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Les mondes de partout et de nulle part
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Disclaimer: Shaman King appartient à Hiroyuki Takei.
JOYEUX NOËL tout le monde!
Et bienvenue dans cette fiction complètement folle!
Cette fois, je n'ai pas fait comme d'habitude, j'ai réuni tous vos cadeaux au sein d'une même histoire! Chaque chapitre correspond à un cadeau pour l'une d'entre vous et se déroule dans un "univers" différent. Ils peuvent se lire indépendamment des uns des autres, ou à la suite, ou bien dans le désordre, sauf l'épilogue qui conclut le tout.
Les titres sont dérivés de vos pseudos et n'ont parfois que très peu de choses à voir avec le sujet des OS.
Certains ne sont pas vraiment des UA, plutôt des uchronies au sein du manga. Quand ça m'arrange, je prends aussi des libertés avec les événements du canon. Il n'y a pas de lien entre les différents textes, donc, mais cela dit, il y a quand même des thèmes récurrents, des choses qui se répondent, comme la folie, les régimes autocratiques, les lieux bizarroïdes, l'oubli, l'enfermement ou... les substances illicites, apparemment. Et Alice au pays des merveilles. Et un personnage, le seul qui soit présent dans chacun des textes.
Pour écrire, ça a été un peu le patchwork. J'ai pris, pour chacune:
– un ou plusieurs de vos couples préférés (en tout cas de ce que je sais!)
– un genre d'UA particulier
– une musique de jeu vidéo
– et trois thèmes.
Enfin, dans chaque OS, j'ai caché au minimum trois citations de Disney!
Voilà, bonne lecture!
Queen of Hearts
Joyeux Noël, Corporal Queen!
La musique: Bioshock Infinite OST – Rory O'More/Saddle the Pony
Les thèmes: Fun - Dragon - Edgar Allan Poe
Avertissement pour bargitude absolue, débauche littéraire et consommation féroce de substances pas très nettes.
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Voici le récit de la folle soirée d'une pauvre âme, venue chercher le réconfort du plaisir, en ces temps sombres où il ne faisait pas bon être un original.
Le héros de cet étrange conte se nommait Horokeu Usui, Horo Horo pour les intimes et "Boro Boro" pour ceux qui l'étaient tellement qu'ils pouvaient tout se permettre. En vérité ces gens-là étaient rares car le jeune homme était d'une nature plutôt solitaire.
Ah la solitude! Il s'y complaisait avec l'élégance d'un pacha. Levé à midi, couché à l'aube, souvent ivre, pouvant demeurer chez lui plusieurs jours sans en sortir, Horo Horo menait une vie dissipée, multiple, diversifiée, en un mot, une vie d'artiste. Et artiste, il l'était. À vrai dire, il était poète. Cela rapportait peu. D'ailleurs il n'était pas bien en cour, car la mode classique était aux poèmes galants, et lui ne savait qu'exalter la nature. Il avait des admirateurs dans les cercles restreints de l'avant-garde, mais celle-ci, ostracisée des sphères du pouvoir, n'avait que peu d'argent. Aussi était-il pauvre et souvent criblé de dettes, ce qui ne l'empêchait jamais de boire, d'être invité à mille dîners faramineux, de recevoir chez lui, aux frais de la famille, d'éditeurs, de mécènes, et encore moins de fréquenter femmes et bonne compagnie.
Ce soir-là, d'un pas allégé par l'enthousiasme, vêtu de sa tenue la plus extravagante, qui révélait à la fois son désir d'élégance et ses vaches maigres, notre Orphée se rendit aux Chimères pour la première fois de sa vie.
Ce doux nom, Les Chimères, était celui d'un lieu de perdition comme on n'en connaît plus aujourd'hui. On y pouvait goûter à la fois les plus délicats raffinements de la bouche, dîners fins, vins exquis et liqueurs de choix, mets rares, mais aussi vapeurs et brumes, drogues diverses et chasses au dragon, le tout accompagné, si on le désirait, d'hommes ou de femmes, clients eux-mêmes ou professionnels, disponibles et disposés à toutes les fantaisies.
En cette antre de folies merveilleuses n'était admis qu'un cercle restreint d'habitués: à la féroce tenancière des lieux, il fallait montrer patte blanche! Car l'endroit, quoique fort connu, n'était pas tout à fait en règle avec le régime du Roi-Esprit, lequel tolérait difficilement l'usage de certaines substances, les incartades sur les taxes de tel ou tel produit, ou encore les pratiques amoureuses "shamaniques" – car on ne badinait pas impunément avec les fantômes, la chair de sa chair, si vous me passez cette ironique expression. Il y avait encore une chose que le Roi n'aimait guère chez notre chimérique alcôve: sa clientèle. En effet, il s'y réunissait quotidiennement des artistes, poètes maudits, écrivaillons de mauvais genre, dandys et gribouilleurs de tous poils, qui y tenaient salon et devaient parfois à ses excès leurs plus remarquables œuvres. Nombre d'entre eux étaient jeunes, ardents et insolents, notamment envers leur souverain et sa politique. C'était parmi les brumes opiacées, au milieu des liqueurs dégoulinant sur les peaux des prostituées, voire même jusqu'entre leurs bras, qu'étaient nées certaines des satires les plus brillantes et les plus osées destinées à son autorité. Or, s'il était vaporeux, immatériel, intangible, le Roi-Esprit n'en avait pas moins une poigne de fer, dont il n'admettait pas que l'on se gausse.
