Disclaimer : les personnages et l'univers de Prince of Tennis appartiennent à Takeshi Konomi. Je ne retire aucun profit de leur utilisation si ce n'est le plaisir d'écrire et d'être lue.
Je considère que l'histoire se déroule dans une réalité parallèle en tous points, ou presque, semblable à la nôtre puisque les techniques surréalistes inventées par l'auteur n'existent tout simplement pas pour la plupart. Ceci n'est pas un reproche, juste un constat.
Note : je me base uniquement sur l'animé, je ne connais pas le manga. Cette histoire se passe une dizaine d'années après le titre national de Seigaku. Les personnages ont donc terminé leurs études et travaillent.
Je suis tombée sous le charme rafraichissant de Prince of Tennis et mon imagination a fait le reste. Il s'agit de ma première fic dans ce fandom. J'ai fait de mon mieux pour que les personnages ne soient pas trop OOC. J'en appelle à votre indulgence. La rédaction de cette histoire est terminée. Elle comporte trois chapitres qui seront postés toutes les semaines. J'espère que ça vous plaira.
Bonne lecture.
Chapitre 1
Debout en haut des gradins, Yukimura regardait cette équipe vêtue de vestes noires qui défiait les joueurs du cours numéro deux. Il était fasciné par les progrès qu'ils avaient faits. Des progrès à ce point fulgurants qu'ils étaient en train de détrôner les titulaires.
Mais ces yeux revenaient toujours sur l'un d'eux. Celui entre les mains duquel il avait remis l'équipe de Rikkaidai Fuzoku, contraint et forcé. Il se sentait encore coupable aujourd'hui d'avoir fait peser une telle responsabilité sur les épaules de son Vice-Capitaine. Pas que Sanada ne soit pas à la hauteur, il l'avait démontré. Mais mener seul une équipe en finale du tournoi du Kanto, en ayant à l'esprit que l'un des membres de cette équipe, et non le moindre, jouait son avenir de sportif de haut niveau au même moment dans un bloc opératoire, ce n'étaient pas là les meilleures conditions pour vaincre l'adversaire. Surtout quand cet adversaire se nommait Seigaku.
Il ne cherchait pas d'excuse à leur défaite. Rikkaidai n'avait pas démérité, loin de là. Seigaku s'était juste montré plus fort. Enfin… il était inutile de revenir sur le passé puisqu'il était impossible de le changer.
Changer. C'est justement ce que Yukimura constatait actuellement. Il observait à quel point son Vice-Capitaine avait changé. Sanada était un roc, mais là, il y avait autre chose. Une chose qu'il ne lui connaissait pas. La rage. La rage de vaincre. C'était un joueur calme, réfléchi, confiant en ses capacités et ses qualités qui lui avaient maintes fois apportées la victoire. Mais là, c'était différent. Il voyait briller dans ses yeux une flamme, non ! un brasier qui n'existait pas auparavant.
D'abord, l'humiliation de la défaite ensuite, la dureté de l'entrainement dans la montagne, il était revenu de l'enfer avec une détermination et une rage qu'il ne lui connaissait pas. Et Yukimura aimait ça. Un Sanada comme ça et Rikkaidai serait intouchable l'an prochain. Parce que lui aussi était bien décidé à mener l'équipe sur les plus hautes marches de tous les podiums et Capitaine et Vice-Capitaine entraineraient derrière eux tous les autres membres du club. Même si en entrant au lycée, ils seraient considérés comme des premières années, il ne faisait aucun doute qu'ils seraient titularisés. Il en était persuadé.
Il regarda avec une joie contenue mais bien présente, les titulaires du court numéro deux se faire laminer par "les vestes noires". Le bras de fer pris fin et les revenants reprirent possession des chambres qu'ils occupaient en arrivant au camp. Silencieux, Sanada longeait les couloirs du dortoir et arriva devant la porte de sa chambre.
- Entre, fit la voix de son Capitaine dans son dos. Que crains-tu ?
- Je m'y sentais bien quand je suis arrivé, répondit-il sans se retourner. Maintenant…
- Maintenant ? - Je me sens comme… comme un usurpateur.
- Un usurpateur ? s'étonna Yukimura en s'approchant pour le contourner et lui faire face.
- J'ai été chassé du camp…
- Et malgré l'exploit que tu viens… que vous venez d'accomplir, tu ne t'estimes pas digne d'être à nouveau parmi nous.
Sanada releva les yeux vers son Capitaine qui fut encore frappé par l'expression de son regard. Il lui sourit doucement. Il savait parfaitement que son sourire avait la faculté de désamorcer des situations explosives. Et il sentait Sanada sur le point de craquer. Mais pas en se mettant en colère pour libérer la pression trop forte induite par ce qu'il avait vécu. Non. Craquer. Exploser en hurlant cette rage toute nouvelle qui l'habitait. Et ça fonctionna. Le Vice-Capitaine baissa les yeux et posa la main sur la poignée de la porte qu'il ouvrit.
La pièce n'avait pas changé. Du côté du lit de Yukimura, l'armoire était entrouverte et laissait apercevoir les affaires rangées sur les étagères et pendues sur les cintres. Quelques livres étaient posés sur le bureau à côté de l'ordinateur portable éteint. Contre le mur, à droite de la fenêtre, il y avait le sac de sport avec les manches des raquettes qui dépassaient de la fermeture et les baskets étaient rangées sur la terrasse. De son côté, tout était vide. Sanada posa son sac sur le lit et commença à le vider sous l'œil attentif de son Capitaine. Lorsqu'il eut fini, il le rangea dans le bas de l'armoire.
- Tu devrais prendre une bonne douche bien chaude. Ça a dû te manquer, non ?
- Tu n'imagines pas à quel point, soupira Sanada en s'asseyant sur le lit face à son ami. L'eau des rivières de montagnes est vraiment glaciale.
- Alors n'attends plus. Ensuite nous irons diner.
Il entendit l'eau couler pendant un bon quart d'heure. Sanada profitait à fond de cette merveilleuse invention moderne : l'eau chaude. Yukimura attendit encore quelques minutes avant de voir sortir son Vice-Capitaine avec une simple serviette autour des reins.
- Alors tu te sens… mieux ?
