Chapitre 1.

Ça faisait bientôt trois ans qu'il observait le même rituel tous les matins en allant au bureau. Au début, ça lui faisait du mal de passer devant ce bâtiment mais il s'était astreint à revenir tous les jours. Son psy lui avait dit qu'il devait arrêter de se punir de la sorte pour quelque chose dont il n'était absolument pas responsable.

Facile à dire pour lui. Ce matin encore, il pouvait sentir cette culpabilité, ce sentiment qu'il n'avait pas été à la hauteur, qu'il aurait pu faire quelque chose pour l'empêcher de partir. Il s'était contenté de lui dire de ne pas faire de bêtises. Il voyait encore la colère dans ses yeux quand il lui avait annoncé que le bureau refusait de lui redonner sa liberté. Ils ne pouvaient pas se permettre de laisser partir une si bonne recrue.

Il avait trop bien fait son travail et ils voulaient le garder sous leur contrôle. Peter avait senti la rage l'envahir quand il avait entendu ces mots. Comment pouvait le traiter de la sorte? Neal avait fait de son mieux, personne n'était plus conscient que lui des efforts qu'il avait dû fournir, des sacrifices qu'il avait faits. Et pour tout remerciements, on lui refuse ce qu'on accordait à n'importe quel prisonnier ayant effectué sa peine.

C'était tellement injuste que Peter était prêt à se battre pour lui, à défendre sa cause.

C'était ce qu'il aurait dû lui dire ce soir-là... Ça et un tas d'autres choses... C'est étrange comme il avait facilement trouvé les mots qu'il aurait dû prononcer quand il avait réalisé qu'il ne le reverrait probablement jamais.

Aujourd'hui encore il leva les yeux vers cette terrasse où ils avaient passé de longues heures à bavarder, partager un verre... Ils s'étaient parfois disputés...ils avaient mis sur pieds des plans rocambolesques...souvent en compagnie de Mozzie. Il ne pouvait s'empêcher de sourire en pensant à son ami à lunettes. Même après toutes ces années d'attente et de recherches vaines, il n'avait pas renoncé. Il restait persuadé qu'il retrouverait Neal...

Lui savait qu'il ne restait pratiquement aucun espoir. Ils n'avaient aucun indice, pas l'ombre d'une piste. Peter avait d'abord pensé que son ami s'était enfui et pendant quelques jours, il s'était senti soulagé que les Marshals ne parviennent pas à le localiser. Ils avaient perdu le signal de son bracelet électronique au nord de la ville, dans une zone industrielle et, en se rendant sur place, ils l'avaient retrouvé en petits morceaux au fond d'une benne. Après ça, plus rien. La photo de Neal avait circulé dans tous les commissariats, les bureaux de poste... À croire qu'ils étaient à la recherche de l'ennemi public numéro 1.

Cette traque intense avait duré presque une semaine avant qu'ils ne relâchent un peu la pression, pensant que leur homme avait fui à l'étranger. Peter ne s'attendait pas à recevoir de nouvelles mais il était hors de question, pour lui de quitter sa maison, seul endroit où Neal pourrait le contacter en cas de besoin. Dans la précipitation des derniers jours, il n'avait même pas parlé de l'endroit où ils prévoyaient de vivre à Washington. Si son ami avait besoin d'aide, il ne pourrait jamais le retrouver dans une si grande ville...

Élisabeth lui avait répété que Neal était assez futé pour le retrouver n'importe où mais Peter n'avait pas changé d'avis et ils avaient finalement décidé qu'elle partirait sans lui pour Washington et qu'ils se rejoindraient les weekends. Au début, tout s'était bien passé. Peter passait ces soirées à attendre un appel, un signe de son ami mais tout s'était effondré le jour où Mozzie était venu frapper à sa porte.

Le petit homme avait l'air épuisé et mort d'inquiétude. Jusqu'à cette visite, Peter était convaincu que Neal était parti en sa compagnie ou, du moins, avec son assistance. Mais ce qu'il lui apprit lui glaça le sang. Il n'avait aucune nouvelle de Neal depuis sa disparition. Ils avaient convenu de se voir pour mettre sur pieds un plan d'évasion mais ils n'étaient pas prêts. Jamais Neal ne serait parti sur un coup de tête en laissant tout ce qui comptait vraiment derrière lui.