Pourquoi les Chimères existaient-elles encore, en ce cas, me demanderez-vous? Parce que leur fougueux attelage était tenu par la main d'acier, non moins effrayante, d'une des plus extraordinaires femmes de ce temps.
Anna Kyôyama, maîtresse des lieux, dirigeait la fête, conduisait le bal, encourageait aux dépenses comme aux exubérances poétiques, avec une élégance et une discrétion inégalée. Elle veillait sur ses invités comme sur ses employés – on n'eût pas vu un seul mignon, une seule courtisane ou même une simple repasseuse s'y faire maltraiter sans obtenir justice –, pourvoyait au délire général, arrangeait au besoin de fructueuses rencontres entre artistes et imprimeurs, ou entre esseulés en mal d'amour comme de plaisir, elle négociait aussi l'aveuglement des autorités, protégeait les lieux de son aura, comptait l'argent et recevait les hommages de tous, déclarations enflammées, odes ou œuvres dédicacées, tant et si bien que sa collection personnelle seule devait à présent valoir une fortune.
Elle possédait ainsi l'unique exemplaire de l'Antinoüs du tragédien Yôken Asakura, qu'il avait écrit peu avant sa mort, de son propre sang, suite à un pari. Elle comptait également, entre autres pièces rares, une première édition dédicacée des Mille et une flammes, de la grande poétesse Amano Teruko, un texte interdit, si érotique, qu'il pouvait ranimer les sens d'un esprit rien qu'à sa lecture, la partition originale annotée du Violon maudit du comte Faust VIII, ainsi que le légendaire sabre Harusame, vieux de plusieurs siècles, unique, et réparé des mains mêmes de son créateur, grâce à la fusion hyoi.
De ce carnaval sans queue ni tête, elle était la reine. Et s'il y avait un seul être vivant au monde pour lequel le Roi-Esprit éprouvât quelque respect, hormis ses favoris, c'était bien elle.
Les Chimères avaient donc une liste d'invités réguliers très réduite. Inutile d'espérer y entrer sans être auparavant introduit par quelqu'un. Horo Horo avait longuement rêvé sans réel espoir son admission dans ce cercle très privé, dont les volutes scandaleuses l'émoustillaient tout autant intellectuellement que charnellement. Et c'était par l'ami d'un ami, qui y avait déjà passé quelques soirées, que l'on avait pu proposer sa candidature. Un soir, il avait reçu sous sa porte une enveloppe parfumée et cachetée de cire rouge et noire, contenant un simple carton d'invitation vierge. Sachant ce qu'il devait faire, Horo Horo avait matérialisé un esprit dans la carte pour y voir apparaître une simple adresse, écrite à l'encre sympathique.
3, allée des corbeaux
vingt heures
Il savait ensuite comment procéder. Le soir suivant, les Chimères seraient à cette adresse. Le lendemain, elles n'y seraient plus. Après trois invitations soigneusement espacées, Horo Horo serait considéré comme un habitué et recevrait de manière plus simple le lieu et l'heure de la prochaine réunion.
Personne n'avait jamais su comment Anna Kyôyama parvenait à déplacer son fastueux établissement et, à vrai dire, personne n'y prenait garde. Cela avait un charme. Horo Horo connaissait ce fonctionnement et se sentait prêt à toutes les folies pour se faire accepter de la fascinante société.
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Ainsi donc notre jeune ami parvint à l'allée des corbeaux à l'heure dite. Avec un délicieux frisson, il fut introduit par une splendide femme à la chevelure rose, qui arborait, dans le plus complet silence, un masque de renard. Deux mains d'une douceur infinie ôtèrent son manteau au jeune homme, avant de lui indiquer le chemin à suivre.
Il faisait noir, aux Chimères. Des bougies éclairaient l'entrée. On y descendait comme dans le terrier d'un lapin. À chaque marche passée, montait un brouhaha de fête émaillé de rires. Horo Horo parvint enfin à la tenture de velours qui le séparait de son paradis.