C'était toujours à ce moment que Yukimura se réveillait. Depuis qu'il l'avait aperçu dans la foule sur le quai du métro, il avait commencé à faire ce rêve. Il y avait tellement de monde à cette heure qu'il avait fini par le perdre de vue. A la fin de leur troisième année de collège, les parents de Sanada avaient déménagé et bien sûr, il les avait suivis. Il avait gardé le contact avec ses anciens co-équipiers via internet et le téléphone. Mais il n'avait jamais eu l'occasion de les revoir. A travers ses messages et ses coups de fils, Yukimura sentait que son ancien Vice-Capitaine n'allait pas bien. Il avait intégré un lycée où il y avait bien une équipe de tennis, mais le sport roi de l'établissement était le football américain. Alors, il n'avait fait que s'entrainer comme il le pouvait quand il trouvait un adversaire qui acceptait de lui faire face. Et de toute évidence, il n'y avait personne à sa hauteur. Sanada dépérissait.
Ce matin là, en se rendant à son travail, Yukimura était loin d'imaginer que sa vie allait être complètement bouleversée. Il était employé au service logistique d'une société de transports routiers. Après des études de gestion, il avait eu la chance de trouver rapidement un poste qui corresponde à ses compétences malgré son manque d'expérience. Sans une minute de retard, il s'installa à son bureau, alluma l'ordinateur et prit connaissance des livraisons à faire. A lui d'organiser les plans de transports pour qu'ils soient les plus rentables possible. Et il s'en sortait plutôt bien. L'entreprise prenait de l'essor et il avait parfois du mal à satisfaire tous les clients. Il commençait à se dire qu'il avait peut-être besoin d'aide un employé qui pourrait le seconder quelques heures par semaine. Avec courage, il s'attela à la tâche.
Vers le milieu de la matinée, son téléphone sonna. A l'autre bout du fil, la responsable des ressources humaines lui demanda de la rejoindre dans son bureau. Un peu contrarié, il obtempéra. Arrivé là, il se retrouva nez à nez avec Sanada.
- Capitaine ? fut le seul mot que prononça son ancien coéquipier.
- Capitaine ? répéta la responsable. Vous vous connaissez ? sourit-elle.
- Eh bien… hésita Yukimura, nous avons joué dans le même club de tennis au collège, expliqua-t-il brièvement.
- Voilà une bienheureuse coïncidence, poursuivit-elle. Le monde est bien petit. Inutile donc que je fasse les présentations. Monsieur Sanada va vous aider pour les plans de transports. Nous commençons par du temps partiel et si l'évolution de l'entreprise se confirme, nous envisagerons alors du temps complet. Monsieur Yukimura, je compte sur vous pour que notre nouveau collaborateur soit opérationnel le plus vite possible.
- Oui madame. Je ferai de mon mieux.
Les deux hommes sortirent et Sanada suivit son "supérieur" dans un étrange silence. Mais au lieu de retourner à son bureau, Yukimura prit la direction de la cafétéria. Ils prirent chacun un thé et s'installèrent sur la terrasse, à l'ombre des pruniers et des cerisiers qui ornait le petit jardin devant l'accueil. Le silence sembla s'éterniser. Dire qu'ils étaient mal à l'aise était un euphémisme.
- C'est curieux, commença Yukimura.
- Quoi donc ?
- Tant qu'on se téléphonait, qu'on s'envoyait des mails, des sms, j'avais l'impression que l'éloignement ne nous avait pas perturbés. Et là…
- Et là on réalise que la personne qu'on en face de nous est très différente de celle de nos souvenirs, termina Sanada.
- Oui, c'est ça. En fait, je suis tellement content de te revoir que je ne sais pas comment réagir.
- Moi non plus. Ou plutôt, j'ai une furieuse envie…
- De jouer au tennis ? le coupa Yukimura avec un sourire malicieux.
Sanada le fixa avec le même regard qu'il avait dans son rêve et Seiichi en fut troublé. Son ancien Vice-Capitaine esquissa un sourire, chose surprenante pour autant qu'il s'en souvienne, un sourire qui s'élargit franchement.
- Tu as trouvé un logement ?
- Oui. C'est un peu loin, mais en attendant de trouver plus près, ça fera l'affaire.
- Voilà le programme. Aujourd'hui, je vais t'expliquer les grandes lignes de ce que tu auras à faire avec moi. Ce soir, je t'invite à dîner et ce week-end on joue au tennis jusqu'à épuisement. Qu'en penses-tu ?
- Ça me convient mais je tiens à payer mon repas.
- Pas question, c'est moi qui aie lancé l'invitation le premier. Tu pourras toujours m'inviter une prochaine fois.
- Très bien, soupira Sanada. Programme approuvé.
Le reste de la journée passa à une vitesse folle. Ils déjeunèrent rapidement, se remémorant leur souvenirs de collège, en particulier leur dernière année et ensuite ceux du camp d'été duquel Sanada avait été exclu avant d'y revenir plus fort que jamais à la suite d'un entrainement infernal vêtu d'une veste noire. Ensuite, Yukimura lui fit un résumé du travail qu'il aurait à faire, répondant avec précision à toutes ses questions, ravi de voir l'intérêt que le poste semblait susciter chez son ancien coéquipier. Ils se quittèrent en se donnant rendez-vous pour le soir même dans un restaurant à mi-chemin entre leurs deux appartements.
A l'heure dite, chacun vit l'autre arriver. Cela les fit sourire. Tous deux avaient la ponctualité chevillée au corps. Ils s'installèrent à la table que leur désigna le serveur et ouvrirent la carte. Ils commandèrent un apéritif. Ils le dégustèrent lentement, en silence. Finalement, Yukimura prit la parole.
- Alors ? Le travail te semble-t-il intéressant ?
- Oui. Organiser les plans de transport est excellent pour faire travailler l'esprit. Un peu comme un casse-tête.
- Un casse-tête ? rit Seiichi, surpris par la comparaison. Mmh… C'est vrai que ça y ressemble. Tu trouves ça compliqué ?
- Tu ne m'as pas montré grand-chose pour l'instant, mais je suis certain que c'est bien plus complexe que ça en à l'air.