Mozzie s'épancha pendant des heures, lui expliquant qu'il n'aurait jamais dû faire confiance au FBI, qu'ils auraient dû s'enfuir sans attendre, sans essayer de faire les choses dans les règles. Il avait passé les derniers jours à chercher son ami dans tous les recoins de la ville sans succès et il avait fini par se résoudre à demander l'aide de Peter.

Ils avaient perdu presque une semaine à se dire, chacun de leur côté, à se faire de fausses idées. Neal était peut être en danger et Peter avait passé les derniers jours à l'imaginer sur une plage paradisiaque, à siroter un cocktail. Mozzie ne lui avait pas fait suffisamment confiance pour venir le voir de suite.

Ce soir là, Peter réalisa qu'ils avaient peu de chances de retrouver sa trace après avoir perdu une semaine entière. Les indices, les témoignages seraient plus difficiles à recueillir. Ils avaient passé les semaines suivantes à creuser, avec l'aide de Jones et Diana qui s'inquiétaient tout autant que les deux amis. Mais ils n'avaient rien trouvé... Rien qui puisse les mettre sur la piste de leur ami.

Petit à petit, la peur de retrouver son cadavre avait succédé à l'espoir de le voir frapper à leur porte.

Peter refaisait tous les jours le trajet que Neal avait dû emprunter en partant de chez lui. Il faisait une halte devant chez June. Les premiers temps, il s'arrêtait pour parler avec elle mais June était de moins en moins souvent en ville. Elle aussi, ressentait cruellement l'absence de son locataire et elle passait beaucoup de temps avec sa nièce.

Ils avaient fouillé les placards de l'appartement. Chaque recoin avait été inspecté mais tout était tel que Neal l'avait laissé. Comme s'il avait l'intention de revenir le lendemain. Mais il n'était pas revenu, ni le lendemain, ni le mois suivant...

Peter avait passé Noël avec sa femme mais le cœur n'y était pas. Il avait encore l'espoir que Neal lui enverrait une carte de vœux d'une lointaine île déserte mais sa boîte à lettres resta désespérément vide.

Il ne savait pas exactement quand il avait perdu espoir mais, aujourd'hui, trois ans, jour pour jour, après sa dernière conversation avec Neal, il ne parvenait à penser à lui qu'au passé. Il ne parvenait plus à penser qu'il pouvait être en vie quelque part. Il n'aurait pas laissé filer toutes ces années sans trouver un moyen de les contacter, de leur dire qu'il allait bien. S'il ne l'avait pas fait c'est qu'il ne pouvait plus le faire...

En levant les yeux vers cette terrasse, Peter se fit, une fois de plus, la promesse de démêler cette histoire. Il saurait un jour ce qui était arrivé à son ami, même s'il devait y passer ces jours, ces nuits.

Il n'était jamais parti pour Washington, il travaillait toujours avec Diana et Jones et ça lui convenait. Au fond, il savait qu'il ne' était pas fait pour le travail de bureau. Il aimait arpenter ces rues, être dans le vif de l'action. Élisabeth ne l'avait pas compris. Au début, elle avait essayé de faire des efforts mais les allers retours la fatiguaient et elle ne comprenait pas l'obsession de Peter. Pour elle, Neal s'était enfui et il ne souhaitait pas qu'on le retrouve.

Ils avaient commencé à se disputer et leur relation s'était envenimée. Ils ne se retrouvaient plus avec le même plaisir et petit à petit, ils s'étaient éloignés. Jusqu'à ce coup de fil, il y a un peu plus d'un an où elle lui avait annoncé qu'elle souhaitait divorcer. Il avait essayé de la convaincre que ce n'était pas la solution mais le cœur n'y était pas vraiment. Elle avait raccroché en prononçant des mots qui résonnaient encore à son esprit.

J'espère que Neal saura un jour ce que tu as sacrifié pour lui.

Peter avait eu le temps de méditer sur ces paroles. Elle n'avait pas tort et il devait admettre qu'il ne se levait le matin que poussé par l'espoir qu'ils obtiendraient de nouvelles informations. Aujourd'hui encore, c'est avec cette pensée qu'il s'était réveillé. C'est cette idée fixe qui l'entrainait dans ce quartier jour après jour, même s'il avait bien conscience qu'il ne trouverait rien ici. Une fois de plus, il resta là, sur le trottoir, immobile à terminer son café avant de se décider à continuer son chemin jusqu'au bureau.