Il y avait des tapis orientaux aux murs et des chandelles aux lustres. Des musiciens cachés derrière des paravents ornés d'arabesques, qui répandaient de leurs doigts agiles une musique délicate. Des débordements gastronomiques invraisemblables à tous les coins de tables. Des montagnes de viandes, des saucières dégorgeantes, des pyramides de fruits, des monuments de pâtisseries, des ruisseaux de miel. Des coupes et des carafes débordant de vins de toutes sortes. Des fumées entêtantes et des parfums étonnants qui nappaient les airs d'une brume anonyme. Et des gens, debout ou étendus sur de splendides ottomanes, tous vêtus soit richement, soit de manière excentrique, ou encore relativement dévêtus, c'était selon. Certains étaient masqués. Horo Horo, le cœur battant, reconnut quelques uns des plus beaux esprits de la ville. La salle resplendissait d'une lumière tamisée, orangée, chaude. Il y avait aussi, plus loin, des alcôves discrètes, aux lueurs étranges, et qui s'ornaient de tonalités rouge sang ou vert poison. Un couloir sombre menait à des recoins plus secrets encore, des salles mystérieuses ou des salons privés, où s'orchestraient des plaisirs plus intimes.
On offrit au nouveau venu une coupe de vin, ainsi qu'un étrange regard, lorsqu'il remercia. D'autres yeux s'élevèrent jusqu'à lui et finirent par remarquer que personne ne le connaissait. Il commençait à ressentir les prémices du malaise lorsqu'un visage familier émergea du brouillard et vint à son secours.
Ryû, habillé et coiffé de façon fort peu conventionnelle, à son habitude, l'accueillit de son large sourire.
– Horo Horo! Tu es des nôtres, ce soir! Ah, j'en suis ravi! Viens par-là!
Ryû, ou le dragon au sabre de bois, comme on l'appelait, prince des épéistes et danseur-interprète de talent, était la muse du peintre fantôme Tokageroh. L'esprit affichait une décrépitude due aux excès de sa vie passée, mais rien de son apparence de vieux lézard ne révélait la somptuosité de ses toiles envoûtantes et riches, dont Ryû était généralement le personnage principal. C'est ce qui valait au jeune homme d'être un des habitués des Chimères, outre son art de la danse du sabre. Il fit signe à Horo Horo de le suivre jusqu'à l'une des niches du côté, non sans l'encourager à piocher dans les plats, ce que son hôte fit sans tarder.
L'alcôve où Ryû se tenait abritait le vieux peintre, flanqué de deux jeunes filles, manifestement embauchées pour lui tenir compagnie ainsi qu'à son modèle, un certain comte Faust VIII, dont nous avons déjà parlé, qui flottait déjà dans l'hébétude de la morphine dont il abusait fréquemment, un homme torse nu aux traits émaciés et à la chevelure étonnante, et enfin, une femme, grande, mince, svelte, alanguie près de sa pipe d'opium, d'une beauté et d'un raffinement étourdissants.
Ryû fit les présentations à un Horo Horo tremblant et les tripes en berne. Il était assis juste à côté d'un des portraitistes et d'un des compositeurs les plus originaux de son temps. Il n'avait pas la moindre idée de qui pouvaient être les deux autres, mais pas du menu fretin, c'était sûr.
L'homme au torse dénudé se nommait Peyote Diaz et en reconnaissant son nom, notre jeune poète reçut un coup au cœur.
– Vous! s'écria-t-il. C'est… c'est un honneur immense de vous rencontrer!
Diaz avait ceci d'exceptionnel qu'il était aussi bien reçu dans les milieux souterrains qu'en cour. Le Roi-Esprit lui avait fourni pensions et titres dès le premier soir où il l'avait entendu interpréter Le Songe de la Lune sur une guitare à trois cordes.
Quant à la femme qui se trouvait à son côté…
– Appelez-moi Jun, répondit-elle à la question silencieuse de Ryû, et en tendant une main racée à l'odeur délicate, que Horo Horo effleura de ses lèvres.
La compagne de soirée de Peyote, devina-t-il en buvant son regard mystérieux. Mais il n'en était visiblement rien, puisqu'elle se tourna vers lui dès qu'il fut assis. À moins que cela ne fasse partie de leurs jeux, naturellement.
– Ryû nous dit que vous êtes poète, amorça la jeune femme en tétant l'embout de sa pipe.
Comme son compagnon, elle arborait une chevelure verte saisissante. Tout le reste de sa personne semblait être fait de la même matière viride, superbe et effrayante, qui lui donnait des allures de serpent… ou de dragon, plutôt, en accord avec le motif de sa jupe fendue et l'opium grésillant qu'elle fumait. Horo Horo inspira un peu d'air et avala une gorgée de son vin.
– Autant que je peux.
Le sourire infini se rapprocha.
– Sauriez-vous nous composer quelque chose, là, tout de suite?
Cherchant à éviter son regard trop incisif, Horo Horo abaissa le sien sur ses mains.
– Votre verre se plaint.
– Comme c'est bien tourné, s'amusa Jun.
– Ce n'était pas un vers, mais la vérité. Voulez-vous que je le remplisse?
– Emplissez, emplissez, approuva-t-elle avec un rire de sirène.
Horo Horo s'éclipsa.