- Tu n'as pas idée ! Mais bon ! Laissons le boulot là où il est pour l'instant. Dis-moi un peu ce que tu as fait pendant toutes ces années.
- Après le collège, mes parents ont déménagé et je les ai suivis. Mon frère a trois gosses. Le dernier a cinq ans et n'arrête pas de vouloir prendre mes raquettes quand ils viennent chez mes parents.
- Un futur joueur ?
- Pourquoi pas. En tout cas, ce n'est pas moi qui vais le décourager. Mais ma belle-sœur est toujours en train de l'empêcher de toucher à mes affaires bien que je lui dise que ce n'est pas grave.
- Tu joues un peu avec lui quand tu le vois ?
- Bien sûr, mais…
- Ta belle-sœur, c'est ça ?
- Exactement. Elle estime qu'il est encore trop petit.
- C'est une réaction normale.
- Ah mais… je suis tout à fait d'accord. Il faudrait juste qu'elle commence à comprendre qu'à son âge, il sait parfaitement ce qu'il aime et ce qu'il n'aime pas. Et mes raquettes lui plaisent.
- Et toi tu es ravi, hein ?
Sanada sourit en baissant les yeux sur son verre. Bien sûr qu'il était ravi. Plus tôt il apprendrait à jouer, plus tôt son neveu serait en mesure de maitriser, jeune, des techniques de haut niveau.
- Messieurs, avez-vous choisi ?
Le serveur prit leur commande et les laissa seuls à nouveau. Yukimura allait parler mais il se retint. Il n'aurait su dire pourquoi mais quelque chose l'avait retenu de poursuivre sur le même sujet. Il sentait confusément que Sanada ne paraissait pas vouloir continuer à raconter ces quelques années loin de Rikkai et de ses amis. Peut-être le ferait-il petit à petit, dans la tranquillité du bureau qu'ils partageaient maintenant.
Ils savourèrent leur repas en parlant de tout et de rien, mais bien souvent la conversation tournait autour du tennis. Qui étaient les meilleurs mondiaux ? Qui était le mieux placé pour remporter le prochain Rolland Garros ou Wimbledon ? La soirée fut très agréable mais malgré tout, chacun éprouvait une sorte d'embarras, comme s'il y avait beaucoup de choses non dites et dont ils avaient parfaitement conscience. Le temps n'était peut-être pas encore venu de les aborder. Après tout, ce qui leur était important au collège semblait futile aux deux adultes qu'ils étaient devenus. Etait-ce sérieux de parler de sujets d'adolescents ?
Ils marchèrent sans but dans les rues de la ville jusqu'à arriver à une station de métro.
- Je vais rentrer, déclara Sanada. Merci de m'avoir accompagné.
- Pas de problème. Je prends la même ligne que toi dans le sens contraire.
- Alors ? A quelle heure nous retrouvons-nous demain matin ?
- A neuf heures, sur le court Haruno, près du métro aérien ? N'oublions pas prendre de l'eau et de quoi manger.
- Des serviettes aussi et une bouteille d'oxygène.
- Tu crains pour ta condition physique ? rit franchement Seiichi.
- Eh bien je ne m'entraine pas de la même façon qu'au collège et je ne pense pas être aussi endurant qu'autre fois.
- Je suis certain que tu te sous-estimes. Et je suis dans le même cas que toi.
- J'ai peur que notre match soit lamentable.
- Nous verrons bien, Sanada. Et puis amusons-nous avant tout, non ? Peu importe qui gagne ou qui perd.
- Considérons ça comme un entrainement alors.
- Un entrainement ? Pourquoi pas, mais ça fait longtemps que je n'ai pas eu un partenaire de ton niveau.
- C'est bien pour ça que je dis qu'on risque d'être pitoyable.
Ils restèrent silencieux quelques secondes, tentant d'imaginer ce que serait leur match. Ils échangèrent un regard et Yukimura éclata de rire alors que le visage de Sanada s'éclairait d'un sourire plus discret, mais bien réel.
- Bien. Nous devrions rentrer et prendre une bonne nuit de repos, repris l'ancien Capitaine. - Oui, nous en aurons besoin. A demain, alors. - A demain, Sanada.
Une fois encore, ils arrivèrent en même temps et parfaitement à l'heure. Ils entrèrent sur le court et ce fut comme si ces années d'éloignement n'existaient plus. Comme s'ils venaient d'entrer dans un autre monde. Ou plutôt, leur monde. Celui du tennis. Les automatismes revinrent comme s'ils n'avaient jamais arrêté de jouer. Poser le sac sur le banc, s'assoir, ôter le bas du survêtement, vérifier l'attache des chaussures, sortir la gourde d'eau et la serviette, la boite de balles, visser son éternelle casquette sur son crâne pour Sanada et mettre son bandeau de transpiration pour Yukimura. Enfin vérifier la tension du cordage de la raquette.
L'ancien Capitaine se leva mais resta obstinément immobile, la tête baissée. Ces simples gestes l'avaient troublé. Une foule de souvenirs étaient remontés de sa mémoire et il craignait que ce qu'il découvrirait sur l'autre banc ne vienne ternir leur éclat.
- Tu veux qu'on échange quelques balles pour s'échauffer doucement ?
La voix de Sanada le sortit de ses pensées et il leva les yeux vers son partenaire. L'espace d'une seconde, il resta stupéfait. Devant lui se trouvait un homme presqu'identique à celui de ses souvenirs, si ce n'était une légère ombre sur les joues qu'il n'avait pas à l'époque qui lui donnait un air terriblement masculin. Il sourit et gagna sa moitié de terrain. Sanada fit un service en cuillère que renvoya aisément Yukimura. Pendant une vingtaine de minutes ils s'amusèrent ainsi, mais tout en sachant pertinemment que chacun jaugeait le niveau de l'autre. Et il fallait bien avouer qu'ils avaient de bons restes.
Sanada se faisait peu ou prou les mêmes réflexions. Le Seiichi qui évoluait devant lui était très semblable à celui qui jouait dans sa mémoire. Il se demandait s'il avait toujours les mêmes effrayantes techniques de jeu. A mesure qu'il renvoyait les balles, il remarqua que celles-ci devenaient plus lourdes et plus puissantes. Il haussa son jeu à son tour et vit apparaitre un sourire sur le visage de son adversaire. Un sourire de satisfaction. Un sourire lumineux.