Quand il entra, Jones vint le saluer, comme tous les matins. Ils firent le point sur les affaires en cours avec Diana et se mirent au travail chacun de leur côté. Ils se retrouvèrent à midi. Ils avaient pris l'habitude de déjeuner, une fois par semaine, à quelques pas du bureau où Mozzie les rejoignait. Ils parlaient des recherches qu'ils avaient entreprises mais petit à petit, ils avaient commencé à évoquer leurs bons souvenirs, les moments qu'ils avaient partagés avec Neal. Ce rendez-vous était devenu une sorte de thérapie collective qui leur permettait d'évacuer leur frustration et leur chagrin.

En s'asseyant à leur table habituelle, Mozzie regardait sans les voir les passants qui circulaient dans la rue. Depuis trois ans, il déambulait, lui aussi, sans but dans cette ville qu'il connaissait si bien. Il avait pensé à partir loin d'ici mais il aurait eu l'impression d'abandonner son ami. Il avait besoin de savoir ce qui lui était arrivé. Il devait faire la lumière sur cette disparition. Neal ne serait jamais parti sans le tenir au courant. Il n'aurait jamais fui de cette manière. Même s'il avait eu du mal à l'admettre, Neal n'aurait jamais quitté Peter sans lui donner de ses nouvelles.

Après trois ans, il espérait encore. Il était heureux de retrouver ceux qui étaient devenus ses amis et il était reconnaissant qu'ils prennent la peine de continuer les recherches. Quand ils les virent arriver, il comprit qu'une nouvelle fois, leur petite réunion ne ferait pas avancer les recherches.

Mais il les accueillit avec son effusion habituelle.

-Mes chers amis, quel plaisir sans cesse renouvelé de voir vos visages lumineux surgir dans cet endroit charmant.

Peter sourit. Il savait que Mozzie n'aimait pas ce restaurant mais il avait fait cette concession car ils n'avaient pas beaucoup de temps et cet endroit était le seul à proximité du bureau.

-Le plaisir est partagé, Mozzie.

Comme à son habitude, Mozzie se dirigea vers Diana. Peter avait encore du mal à comprendre comment ces deux-là étaient devenus si proches. Tout les opposait mais, assez étrangement, ils étaient devenus très complices.

-Comment va le petit Theo ?

-Il va très bien. Sa rentrée à l'école s'est bien passée et il s'est déjà fait des amis.

-Rappelle-lui bien qu'il vaut mieux être méfiant…Tu as vérifié les antécédents des parents d'élèves… ?

Diana adorait parler de son fils avec Mozzie. Elle savait que le petit homme surveillait de près celui qu'il appelait son petit neveu et elle en était ravie. En retour, son fils vouait une admiration sans borne à celui qu'il appelait Moz.

Les quatre amis prirent place autour de la table et passèrent leur commande. La discussion revint rapidement sur leur principal sujet de préoccupation. Mozzie avait suivi la piste d'un trafiquant d'armes qui aurait pu avoir un lien avec James Bennett. Mais ça n'avait rien donné. Mozzie avait échafaudé un tas de théories plus ou moins farfelues. Et il avait consciencieusement suivi chacune d'entre elles…Sans aucun résultat jusqu'à maintenant.

Plus le temps passait et plus Mozzie perdait espoir et Peter commençait à s'inquiéter pour lui. Il se sentait coupable. Peter pouvait comprendre ce sentiment.

-Peter tu devrais manger un peu plus.

L'agent du FBI leva les yeux vers son ami et il comprit à son regard qu'il n'était pas le seul à se faire du souci. Ses trois amis le regardaient avec la même inquiétude.

-Pourquoi vous me regardez comme ça ?

C'est à nouveau Mozzie qui prit la parole.

-Peter, nous sommes conscients que tu te fais du souci pour Neal mais tu ne dois pas, pour autant, oublier de prendre soin de toi.

-C'est gentil de me dire que j'ai l'air négligé.