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Il s'amusa, au passage, de reconnaître tant de grands noms, et cette farandole lui fit tourner la tête, au point qu'il oublia momentanément son but premier. Ayant reconnu Sati Saigan, une romancière audacieuse, dont il révérait le talent et la délicatesse, il voulut faire sa connaissance et la suivit. Mais elle s'éclipsa en compagnie de deux autres femmes vers les espaces tendus de gaze et de voiles des salons privatifs. Abandonnant son projet, Horo Horo reporta son attention sur la salle et laissa son regard filer vers une loge d'honneur, légèrement surélevée, où trônait Anna Kyôyama. Le jeune poète allait la saluer, lorsqu'il vit un homme, nonchalamment accoudé à la rampe de l'escalier, et qui la dévorait des yeux d'un air tout à la fois tendre et malfaisant. Son sang se glaça.
Levons le suspense immédiatement, cher lecteur, car je sens que tu t'interroges: l'homme était Hao Asakura, le plus fidèle serviteur du Roi-Esprit, son bras droit, son âme damnée. Lui seul, disait-on, avait la confiance du roi, lui seul était investi des missions les plus délicates. Son pouvoir était immense, son aura effrayante et son approche fatale. Nul être en ce monde n'aurait osé lui tenir tête. Il avait ses entrées partout et sa parole avait force de loi.
Que faisait l'agent du Roi-Esprit aux Chimères?
En se rapprochant, fatalement attiré par le couple comme un papillon par la lumière, Horo Horo entendit:
– Combien de fois et en combien de langues faudra-t-il que je vous répète que ma réponse est non?
– Jusqu'à ma mort, sans doute. Vous savez que je suis plus patient qu'un chat.
Anna eut un petit sourire lointain.
– Vous avez vos entrées ici. Ma table est la vôtre, mon vin est versé en votre honneur, mes employés se soumettent à vos moindres désirs. Cela ne vous suffit donc pas?
Horo Horo prit à cet instant la mesure réelle de l'influence d'Anna: pour se permettre de badiner, de négocier ou même de refuser quoi que ce fût au seigneur Hao Asakura, duc de la Flamme, pair et protecteur du royaume, cette femme devait être une déesse descendue des cieux.
– Non, ma tendre, ajouta Hao avec un air gourmand. Il me manque, pour qu'une soirée ici soit parfaite, la plus parfaite des femmes.
Anna rit plus franchement, cette fois.
– Je la connais. Elle ne se trouve pas ici. Dois-je la faire appeler?
– Quelle modestie, s'amusa Hao en jouant à promener ses doigts sur le bras d'Anna. Je ne vous comprends pas. Vous êtes la seule, ici, qui ne s'amuse jamais.
– Mon plaisir est ailleurs, répondit-elle laconiquement, les yeux tournés vers la fête.
– Vraiment? Cela m'intrigue.
– J'en prends notamment à faire enrager les amoureux présomptueux, rétorqua-t-elle en lui faisant les gros yeux.
– Oh Anna, sourit-il alors avec perfidie, si seulement quelqu'un était vraiment amoureux de vous!
Il lui baisa gracieusement la main. À quoi elle répondit sur un ton plus joyeux:
– Vous devriez donc vous remettre sans problème de mon refus.
– Je n'aurai de cesse que vous me cédiez encore, ma chère.
– Prenez garde que je ne vous fasse pas chasser d'ici devant tout le monde.
– Il me faudrait moins de temps pour cesser de fermer les yeux et vous faire emprisonner.
– Allons, Monseigneur, rétorqua Anna, toutes griffes dehors, cette fois, malgré sa jovialité. Comment occuperiez-vous vos nuits si mes Chimères n'étaient plus là?
Horo Horo ne parvenait pas à s'en aller, stupéfait par le culot de la jeune femme. Mais il n'y avait pas que ça. À les entendre tous deux, on devinait quelque chose de profond entre eux. Une relation privilégiée. Une ancienne complicité, du respect, qui résonnait, par-delà leurs piques, leurs fausses menaces et leur semblant d'animosité. Et aussi une bonne dose de souffre, de quoi faire rougir un rocher.
Quoi qu'il se fût passé entre eux par le passé, c'était, à coup sûr, une histoire à ne pas mettre entre toutes les mains.
Il parvint enfin à rompre le charme et à s'éloigner, avant qu'Anna ou Hao ne le repère. Les invités s'étaient à présent retirés de la salle principale, délaissant le dîner pour lire, chanter, déclamer, rire, s'ébattre sur les sofas ou encore dans les alcôves. Horo Horo rejoignit celle qu'il avait quittée, en n'oubliant pas de ramener le verre de Jun.
– Je vous assure que son pantalon était couleur moutarde, s'esclaffait Ryû lorsqu'il arriva.
La belle au dragon éclata d'un rire de gorge profond.
– Moutarde? Ne soyez pas ridicule!
– Voilà la preuve que le bon goût est la chose du monde la moins partagée, ne put-il s'empêcher de dire.
– Vous revoilà, où aviez-vous disparu? susurra-t-elle, ondulante.
Évasif, Horo Horo lui tendit son verre.
– Nous pensions que vous vous étiez égaré en compagnie de quelque pensionnaire.
– Je n'aurais pas eu le cœur de vous quitter.
– Flatteur. Pour la peine, voulez-vous partager?