- Eh les vieux ! Ce court est à nous ! Dégagez !
Yukimura rattrapa la balle dans sa main et se tourna vers les nouveaux venus. C'était un groupe de jeunes à la mine plutôt arrogante. Il s'approcha de Sanada dont il avait perçu la crispation de la main sur le manche de la raquette et la contraction de sa mâchoire sous l'effet de la contrariété.
- On pourrait jouer ensemble, proposa-t-il aux jeunes.
- Ah ! Ah ! Ensemble ? pérora celui qui semblait être le "meneur" du groupe. Vu comment vous jouez, on va vous écraser !
- Alors faisons un double, déclara l'ancien Vice-Capitaine. Vos deux meilleurs joueurs contre nous.
- Un défi ? Celui qui perd quitte le court.
- C'est d'accord, appuya Seiichi. Gen, tu te souviens des règles du double, murmura-t-il en se détournant.
- J'ai joué avec Atobe une fois, au tournoi contre les Américains, surpris de s'entendre appeler par ce diminutif.
- Je m'en souviens… C'était un beau match dès lors que vous vous êtes mis à jouer en équipe.
- Match en un set et on vous laisse servir, fit le jeune homme, grand seigneur.
- Tu vas peut-être le regretter, le nargua Seiichi.
- Ça, j'en doute.
- Jeu d'observation, ordonna l'ex Capitaine qui retrouvait d'instinct ses anciens réflexes.
- D'accord.
Sanada fit le premier service. Puissant mais pas irrattrapable. Le retour fut sans difficulté pour Yukimura qui le renvoya de manière à perdre ce premier point. Bien sûr, les ex-joueurs de Rikkai essuyèrent les railleries de leurs adversaires. Les échanges suivant leurs permirent de se faire une idée plutôt juste du niveau des jeunes joueurs et après avoir concédé quatre jeux, un simple regard leur suffit pour se comprendre. Il était temps de passer à l'offensive. L'ex Vice-Capitaine se positionna en fond de court, fit rebondir la balle trois fois, la lança et frappa.
Celui que ses amis nommaient Furuya, resta cloué, sans pouvoir faire le moindre mouvement. Sanada recommença et ce fut un jeu blanc. Quatre jeux à un.
- Pourquoi avoir attendu quatre jeux ? demanda son ex Vice-Capitaine sans que les autres ne les entendent.
- Ils croyaient le match déjà gagné. Leur défaite n'en sera que plus douloureuse. Et plus brulante leur humiliation.
- Je déteste ce genre de petits frimeurs, gronda Sanada.
- Moi aussi. Si au moins ils avaient de quoi se vanter…
- Mmh… Continuons. Ils ne doivent pas oublier la leçon.
Bien qu'ils les laissent leur renvoyer quelques balles, Sanada et Yukimura, malgré les défauts de leur jeu en double, infligèrent un six jeux à quatre sans que leurs adversaires n'aient plus marqué le moindre point. Ils les toisèrent de toute leur hauteur tandis que le double adverse, à genoux, avait grand peine à reprendre son souffle.
- Je crois que le résultat est clair, fit Yukimura en avançant d'un pas. Quittez ce court puisque vous avez perdu.
- Bon sang… Où avez-vous appris à jouer ? demanda Furuya sans vraiment attendre de réponse.
- Nous sommes deux anciens joueurs de l'équipe du collège rattaché à l'Académie de Rikkaidai Fuzoku.
- Hein ? Rikkaidai ?
- Eh oui ! fanfaronna Yukimura. Nous avons été champions nationaux deux années de suite.
- Vous auriez pu nous le dire ! cria le perdant, humilié devant ses amis.
- Est-ce que ça aurait changé quelque chose à votre attitude qui est fort irrespectueuse envers des ainés soit dit en passant ? fit Sanada en s'approchant à son tour. De quel collège êtes-vous ?
- Saint Rudolph.
- Là où jouaient Fuji Yuuta et le Capitaine Mizuki Hadjime. Ça fait combien de temps maintenant ?
- Presque dix ans, répondit Seiichi.
- Dix ans que vous avez arrêté le tennis et vous jouez encore comme ça ? s'étonna l'un des garçons.
- Qui a dit que nous avions arrêté ? sourit malicieusement Yukimura. Allez sortez de là. Nous avons un match à faire.
Sans se faire prier davantage, les plus jeunes quittèrent le court. Mais ils ne s'éloignèrent pas pour autant. Ils s'installèrent à l'extérieur pour regarder les deux autres jouer.
- Jusqu'à épuisement ? sourit Yukimura alors qu'il s'apprêtait à servir.
- Jusqu'à épuisement, répéta Sanada en se préparant pour un retour gagnant.
Et ce sont avec les yeux pleins d'étoiles et une détermination à progresser renforcée que les collégiens reprirent le chemin de leur école avant la fin du match.
Ils s'étaient écroulés côte à côte sur le banc. Epuisés. Complètement. La tête renversée vers le ciel, les yeux clos, Yukimura avait sur les lèvres un sourire béat. Depuis quand n'avait-il pas disputé un tel match ? Des années bien sûr. Et il était heureux. Heureux et reconnaissant envers Sanada qui s'était donné à fond. Celui-ci avait les coudes appuyés sur ses genoux et tentait de reprendre son souffle. Lui aussi éprouvait une joie euphorique. Retrouver un partenaire à son niveau était un miracle. Et si en plus ce miracle s'appelait Yukimura, que demander de plus ? Encore plus de matchs !
- J'avais raison, murmura-t-il.
- A quel sujet ?
- On a été lamentable…
- Tu es trop dur, Gen. Je trouve qu'on n'était pas si mal que ça.
- On jouait mieux avant…
- Oui, mais on jouait beaucoup plus. Avec le peu d'entrainement qu'on a depuis plusieurs années, je trouve qu'on a fait un match honorable.
- On peut faire beaucoup mieux que ça…
- Et pourquoi ? On a une compétition qui nous attend ? Sanada, jouons pour le plaisir de se donner à fond et en prenant garde de ne pas nous blesser surtout.