-Ce n'est pas ce que j'ai dit. Mais tu as la tête d'un homme qui passe la plupart de ses nuits à réfléchir et pas à dormir. Tu manges de moins en moins.

Peter ouvrit la bouche pour répondre mais il devait admettre que son ami n'avait pas tort.

-C'est une date un peu particulière aujourd'hui et j'ai du mal à dormir depuis quelques jours. Mais ça va passer…

Mozzie baissa les yeux.

-Ça ne passera que le jour où on l'aura retrouvé.

Que pouvait-il répondre à ça ? Et si ils ne le retrouvaient jamais ? Cette plaie resterait là, béante et douloureuse.

-Tu as raison Mozzie. Raison de plus pour se bouger.

-Peter, nous avons exploré toutes les pistes qui s'offraient à nous…

Diana était celle qui gardait les pieds sur terre. Elle avait calmé leurs ardeurs à maintes reprises. Elle savait les recadrer et les encourager quand ils en avaient besoin.

-Je sais, Di. Mais que pouvons-nous faire d'autre ?

Personne n'osa répondre à cette question. Qu'auraient-ils pu dire ? Qu'il était peut-être temps de commencer à penser qu'il ne reviendrait pas et essayer de passer à autre chose… Le reste du repas se passa en silence. Comme souvent lorsqu'ils avaient épuisé les sujets habituels…chacun retombait dans ses souvenirs.

Le weekend suivant, Peter décida d'aller courir. Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas pris le temps de s'aérer et, transpirer un peu lui ferait du bien. Les premières minutes furent douloureuses. Il ne connaissait pas ce trajet. Il avait décidé à la dernière minute de sortir de la ville et le terrain escarpé en sous-bois, martyrisait les muscles de ses jambes.

La remarque de Mozzie et le regard inquiet de ses collègues, l'avaient fait réagir. Il devait essayer de faire un peu attention à lui. Son métier lui prenait beaucoup de temps et d'énergie, les recherches pour retrouver Neal l'occupait le reste du temps.

S'il ne faisait pas attention, il se réveillerait à 60 ans, usé par les années et incapable de continuer.

Après 30 minutes, il s'arrêta, le souffle court. C'était déjà pas mal pour une séance de reprise. Il marcha quelques minutes en direction d'une aire de jeu où il pourrait trouver un point d'eau. La matinée était fraiche mais le soleil rendait ce début d'automne agréable. Les feuilles commençaient à rougir et bientôt, l'hiver allait frapper à la porte. Peter appréhendait les fêtes de fin d'année, comme tous les ans depuis la disparition de Neal, depuis son divorce.

Après avoir bu quelques gorgées d'eau, Peter s'installa sur un banc, regardant un jeune homme jouer avec un petit garçon. Le jeune papa courait après le ballon que son fils tentait de lui renvoyer tant bien que mal. Peter estima que le petit garçon devait avoir 4 ou 5 ans. Il courait d'une manière presque experte mais la maitrise de ses jambes ne lui permettait pas encore de frapper dans la balle avec précision. L'espace d'un instant, Peter se demanda à quoi ressemblerait sa vie si Elisabeth et lui avaient décidé d'avoir des enfants.

Il n'avait pas vraiment de regrets, seulement des interrogations. Il reporta son attention sur la petite famille au moment où un autre homme les rejoignait. Les deux hommes s'embrassèrent tendrement et Peter ne put s'empêcher de ressentir un pincement au cœur devant ce tableau attendrissant. Ils avaient l'air tellement heureux. Ils partageaient ce bonheur simple d'une balade au parc un dimanche d'automne. Et même si Peter ne pouvait pas voir précisément leurs visages, il pouvait y deviner des sourires épanouis.

Le rire d'un des hommes le fit sursauter et il crut, l'espace d'un instant que son cerveau lui jouait des tours. Il avait souvent entendu ce rire dans ses rêves. Il aimait s'endormir en pensant à ses grands yeux bleus pétillant de malice. Mais c'était bien réel cette fois. Sans réfléchir, il se leva et s'avança vers le couple. Les deux hommes se tournèrent vers lui et fixèrent sur lui un regard inquiet.