Elle lui tendit l'embout de la pipe qu'elle n'avait cessé de fumer. Horo Horo hésitant, elle aspira la fumée, la garda quelques secondes et lui tendit les lèvres pour l'exhaler directement dans sa gorge. Sa main, à peine plus lourde qu'une feuille morte, effleura sa cuisse. Gêné, Horo Horo ne sut que faire. Il ne pouvait pas expliquer… c'eût été grossier.
Jun plissa les yeux, les siens fuirent son regard.
– Navré, je…
La fumée jaillit sagement de ses narines. Jun recula, parfaitement sereine.
– Oh, n'ayez crainte. Je comprends.
Elle ajouta, sur le ton de la confidence:
– J'ai ce qu'il vous faut.
Puis, elle héla une des filles qui entouraient Tokageroh:
– Fais venir mon frère, veux-tu?
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Le nom du frère de Jun coula de sa bouche lorsqu'il se présenta.
– Ren, nous t'attendions.
Et Horo Horo, à sa vue, fut frappé.
La sœur était belle, et le frère la valait bien. Une poigne de fer descendit dans l'estomac de notre héros tandis qu'il détaillait sa silhouette. Et lorsque le jeune homme tourna son regard vers lui, il se crut sur un bûcher. Happé, maintenu, figé, transi et… au supplice à la fois. L'œil était safrané, d'une couleur d'or liquide étonnamment glaciale, qui, en se posant sur Horo Horo scintilla d'un terrible éclat de dédain.
Horo Horo n'entendit pas Jun les présenter. Pas plus qu'il n'entendit Ryû, Tokageroh et Peyote rire doucement de sa stupeur. Il remarqua seulement la note d'agacement qui se peignit sur le visage de Ren, comme les plaisanteries adressées à Horo Horo rejaillissaient sur lui, la morgue fière qui animait son visage et l'indifférence avec laquelle il se détourna de lui.
– Tu tiendras compagnie à notre ami? demanda négligemment Jun avant de revenir à Peyote.
"L'ami" fut à nouveau dévisagé, détaillé, de fond en comble, avec un aplomb et une sévérité qui firent perdre pied à Horo Horo.
Je ne lui plais pas, constata-t-il.
Et, avec stupeur et humiliation, il réalisa qu'il en concevait de la peine.
Ren s'assit en face de lui et ne consentit pas à fumer avec sa sœur. Il tenait à la main un verre plein, empli d'une substance étrange et ne parut pas pressé de participer à la conversation. Jun continuait à animer celle-ci avec autant de charme et de brio qu'auparavant, sans paraître affectée d'une quelconque manière par la fumée qu'elle inhalait ou les alcools qu'elle buvait.
– Je lui ai alors dit, capta Horo Horo entre deux rires. Je ne veux plus jamais voir un homme nu de ma vie!
– Et tu as perdu ce pari, devina Ryû, goguenard.
– Oh oui. À la seconde suivante. Car devinez la première chose qu'il fit après ça…
Tout le monde rit, sauf Ren, qui leva les yeux au ciel, mais avec une pointe d'amusement, cependant. Qui disparut bien vite lorsqu'il s'aperçut qu'Horo Horo l'avait remarquée.
Notre poète se demanda comment le frère pouvait se permettre de mépriser ainsi les potentiels clients qu'il rencontrait. Cela ne devait pas affrioler grand monde. Était-il à ce point sûr de ses charmes et de sa puissance? À moins que ça ne soit une stratégie, justement. Si c'était vrai, le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il en faisait les frais.
Il remarqua soudain qu'on lui parlait.
– Pourquoi ne pas nous lire un de tes poèmes? demandait Peyote.
(Vous l'avez remarqué, tous étaient passés au tutoiement. Le genre de choses qui arrivait naturellement passé une certaine heure. Ou certain nombre de verres.)
Horo Horo hésita, pris au dépourvu. La rougeur couvrit ses joues, il la sentit, mais remercia les cieux que personne ne puisse la voir. Ryû et Tokageroh approuvaient d'un signe de tête. La demoiselle enchâssée au vieux peintre avoua qu'elle raffolait de poésie, en particulier de chants épiques et commença à en déclamer, imitée par son amant du soir.
En temps normal, Horo Horo se serait exécuté avec plaisir, face à ce public indulgent, amical, et surtout, connaisseur de ce sentiment angoissant qui vous prend lorsque vous dévoilez une de vos œuvres. Oui, n'eût été la présence de Ren, il n'aurait pas hésité.
Mais il craignait le jugement du bel indifférent.
Amusé, celui-ci en conclut:
– Je crois que nous lui faisons peur.
Piqué au vif, Horo Horo se leva. Il chercha quelque chose à répliquer: rien ne vint.
Rien sinon les strophes de sa dernière composition.
Alors il ouvrit la bouche et récita.