- Mmh… tu as raison, répondit l'ancien Vice-Capitaine après quelques secondes de réflexion. Il ne faut pas nous blesser. On pourrait essayer de s'entrainer plus régulièrement, non ? Qu'en penses-tu ?
- Je ne suis pas contre. Ce court n'est pas loin du bureau. On peut venir après le travail, une heure ou deux.
- Et le week-end aussi, insista Sanada.
L'ex Capitaine de Rikkai ne répondit pas tout de suite et observa son ami. Il devinait la frustration qu'il tentait de ne pas montrer. Le tennis lui avait-il manqué à ce point ? Et là qu'il retrouvait la possibilité de jouer à nouveau, Yukimura avait l'impression que Genichirou voulait plus que s'épuiser. Il voulait jouer jusqu'à ce que mort s'en suive.
- Je me souviens qu'un jour, un peu avant mon opération, tu m'as dit que si on t'enlevait le tennis tu n'aurais plus rien. Et je t'ai répondu que pour moi, c'était la même chose. Je n'avais pas compris alors à quel point tu étais sérieux.
- J'ai failli m'arrêter, confia Sanada. Je ne trouvais personne à mon niveau et jouer contre un mur, au bout d'un moment, ça ne veut plus rien dire. Je jouais de moins en moins, et je m'enfonçais dans la déprime.
- Une chance que tu aies trouvé ce job, alors.
- Surtout que je t'aie retrouvé toi.
- Gen, as-tu conscience de l'ambiguïté de ta phrase et des questions que je suis obligé de me poser ? Si je ne te connaissais pas aussi bien, je pourrais croire que tu le fais exprès. Mais tu es trop droit pour calculer ce genre de chose. Quoique… je connais le collégien. Mais qui est l'homme que tu es devenu ?
Après s'être reposés, ils mangèrent des hamburgers non loin de là et retournèrent sur le court où ils jouèrent encore une bonne partie de l'après-midi. Jusqu'à épuisement avaient-ils décidé ? Et c'est ce qu'ils firent. Dans le métro qui le ramenait chez lui, Yukimura s'endormit et faillit rater sa station.
Arrivé chez lui, Sanada posa son sac au sol et se déchaussa. Il ôta ses vêtements qu'il mit dans la machine à laver et la mit en marche. Puis il se glissa sous la douche. L'eau chaude délassa ses muscles malmenés et il songea que le lendemain, il risquait fort d'avoir des courbatures. Mais il se sentait bien. Tellement bien. Pas seulement dans son corps mais également dans sa tête. Depuis toutes ses années où il avait vu le tennis s'éloigner de lui, il avait eu l'impression de vivre dans les ténèbres. Et là voilà que son ancien Capitaine surgissait dans sa vie comme un phare dans la nuit. Il était bien déterminer à suivre cette lumière, quitte à ses bruler les ailes. Il réchauffa un plat au micro-onde et s'installa devant la télévision, sur le canapé qui lui servait aussi de lit. Il chercha une chaine de sport et tomba sur une retransmission de la finale mythique de Wimbledon en 1980. Borg contre McEnroe.
Il connaissait ce match par cœur mais il ne se lassait pas de le regarder. Il venait de commencer, mais Sanada n'en vit pas la fin. Ce n'était pas comme s'il ne la connaissait pas, mais il s'endormit comme une buche après avoir mangé…
Yukimura se sentait vaseux. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas autant dépensé et il accusait la fatigue. Sanada avait raison, ils ne tenaient pas la grande forme. Mais s'ils recommençaient à s'entrainer régulièrement, sans pour autant s'astreindre à un entrainement de compétiteurs, ils pourraient retrouver un très bon niveau. L'idée lui plaisait. Alors qu'il se délassait dans un bon bain, son esprit se mit à vagabonder dans le dédale de ses souvenirs. D'abord le collège. L'arrivée de Kirihara, alors qu'ils étaient en deuxième année, avait apporté un vent de fraicheur et de renouveau à l'équipe. Ce gamin prétentieux avait voulu les affronter et avait démontré des capacités hors du commun. Il avait obligé Sanada à utiliser ses techniques pour lui tenir tête. Et puis il avait intégré les titulaires et les matchs s'étaient succédés. Un premier titre national, puis un second. Yanagi était le troisième membre de ce que les autres joueurs appelaient les Trois Monstres de Rikkaidai. Yanagi, le Maître, Sanada, l'Empereur et Yukimura, l'Enfant de Dieu.
Ils visaient un troisième titre mais la montée en puissance de Seigaku et l'arrivée du phénomène Echizen les stoppa aux portes de la victoire. Le jour de son opération, Sanada était venu le voir à l'hôpital. Ils avaient parlé des raisons qui les faisaient jouer au tennis et il avait remis l'avenir de l'équipe entre les mains de son Vice-Capitaine en qui il avait une confiance aveugle. Il avait toujours pu s'appuyer sur lui mais il n'avait jamais abusé de la solidité mentale de Sanada. Bien qu'il le trouvât trop sérieux, il admirait sa force et son contrôle. Il voulait le voir sourire et rire mais Genichirou faisait tout avec une extrême application. Une victoire aurait fait sourire n'importe qui d'autre, mais pas Sanada. Il restait imperturbable comme si pour lui, gagner était naturel. Un roc. Pourtant, il se vantait d'être celui qui le connaissait le mieux mais, au fond de lui, il savait que son ancien coéquipier était bien plus secret encore. Et c'est pour cela qu'il recherchait sa présence en permanence. Il voulait tout connaitre de lui, il espérait sans vraiment y croire, qu'un jour Sanada lui en dirait plus sur lui. Découvrir ce que cachait l'Empereur était devenu en but en soi.
Ils passaient le plus clair de leur temps l'un avec l'autre et Yukimura le considérait comme son meilleur ami, ils parlaient de tout ensemble. Pas seulement de tennis même si cela concernait quatre-vingt pour cent de leurs conversations. Les études et ce qu'ils envisageaient aussi pour leur avenir. Des filles aussi, auxquelles ils commençaient à s'intéresser. Mais il remarqua bien vite que le sujet mettait Sanada un peu mal à l'aise. Il se souvint des quelques fois où il l'avait invité à rentrer du collège avec lui et où Sanada avait refusé parce qu'il raccompagnait sa petite amie. La déception lui avait alors serré le cœur. Quelqu'un venait s'interposer entre eux. Yukimura pensait que l'unité était une des forces de Rikkaidai et voilà qu'elle était remise en question.