Le jeune homme qu'il ne parvenait pas à quitter des yeux, portait un léger bonnet bleu-marine qui faisait ressortir le bleu de ses yeux. Il portait des lunettes à montures noires. On devinait que ses cheveux étaient coupés courts mais Peter aurait reconnu ce regard sous n'importe quel déguisement. Le souffle lui manquait et sa vision commençait à se troubler.

Il l'avait cherché partout, il avait arpenté la ville de long en large, jour et nuit, et il était là devant lui.

-Monsieur… Quelque chose ne va pas ?

Le deuxième homme s'était placé devant son compagnon qui fixait Peter comme s'il ne l'avait jamais vu.

-Neal…c'est moi…

Sa voix tremblait. Il sentait qu'il était en train de faire peur au jeune homme mais il ne pouvait pas le laissait partir. Ils devaient parler…Il avait besoin de comprendre.

-Je ne vous connais pas…

Cette voix…S'il avait encore eu un doute, il venait de s'effacer. Il semblait physiquement différent mais c'était bien lui. Il n'avait aucun doute. Mais déjà l'homme le saisissait par le bras pour tenter de l'éloigner. Il ne voulait pas provoquer cet homme et il se laissa guider un peu à l'écart. Il vit Neal s'éloigner tenant le petit garçon par la main.

-Je suis désolé, Monsieur mais vous vous trompez. C'est la première fois que je vous voie et il en est de même pour mon ami. Maintenant si vous voulez bien nous laisser, vous faites peur à mon fils…

Peter leva les yeux vers cet homme qu'il n'avait jamais vu. Ces yeux noirs n'étaient pas menaçants mais il était déterminé et Peter comprit qu'il ferait ce qu'il devait pour protéger sa famille. Peter prit une profonde inspiration et essaya de se calmer.

Il savait qu'il ne servirait à rien de s'énerver, ni de dire à cet homme qu'il se trompait. Mais il devait trouver un moyen d'obtenir l'identité de cet homme.

-Je suis désolé. Je ne voulais pas vous effrayer.

-Ce n'est rien.

L'homme s'apprêtait à s'éloigner mais lorsque Peter essaya de se lever, ses jambes chancelèrent et le jeune homme le rattrapa par le bras.

-Vous êtes sûr que ça va ?

Peter avait toujours les yeux fixés sur l'homme qu'il avait reconnu comme étant Neal.

-Depuis quand vous connaissez-vous ?

Il s'apprêtait à répondre à cet homme de se mêler de ses affaires mais, au lieu de ça, il s'assit à ses côtés.

-Presque deux ans… Je tiens un bar en ville et Alec a simplement poussé la porte. Il avait l'air tellement sûr de lui. Mais quand il s'est assis au bar, j'ai vu son regard perdu, comme s'il avait échoué là par hasard après un naufrage… Ça doit vous paraitre étrange mais je n'ai pas pu le laisser partir. Je lui ai offert un travail et je lui ai proposé de s'installer dans un petit studio que j'avais aménagé à l'arrière du bar…

L'homme se tourna vers Peter, l'air étonné.

-Désolé, je ne me suis même pas présenté…Jared Marjer.

-Peter Burke.

Jared fronça les sourcils en entendant ce prénom mais Peter décida de ne pas insister, pour le moment.

-Vous l'avez appelé Neal… Qui est ce Neal ?

-Un ami qui a disparu il y a bientôt trois ans. Je le chercher depuis et votre ami lui ressemble tellement…Son rire, sa voix, ses yeux.

Le jeune homme ne dit rien mais il sortit une carte de visite de sa poche et la tendit à Peter.

-Je vous demande de ne pas venir chez nous… Pour le moment… Je vais lui parler…

-Que voulez-vous dire ?

-Je préfère que nous en restions là pour aujourd'hui.

Peter chercha dans ses poches mais il n'avait rien pour noter ses coordonnées. Le jeune homme s'apprêtait à se lever.

-Attendez. Je vais vous laisser mon numéro.

-C'est inutile, Agent Burke. Je sais où vous trouver.

Sur ces mots, Jared s'éloigna et Peter fut incapable de le retenir, ni même de le suivre. Il venait de retrouver Neal et il l'avait laissé partir. Il était certain que c'était bien lui et l'attitude de cet homme ne faisait que confirmer ses soupçons. Il le connaissait. D'une manière ou d'une autre, cet homme avait appris son identité et, même s'il ne semblait pas connaître Neal, qu'il avait appelé Alec, Peter sentait qu'il lui avait caché l'essentiel.

