Natsuki rouvrit les yeux. A quelques centimètres d'elle, les yeux de Shizuru la fixaient, entre incompréhension et crainte. En une seconde, Natsuki fut traversée par une vague de joie, à la fois bonheur d'être vivante et plaisir d'être auprès de cette jeune femme magnifique, puis poignardée par une douleur froide, horrible. Des bribes de souvenirs lui revinrent et la glacèrent : une bouche rouge qui s'approchait, une main brûlante qui parcourait son corps endormi, violant son intimité, et enfin cette même main qui tuait l'être précieux de Yukino, puis de Nao, les gens du labo… Les yeux de Natsuki s'écarquillèrent d'horreur, ceux de Shizuru s'assombrirent de tristesse. La présidente s'écarta et baissa la tête. Natsuki se sentit à la fois soulagée et désolée de ce geste.
Elles n'auraient jamais dû revenir à la vie. Shizuru avait fait trop de choses atroces, Natsuki en avait trop vu. La mort aurait été la meilleure solution, la plus douce. Et quoi de mieux que mourir avec celle qu'on aime mais dont on ne peut pas pardonner les crimes ? La mort efface les crimes, la vie les rend insupportables.
Il fallut malgré tout se lever, plaquer un sourire faux sur ses lèvres et partir avec les autre hime ressuscitées aider Mai à vaincre le prince. Il fallut soutenir les regards de Yukino et Nao. Peut-être aurait-il aussi fallu soutenir celui de Shizuru ?
Cette nuit-là, après avoir contribué à sauver le monde et les futures hime, Natsuki et Shizuru allèrent s'asseoir dehors, sur l'herbe sombre qu'agitait un vent froid, côte à côte, le regard rivé sur la lune.
« Je suis désolée, chuchota Shizuru après un long silence douloureux.
- Je sais… Je t'aime vraiment, mais je ne sais pas si je peux te pardonner…
- Je comprends… Je… Je suis désolée. Je ne voulais pas… »
D'une voix rendue rauque par l'amertume, Shizuru ajouta :
« Je t'aime trop. »
Les deux jeunes filles méditèrent sombrement cette parole. Un nuage couvrit la lune.
« Est-ce que tu pourrais me prendre dans tes bras ? demanda Natsuki d'une petite voix avant d'ajouter précipitamment, non sans un léger frisson : juste un câlin. »
Shizuru eut un sourire triste et serra celle pour qui elle avait tué, celle dont elle avait profané le corps entre ses bras tièdes. Bonheur et tristesse. Tendresse et peur… Natsuki ferma les yeux.
Tout n'était peut-être pas perdu.