L'idée que lui aussi pouvait avoir une petite copine ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Il sourit et remit de l'eau chaude dans son bain. Ben voyons… une copine… Il s'intéressa aux filles parce que c'était ce qu'il fallait faire. Il avait bien vite remarqué que les rondeurs d'une poitrine naissante ne lui faisaient pas autant d'effet qu'un torse plat et des épaules larges. Loin d'être idiot, Yukimura compris alors qu'il préférait les garçons. Si cela le perturba un temps, il finit par l'accepter. Bien sûr, il sortit avec quelques filles, histoire que personne ne se doutât de rien. Ça n'allait pas plus loin que quelques baisers ou caresses très chastes. Et puis à leur âge, être attiré par le même sexe, ce n'est pas quelque chose que l'on assume aisément et que l'on affiche ouvertement.
Mais la Nature se rappela à son bon souvenir de façon brutale, un jour sous la douche après un entrainement. Il trainait sous l'eau chaude lorsqu'il sentit une présence à ses côtés. Dans les volutes de l'épaisse vapeur, il reconnut Sanada, deux douches plus loin, qui lui tournait le dos. En l'espace d'une seconde, il détailla les épaules, les fesses et les longues jambes. Les muscles étaient ceux d'un adolescent mais ils étaient déjà bien dessinés. La sensation qui lui tordit le ventre ne lui était pas inconnue mais elle le surprit par sa violence. Son corps échappa à tout contrôle et le début d'une érection le fit rougir. Il fit volte-face pour cacher son état et attendit que son coéquipier sorte.
Par la suite, il regarda son Vice-Capitaine avec d'autres yeux. Et ce n'est que ce jour là, sur le toit de l'hôpital qu'il comprit qu'il était amoureux. Mais à quinze ans, ses sentiments là sont aussi forts qu'ils sont éphémères. Lorsque Sanada déménagea, il devint taciturne. Mais avec le temps, il ne pensa plus à tout ça. Jusqu'à hier, où il s'était retrouvé, nez à nez avec lui. En un instant, le flot de souvenirs s'était déversé dans son esprit et l'évidence s'imposa à lui avec brutalité. Ses sentiments mis en sourdine toutes ses années venaient de lui déchirer le cœur à nouveau. Il y avait pourtant une différence de taille entre aujourd'hui et il y a dix ans. Aujourd'hui, ils n'étaient plus des adolescents. Si ses sentiments étaient toujours aussi forts, venait s'y ajouter le désir charnel.
Pour l'instant, il était dans le flou le plus total. Il ne connaissait pas les préférences de Sanada et pour les découvrir, il lui faudrait déployer des trésors de ruse sans éveiller ses soupçons. Voilà qui allait être folklorique. Mais Yukimura n'était pas du genre à abandonner. S'il avait la moindre chance de conquérir le cœur de Sanada, alors il se battrait jusqu'au bout…
Lorsque le réveil sonna, Sanada lui donna une claque. Il se frotta les yeux et pris quelques secondes pour rassembler ses souvenirs. Il se leva, prit un solide petit-déjeuner, s'habilla, prit son sac et partit prendre le métro qui le conduirait au court Haruno. Ils avaient convenu avec Yukimura de se retrouver à dix heures. Celui-ci arriva quelques minutes après son ami qui avait commencé à s'échauffer. Ils remarquèrent aussitôt le groupe de jeunes garçons de la veille qui les observait.
- Je crois qu'on a des fans, plaisanta Seiichi en s'échauffant à son tour contre le mur.
- On apprend aussi en regardant, répliqua doctement Genichirou en envoyant une balle surpuissante qui s'écrasa contre le béton. On pourrait les inviter à jouer.
- Et ainsi aider Saint Rudolph ? Pas question !
La virulence de la réponse fit sursauter Sanada. Yukimura était encore très attaché à Rikkai et il ne voulait pas offrir une chance à d'autres collèges de les surpasser. En réalité, il ne voulait pas partager le temps qu'il allait passer avec son ex Vice-Capitaine. Il le voulait tout à lui. La matinée passa en un éclair et comme la veille, ils mangèrent dans un petit fast-food. Alors qu'ils allaient reprendre le jeu, le téléphone de Yukimura sonna.
- Allô ? Bonjour maman.
Il s'éloigna de quelques pas et Sanada patienta en jouant contre le mur. De temps à autres, il regardait dans la direction de son partenaire et le voyait sourire. Qu'il était chaud ce sourire. Et combien de beaux souvenirs lui rappelait-il… Il réalisa à quel point tout cela lui avait manqué. Le tennis, avoir quelqu'un de son niveau, l'excitation d'un match même amical. Yukimura… Oui, il lui avait manqué. Tout comme ses autres coéquipiers. Il savait qu'ils s'étaient tous éparpillés aux quatre coins du pays pour assumer leur vie professionnelle. Seuls Marui Bunta et Niou Masaharu étaient encore dans le coin à sa connaissance. Une bouffée de bien-être lui gonfla la poitrine. Qu'est-ce qu'il était heureux d'être là !
- Désolé, c'était ma mère, fit Seiichi en le rejoignant.
- Ne t'excuse pas, c'est normal. Comment vont tes parents ?
- Ça va. Mon père est un peu fatigué, mais rien de grave. Alors on se le fait ce match ?
Lorsqu'ils firent une pause, Yukimura remarqua que Sanada avait tendance à faire des ronds avec son épaule. Il s'approcha et posa sa main dessus.
- Courbatures ?
- Et fatigue. Je n'ai plus l'habitude de frapper si longtemps dans une balle. On commence à rouiller.
- Parle pour toi ! Je me sens en pleine forme.
Le léger massage que lui prodigua son ancien Capitaine lui fit du bien. Pourtant, vers seize heures, Sanada jeta l'éponge. Il préférait s'en tenir là. Inutile de forcer ses limites, le lendemain commençait une nouvelle semaine de travail. Même s'il ne faisait pas autant d'heures pour l'instant que Yukimura, il voulait être en forme.