Il lui fallut de longues minutes avant de se décider à retourner à sa voiture. Il ne se souvenait absolument pas du trajet retour mais il se retrouva chez lui. Il saisit son téléphone et composa le numéro que Mozzie lui avait donné avant de raccrocher… Qu'allait-il lui dire ? Il n'avait en fait aucune information concrète à lui donner.

Il s'assit sur son canapé et essaya de faire le tri dans ses pensées. Cet homme était bien Neal, il en était certain. Mais pourquoi ne l'avait-il pas reconnu ? Là non plus il n'y avait pas de doute. Le jeune homme n'avait pas fait semblant. Il ne l'avait vraiment pas reconnu, il avait même eu l'air effrayé en le voyant s'approcher. Que s'était-il passé avant qu'il atterrisse dans ce bar ?

Peter sortit la carte que Jared lui avait donnée et il entra le nom du bar dans le moteur de recherche de son ordinateur. Le résultat de ses recherches le surprit. Il s'agissait d'un établissement réputé qui accueillait des artistes de jazz réputés.

Peter sourit en pensant que c'était tout à fait le genre d'endroit que Neal aimait fréquenter. Au moins, une question avait trouvé sa réponse. Même s'il n'avait jamais entendu Neal parler de ce lieu et que celui-ci se trouvait au-delà de son périmètre, il lui avait, sans doute, suffi d'entendre quelques notes de musique pour l'inciter à pousser la porte de cet établissement.

Il revoyait encore le visage de son ami, ses yeux apeurés fixés sur lui et la manière dont Jared s'était placé entre eux, comme pour le protéger d'une menace. Il sentait que le jeune homme ne lui avait pas tout dit. S'il savait qui il était, il en savait peut-être plus sur la disparition de Neal. Pouvait-il être mêlé à cet enlèvement ? Ça paraissait peu probable mais Peter était bien décidé à enquêter sur cet homme et son entourage.

Pour la première fois depuis presque trois ans, il ne s'arrêta pas devant l'appartement de Neal en ce lundi matin. Il avait des choses bien plus importantes à faire aujourd'hui. Il devait trouver des renseignements sur ce Jared Marjer. Il salua Jones à son arrivée et lui fit signe de le suivre à l'étage. Diana ne travaillait pas le lundi. Depuis la naissance de son fils, elle avait pris la décision d'aménager son emploi du temps pour pouvoir s'occuper au mieux du petit garçon.

Une fois dans le bureau, Jones s'assit en face de son patron. Il vit immédiatement que Peter avait quelque chose d'important à lui dire. Son visage était bien plus animé que d'habitude. Jones savait que les weekends en solitaire étaient très difficile pour Peter et, à plusieurs reprises, il lui avait proposé des sorties mais Peter avait fini par décliner l'offre préférant rester seul avec ses souvenirs.

-Peter, s'il te plait, ne me fais pas languir… Qu'as-tu trouvé ?

-Neal…au détour d'un bois…

Jones ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, se demandant si son patron n'avait pas fini par perdre la tête. voyant l'inquiétude sur le visage de son collègue il lui raconta comment il avait rencontré ce couple sur cet aire de jeu… Comment le rire de Neal l'avait sursauté…Son regard, ses cheveux courts.

-Neal Caffrey a coupé ses cheveux… Il a dû se passer quelque chose de grave.

Jones avait envie de rire et de pleurer en même temps. Il voulait tellement croire que Peter disait vrai, que Neal était encore en vie.

-Il ne m'a pas reconnu et son ami, ce Jared Marjer, m'a paru bien mystérieux. Il connaît mon nom mais il n'a pas voulu m'en dire plus.

-Je m'occupe de creuser de ce côté-là. Tu as appelé Mozzie ?

-Non, je voulais d'abord en savoir plus. Il serait capable de débarquer dans ce bar et de lui faire peur. Il s'est passé quelque chose, Clinton. Il avait peur et cet homme s'est interposé entre lui et moi comme s'il savait que ma présence serait interprétée comme une agression.