Les vers coulèrent, bruts, acérés, coupants, diamants non taillés qui exaltaient la montagne, la glace, les étoiles. Un monde transparent et vertigineux s'ouvrit par sa voix tandis qu'il s'enhardissait, révélait ces strophes encore non travaillées, éructantes, dans la langue des avalanches, des rocailles et des crevasses. L'orage tonnait dans ses mots, l'éclair frappait les pics brumeux, les volcans s'éveillaient sous la glace, la cendre s'élevait des abîmes, la nature toute puissante reprenait ses droits, le givre recouvrait toute chose, la neige ensevelissait les imprudents qui l'écoutaient et les glaçaient jusqu'aux os, jusqu'à faire frissonner leurs âmes.
Lorsqu'il eut fini, seul le silence lui répondit. Le brouhaha de la fête revint peu à peu à ses oreilles, et son auditoire, saisi, parut se réveiller d'un enchantement.
– C'était… commença Jun sans pouvoir trouver ses mots.
– Comment dire…
– Je ne sais pas ce que c'était… dit finalement Peyote, mais c'était quelque chose.
Approbation de ses voisins.
– Il y a de la force, là-dedans, mon garçon. Beaucoup de force. Ce n'est pas parfait, mais… c'est captivant!
Horo Horo commença seulement à se détendre. Ils avaient aimé?
Il quêta l'avis de Ren, assis à l'écart.
– Il y a encore beaucoup de travail, décréta-t-il avec nonchalance. Mais je te concède une petite étincelle de talent.
Horo Horo eut l'impression d'avaler une gorgée d'air glacée. Il ne savait s'il venait de recevoir une blessure mortelle, ou s'il avait au contraire remporté une grande victoire.
– Et toi? attaqua-t-il sans réfléchir. Y a-t-il un seul talent que tu puisses nous montrer?
– Moi, répondit Ren avec un sourire plein de morgue, mes talents je ne les montre qu'en privé.
– Nous sommes entre nous, railla Horo Horo. Je viens de vous offrir un bout de mon âme. Tu peux bien faire un geste, n'est-ce pas?
– Un poème ne suffit pas à s'offrir mon art, rétorqua l'autre avec perfidie.
De plus en plus agacé, Horo Horo ne sut que répondre. Il devait regretter ce geste par la suite, mais sur le moment, cela lui parut juste assez insultant et élégant pour moucher l'odieux personnage.
D'un geste vif, il attrapa sa bourse et la lança à Ren. Celui-ci ne manifesta aucune surprise, pas plus qu'il ne tenta de l'attraper. L'objet tomba au sol dans un bruit de métal. Un grand silence suivit ce geste.
Sans le lâcher des yeux, Ren articula lentement:
– Ce n'est pas assez.
– J'attendrai de voir si tu vaux vraiment plus avant de hausser le prix, siffla Horo Horo.
Ren resta immobile puis lâcha prise, secoua la tête et ricana.
– Abandonne.
– Pourquoi?
– Parce que je peux me permettre de choisir mes clients. Et parce que tu n'es visiblement pas à la hauteur.
Le cœur d'Horo Horo allait probablement jaillir de sa poitrine à force de tambouriner. De colère, de frustration, d'humiliation, d'excitation.
– Tu ne peux pas savoir avant d'avoir essayé, répliqua-t-il, sans appel. Et si vraiment je ne t'intéresse pas, personne ne te retient.
Quelque chose vacilla sur son visage, Horo Horo le vit malgré la fumée. Enfin. Une faille.
– Je te trouve divertissant quand même, finit par répondre Ren, en faisant visiblement appel à toute la condescendance dont il était capable.
– Eh bien, en attendant, moi, je m'ennuie, répliqua Horo Horo. Veux-tu bien avoir la gentillesse d'aller chercher un de tes collègues?
Il se leva, récupéra sa bourse et en profita pour lui tendre sa coupe.
– Au passage, tu pourras remplir mon verre.
Ren se leva. Très lentement. Horo Horo se réjouit de constater qu'il le dominait d'une demi-tête. Mais cela ne découragea pas le jeune homme.
– Tu n'as vraiment peur de rien, toi, siffla-t-il entre ses dents.
– Pourquoi devrais-je craindre un giton?
Ren semblait sur le point de se mettre en colère, mais il n'en fut rien. À la place, il eut à nouveau son petit rire méprisant qui mettait à vif les nerfs de son adversaire, secoua la tête comme s'il trouvait tout cela très amusant, s'empara de la coupe et sortit.
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Dès son départ, Horo Horo se rassit, en tremblant de tous ses membres. Il avait la bouche sèche et les jambes en coton. Quelques minutes avaient suffi pour le mettre hors de lui, à tous les niveaux. La tension de leurs échanges, l'agacement et la frustration l'avaient épuisé. Mais l'effroi de livrer une création encore aussi fraîche devant un public aussi prestigieux y était sans doute aussi pour quelque chose.
Autour de lui, ses amis s'étaient lancés dans une conversation qu'il ne chercha pas à partager. Faust s'était allongé, béat, les yeux perdus dans le néant. Soudain, une idée lui traversa l'esprit. Il s'empara du carnet qui ne le quittait pas et de son porte-plume. Déchirant une page, il écrivit six vers, replia le papier et le laissa en évidence à la place de Ren.
