canaliser. Ses jambes chancelaient, son esprit inhabituellement confus. Elle ouvrit la bouche, tentant de décrire son expérience.

- C'était tellement inspirant et… tellement beau et…

Ulrich lui souriait, tandis qu'elle cherchait ses mots.

- Merci de partager ça avec moi. Tu sais, pour moi ça compte beaucoup.

- Je t'en prie. Pour moi aussi ça compte beaucoup.

Il avait dit ça en la regardant droit dans les yeux. De toute la profondeur de ses iris bruns. Il la dévisageait librement. Avec assurance, le regard franc.

Yumi détourna les yeux.

- On y va ? Les autres vont finir par nous attendre.