Jones réfléchit un instant. L'homme avait dit qu'Alec avait débarqué dans son bar il y a deux ans. Ce qui signifiait que Neal avait disparu une année entière. En un an, il pouvait s'être passé énormément de choses.

-On pourrait aller là-bas et le ramener ici.

-Non, quelque chose me dit qu'on doit faire confiance à cet homme. Ils sont très proches et Neal semble beaucoup tenir à lui et à son petit garçon.

-Par très proches, tu veux dire…

-Intimes… Je les ai vu s'embrasser. Il paraissait tellement heureux. Je crois ne l'avoir jamais entendu rire de cette manière.

Jones était un peu surpris mais cette nouvelle l'avait mis de bonne humeur pour toute la semaine. Après trois ans de recherche, ils avaient aujourd'hui de bonnes raisons d'espérer.

Il se remit au travail et après deux heures de recherches, tout ce qu'il avait trouvé confirmait l'impression de Peter. Jared Marjer était propriétaire de ce bar depuis huit ans et son affaire marchait bien. Il était apprécié et tous le décrivaient comme un bon patron et un excellent père. Sa compagne était morte seulement quelques mois après la naissance de leur fils. Le petit garçon était devenu sa priorité. Les services sociaux avaient gardé un œil sur lui craignant que ses activités professionnelles soient incompatibles avec sa paternité. Mais il avait su leur montrer qu'il était capable de faire des choix et de tout mettre en œuvre pour assurer le bonheur de son fils.

Jones monta faire son rapport à Peter qui tournait en rond dans son bureau. il sembla rassurer par ces résultats mais Jones sentait bien qu'il mourrait d'envie d'aller faire un tour dans ce bar.

-Peter, si Neal ne t'a pas reconnu, il est peu probable qu'il me reconnaisse. Je pourrais me rendre là-bas, incognito, juste pour prendre la température.

Peter hésita. Si Neal le reconnaissait et s'il décidait de s'enfuir, ils n'auraient plus aucun moyen de le retrouver. Jones comprit ses craintes.

-D'après ce que tu m'as dit, il a de bonnes raisons de rester en ville. Même s'il me reconnaissait, il y réfléchirait à deux fois avant de prendre la fuite.

-Tu as raison mais j'ai promis de ne pas y aller.

-Tu n'iras pas…

-D'accord mais sois prudent.

Jones quitta le bureau, glissa son arme dans son tiroir avant de sortir. Une fois devant le bar, il hésita avant de rentrer. C'était le milieu de l'après midi et il n'y aurait certainement pas beaucoup de clients. Quand il poussa la porte, une douce musique l'accueillit. L'endroit ressemblait parfaitement à l'idée qu'il se faisait de ce genre de club. Une ambiance intime, feutrée où on pouvait sentir la bonne musique et l'atmosphère des clubs de jazz.

La seule personne présente était un homme, au fond de la salle, en train de nettoyer les tables. Jones tira une chaise et s'assit, attendant que le jeune homme remarque sa présence. Jones comprit ce que Peter avait ressenti quand l'homme se mit à chanter tout en continuant son nettoyage. Il n'avait plus aucun doute, il s'agissait bien de Neal.

Il fut sorti de sa rêverie par la voix d'un autre homme qui s'avançait vers lui.

-Bonjour, que puis-je vous servir ? Je suis désolé d'avoir autant tardé mais nous n'avons pas vraiment l'habitude d'avoir des clients à cette heure.

-Je suis de passage en ville et, après avoir conduit pendant des heures, j'aurais bien besoin d'un café.

-Je vous sers ça tout de suite.

Jared suivit le regard de Jones qui semblait fixé sur son ami.

-Désolé, je vais lui demander d'arrêter…

-Non, au contraire. Il chante très bien.

Jared lui adressa un lumineux sourire.

-Je le lui dis souvent mais il a du mal à me croire.

L'homme s'éloigna et Jones reprit son observation. Le jeune homme ne l'avait toujours pas remarqué, absorbé par sa tâche et par la musique. Il était difficile, à cette distance de confirmer qu'il s'agissait bien de Neal mais la taille, la stature était la même.

Une voix lui parvint du bar.

-Alec, tu veux bien servir notre client, je dois amener Sam à l'école.