La semaine passa très vite. Après le travail, ils se rendaient une heure ou deux sur le court sous le métro aérien puis rentraient chez eux. Sanada comprit rapidement ce qu'on attendait de lui et Yukimura était un excellent pédagogue. Il lui confia les plans les plus simples et ce concentra sur les plus complexes. Ainsi, le vendredi à midi, ils avaient terminé.
- Si on allait au cinéma ? proposa Seiichi tandis qu'ils marchaient vers le métro.
- Ce soir ?
- Ben oui. Quand veux-tu qu'on y aille sinon ?
- Ce week-end.
- Et l'entrainement ?
Sanada tourna la tête et planta son regard sombre dans les deux perles violettes rieuses qui l'observaient.
- Tu veux vraiment qu'on passe nos week-ends à jouer ?
- Bien sûr ! Pas toi ? Je tiens une forme terrible ! Et ça ira de mieux en mieux quand on sera habitué à un certain rythme.
- Ok. On va voir quoi ?
- Il repasse "Les Sept Samouraïs" Ça te dit ?
Et comment que ça lui disait ! Sanada adorait ce film. Il avait dû le voir des dizaines de fois mais il ne s'en lassait pas. Et Yukimura le savait. Ils se retrouvèrent devant le cinéma pour l'avant-dernière séance et en sortant, ils mangèrent dans un petit restaurant traditionnel. Ils marchèrent lentement dans les rues pour gagner leur station de métro et se séparèrent jusqu'au lendemain matin où ils se retrouvèrent sur le court.
Au fil des jours, Sanada parut se détendre. Il semblait moins crispé et Yukimura s'en félicita. Lui-même était plus taquin. Il était toujours en train d'essayer de faire rire son ami et il y parvenait de plus en plus souvent. Il était aussi plus tactile. Il n'était pas rare qu'il s'appuie sur les épaules de Genichirou pour contrôler un plan de transport. Si au début Sanada s'était raidi à ce contact, ce n'était plus le cas. Il s'était habitué. Une sorte de routine s'était instaurée et ça ne lui déplaisait pas.
Un soir, alors qu'il tombait des trombes d'eau, il allait s'installer pour diner lorsqu'on sonna à sa porte.
- Yukimura ?
Son ami était trempé avec sur le visage une expression d'hébétude et de tristesse qui lui broya le cœur. Il le fit entrer et n'obtenant pas de réponses à ses questions, il le poussa vers la petite salle de bains. Il l'aida à se dévêtir, ne lui laissant que son sous-vêtement et le sécha.
- Tu devrais prendre une douche pour te réchauffer, murmura-t-il.
Yukimura opina du chef. Sanada sortit et alla prendre un yukata après avoir mis les affaires mouillées à laver. Il écouta l'eau couler et entra dans la pièce.
- J'ai déposé des vêtements secs, dit-il sans vraiment attendre de réponse.
Puis il ressortit et alla faire du thé. Qu'avait-il pu se passer pour que son ami débarque comme ça chez lui à une heure avancée dans un tel état ? Il lui faudrait attendre que celui-ci veuille répondre à ses interrogations. Il apporta le thé dans le salon au moment où Yukimura sortait de la salle de bains.
- Assieds-toi. Tiens, c'est bien chaud.
- Merci, souffla Seiichi avant de boire une gorgée brulante.
- Tu veux en parler ?
- Tu seras seul jusqu'à la fin de la semaine, dit-il d'une voix atone. Je vais m'absenter.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Tu es capable de te débrouiller sans moi quelques jours…
- Réponds-moi s'il te plait.
- Tu n'auras qu'à jeter un œil sur d'anciens plans pour t'aider, tout est dans l'ordinateur et…
- Seiichi ! Réponds-moi ! s'emporta Sanada.
Yukimura releva les yeux vers lui. Pendant un instant leurs regards se perdirent l'un dans l'autre et Genichirou reçut de plein fouet la souffrance de son ami. Il s'approcha et posa une main sur son bras.
- Qu'est-ce qui t'arrive ? demanda-t-il encore, plus doucement.
- Mon père… il… il est mort…
Son visage se tordit de douleur. Sanada eut juste le temps de lui enlever la tasse des mains que Yukimura s'effondrait dans ses bras, en sanglots. Quelques jours plus tôt, il avait encore eu sa mère au téléphone et à part un peu de fatigue, son père allait bien. Comme les fois d'avant. Et maintenant, il était parti. Il passa ses bras autour du corps recroquevillé contre lui et le serra. Il s'adossa au canapé et rabattit la couverture sur eux. Pendant près d'une heure, il ne put qu'être là pour son ami. Son meilleur ami. Il le laissa déverser toute sa tristesse et tout doucement, Yukimura se calma.
- Tu pars demain matin ?
- Oui, il y a un bus qui s'en va à sept heures vingt. J'en ai pour moins d'une heure de trajet.
- Que s'est-il passé ?
- Il s'est senti mal après le diner et il s'est écroulé. Infarctus… Les secouristes n'ont pas réussi à le réanimer.
- Ta mère n'est pas toute seule au moins ?
- Non, mon oncle et ma tante sont avec elle. Ils habitent tous près.
- Tu devrais rentrer et dormir un peu.
- Tu peux m'héberger pour la nuit ?
- Tu ne dois pas te changer avant de partir ?
- Quand ma mère m'a téléphoné, j'étais comme dans un état second. Je ne pensais qu'à une chose : te voir. J'ai rempli un sac avec quelques affaires et je l'ai laissé là dehors. Je savais que tu ne refuserais mais je n'ai pas voulu te forcer la main en entrant avec.
Sanada se leva pour récupérer le sac. Cela lui donnait une bonne excuse pour cacher le trouble qu'avait fait naitre les paroles de Yukimura. " Je ne pensais qu'à une chose : te voir." Comment dans de telles circonstances pouvait-il penser à lui ? Et pourquoi cela le remplissait-il de joie ? Pourquoi cette simple idée le faisait-elle frémir ? Il posa le sac à l'entrée, à côté de leurs chaussures et retourna auprès de son ami.
