Parfois, Sirius se rappelait de sa cousine jeune et se demandait comment Bella Black, l'adolescente rebelle qui voulait vivre sa vie comme elle voulait et non selon les caprices d'un autre, avait pu devenir Bellatrix Lestrange, la fanatique dérangée qui ne se souciait que des ordres de son précieux maître.
Bella telle qu'il se la rappelait encore à l'école, c'était la fille qui s'éclipsait en douce à Pré-au-Lard pour aller goûter au whisky Pur-feu et qui n'hésitait pas à utiliser une batte de Quidditch pour faire reculer ses admirateurs les plus insistants.
Sirius se rappelait avoir été abasourdi et admiratif devant le culot de sa cousine, toute Serpentard qu'elle était. Rien ne semblait lui faire peur, rien ne semblait l'arrêter, rien ne semblait la contrôler. Même pour Andy et Cissa, elle refusait de se conduire en fille de famille sang-pure typique.
C'était étrange à dire, après Azkaban, après ce qu'elle avait fait pour s'y retrouver, mais elle avait été sa favorite parmi les trois filles d'oncle Cygnus. Devant Andy, même. Andy était bien sympa, mais c'était Bella qui avait appris à Sirius à lancer le maléfice Bloque-Jambes et lui avait offert sa première cigarette.
« Oooh, bébé Siri en rouge et or ? C'est quoi, cette histoire, mon choupinet ? Tu t'es trompé de table en allant t'asseoir après la répartition ? »
Non, ce n'était pas le fait qu'il soit allé à Gryffondor qui avait détruit leur relation. En y repensant, il était sûr que c'était le mariage de Bella qui avait tout gâté.
Bella ne voulait pas se marier. Ce dont elle rêvait, c'était d'entrer comme Briseuse de maléfices à Gringotts, aller chasser le quetzalcoatl en Amazonie, escalader l'Himalaya en chaussettes, tout sauf se retrouver à gérer une maison et pondre des marmots.
Tout le monde savait que le mariage du premier-né des Lestrange à Bella n'avait été rien de moins qu'une catastrophe. Bella était trop sauvage, trop aventureuse, trop indépendante. Rodolphus Lestrange était un traditionnel, comme oncle Cygnus pour qui la femme devait tenir lieu de présentoir à robe et à bijoux lors des soirées mondaines, et matrice privée de bouche le reste du temps.
Si Bella avait pu échapper au mariage, elle n'aurait certainement pas cherché à se consoler dans la magie noire. Elle n'aurait pas fait office de proie facile pour un manipulateur lui promettant le pouvoir de reprendre sa vie en main, de choisir elle-même ce qu'elle voulait faire.
Oui, c'était sans doute comme ça que la dégringolade avait débutée. La magie noire, c'est comme l'héroïne : rien qu'une dose, une toute petite, pour essayer, pour passer le temps, ça ne semblait pas si grave, pas de quoi en faire un drame… Mais après, on n'arrêtait plus d'y penser, on en revoulait… Et c'était dur de ne pas tomber dans le trou, même quand vos amis vous encouragent à vous arrêter.
Bella n'avait eu personne pour l'arrêter. Parfois, Sirius regrettait de ne pas être intervenu, bien qu'à l'époque il n'ait été qu'un petit con préoccupé de ses petites affaires avant tout.
Il regrettait, mais tous les Retourneurs de Temps au monde ne lui rendraient pas Bella, la Bella de Poudlard et avant, la cousine qu'il n'avait pu s'empêcher d'adorer comme une sœur aînée. Bella Black était morte, dévorée par Bellatrix Lestrange, réduite à rien suite à son départ de l'école. Sa cousine respirait peut-être toujours, mais elle n'en était pas moins morte.
La seule chose qu'on pouvait encore faire pour elle, c'était d'achever le travail. De tuer son corps aussi, après avoir si consciencieusement tué son âme et son esprit.
La perspective parvenait à peine à serrer le cœur de Sirius. Sa cousine, il l'avait déjà pleurée. Il avait porté le deuil pour Bella Black.
Tuer Bellatrix Lestrange ne serait pas matière à chagrin, ce serait matière à soulagement.