L'homme se retourna et se dirigea vers le bar. Quand il arriva à sa hauteur, Jones eut du mal à se retenir. Il avait envie de se lever et serrer son ami dans ses bras. Il aurait voulu le ramener de force dans les bureaux du FBI et l'interroger jusqu'à ce qu'il finisse par leur raconter tout ce qui lui était arrivé ces trois dernières années.

Mais quand il vit Alec lui sourire comme il devait sourire à n'importe quel client, sans le moindre signe qu'il l'ait reconnu, il se contenta de dire merci et de tremper ses lèvres dans son café. Ce n'est qu'au moment où il revint pour lui apporter la petite cuillère qu'il avait oublié qu'il remarqua la longue cicatrice qui ornait le côté droit de son crâne. Elle faisait bien une quinzaine de centimètres de long et sa présence donnait probablement certaines réponses.

-Merci.

-Si vous avez besoin d'autre chose, n'hésitez pas…

Jones ne put que hocher la tête. Il avait devant lui l'homme qu'il venait de passer trois ans à chercher. Celui qu'il avait fini par croire mort. Il avala son café lentement et finit par se lever et se diriger vers le fond de la salle.

-Je vous remercie pour votre accueil.

Le jeune homme sursauta et Jones put, lui aussi, voir la peur dans le regard qui se posa sur lui. Qu'avait-il bien pu lui arriver pour le changer à ce point ? Jones lui tendit la main et il sentit que Neal hésita longuement avant de serrer la main tendue. Jones ressortit dans la lumière du jour. Il retourna au bureau, se demandant ce qu'il allait bien pouvoir dire à Peter. Il n'en savait pas beaucoup plus à part qu'il pouvait maintenant confirmer le sentiment de Peter. Il s'agissait bien de Neal Caffrey. Aucun doute là-dessus. Il n'aurait pas besoin d'attendre les résultats de l'analyse ADN qu'ils pourraient pratiquer à partir du verre qu'il avait dérobé.

Il s'arrêta au labo pour leur confier le verre dans lequel le jeune homme avait bu. Il savait que Tom était de service et il savait qu'il pouvait aussi lui faire confiance pour effectuer ce test discrètement et rapidement. Il retrouva Peter plongé dans son dossier et il s'assit en face de lui. Il ne savait pas par où commencer.

-Tu l'as vu ?

-Oui, il m'a même servi un café…et chanté une chanson.

-Il chante ?

-Et plutôt bien d'ailleurs. Il a l'air d'avoir trouvé un certain équilibre…

-Mais… ?

-J'ai vu la peur dans ses yeux. Son ami s'est absenté pour amener son fils à l'école et quand je me suis approché pour le saluer, il a sursauté. Quand il s'est retourné, il a hésité un instant entre partir en courant ou me serrer la main.

Peter resta songeur quelques minutes.

-Il faudrait qu'on l'interroge. Qu'il nous aide à comprendre ce qui s'est passé.

-Peter, je pense que ce serait une erreur de vouloir précipiter les choses. Je pense qu'il s'est passé quelque chose de grave…

Peter vit que Jones hésitait.

-A quoi tu penses ?

-Tu n'as rien remarqué quand tu l'as vu dans le parc ?

-A part les lunettes…et la coupe de cheveux.

-Ça c'est un détail. Je veux parler de la cicatrice sur son crâne, côté droit.

-Il portait un bonnet. Tu penses à un accident.

-Difficile à dire mais il a été gravement blessé. Ça pourrait expliquer le fait qu'il ne nous reconnaisse pas.

Peter se leva et regarda par la fenêtre.

-Qu'est-ce qu'on fait ?

-Comme tu l'as dit, on doit faire confiance à Jared Marjer. Il t'a dit qu'il allait parler avec Neal, enfin Alec. Je suis sûr qu'il reprendra contact avec toi. Il faut seulement attendre.

-Peter ça fait trois ans qu'on attend. Au moins on sait qu'il est vivant et en bonne santé.

Peter était d'accord mais il avait du mal à se dire que Neal vivait à quelques kilomètres de là et qu'il ne pouvait pas lui parler. Il devait être raisonnable et faire les choses calmement. Il avait le sentiment que s'il précipitait les choses, il finirait par le perdre définitivement. Tout reposait sur les épaules d'un homme qu'il connaissait à peine et à qui il devait faire confiance.