Lorsque celui-ci revint, le verre d'Horo Horo rempli, le jeune poète nota qu'il était revenu seul, ce qui le conforta dans les quelques fibres d'espoir qui lui restaient.
Ren s'empara du message, jeta un coup d'œil perplexe à Horo Horo, lequel éleva son verre dans sa direction. Le jeune homme l'ouvrit et commença à lire.
"Aime-moi, brise-moi, foudroie-moi
Je ne crains rien qui vienne de toi.
Vas, sois fier, tu peux bien m'ignorer,
Le froid ne m'a jamais dérangée."
Ren fronça les sourcils et Horo Horo sut qu'il reconnaissait les premiers vers de la plus célèbre tirade de Seyrarm, l'amante incestueuse de la tragédie des Enfants du golem, qui poursuivit son frère de ses avances jusqu'à mourir et n'obtint l'aveu de ses sentiments réciproques qu'aux portes de la mort. Il devina aussi, à sa tête, qu'il en connaissait parfaitement la suite.
"Qu'il est doux l'éclat de ta fureur!
Je commence à croire que tu as peur…"
Ren replia le papier et planta son regard dans celui d'Horo Horo. Furieux, cette fois.
– Ce n'est pas de moi, mais tu le sais, n'est-ce pas? ironisa celui-ci.
Quelque chose s'était renversé. Il l'avait atteint. La raideur et le mépris de Ren n'avaient plus rien de supérieur. C'était la rage de l'impuissance qui le dominait à présent. Une colère dont Horo Horo découvrait les rênes et avec laquelle il prenait plaisir à jouer.
– Je dois dire, remarqua-t-il avec fatalisme, que je t'imaginais plus aventureux.
Ren froissa brutalement la feuille. Ses jointures étaient blanches et ses fameux yeux jetaient – ô ironie – des éclairs.
Avec un frisson, Horo Horo vit se peindre sur son visage un petit sourire de serpent.
– Si c'est un défi, c'est différent.
Horo Horo le toisa, peu enclin à céder à présent qu'il était maître du jeu. Il faillit dire "Trop tard. Ça ne m'intéresse plus.", mais quelque chose le retint. La peur de perdre sa chance, peut-être. Car, il n'allait pas se mentir, bien sûr que ça l'intéressait. Il en avait les sangs en ébullition. Et Ren le voyait bien, qui lisait dans ses prunelles comme dans un livre ouvert.
– Tu es sûr de toi? Tu ne sais pas à quoi tu t'engages…
– Non et tant mieux, rétorqua Horo Horo. Je ne m'intéresse pas à ce que j'ai déjà eu.
Ils se jaugèrent, intensément. À côté, Jun et Peyote s'enroulaient l'un autour de l'autre, comme un nœuds de vipères. Ryû, Tokageroh et leurs amies étaient partis, ils ne s'en étaient même pas aperçus. Faust n'avait pas bougé.
– Allons ailleurs, suggéra Ren.
– Je te suis.
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Les brumes avaient totalement envahi les Chimères – si bien nommées – au point qu'on n'y voyait plus à trois pas. Horo Horo sentit quelques mains l'effleurer, au passage, et parcourut le couloir obscurci qui menait aux salons particuliers. La dernière coupe de vin lui avait été fatale, mais il ne s'en était rendu compte qu'en se levant, tout occupé de la griserie de sa réussite. Il tanguait sur ses jambes et se retenait à son compagnon. Les visages qui l'entouraient lui paraissaient déformés, comme des masques monstrueux. Un brouillard rouge obscurcissait sa vue, mais il n'en connaissait pas l'origine. Les bruits alentours s'estompèrent finalement, la lumière disparut, l'odeur changea, une atmosphère plus fraîche s'installa, une porte claqua et les isola du monde. On n'y voyait rien et on n'entendait plus grand-chose hormis leurs deux souffles.
Horo Horo chercha Ren à l'aveugle et sentit le vertige l'engloutir.
– Tu as mis quelque chose dans mon verre, devina-t-il.
Une ombre se dressa devant lui, deux lèvres happèrent sa bouche. Des dents aiguisées le mordirent. Il sursauta et se retira.
– Tu n'en mourras pas.
Horo Horo transi, brûlant, perdu, se traita d'imbécile. Il ne maîtrisait rien. Rien du tout. Une marionnette aux doigts d'un sorcier. Une âme encagée par le diable. Un rat pataud et lourd, coincé dans une souricière trop étroite pour lui. Après tout, que faire? Il était prévenu!
Il se sentit brutalement tomber sur quelque chose de mou. Un poids l'oppressait. Des mains d'une précision et d'une habileté sans limite le fouillèrent et lui ôtèrent ses vêtements. Il les sentit même se glisser dans sa poche de poitrine et en extirper sa bourse, remplie de pièces d'or. Oh tant pis. Ça les valait bien.