- Reviens t'asseoir s'il te plait. Je me sens perdu…
- Arrête de dire des trucs pareils ! Tu n'as pas froid ?
- Si tu viens, ça ira.
- Arrête !
Il se rassit et aussitôt Yukimura se lova contre lui comme un chaton. Sanada fut envelopper par les effluves de son propre gel douche qui se dégageaient de l'homme contre lui. Il le serra un peu plus et entendit un soupir de contentement. Il était bien comme ça. C'est comme s'il venait de trouver ce qui lui avait toujours manqué. Et pas question de le laisser lui échapper. Il posa sa tête sur les cheveux de Yukimura et inspiration profondément en souriant doucement.
- Endors-toi. Je serai là à ton réveil.
Mais Seiichi ne l'entendit pas. Il avait déjà sombré dans un profond sommeil.
Lorsque Sanada s'éveilla, il constata qu'il ne pouvait pas se lever sans réveiller Yukimura. Il observa son ami pendant plusieurs minutes avec un sourire tendre aux lèvres. Il avait les mêmes traits fins et racés que lorsqu'ils étaient encore au collège. Mais maintenant ils avaient la teinte de la virilité. Celle que confère la maturité. Il avait toujours le même charisme et la même élégance dans les gestes. C'était peut-être ça qu'on appelle la beauté du diable. Ne disait-on pas à l'époque que son style de jeu était infernal ? Puis il se souvint qu'il allait passer plusieurs jours sans le voir et son horizon s'assombrit. Il finit par bouger et Yukimura ouvrit les yeux. Il sourit en croisant le regard tendre qui l'observait.
- Désolé de te réveiller mais je ne peux pas me lever, expliqua Sanada.
Seiichi regarda leur position et sourit. Dans la nuit, ils avaient glissé et Genichirou s'était retrouvé sous son ami qui avait dormi sur lui comme une grenouille.
- On dirait que tu m'as servi de doudou, fit l'ex Capitaine de Rikkai. Excuse-moi, fit-il en se levant.
- La prochaine fois on ouvrira le canapé, se sera plus confortable.
Comme il disait ça en partant vers le coin cuisine, il ne vit pas le sourire radieux de Yukimura. Devait-il comprendre qu'il dormirait encore chez lui ? Comme cette nuit ? Dans son lit ? Dans ses bras ? Bien qu'il vienne de perdre son père, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était peut-être en train de gagner quelque chose de différent, certes, mais d'aussi précieux. La tristesse l'envahit à nouveau et il dut faire un gros effort pour sourire à Sanada qui venait de lui préparer un copieux petit-déjeuner.
- Tu veux que je t'accompagne à la gare routière ? demanda Sanada tout en mangeant.
- Non, tu risques d'être en retard au bureau. Je t'envoie un message dès que j'arrive.
- On va au métro ensemble, alors.
Sanada arriva à son travail un peu en avance. Il ne cessait de regarder l'heure se disant que son ami ne tarderait pas à arriver chez sa mère. Puis il se plongea dans ses plans de transports. Son téléphone sonna. Un message.
"Je suis bien arrivé."
"Ok. Appelle-moi à n'importe quelle heure si tu en as besoin" répondit Sanada
"Ok"
Pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, il espérait que son téléphone sonnerait à nouveau et qu'il entendrait la voix de Yukimura. Mais il devait certainement s'occuper de sa mère et l'aider à préparer les funérailles. Ce soir, peut-être…
La journée lui sembla interminable. Il avait l'impression que le temps s'était arrêté. Pourtant, l'heure de rentrer finit par arriver. Il rentra chez lui. Il se sentait vide. Il se sentait seul. C'était comme s'il avait fait un bond en arrière de quelques semaines, avant qu'il n'intègre cette société. Et cette pensée lui plombait le moral. Il ne voulait plus se retrouver seul. Il avait trop souffert. Il n'avait plus ses amis et il avait failli ne plus avoir le tennis. Non. Plus jamais seul.
Comme un automate, il se doucha et mangea. Il zappait sur les chaines de télévision quand son téléphone vibra.
- Oui ?
- C'est moi.
- Comment ça va ? demanda Sanada dont le cœur battait à une vitesse folle.
- Ça peut aller… C'est dur…
- Et ta mère ?
- Elle est… Je ne sais pas… Je l'ai toujours considérée comme le pilier de la famille et là… là on dirait une montagne sur le point de s'écrouler.
- Ça se comprend. Quand on lieu les funérailles ?
- Après demain…
- Je serai là.
- Non, ça va aller…
- Je viendrai, c'est tout. J'ai presque fini les plans de cette semaine. Je les terminerai demain et je te rejoindrai mercredi. Je ferai l'aller-retour dans la journée.
- Tu as presque fini les plans de la semaine ? s'étonna Yukimura dont la surprise perçait dans la voix.
- Oui. J'ai fait aussi vite que possible pour être libre et te rejoindre. J'ai aussi averti la RRH de ton absence. Elle t'adresse ses condoléances.
- Je la remercierai en rentrant. Bon… je vais te laisser, je suis fatigué.
- Essaie de dormir un peu. Je sais que c'est idiot de dire ça…
- Non, non… Je sais que tu le penses. Je languis mercredi pour te voir.
- Moi aussi. Appelle-moi n'importe quand ou envoie-moi des messages. Autant que tu veux. D'accord ?
- D'accord. Merci. Bonne nuit, Gen.
- Bonne nuit, Seiichi.
A l'autre bout de la ligne, Yukimura sentit son cœur s'emballer. Sanada l'avait enfin appelé par son prénom. Lui faisait usage du diminutif depuis un moment maintenant, espérant par là créer un lien complice entre eux. Quelque chose qui ressemblerait à un début d'intimité. Et pour la première fois, il avait un retour. Bon, il ne fallait pas qu'il s'emballe non plus. Ce n'était peut-être que les circonstances qui avaient fait réagir Sanada ainsi. Il ne s'en était pas forcément rendu compte, mais Yukimura aimait l'idée que Genichirou soit réceptif à ses démonstrations amicales qu'il poussait doucement de plus en plus loin. Il s'endormit en souriant, le cœur un peu moins lourd.
A suivre…