Il se laissa d'abord faire avec délices, avant qu'une braise d'un genre nouveau s'empare de lui et lui fasse renverser son amant sur le dos. La chose dans mon verre, qui est censée ne pas me tuer, songea-t-il, avant d'y céder, fou, enivré, et de se laisser chuter dans les abysses tentaculaires d'ardeurs et de folies hallucinées… Brasiers, fleuves, emportement, rocs, cascades, glace, braises, souffles, flocons, salive, mirages, appel, étreinte, chaleur, frénésie, fureur, coups, meurtrissures, cicatrices, effleurement, caresses, murmures, entrelacs, soupirs, attente, frustration, griffures, silence, imminence, reprise, poigne, cris, chair, rougeur, délire, morsures, fracas, chute, délivrance.
Néant.
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Vous vous en doutez tous un peu: quand Horo Horo s'éveilla, il était seul.
Pensant que Ren avait dû se lever avant lui, il se rajusta, vaguement gêné par le désordre qui régnait. Un champ de bataille de draps et de mobilier en vrac l'entourait. Il quitta la chambre où il avait dormi en laissant tout tel quel. Il avait hésité à remettre de l'ordre avant de décider que ce n'était pas la peine: aux Chimères, on devait avoir l'habitude.
Partout ailleurs, un personnel discret nettoyait les décombres de la fête. Horo Horo chercha Ren, mais ne le trouva pas. Pas plus que sa sœur.
– Parfait, fit Anna lorsqu'il se présenta, perplexe et encore tout hébété, pour partir. Vous êtes le dernier. J'espère que la soirée s'est bien passée.
Il hésita, s'enhardit, demanda:
– Il y avait un homme… et sa sœur. Ren et Jun. Vous les connaissez?
Le front d'Anna se plissa.
– Oui pourquoi?
– Je… J'étais…
– Oui, vous étiez avec lui, je l'ai bien vu.
Sa mine était pincée.
– Je voulais savoir… qui sont-ils? Est-ce qu'ils travaillent pour vous?
– Eux? Anna eut un rire sec. Certainement pas. Ce sont des clients.
Horo Horo crut avoir mal entendu.
– Comment?
– Ce sont les enfants du prince En, de la maison Tao. Jun est duchesse du Dragon et pair du royaume. Ren est pour l'instant comte de l'Orage et héritier du titre, ainsi que de toutes les autres possessions de la famille.
Horo Horo sentit l'horreur l'envahir, avec la compréhension.
– Un prince? souffla-t-il, d'une voix mourante.
Anna le sonda lentement.
– Vous les avez pris pour des professionnels, comprit-elle.
Elle leva les yeux aux ciel et secoua la tête, avec un soupir las qui révéla à Horo Horo qu'il n'était probablement pas le premier à commettre cette erreur.
– Il viennent s'encanailler ici et parfois, ils se font passer pour des prostitués auprès des nouveaux arrivants. C'est… un de leurs plaisirs favoris. Nous avons ici bien des débauchés, mais eux sont impitoyables et sans morale, ni honneur. Leur père ignore tout, bien entendu, et il vaut mieux que ça continue. Vous ne leur avez pas donné trop d'argent, j'espère?
Horo Horo finit par réussir à avaler sa salive.
– Je vois, fit Anna, pensive. Je peux parler à la duchesse, vous savez. L'argent ne les intéresse pas, naturellement, c'est le vol et le mensonge qui leur plaît… Le défi, en somme. Si je lui parle, peut-être que…
Horo Horo lâcha la rampe. Ses mains étaient moites. Il avait la nausée.
– N'en faites rien, lâcha-t-il. Au revoir.
Et il s'enfuit.
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La lumière froide du soleil hivernal le transperça. Ses tempes douloureuses et son estomac vide, embrumé d'alcool et d'immondices inconnues, protestèrent, tout comme, disons-le, ses ecchymoses. Il avait bien failli ne pas réussir à remonter l'escalier. Il serra les dents et sortit d'un pas vacillant. Les couleurs crues du jour bien entamé chassaient les ombres chinoises de la nuit, comme un réveil brutal chasse le rêve que l'on vient de faire. Il faisait froid, un froid vif et piquant, comme il les aimait. Mais ce matin, le jeune homme n'en éprouva aucun réconfort.
Glissant ses mains dans ses poches désespérément vides, il trouva son carnet, qu'il sortit machinalement.
Une page s'en échappa.
Le cœur battant, Horo Horo lut le message qui lui était adressé, au dos de celui qu'il avait laissé pour Ren.
"Folie barbare mais délicieuse
Ne trouvera point de fin heureuse."
La toute dernière réplique des Enfants du Golem. Prononcée sur le cadavre encore chaud de Seyrarm par son frère, avant qu'il ne disparaisse. La pièce s'achevait sur un mystère, quant au destin de Reoseb. Horo Horo n'eut pas envie de rire.
Son pas résonnait sur les pierres. Au-dessus de lui, un corbeau s'envola en croassant.
Horo Horo frissonna. Soudain, l'inspiration.
– Jamais plus, s'écria-t-il funestement.
À regret.
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